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Réformer la gouvernance ou radicaliser la gestion ?
Gérard PERREAU
Maire adjoint de Nanterre
Président du groupe « communistes et apparentés »
La « démocratie » est aujourd’hui, de nouveau, au cœur de débats, de confrontations
et de recherches pratiques. Dans un récent ouvrage Agnès Hubert et Bénédicte
Caremier, membres de la cellule Prospective de la Commission européenne
écrivent : « Au plan théorique, le constat est fait : les anciennes façons de gouverner
sont caduques. Toutefois, les canaux de la décision politique, aux niveaux national et
européen, voire même local, restent figés sur des formes de représentation à
l’ancienne »1.
L’enjeu démocratique interroge le militant et l’élu.
Le militant de la transformation sociale est convaincu que la construction d’un rapport
de force plus favorable pour dépasser les pouvoirs de domination, d’exploitation et
d’aliénation à l’œuvre dans le capitalisme d’aujourd’hui, n’est possible que par la
participation active de la majorité de ceux qui les subissent. Leur irruption dans tous
les débats de société est donc nécessaire.
Comment y contribuer aujourd’hui comme élu d’un exécutif municipal ? Elu d’une
« démocratie représentative » dont plus personne ne conteste la crise dans sa
fonction de « représentation » des citoyens ? Les forces de domination elles-mêmes
ont parfaitement saisi la profondeur du divorce. Elles cherchent d’ailleurs à y
apporter leurs propres réponses, de se faire les apôtres de nouvelles formes de
participation des citoyens, mais toujours en s’efforçant de protéger les lieux de
pouvoir et de décision.
Dans un tel contexte, peut-on se contenter de chercher à limiter la casse ? Ou doit-
on s’interroger, expérimenter, comme élu et militant, des pratiques innovantes
favorisant l’investissement des citoyens dans la construction d’un autre monde ? La
crise de la politique provient également d’envies, de besoins, niés par le système
actuel de pouvoir. Comment leur donner force dans une ville pour permettre
l’émergence de nouveaux rapports de forces ? Comment donner de la « puissance »
aux choix citoyens face au sentiment d’ « impuissance »2 que transmet le politique
aujourd’hui ? Comment y contribuer comme élu « d’un pouvoir établi »,
« institutionnel », produit d’une histoire, héritier de traditions révolutionnaires mais
également d’une forme dépassée de la politique ? Comment articuler radicalité et
gestion ?
Le succès de la « démocratie participative »
Il traduit la nécessité de rouvrir le débat sur la démocratie et, comme en miroir,
montre que la crise du modèle de la représentation se situe dans le manque de
1 Agnès Hubert et Bénédicte Caremier, L’avenir des espaces publics européens : entre « communautés
politiques » et cyberdémocratie, in Vers un espace public européen ? Recherches sur l’Europe en construction,
coordonné par Arnaud Mercier, L’harmattan, Paris, 2003.
2 Michel Vakaloulis in refaire la politique, Syllepse, Paris, 2002.
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« participation ». L’horizon, présenté comme indépassable, du délégataire est ré-
interrogé.
Comme tout concept il fait débat. La Démocratie Participative est souvent limitée à la
« démocratie locale » ou à la « démocratie de proximité ». Certes ces niveaux sont
essentiels pour son développement mais la question du « participatif » n’est pas
seulement une question de « bonne gouvernance de l’espace local » ou pour le dire
autrement de nouvelles techniques « d’animation et de gestion » par la proximité que
les pouvoirs dominants récupèrent.
Le participatif interroge les formes actuelles de démocratie dans ce qu’elles portent
d’aliénations (délégation) pour les dépasser par l’investissement de chacun.
La conception même de l’affrontement politique en est bousculée. Dès lors, la
construction de nouveaux pouvoirs démocratiques, articulant participation et
représentation, devient un enjeu.
La volonté de faire progresser le participatif dans la démocratie, en surmontant les
obstacles, les habitudes, s’inscrit donc dans une recherche : radicaliser la gestion
par un débat politique embrassant toutes les questions de la société dans laquelle se
situe « l’espace ville » comme lieu de vie, de proximité, d’expression des souffrances
et des aspirations.
Tarson Genro, ancien Maire de Porto Alegre, situe l’expérience de sa ville dans ce
débat : « L’expérience du budget participatif de Porto Alegre sort du commun. Cette
expérience ne se contente pas de développer une forme de participation populaire,
ni simplement d’huiler les mécanismes de la démocratie formelle. Elle va beaucoup
plus loin, elle apporte une véritable réponse à ce défi du renouveau de la
démocratisation de l’action politique, en créant « un nouvel espace public » où se
côtoient et se rencontrent les simples citoyens, le pouvoir législatif, le pouvoir
exécutif, et c’est cet espace public qui devient le véritable centre de décision. C’est
cet espace public totalement nouveau qui permet l’émergence d’une citoyenneté plus
consciente, plus critique et plus exigeante (…). Cela nous oblige aussi à imaginer
de nouvelles formes de relations avec le pouvoir afin de le transformer et de le
démocratiser (…) Les défis que nous devons relever sont bien : comment
démocratiser radicalement la démocratie ? Comment trouver des mécanismes
permettant de répondre aux intérêts de l’immense majorité de la population ?
