Qui dit Naples dit volcans : le Vésuve, bien sûr,
célèbre pour ses éruptions catastrophiques,
mais aussi les champs Phlégréens, de l’autre
côté de la ville, vaste plaine soumise réguliè-
rement à d’impressionnants mouvements du
sol… Que se passe-t-il dans le sous-sol de
cette région pour que des manifestations vol-
caniques si différentes coexistent à quelques
dizaines de kilomètres de distance ?
Nº 375 | MAI 2004 | LA RECHERCHE 39
GÉOPHYSIQUE
* Une caldeira désigne
la cuvette formée
par l’effondrement
d’un réservoir
magmatique après
qu’il s’est vidé.
Une seule visite à Naples suffit pour percevoir
la nature du risque qui plane sur cette région.
L’imposante silhouette du Vésuve, célèbre
pour la destruction de Pompéi en deux
jours en l’an 79 ap. J.-C., domine une ville
où la densité de population est l’une des plus fortes d’Italie
et dont le périmètre urbanisé ne cesse de croître. La ville
et sa banlieue comptent 2,5 millions d’habitants. Environ
700 000 d’entre eux vivent aujourd’hui sur les pentes du
volcan, situé à 15 kilomètres au sud-est de Naples, et sont
directement menacés. Mais un réveil du Vésuve, en sommeil
depuis 1945, n’est pas la seule crainte.
De l’autre côté de la ville, à la périphérie ouest et bien
moins connus en dehors de l’Italie, les champs Phlégréens
sont aussi sous surveillance permanente. Il s’agit d’une
vaste dépression d’environ 12 kilomètres de diamètre,
une caldeira*, truffée de quelques dizaines d’édifices
volcaniques. Aujourd’hui, l’activité volcanique se traduit
principalement par des jets de vapeur à 160 ° qui s’échap-
pent de la Solfatare, l’un des cratères. Mais cette immense
caldeira est le fruit de deux éruptions cataclysmiques. La
première recouvrit toute la plaine de Campanie de débris
volcaniques il y a 35 000 ans, et la seconde, bien qu’un peu
moins violente, en fit presque autant il y a 12 000 ans [1].
Des éruptions de moindre ampleur se sont ensuite succédé
dans les champs Phlégréens au rythme d’une par millé-
naire en moyenne, garnissant l’intérieur de la caldeira de
nouveaux édifices. La dernière donna naissance en 1538
à un cône volcanique de 130 mètres de haut, le Monte
Nuovo, mais ne fit qu’une vingtaine de victimes parmi les
curieux venus admirer le spectacle de l’éruption.
Depuis, l’ensemble de la caldeira s’enfonce à une vitesse
d’environ 1 centimètre par an. Mais cette subsidence régu-
lière a été plusieurs fois interrompue par des remontées et
des abaissements du sol, très locaux mais intenses et rapides.
Selon les données historiques, ces mouvements semblent
préluder aux éruptions. Celle de 1538 fait suite, par exem-
ple, à une impressionnante élévation du sol : après avoir
lentement commencé au début du XIVe siècle, elle s’est
intensifiée au cours des deux années précédant l’éruption
et a accéléré les deux derniers jours pour
atteindre 7 mètres au total.
Ces épisodes de soulèvement et d’affaisse-
ment de sol, appelés crises bradysismiques,
n’aboutissent heureusement pas toutes à
une éruption, comme en attestent les der-
nières manifestations. Entre 1970 et 1972,
dans la ville de Pouzzoles, au centre de la
caldeira, le niveau du sol a gagné jusqu’à
0,7 mètre. Quelque 8 000 personnes ont
été évacuées. Mais la crise s’est arrêtée
là. Dix ans plus tard, une nouvelle crise
a provoqué le déplacement de plusieurs
dizaines de milliers d’habitants. Environ
15 000 séismes ont été enregistrés entre
1982 et 1984. La déformation a atteint son paroxysme près
du port (le niveau du sol s’y est élevé de près de 2,5 mètres),
s’atténuant sur une distance de 5 kilomètres. Depuis, les
habitants ont regagné leurs logis. La subsidence régulière
a repris son cours, ponctuée par de légers soulèvements en
1989, 1994, puis 2000. Aujourd’hui, le sol se trouve encore
au-dessus de son niveau d’avant 1970. Quel est le moteur
de ces déformations du sol tout à fait exceptionnelles ?
Elles dépassent d’un facteur 100 toutes celles enregistrées
lors de mouvements tectoniques, comme ceux de la faille
de San Andreas en Californie !
Comme le Vésuve, les champs Phlégréens sont actuellement
surveillés par l’Observatoire du Vésuve, le plus ancien du
monde en matière de volcanologie. Il veille au moindre
changement de l’activité sismique ou de la composition
chimique des gaz émis en surface, et contrôle les défor-
mations déduites des revues réalisées par une station
GPS (Global Positioning System), tous ces indices étant
susceptibles de traduire une reprise d’activité volcanique.
Mais, pour prédire l’ampleur des manifestations futures,
que ce soit d’un côté ou de l’autre de Naples, et juger de
la pertinence d’une évacuation ou non, un grand nombre
d’inconnues demeurent. À commencer par les structures
internes de ces deux systèmes volcaniques. Que se passe-t-il
en profondeur ?
Tuyauterie souterraine
Dans une vision schématique du principe d’alimentation
d’un volcan, on considère souvent un système interne à deux
réservoirs relais : les roches, qui remontent des profondeurs
de la Terre, fondent partiellement pour donner du magma,
et s’arrêtent à un premier niveau d’équilibre. La profondeur
exacte de ce premier réservoir fait débat. Elle varie sûrement
d’un volcan à l’autre, mais on la situe en général autour de
20 kilomètres. À partir de là, du magma migre vers la surface,
pour atteindre un réservoir plus superficiel dans les premiers
kilomètres de la croûte. C’est lui qui, sous pression, donnera
une éruption, à la faveur d’une nouvelle arrivée de magma, du
dégazage de celui déjà présent, voire d’une déstabilisation de
l’édifice. Des schémas alternatifs envisagent une remontée