Q5. Doit-on permettre aux médecins de faire la grève? Justifiez votre position.
Il est possible de présenter des arguments d'éthique pour ou contre la grève. Examinons un exemple de chacun.
On pourrait débattre en faveur de la grève des médecins en affirmant que l'obligation de fidélité aux patients n'est
pas absolue. Comme le reconnaît le Code de déontologie de l'AMC, les médecins, à titre personnel, peuvent mettre
un terme à la relation médecin-patient en prévoyant des services médicaux de remplacement ou en avisant le
patient dans un délai raisonnable1. Si les médecins peuvent cesser la prestation de leurs services de façon éthique,
alors les groupes de médecins peuvent sûrement le faire aussi, en particulier pour des motifs importants comme
lorsque la qualité de la prestation des soins de santé en général est concernée. Dans un article publié dans le JAMC
en 1997 sur la grève des médecins, Nicole Baer cite un avocat qui présente le point suivant en conseillant une
association médicale provinciale : « Les médecins interrompent la prestation de services tout le temps : lorsqu'ils
prennent des vacances, prennent leur retraite, déménagent ou commencent une grève légale. Leur seule
responsabilité éthique est de s'assurer de dûment aviser leurs patients pour que ceux-ci puissent prendre d'autres
dispositions »6.
D'après nous, il y a une différence importante entre le droit individuel d'un médecin de mettre fin à une relation
avec un patient et une grève de médecins. Dans le cas d'une relation médecin-patient existante, l'obligation de
fidélité du médecin exige de ce dernier de mettre un terme à la relation seulement lorsqu'« un autre médecin
approprié a pris le patient en charge, ou après avoir avisé ce dernier de votre intention de mettre fin à la relation
dans un délai raisonnable »1. La seule interprétation pratique de « délai raisonnable » est d'accorder assez de
temps au patient pour lui permettre de se trouver un autre praticien qui pourra lui offrir les soins dont il a besoin.
Le problème d'une grève de médecins est qu'elle restreint ou empêche l'accès aux services médicaux aux patients
d'une région ou d'une province entière. Dans une telle situation, donner aux patients un préavis raisonnable est un
geste inutile.
On pourrait formuler un argument contre les grèves de médecins comme suit. Le Code de déontologie de l'AMC dit
que le médecin doit « tenir compte d'abord du mieux-être du patient »1. Cet énoncé reflète la primauté de
l'obligation du médecin envers le patient. Même si elle est motivée par de bonnes intentions, la grève est conçue
pour restreindre ou empêcher l'accès des patients aux services de santé. Ils contreviennent donc à la plus
importante directive morale des médecins. Un chirurgien orthopédiste, ancien doyen d'une des facultés de
médecine du Canada, rend bien ce sentiment : « Les grèves contre les patients ne sont pas négociables. Nous
avons un devoir sacré envers les personnes dans le besoin ou qui sont vulnérables en raison d'une maladie ou
d'une blessure; il est inconcevable de leur refuser l'accès aux soins, pour quelque raison que ce soit »7. Les
médecins peuvent atteindre leurs buts politiques d'autres façons, en menant des campagnes de sensibilisation
auprès des patients ou en exerçant de la pression sur les responsables politiques par exemple, mais ils ne peuvent
pas moralement participer à des grèves.
Conclusion
Tout en reconnaissant le droit à nos pairs d'être en désaccord sur cette question, nous appuyons la position prise
par l'American College of Physicians sur la grève des médecins. Nous concluons en citant cette position, à laquelle
nous adhérons3 :
« Les changements dans le cadre de pratique des médecins influent parfois négativement sur leur habilité à fournir
des soins de qualité à leurs patients et peuvent restreindre leur autonomie en ce qui concerne l'exercice de leur
jugement clinique personnel et même leur capacité de maintenir leur clientèle. Cependant, les efforts des
médecins visant à changer le système ne devraient pas comprendre une participation aux actions collectives qui
ont un effet négatif sur l'accès aux soins de santé ou qui provoquent un comportement anticoncurrentiel. Les
médecins ne devraient pas participer aux grèves, arrêts de travail, grèves perlées, boycottage ou autres activités
de groupe conçues, implicitement ou explicitement, pour restreindre ou refuser des services qui seraient
normalement offerts aux patients. En général, les médecins devraient, individuellement et collectivement, trouver
d'autres moyens de défendre leur cause, comme faire des pressions sur les législateurs et sensibiliser le public, les
groupes de patients et les décideurs à leurs intérêts. Les protestations et les manifestations, qui sont des occasions
de liberté de parole et d'activité politique protégés, peuvent être des moyens de résolution, à condition qu'ils ne
comportent pas de décision collective de prendre part à des actes qui pourraient faire du tort aux patients. »
Références
1. Association médicale canadienne. Code de déontologie de l’AMC (Mise à jour 2004), Ottawa, Association
médicale canadienne, 2004, accessible en ligne à sur le site http://policybase.cma.ca/PolicyPDF/PD04-
06.pdf