Les enjeux de l`aménagement durable de la forêt publique au Québec

Les enjeux de l'aménagement durable de la forêt publique au Québec
par Gilles Lehoux
Le gouvernement québécois administre la forêt du domaine de l’État au nom de tous les
citoyens. La forêt est un rouage important de l’économie du Québec. L’utilisation qui en est
faite par l’homme procure des biens et services appréciables, mais elle peut aussi être une
cause de perturbation pour les écosystèmes, ce qui à long terme aura une influence sur la
société et le secteur économique. Au fil des ans, au Québec comme partout à travers le
monde, de nouvelles préoccupations environnementales ont émergé. Les nouvelles
connaissances en matière d’écologie des forêts et des limites productives, ajoutées au
changement des valeurs de la population, créent un besoin d’agir différemment en matière
d’aménagement forestier.
L’objectif de cet essai est de présenter les enjeux de l’aménagement durable de la forêt
publique au Québec en identifiant les différentes composantes du milieu forestier, leur
importance relative ainsi que leur évolution, en exposant la problématique et les
préoccupations reliées à la gestion actuelle des forêts du domaine public, en démontrant que
le développement durable fait l’objet d’un large consensus et en recommandant certaines
mesures afin de favoriser l’aménagement durable et régler certains problèmes ou lacunes
occasionnés par la gestion actuelle.
Pour le moment, la gestion de la forêt publique est surtout axée sur la matière ligneuse et le
plein rendement. Le Québec exploite à plus de 80 % le potentiel forestier pour la production
de la matière ligneuse. Beaucoup de municipalités compte sur la transformation du bois pour
faire rouler leur économie. L’exploitation de la matière ligneuse représente plus de 4 % du
produit intérieur brut québécois. Les intervenants des autres domaines d’activité en forêt se
voient accorder moins d’importance et espèrent un changement d’attitude de la part de l’État.
En plus de l’exploitation de la matière ligneuse, la forêt est à la base d’activités avec ou sans
récolte : récréotourisme, randonnée, cueillette, chasse, pêche, observation de la faune et
activités de plein air. La faune et la flore participent à l’économie. Certaines plantes indigènes
ont une valeur commerciale sur les marchés de l’horticulture et de l’alimentation. Une
trentaine d’espèces de poissons sont pêchées dans les étendues d’eau entourées de bois;
quinze espèces de mammifères sont récoltées pour leur fourrure et neuf espèces sont
chassées ainsi qu’une vingtaine d’espèces d’oiseaux. Les adeptes d’activités reliées à la faune
ou à la nature dépensent approximativement 3 milliards de dollars dans la province
annuellement.
Au Québec, la réglementation est stricte dans le choix du type de coupe, ce qui empêche de
les adapter aux conditions locales rencontrées. Il n’existe pas de types d’aménagement
forestier qui satisfassent à tous les besoins et à toutes les fonctions. Une approche plus
adaptative conviendrait mieux à la multitude de situations existantes. Les demandes
d’utilisation multiples pour le territoire et ses ressources sont toujours croissantes. Elles ont
influencé la capacité des forêts à maintenir leurs fonctions écologiques et à subvenir aux
besoins des divers utilisateurs. Pour assurer la pérennité des différentes sortes d’utilisations, il
faut protéger les habitats ainsi que les écosystèmes qui en sont garants.
La faune a besoin d’habitats sains pour se procurer un abri, de la nourriture, un milieu propice
à la reproduction, une population suffisamment grande pour assurer sa survie et la possibilité
d’avoir des échanges entre les individus et les populations voisines. Les perturbations
naturelles et anthropiques modifient les habitats ainsi que les successions végétales
naturelles. Les transformations qui touchent la végétation ont une grande influence sur la
faune qui peut être forcée de migrer ou même disparaître. Le Québec compte 59 espèces
floristiques légalement protégées et 374 espèces de plantes vasculaires considérées
susceptibles d’être désignées vulnérables. La province compte aussi 7 espèces fauniques
désignées menacées, 11 espèces désignées vulnérables et 67 espèces, sous-espèces ou
populations, susceptibles d'être désignées menacées ou vulnérables.
