/// 05 Editorial Le patient, le clinicien et les statistiques Claude Pichonnaz Claude Pichonnaz, PT, MSc, PhDc Rédacteur de Mains Libres (Lausanne) Dans ce numéro, Mains Libres publie, en première francophone, la liste d’items TIDIeR qui vise à améliorer la description des traitements dans les articles scientifiques. Notre revue ayant de tout temps été attachée à servir les praticiens, nos fidèles lecteurs ne seront pas surpris qu’elle s’engage pour que les traitements évalués dans les études soient plus aisément transférables en pratique. Plus surprenant, Mains Libres publie pour la première fois un article sur les méthodes statistiques. Paul Vaucher y explique de manière didactique quel est le sens de la valeur P dans la différence entre deux groupes. Pourquoi cette nouvelle ouverture à une thématique qui n’a pas d’emblée les faveurs de la cote auprès des cliniciens ? Pour deux raisons essentiellement. Premièrement, pour aider nos lecteurs à mieux comprendre le contenu des articles qu’ils lisent. En effet, l’abord des notions statistiques est parfois difficile, surtout si l’on n’a pas de prédispositions particulières pour les mathématiques. Pourtant, si les subtilités du calcul ne sont accessibles qu’à une minorité des professionnels de santé, les principes qui régissent les statistiques courantes sont finalement assez simples, et tout à fait à la portée de tous. Si le chercheur et le réviseur d’article doivent être capables d’évaluer le bienfondé des statistiques utilisées, le lecteur a avant tout besoin d’en saisir l’objectif et le sens général. Deuxièmement, nous souhaiterions améliorer par ces tutoriels le regard critique que nos lecteurs peuvent porter sur les articles que nous publions, et ceux des autres revues par la même occasion. On entend et ré-entend qu’« on fait dire aux statistiques ce qu’on veut bien leur faire dire ». Ceci peut être vrai… à deux conditions. Tout d’abord, il faut que celui qui fait appel aux statistiques ait l’intention de les détourner. Churchill disait « Je ne crois jamais une statistique à moins de l’avoir moi-même falsifiée ». Sa citation montre bien que le problème ne vient alors pas de la statistique elle-même, mais de l’usage qu’on en fait. Il en va de même de tout outil puissant que l’on peut détourner à mauvais escient. Pour qu’un falsificateur réussisse à détourner une statistique, il faut également qu’il puisse tirer profit de l’ignorance de l’interlocuteur. C’est précisément ce que nous voulons éviter à nos lecteurs, et c’est pourquoi nous envisageons de publier – en parallèles aux articles qui consti- tuent le cœur de Mains Libre – d’autres articles qui mettent les statistiques à la portée des cliniciens. Vous y verrez que les statistiques visent finalement un objectif fort louable : s’approcher de la vérité. Cependant, s’en approcher ne signifie pas la détenir. Les statisticiens sont les premiers à le reconnaître, et comme dans nos professions, les controverses sur la meilleure manière de procéder vont bon train dans leur domaine de compétences. Les statistiques nous rendent néanmoins un énorme service : elles permettent de déterminer, avec une certaine marge d’incertitude, ce qui se passe dans l’ensemble de la population à partir d’un petit nombre de personnes. La seule alternative pour s’approcher de la vérité serait de mesurer l’ensemble de la population concernée pour connaître la réponse. Ce serait tellement compliqué, long, cher et fastidieux, que c’en est inconcevable. Les praticiens reprochent souvent aux statistiques, de ne pas dire grand-chose du patient qu’ils ont en face d’eux, et ceci est vrai ! Savoir qu’une approche est juste en général ne signifie pas qu’elle s’applique avec certitude à la personne que l’on traite. Un traitement généralement efficace ne l’est pas pour tout le monde, et son degré d’efficacité est variable chez chacun. Il y a donc quelque chose qui relève du pari, lorsque l’on utilise les statistiques en clinique. Tel un joueur de poker professionnel, le clinicien averti utilise des résultats issus des statistiques pour orienter son approche avec les meilleures chances de réussites a priori. Le pari est sensé, car en l’absence de certitude absolue, opter en première intention pour le « best bet » est le mieux que nous puissions offrir aux patients. Face à eux, le praticien cherche avant tout à agir de la manière la plus juste possible. Le bon usage des statistiques va dans ce sens. Elles ne sauraient suffire à toucher du doigt la vérité, mais elles contribuent à s’en approcher, ou du moins à estimer avec quel degré d’incertitude on agit. L’écoute, le ressenti, le raisonnement et l’expérience sont des sources d’information tout aussi valables, et complémentaires des savoirs quantitatifs issus des statistiques. Face à la complexité des situations que nous rencontrons dans les milieux de la santé, comment pourrions-nous nous passer ne serait-ce que d’un seul de ces piliers ? Mains Libres / 2016 / 4