Lumièressurlesneurones

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Samedi 20 avril 2013
SCIENCE & TECHNO
actualité
Lumières sur les neurones
De nouvelles techniques d’imageriepermettentde visualiserde grandespopulations
de cellulesnerveuses, en trois dimensions,et de mieux caractériser leurs interactions
neurosciences |
David Larousserie
D
ésormais, dire que
l’on voit le cerveau
en activité ne sera
plus un abus de langage. En effet, les
techniques habituelles d’imagerie du cerveau complet n’utilisaient jusqu’alors pas vraiment l’arsenal habituel de l’optique :
lumière, lentilles ou caméras. Ainsi,
l’électroencéphalographie(EEG) enregistre des signaux électriques, et
l’imagerie par résonance magnétique
(IRM) mesure des perturbations électromagnétiques.
Mais plusieurs équipes ont montré
récemment qu’il est enfin possible,
dans le domaine visible, d’avoir accès à
un cerveau complet, in vivo ou in
vitro, à l’échelle d’un seul neurone et
en trois dimensions. Deux d’entre
elles, indépendamment, ont enregistré l’activité de dizaines de milliers de
neurones d’un vertébré vivant, le poisson-zébre. Une troisième a observé la
totalité du cerveau excisé d’une souris.
Cen’estenpratiquepas simpled’utiliserla lumièrepour observercescellules. Le crâne constitue déjà un obstacle
infranchissable. En outre, à cause de la
diffusion de la lumière sur les lipides
omniprésentsdans les cellules, celle-ci
ne peut guère pénétrer profondément
dansla matièrebiologique.Des techniques de microscopie permettent de
s’affranchiren partiede cettecontrainte, mais elles ne sondent qu’un seul
point à la fois pour quelques centaines
de neurones, ce qui les rend peu utiles
pour saisir les communications entre
aires cérébrales. On peut aussi observer l’échantillon en 3D, mais en le
découpant tranche par tranche…
Il devient possible de voir,
pour la première fois,
quel neurone est
connecté à quel autre
C’est donc plusieurs tours de force
qu’ontréalisésceschercheurs.Plusprécisément, les Américains de l’Institut
médical Howard-Hughes (Virginie)
ont photographié 80 000 neurones
d’une larve de poisson-zébre, soit 80 %
du cerveau, avec un cliché toutes les
1,3 seconde, comme ils l’expliquent
dans Nature Methods en ligne le
18mars.
De leur côté, les Français de l’université Pierre-et-Marie-Curie, de l’Ecole
normalesupérieure,duCNRS et del’Inserm se sont limités à 30 % de ce cerveau. Mais avec des images toutes les
200 millisecondes, ce qui permet
d’étudier la dynamique des processus
cérébraux, comme ils l’exposent dans
le journal Frontiers in Neural Circuits
du 9 avril.
Vue tridimensionnelle de l’hippocampe d’un rat de 3 mois, obtenue par une préparation rendant le cerveau transparent.
Les couleurs correspondent à différents marqueurs biologiques qui permettent de distinguer les neurones.
KWANGHUN CHUNG AND KARL DEISSEROTH, HOWARD HUGHES MEDICAL INSTITUTE/STANFORD UNIVERSITY
Les techniques sont identiques
même si elles portent des noms différents. Il s’agit d’exciter par une lumière laser bleue des molécules fluorescentes qui réagissent à l’arrivée de calcium dans les neurones à la suite
d’une décharge nerveuse. La lumière
émise est recueillie dans l’objectif
d’une caméra. En fait, seul un plan de
quelque 5 micromètres d’épaisseur,
contenant environ 5 000 neurones,
est éclairé par le laser, le microscope
observant à 90 degrés la fluorescence.
Le poisson, piégé dans un gel, est automatiquement déplacé afin d’éclairer
une nouvelle tranche, et ainsi de suite.
Ces « découpages» virtuelssont ensuite rassemblés pour former l’image tridimensionnelle du cerveau.
« Ce n’est pas un exploit, mais il fallait avoir l’idée d’associer deux techniques, celle des sondes calciques et celle
dite des nappes de lumière », assure
modestement Georges Debrégeas, de
l’universitéPierre-et-Marie-Curie.« Ce
principe d’imagerie remonte à 1903, et
il a été redécouverten 2004 pour suivre
le développement de l’embryon du
poisson-zèbre », rappelle Emmanuel
Beaurepaire, du Laboratoire optique
et biosciences à l’Ecole polytechnique,
spécialiste de ce genre de microscopie.