Comment inventer de nouvelles institutions à travers des réformes et des
ruptures qui fassent que les décisions engageant l’avenir soient des décisions
partagées par tous ? Quand on parle de démocratie, « partager » veut dire permettre
à ceux qui ont été élus au suffrage universel, les représentants politiques, et ceux qui
sont issus d’autres formes de participation directe, en prise avec le mouvement
social, d’accéder à d’autres manières de « décider » ensemble. Le budget
participatif est un des moyens pour aller dans ce sens comme le montrent son
histoire et sa méthode. (…) [cela] nous oblige à remettre en chantier le concept de
démocratie. Un concept dans lequel la conquête du gouvernement par le vote
populaire n’épuise pas la participation de la société mais au contraire, permet
d’initier un autre processus créant deux pôles de pouvoir démocratique : l’un
issu du vote, l’autre issu des institutions directes de participation. C’est à la fois
une méthode de décision et d’émergence d’une forme de contrôle sur l’Etat et sur le
gouvernement. Pour cela, il faut créer des institutions capables de mettre en
œuvre des politiques offrant chaque fois un degré plus grand de légitimité sociale
dans un mouvement dialectique où ces politiques sont le fruit de ‘consensus’ qui
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surgissent des ‘conflit’ ouvrant progressivement la scène publique à l’intervention de
tous les citoyens »1.
Cette pratique n’est pas un modèle. Les traditions politiques et le contexte
économique n’ont rien de comparables à un pays comme la France. Mais elle incite
à ouvrir des espaces nouveaux pour s’attaquer à la contradiction entre envie de
s’investir et impuissance à agir, combattre l’exclusion, le rejet de pans entiers de la
société, le repli sur soi. Ce qui n’exclut pas de rester modeste, de mesurer le poids
des habitudes, des représentations.
Le processus et les temps forts des « Assises pour la ville »,
dont Nanterre est le berceau, s’inscrit dans ces préoccupations
Depuis 1997, le processus des Assises a eu des conséquences sur nombre de
pratiques locales et a aussi soit renforcé, soit créé de nouveaux lieux de démocratie :
Le 1er temps fort a revivifié les conseils de quartier (qui existent depuis 1977) en
les développant, en leur donnant une place nouvelle.
Le 2ème a privilégié le travail avec les partenaires de la ville, notamment le
mouvement associatif , a entraîné le développement des structures de réflexions
thématiques.
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ème a mis en place l’Appel à projets, une avancée vers un budget plus
participatif.
Cette année, nous voulons continuer cette démarche en insistant sur la co-
élaboration, plus active et plus large, et sur la transversalité en mettant en place
une structure, un lieu : un «atelier des assises».
Ce processus, fait d’expérimentation, contribue à une re-politisation de la vie locale.
Evidemment, il dérange. Il bouscule le cadre institutionnel et politique établi, il est
confronté à « la résistance au changement ».
Ainsi, il s’agit de s’appuyer sur la participation d’un maximum de citoyens pour
décider des choix, construire des ambitions pour la ville. La question ici est de
mesurer si le fait que plus de citoyens participent au débat permet de ressourcer la
confrontation et l’investissement sur des aspects plus globaux et de contribuer à
modifier les rapports de forces.
Cela interroge en profondeur la représentation politique dite traditionnelle :
sur ses pratiques,
sur le rôle des élus, du pouvoir municipal,
sur la fonction des partis politiques.
Créer les conditions pour que les citoyens participent -et plus particulièrement ceux
d’entre eux qui rencontrent le plus de difficultés - , accepter et prendre en compte les
formes qu’ils ont eux-mêmes choisies, relève d’un cheminement long, inventif, mais
nécessaire pour construire une confiance mutuelle permettant des échanges francs,
sans concession, seul moyen d’avancer tous ensemble dans le respect des
sensibilités et des responsabilités de chacun.
1 1 Tarson Genro in « Quand les habitants gèrent vraiment leur ville » Tarso Genro § Ubiratan de Sousa, Edition
Charles Léopold Mayer pages 17
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La démarche participative requiert une volonté politique forte,
c’est un parti pris
Celui d’ouvrir un nouvel espace de débat, de construction(s) où les citoyens se
réapproprient « le politique ». Des pouvoirs nouveaux dans l’espace public sont
produis : le citoyen n’est plus « un soutien » mais bien un créateur, un co-
élaborateur.