Le Québec se retrouve face à une baisse des volumes de matière ligneuse. Il existe de
nombreux doutes quant aux fondements de certaines pratiques. Une bonne partie de la
population est préoccupée par les responsabilités concentrées aux mains des industries. Les
processus de détermination du niveau des récoltes de la matière ligneuse, les méthodes
utilisées et les mécanismes de contrôle des aménagements suscitent également quelques
craintes. Les feuillus nobles sont en déclin et les arbres résineux récoltés sont de plus en plus
petits. Beaucoup de lacunes existent en ce qui a trait aux connaissances, particulièrement
celles qui concernent les écosystèmes forestiers. La pérennité des ressources n’est pas
assurée.
Le Québec accuse un retard considérable face aux autres provinces canadiennes et vis-à-vis
son propre échéancier de protection territoriale avec 5,4 % du territoire consacré aux aires
protégées. Le réseau québécois d’aires protégées a une superficie insuffisante pour servir de
témoin efficace de la santé environnementale et ne constitue pas un réseau crédible selon les
critères internationaux. Les aires protégées sont une source d’information scientifique sur les
écosystèmes et les espèces, nous permettant de mieux évaluer les impacts environnementaux
des perturbations naturelles ou anthropiques. Elles sont essentielles à l’aménagement durable
des forêts.
Le développement durable fait l’objet d’un large consensus à travers le monde et au Québec.
La Déclaration de Stockholm a défini la protection et l'amélioration de l'environnement comme
un enjeu majeur qui affecte le bien-être des populations et le développement économique
dans le monde entier. Lors de la Conférence de Stockholm, il fut demandé aux gouvernements
et aux peuples d'unir leurs efforts pour préserver et améliorer l'environnement dans l'intérêt
des peuples et des générations futures. La Conférence reconnaissait que l’environnement était
menacé de dommages considérables et parfois même irréversibles par les agissements de
l’être humain. Cela est préoccupant puisque la vie et le bien-être des populations dépendent
de l’environnement. Beaucoup d’autres conférences internationales ont par la suite reconnu
l’importance du développement durable et de l’aménagement durable des forêts.
La majorité des intervenants du milieu forestier québécois reconnaît que la gestion actuelle
est problématique. Un consensus est établi entre les différents acteurs de la forêt en ce qui
concerne l’application de l’aménagement durable et des mesures qui peuvent le faciliter. Ces
mesures sont :
· avoir une approche écosystémique;
· acquérir davantage de connaissances et s’assurer qu’elles reposent sur des bases
scientifiques;
· diffuser les connaissances acquises auprès des intervenants du milieu forestier;
· informer et éduquer la population;
· atteindre les objectifs d’aires protégées;
· soutenir des projets de forêts habitées;
· encourager la certification forestière;
· pratiquer une gestion intégrée;
· avoir une gestion par objectif plutôt que normative;
· assurer un suivi constant à l’aide d’indicateurs de performance.
Le gouvernement québécois doit exprimer clairement sa vision de l’aménagement forestier et
ne laisser subsister aucune ambiguïté. L’aménagement durable est souhaité par l’ensemble de
la population ainsi que par les intervenants du milieu forestier. Il correspond aux aspirations
de la population en matière d’environnement, d’équité sociale et d’économie. Il contribue à la
sauvegarde des écosystèmes, à la conservation de la biodiversité, au maintien de la
productivité des forêts, à la conservation de l’eau et des sols, à satisfaire les besoins multiples
des utilisateurs. Toutes ces choses qui sont actuellement problématiques. L’aménagement
durable respecte l’interdépendance entre la nature et les organisations humaines ainsi que
l’importance d’une coopération accrue pour résoudre les conflits d’usage.
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