GÉOPHYSIQUE EN DEUX MOTS Au début des années quatrevingt-dix, le manque d’informations nécessaires pour estimer l’ampleur d’éruptions futures dans la région de Naples, au sud-ouest de Italie, a motivé la mise en œuvre d’un important projet d’investi- gation. L’idée : utiliser les techniques sismiques pour sonder les dessous des volcans et évaluer le danger. D’une telle évaluation dépendent les projets d’aménagement, ainsi que la gestion de ces crises volcaniques. Le premier modèle de la croûte terrestre sous la baie de Naples, qui a été obtenu à partir des ondes sismiques, en est le fruit. Résultat : il n’y a pas de réservoir magmatique sous cette baie de Naples dans les six premiers kilomètres de profondeur. Le puzzle des volcans professeur à l’université de Nice Sophia-Antipolis, et Aldo Zollo, professeur de sismologie à l’université de Naples Federico II, sont les responsables français et italien des programmes de tomographie du Vésuve et des champs Phlégréens. LA BAIE DE NAPLES, au sud-ouest de l’Italie, dominée par le Vésuve, s’ouvre sur la mer Tyrrhénienne. Le volcan et la zone éruptive des champs Phlégréens, de l’autre côté de la ville, menacent plusieurs centaines de milliers de personnes. 38 LA RECHERCHE | MAI 2004 | Nº 375 © MIMMO CORDICE/COBIS Jean Virieux, napolitains GÉOPHYSIQUE Qui dit Naples dit volcans : le Vésuve, bien sûr, célèbre pour ses éruptions catastrophiques, mais aussi les champs Phlégréens, de l’autre côté de la ville, vaste plaine soumise régulièrement à d’impressionnants mouvements du sol… Que se passe-t-il dans le sous-sol de cette région pour que des manifestations volcaniques si différentes coexistent à quelques dizaines de kilomètres de distance ? U ne seule visite à Naples suffit pour percevoir la nature du risque qui plane sur cette région. L’imposante silhouette du Vésuve, célèbre pour la destruction de Pompéi en deux jours en l’an 79 ap. J.-C., domine une ville où la densité de population est l’une des plus fortes d’Italie et dont le périmètre urbanisé ne cesse de croître. La ville et sa banlieue comptent 2,5 millions d’habitants. Environ 700 000 d’entre eux vivent aujourd’hui sur les pentes du volcan, situé à 15 kilomètres au sud-est de Naples, et sont directement menacés. Mais un réveil du Vésuve, en sommeil depuis 1945, n’est pas la seule crainte. De l’autre côté de la ville, à la périphérie ouest et bien moins connus en dehors de l’Italie, les champs Phlégréens sont aussi sous surveillance permanente. Il s’agit d’une vaste dépression d’environ 12 kilomètres de diamètre, une caldeira*, truffée de quelques dizaines d’édifices volcaniques. Aujourd’hui, l’activité volcanique se traduit principalement par des jets de vapeur à 160 ° qui s’échappent de la Solfatare, l’un des cratères. Mais cette immense caldeira est le fruit de deux éruptions cataclysmiques. La première recouvrit toute la plaine de Campanie de débris volcaniques il y a 35 000 ans, et la seconde, bien qu’un peu moins violente, en fit presque autant il y a 12 000 ans [1]. Des éruptions de moindre ampleur se sont ensuite succédé dans les champs Phlégréens au rythme d’une par millénaire en moyenne, garnissant l’intérieur de la caldeira de nouveaux édifices. La dernière donna naissance en 1538 à un cône volcanique de 130 mètres de haut, le Monte Nuovo, mais ne fit qu’une vingtaine de victimes parmi les curieux venus admirer le spectacle de l’éruption. Depuis, l’ensemble de la caldeira s’enfonce à une vitesse d’environ 1 centimètre par an. Mais cette subsidence régulière a été plusieurs fois interrompue par des remontées et des abaissements du sol, très locaux mais intenses et rapides. Selon les données historiques, ces mouvements semblent préluder aux éruptions. Celle de 1538 fait suite, par exemple, à une impressionnante élévation du sol : après avoir lentement commencé au début du XIVe siècle, elle s’est intensifiée au cours des deux années précédant l’éruption et a accéléré les deux derniers jours pour atteindre 7 mètres au total. Ces épisodes de soulèvement et d’affaissement de sol, appelés crises bradysismiques, n’aboutissent heureusement pas toutes à une éruption, comme en attestent les dernières manifestations. Entre 1970 et 1972, dans la ville de Pouzzoles, au centre de la caldeira, le niveau du sol a gagné jusqu’à 0,7 mètre. Quelque 8 000 personnes ont été évacuées. Mais la crise s’est arrêtée là. Dix ans plus tard, une nouvelle crise a provoqué le déplacement de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Environ 15 000 séismes ont été enregistrés entre 1982 et 1984. La déformation a atteint son paroxysme près du port (le niveau du sol s’y est élevé de près de 2,5 mètres), s’atténuant sur une distance de 5 kilomètres. Depuis, les habitants ont regagné leurs logis. La subsidence régulière a repris son cours, ponctuée par de légers soulèvements en 1989, 1994, puis 2000. Aujourd’hui, le sol se trouve encore au-dessus de son niveau d’avant 1970. Quel est le moteur de ces déformations du sol tout à fait exceptionnelles ? Elles dépassent d’un facteur 100 toutes celles enregistrées lors de mouvements tectoniques, comme ceux de la faille de San Andreas en Californie ! Comme le Vésuve, les champs Phlégréens sont actuellement surveillés par l’Observatoire du Vésuve, le plus ancien du monde en matière de volcanologie. Il veille au moindre changement de l’activité sismique ou de la composition chimique des gaz émis en surface, et contrôle les déformations déduites des revues réalisées par une station GPS (Global Positioning System), tous ces indices étant susceptibles de traduire une reprise d’activité volcanique. Mais, pour prédire l’ampleur des manifestations futures, que ce soit d’un côté ou de l’autre de Naples, et juger de la pertinence d’une évacuation ou non, un grand nombre d’inconnues demeurent. À commencer par les structures internes de ces deux systèmes volcaniques. Que se passe-t-il en profondeur ? * Une caldeira désigne la cuvette formée par l’effondrement d’un réservoir magmatique après qu’il s’est vidé. Tuyauterie souterraine Dans une vision schématique du principe d’alimentation d’un volcan, on considère souvent un système interne à deux réservoirs relais : les roches, qui remontent des profondeurs de la Terre, fondent partiellement pour donner du magma, et s’arrêtent à un premier niveau d’équilibre. La profondeur exacte de ce premier réservoir fait débat. Elle varie sûrement d’un volcan à l’autre, mais on la situe en général autour de 20 kilomètres. À partir de là, du magma migre vers la surface, pour atteindre un réservoir plus superficiel dans les premiers kilomètres de la croûte. C’est lui qui, sous pression, donnera une éruption, à la faveur d’une nouvelle arrivée de magma, du dégazage de celui déjà présent, voire d’une déstabilisation de l’édifice. Des schémas alternatifs envisagent une remontée Nº 375 | MAI 2004 | LA RECHERCHE 39