Cela permet de reconstruire des parcours d’intervention individuels et collectifs.
A Nanterre comme ailleurs, des femmes, des hommes, à partir d’engagements
particuliers ou plus généralistes, face à la situation du monde, participent à un double
mouvement :
ils le font avec leur « mouvement particulier », leur spécificité
et, en même temps, ils sont partie prenante, plus ou moins consciemment, d’un
« mouvement commun diversifié » qui remet en cause la logique de
mondialisation libérale.
L’engagement conscient de chacun mérite d’être respecté dans ses formes et au
niveau où il s’exprime.
Cette démarche repose sur le constat que les gens « fonctionnent », de moins en
moins, sur un principe d’organisation, de plus en plus, dans une perspective de
propositions.
Avec notre histoire, nos institutions, un service public important,
riche de ses traditions, une démarche originale adaptée à notre
réalité, peut nous permettre de dépasser l’existant,
de progresser d’un système délégataire
vers un système de plus en plus participatif
Il y a besoin de favoriser la confrontation productive, transformatrice, de sources de
légitimités démocratiques différentes :
Celle des élus dont la responsabilité est issue du suffrage universel, c’est-à-dire
la démocratie représentative, liée au système partidaire.
Celle des citoyens, de leur volonté, de leur droit d’intervenir, de leur « expertise
de besoins et d’usage ». Avec la volonté de donner des pouvoirs nouveaux dans
la cité comme à l’entreprise.
Celle du service public et de ses agents porteurs de compétences techniques et
garants de continuité, de légalité, de neutralité et de laïcité.
L’expérience me fait dire que toute progression nécessite d’avancer sur chacune de
ces trois légitimités.
Ne faut-il pas imaginer la conflictualité comme « moteur » d’avancées, dans la
transparence et l’évaluation permanente ? Nous cherchons ainsi à inverser la logique
d’élaboration en mettant au centre une réelle initiative citoyenne, qu’il est nécessaire
de valoriser.
A contre courant de la conception délégataire de la vie politique actuelle, il n’est pas
simple de s’attaquer ainsi au clientélisme, aux réflexes partisans, à la conception
d’avant-garde et à leurs corollaires : repli sur soi, lobbying… Ainsi, l’élu se confronte
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en permanence à toutes les « règles du jeu» établies. Cela contribue, en
transformant, en déplaçant « son » « pouvoir » à légitimer d’autres pouvoirs.
De même, en rester seulement au « contre pouvoir » exclurait de la transformation :
le pouvoir lui-même,
nombre d’acteurs qui ne se vivent pas en contre pouvoir
la démocratie elle-même en mettant face à face, de manière simpliste et formelle,
la « participation » et un « pouvoir » établi, alors qu’il peut être lui-même porteur
de nouveau, de résistance, de construction(s).
les conflits de légitimités doivent donc bousculer et dynamiser les pouvoirs établis
ainsi que les partis politiques.
Les expériences de budget participatif, dans cette perspective,
sont déterminantes car la démarche budgétaire est
au cœur du fonctionnement des collectivités locales
Elles posent des questions passionnantes en terme de construction démocratique et
de confrontation politique :
La démarche ascendante, l’irruption du citoyen comme concepteur, créateur
bousculent et remettent en cause des certitudes et des habitudes de travail.
Comment gérer la résistance au changement devant toute mutation qui existe
dans toute organisation ?
Comment dépasser le rapport « ceux qui savent », les techniciens, et « ceux qui
ne savent pas », les habitants, dans l’élaboration? Ceux qui ont, qui pensent
avoir, qui sont supposés avoir du « pouvoir » et les autres ?
Quelle circulation de l’information ?
Comment garantir l’égalité dont est porteur le service public ?
Comment faire évoluer son statut dans le sens d’un outil de participation pour
construire du « public participatif» ?
Quel rapport entre la compétence politique sur tout ce qui intéresse le territoire et
les responsabilités propres d’une collectivité ?
Peut-on se contenter de limiter l’expérience du budget participatif aux enveloppes
de quartier et à une simple répartition, à leur appropriation par les seuls Conseils
de quartier ?
Quel montant de ces enveloppes ? comment compenser l’inégalité des
territoires ? Qui décide ?
Qui décide de la pertinence du projet ? Elus, fonctionnaires, structures de
concertation, citoyens ?
Faut-il reproduire des structures élues ?
Quel retour vers l’ensemble des citoyens ?
Toutes ces questions sont en débat. Les réponses se construiront en avançant, avec
la participation des citoyens, des agents, dans la nécessaire remise en cause du
système existant.
Créer, partager, donner, prendre du pouvoir n’est pas simple :
face à une conception de la politique qui a fait du simple « soutien » à un
programme (municipal, d’un parti) l’essentiel de l’engagement citoyen y compris
parmi les partisans de la transformation sociale,
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