Alors que l’IRM ne repère que des
zones d’une centaine de neurones, ici,
chaque neurone peut être identifié et
son activité corrélée à celle de ses voisins. L’inconvénient est que cette imagerie ne fonctionne que sur des cerveaux de petite taille – que la lumière
peut entièrement pénétrer – et transparents.
C’est ce problème qu’une troisième
équipe a résolu aux Etats-Unis. Dans
Nature du 11 avril, Karl Deisseroth
explique comment il a rendu un cerveau de souris transparent au point
d’identifier chaque neurone, même
les plus profondémentenfouis. « Cette
idée peut révolutionner la capacité à
voir de gros volumes. La méthode est
élégante et inventive », déclare Jean
Livet, de l’Institut de la vision, à Paris.
L’idée générale, brevetée, est d’ôter les
lipides qui rendent opaque le cerveau.
Mais comme les lipides constituent
les membranes des cellules, cela
détruit généralement la structure
qu’on cherche à voir. Les chercheurs
ont donc d’abord figé cet échafaudage
en injectant de l’acrylamide, qui, après
chauffage,formeun gel polymèrepro-
tecteur. Un détergent détruit alors les
lipides tout en préservant les synapses, les axones ou même l’ADN (seules
8 % des protéinessont perdues). La suite est plus classique, qui consiste à utiliser des molécules fluorescentes et à
les photographier, y compris par la
technique des nappes de lumière.
«Ces techniques pourraient permettre de connaître l’architecture du
réseau de neurones. Soit de manière
fonctionnelle dans des cerveaux
vivants, comme nous le faisons, soit de
manière structurelle, dans les cerveaux
excisés,commechezDeisseroth»,explique Georges Debrégeas. Il devient en
effet possible de voir pour la première
fois quel neurone est connecté à quel
autre, comment se forment les unités
fonctionnelles de quelques neurones,
comment celles-ci s’agrègent ensuite.
Ou comment le réseau évolue au cours
du développement, du conditionnement…Lesdeuxéquipessurlepoissonzèbre vont maintenant stimuler leur
cobaye pour comprendre, en observant ces milliers de petits points lumineux, comment l’information sensorielle se propage à travers le cerveau.
Quant à la recette rendant le cerveau transparent, elle est la seule à
pouvoir fournir une carte complète
pour les gros cerveaux. Idéal pour
mieux interpréter les enregistrements d’activités cérébrales ou pour
améliorer les techniques dites optogénétiques, qui permettent de contrôler l’activité des neurones par la lumière et dont Karl Deisseroth est justement le pionnier. p
Illuminer la tumeur pour mieux la cerner
G
râce à des techniques innovantes d’imagerie cellulaire, les neurochirurgiens peuvent repérer
directement des cellules cancéreuses pendant
l’intervention et optimiser un geste d’ablation d’une
tumeur cérébrale. Ainsi, la chirurgie des glioblastomes
(tumeurs malignes primitives du cerveau les plus fréquentes) peut être guidée par fluorescence, grâce à l’acide 5-aminolévulinique (5-ALA), une molécule métabolisée électivement dans ces cellules tumorales.
Classiquement, les glioblastomes sont opérés sous
microscope avec un système de neuronavigation qui, tel
un GPS, permet au chirurgien de se repérer à partir des
clichés d’IRM préopératoires. En ajoutant une technique
de fluorescence, le but est d’aller chercher les cellules
tumorales résiduelles, systématiquement retrouvées
dans ce type de tumeur, pour compléter l’acte chirurgi-
cal et améliorer le pronostic. En pratique, le patient ingère la solution de 5-ALA six heures avant l’intervention.
« La fluorescence est visualisée sur un microscope classique sur lequel est ajouté un module spécial qui filtre les
UV à une longueur d’ondes déterminée, précise le professeur Philippe Metellus (CHU de Marseille), qui a opéré
plusieurs patients avec cette technique. Le 5-ALA est déjà
commercialisé mais pas remboursé. Une étude randomisée, qui débute dans 16 centres français, va comparer ses
résultats à ceux de l’approche classique sur le plan médicoéconomique. Au total, environ 300 patients seront
inclus.» D’autres approches comme l’élastométrie, qui
détecte des cellules tumorales en fonction de leurs caractéristiques physiques, sont en cours d’exploration en
neurochirurgie, à des phases plus préliminaires. p
S. Ca.
Vers la fin de la malédiction du week-endpour les AVC ?
