Philippe CHE 51
(oxyde de plomb) à partir de carbonate de plomb8. Mais l’âge d’or de l’alchimie chi-
noise débute quelques siècles plus tard, avec celui que l’on considère généralement
comme le plus grand écrivain alchimiste de l’histoire de Chine, Ge Hong.
Ge Hong et le Baopuzi neipian
Ge Hong (283-343 après J.-C.) était un savant aussi prolifique qu’éclectique,
puisqu’il fut l’auteur d’ouvrages, malheureusement pour la plupart disparus, sur la
médecine, l’astronomie, la stratégie, la poésie, la philosophie. Son traité d’alchimie,
le célèbre Baopuzi neipian (littéralement, le Traité ésotérique du Maître qui porte la
simplicité9), est une synthèse assez complète du savoir ésotérique de l’époque.
L’alchimie, qui en forme le centre et la partie la plus ardue, y est associée à un cer-
tain nombre d’autres disciplines, indispensables selon Ge Hong pour acquérir l’im-
mortalité physique. Ces disciplines sont d’ordre physique (techniques respiratoires et
gymniques dites aujourd’hui « qigong », techniques sexuelles) et spirituelles (vie
morale, méditation). Je me bornerai ici à évoquer les principes fondamentaux de l’al-
chimie et des techniques physiques, qui concernent directement la tradition scienti-
fique chinoise.
• Alchimie
Héritier de l’idée, généralisée sous les Han avec le Huainanzi10 , d’une trans-
formation très lente de la matière dans les entrailles de la terre, susceptible d’être re-
produite et accélérée par les procédés alchimiques, Ge Hong insiste sur la sublima-
tion répétée des ingrédients afin de les purifier. Au chapitre IV du Baopuzi neipian, il
donne une liste de vingt-sept élixirs ainsi que leur recette, nous donnant une idée
précise des ingrédients utilisés. Ce sont, par ordre de fréquence (la liste n’est pas ex-
haustive), le cinabre, le mercure, le réalgar, la malachite, l’alun, le soufre, la magné-
tite, le mica, le vinaigre, l’alcool, le miel, le sang, l’orpiment, l’hématite, le minium,
le plomb, le jade. Il faut préciser que les noms de ces ingrédients sont souvent codés,
et certains restent aujourd’hui indéchiffrables. Ainsi, dans la fabrication de l’or po-
table, Ge Hong nous propose comme ingrédients de base de la « graisse de dragon
mystérieuse et brillante », de la « fille pourpre » et du « liquide mystérieux », ce que
J. Needham interprète (sans certitude), grâce à d’autres textes et à son intuition de
chimiste, par un mélange de cyanure d’or et de cyanure de potassium. Autre recette,
plus complète, intitulée « Fleur d’élixir » (Baopuzi neipian, ch. IV) : « Commencer
8 J. Needham, op. cit., vol. 5:3, p. 67.
9 Ce traité fait l’objet, depuis une cinquantaine d’années, d’études de plus en plus nombreuses, en
Orient comme en Occident. Il en existe aujourd’hui trois traductions intégrales : américaine, par
James Ware – Alchemy, medicine and religion in the China of A.D. 320, the Nei P’ien of Ko Hung,
M.I.T. Press, 1966, rééd. New York, 1981 ; japonaise, par Honda Wataru – Hobokushi, Tokyo, 1990 ;
et chinois moderne, par Li Zhonghua – Xinyi Baopuzi, Taibei, 1997.
10 Œuvre collective d’inspiration taoïste, abordant des sujets très divers (dont l’alchimie), dirigée par
Liu An, roi de Huainan (179-122 av. J.-C.).