202. GUERRE 1914-18

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LA PREMIERE GUERRE MONDIALE (1914-1918)
_________________________________________________________
I. LES ORIGINES DU CONFLIT.
A. Les mouvements nationalistes
1. Le virus nationaliste depuis le milieu du XIXe siècle.
Contrecoup de la révolution française et résultat du mouvement libéral : une très forte sensibilité à
tout ce qui touche à la Nation se manifeste un peu partout.
N.B. Ceci explique :
- l'apparente facilité avec laquelle les Etats se lanceront dans la guerre ;
- l'échec du mouvement socialiste à imposer son pacifisme internationaliste (assassinat de
Jean Jaurès en 1914).
Le phénomène affecte particulièrement :
- des Nations qui se sont déjà affrontées (F/GB, F/D) ;
- des Nations qui sont, contre leur gré, soit dépendantes, soit séparées d'un Etat ;
- des Nations qui viennent de se constituer en Etat (Allemagne, Italie, Serbie).
* REVOIR : unification de l'Allemagne (pangermanisme*) et de l'Italie (avec les problèmes
pendants : Question romaine* ; irrédentisme *).
2. Les zones de crise
a) Nations mutilées.
1/ La France réclame l'Alsace-Lorraine ;
2/ L'Italie revendique les terres irrédentes (Trentin, Istrie…) ;
3/ La Serbie revendique la Bosnie-Herzégovine, annexée par l'Autriche-Hongrie (1908).
N.B. On retrouvera la Serbie parmi les nations insatisfaites .
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------* NOTE SUR LA BOSNIE-HERZEGOVINE.
Province de l'Empire ottoman jusque 1878 tout comme la Serbie, la Bosnie-Herzégovine,
partiellement peuplée de Serbes, avait fait partie de la Grande Serbie au XIVe siècle.
- Etapes historiques :
- Empire romain : la Bosnie morceau de la province de Pannonie ;
- VIIe s.: peuplée par les Serbes et les Croates ;
- Passe sous suzeraineté hongroise ;
- Indépendante à partir de 1370, la Bosnie (capitale : Sarajewo) s'augmente d'une partie
de la Dalmatie et de la Serbie (Herzégovine) en 1376 ;
- Conquête turque et annexion (1462-1908) à l'Empire ottoman, dont elle constitue la
province (eyalet) la plus extrême du côté nord-ouest.
- 1875 : soulèvement, qui entraîne (Congrès de Berlin, 1878) sa mise sous
administration austro-hongroise tout en reconnaissant la suzeraineté du sultan ;
- 1908 : annexion par l'Autriche-Hongrie, qui parvient à éviter une guerre avec la
Russie et la Serbie, grâce à la médiation allemande (1909).
N.B. L'Herzégovine (capitale : Mostar) forme la partie méridionale de cette ancienne
province turque.
- Etapes historiques :
- 1376 : arrachée à la Serbie pour être intégrée au royaume de Bosnie ;
- 1440 : se rend indépendante avec la sécession menée par un noble serbe, Stepan
Kosaca qui, avec l'appui de l'empereur Frédéric III, est proclamé herceg1 ;
- 1462 : le duché est conquis par les Turcs en même temps que la Bosnie, dont il
partagera ultérieurement la destinée ;
1 Emprunt serbe (c se prononçant ts) à l'allemand Herzog (duc), d'où le nom donné au pays.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
2
- 1878 (Congrès de Berlin) : légère amputation dans le sud au profit du Monténégro2,
pour ne conserver que le district de Mostar.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------b) Nations soumises.
1/ Pologne : partagée (XVIIIe s.) entre Autriche (sud-ouest), Prusse (nord-ouest) et Russie (est).
2/ Slaves de l'Empire austro-hongrois (outre la minorité italienne).
Leur agitation, soutenue de l'extérieur, contribuera beaucoup à l'effondrement de l'Empire en
1918.
Ils sont séparés (par les Allemands et les Hongrois) en deux groupes géographiques :
- Slaves du Nord : Tchèques, Slovaques, Polonais, Ruthènes ;
- Slaves du Sud : Slovènes, Croates, Serbes et Roumains.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------NOTE SUR L'EMPIRE D'AUTRICHE-HONGRIE (appellation officielle de 1867 à 1918).