La surmortalité due aux accidents vasculaires cérébraux de fin de semaine disparaît avec une prise en charge mieux organisée
Sandrine Cabut
C
’est une conséquence du
week-end dont les
patients se passeraient
bien. Ces dernières
années, plusieurs études ont établi que les accidents vasculaires
cérébraux (AVC) survenant en fin
de semaine ou un jour férié sont
plus meurtriers que ceux se déclarant un jour ouvrable.
Cet « effet week-end», constaté
aussipour lesinfarctusdu myocarde, relèverait de plusieurs causes :
moindre accessibilité à des services spécialisés ces jours-là, prise en
charge de moins bonne qualité du
fait d’effectifs hospitaliers réduits,
et peut-être formes plus sévères.
Maisle constatn’estpas irrémédiable, comme le montre une étude
française, publiée le 3 avril en ligne
dans la revue European Journal of
Neurology. Les effets délétères du
week-end et des jours fériés sur la
mortalité précoce des AVC disparaissent complètement lorsqu’est
mise en place une organisation
vouée à la prise en charge de ces
pathologies, concluent Yannick
Béjot (neurologue au CHU de
Dijon) et ses collègues.
A la base de leur travail, les données du Registre dijonnais des accidents vasculaires cérébraux, qui
collectedefaçonexhaustivedepuis
1985 tous les AVC survenant dans
cette ville de 150000habitants.
Au total, 5 864 cas ont été recensés entre 1985 et 2010, dont 25 %
sont survenus pendant un weekend ou un jour férié. Les caractéristiques et la gravité de ces accidents
vasculairessesontrévéléescomparables, qu’ils se déclarent un jour
de semaine ou non ouvrable.
Leschercheursont ensuitecomparé le devenir des patients selon
qu’ils ont été pris en charge avant
ou après 2004. C’est en effet à partir de cette date qu’à Dijon la prise
en charge des AVC s’est structurée
autour d’une filière de soins, avec
création d’une unité hospitalière
spécialisée, dite neurovasculaire.
Les résultats sont démonstratifs. Dans la première période
(entre 1985 et 2003), la mortalité
trente jours après l’AVC était en
moyenneà 14% si celui-ci était survenu un jour ouvrable, à 18 % s’il
s’était déclaré un jour férié ou de
week-end. Entre 2004 et 2010, ce
taux de mortalité est évalué à
8,3 %, quel que soit le jour de survenue de l’AVC.
Filière spécialisée
« Notre étude permet deux types
de conclusions, explique Yannick
Béjot. D’une part, elle confirme que
le pronostic vital des accidents vasculaires cérébraux s’améliore ces
dernières années, une évolution
due notamment au meilleur état
de santé des patients. D’autre part,
elle montre que l’injustice de la surmortalité du week-end peut être
combattuepar une meilleure organisation de la prise en charge.»
A Dijon, la création de la filière
spécialisée a augmenté sensiblement le nombre de patients traités
par fibrinolytiques. Ces médicaments, qui permettent de dissoudre le caillot, sont un facteur essentiel du pronostic des AVC. Ils doivent être administrés dans les quatreheurestrentesuivantl’accident.
« C’est tout à fait le type de données qui viennent à l’appui de la
volonté du plan gouvernemental
d’organiser la prise en charge des
AVC sur le territoire, commente le
professeur Mathieu Zuber, chef du
service de neurologie du groupe
hospitalier Saint-Joseph (Paris) et
ancien président de la Société française neurovasculaire. Ce plan prévoit la création de 140unités neurovasculairesd’icià2014,nousensommes actuellement à environ 120.»
Une autre étude, également
publiée en ligne dans European
Journalof Neurology, a, elle, évalué
le coût de prise en charge des AVC
en France. Selon Karine Chevreul
(hôpital Henri-Mondor, Créteil), il
s’élevait au total à 5,3 milliards
d’euros en 2007, avec un coût
moyen de l’ordre de 17 000 euros
par patient la première année. p
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