- Superficie : 625 337 km2 (plus vaste que la France : 536 408 km2).
- Population : 35 millions d'habitants vers 1908 (contre 38,5 pour la France), dont : 9
millions d'Allemands, 6,5 millions de Magyars et 5,5 millions de Tchèques ; les Slaves y
sont beaucoup plus nombreux que les Allemands et les Magyars. En dehors de quelques
grandes zones (Autriche ; centre, ouest et sud-ouest de la Hongrie), l'enchevêtrement des
ethnies, des langues et des religions est tel qu'il rend impossible un découpage
satisfaisant du territoire qui fasse droit aux aspirations légitimes de tous ces peuples.
- Politique. Pendant tout le long règne de l'empereur François-Joseph de Habsbourg (18481916), l'Empire d'Autriche hésite entre centralisme et fédéralisme. Affaibli par ses pertes
dans le sud, en Italie (Lombardie 1859, Vénétie 1866) et à l'ouest (raclée de Sadova,
1866), les autorités seront amenées à adopter un fédéralisme tronqué, le dualisme, avec
l'Autriche-Hongrie, née du Compromis* de 1867 qui accorde une autonomie importante
(Diète, gouvernement) à la Hongrie et fait de l'Empire deux entités autonomes :
Cisleithanie ou Autriche (300 012 km2) et Transleithanie ou Hongrie (325 325 km2).
L'agitation nationaliste, souvent alimentée de l'extérieur (ex.: Serbes soutenus par la
Serbie, elle-même appuyée par la Russie), et une politique hésitante et souvent maladroite,
mettront l'Empire en danger. D'autre part, le Compromis de 1867 ravive les nationalismes,
car les autres nationalités - et en particulier celles qui sont opprimées par la Hongrie
devenue autonome3 - réclament à leur tour l'autonomie. En sens inverse, les mouvements
de révolte des populations slaves provoquent dans certaines couches de la population
allemande adeptes du pangermanisme des réactions de xénophobie.4
Néanmoins, la supériorité culturelle et technologique de l'élément allemand ainsi que la
langue allemande joueront en même temps un rôle fédérateur pour toutes ces nationalités,
notamment à Vienne.
NOTE SUR LA HONGRIE.
- 1526 (bataille de Mohacs) : conquête par les Turcs (Soliman le Magnifique) de presque
tout le pays, qui se trouve dès lors divisé en deux et dont la petite partie occidentale
(Presbourg) appartenait aux Habsbourg d'Autriche, appelée Hongrie royale après que
Ferdinand, frère de Charles Quint, ait été proclamé roi de Bohême et de Hongrie par la
Diète de Presbourg (1526).
- 1699 (paix de Karlowitz mettant fin à la guerre contre les Turcs, 1683-1699) : l'Empire
ottoman abandonne à l'Autriche toute la Hongrie propre et la Transylvanie, à l'exception
du Banat de Temesvar (celui-ci sera conquis par les Impériaux à l'occasion d'une nouvelle
2 Autre principauté étroitement liée à la Russie, et qui avait été au Moyen Age une province de la Grande Serbie.
3 Slovaques, Ruthènes, Roumains, Serbes, Croates et Dalmates ont subi, dès avant le Compromis de 1867, l'opression des
Magyars, majoritaires.
4 Certaines prises de position dans ce sens contribueront à inspirer Hitler.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
3
guerre, en 1718).
- 1848 : administration particulière, obtenue à la faveur de la révolution à Vienne. Dès les
années 1820, la Hongrie était travaillée par un mouvement nationaliste indépendantiste.
- 1867 (Compromis austro-hongrois). Dès 1849 la Hongrie s'était à nouveau révoltée et avait
proclamé son indépendance, en riposte à la volonté manifestée par François-Joseph de
faire d'elle une simple province autrichienne. Cette révolte avait été matée grâce à
l'intervention russe, réclamée par Vienne, mais la résistance passive des Hongrois (face à
la politique de germanisation menée par Vienne) et la défaite de l'Autriche à Sadowa
(1866) ont enfin amené Vienne à composer. Dès lors, la Hongrie forme une entité
autonome, les Magyars possédant leur Diète et leur gouvernement, tandis que les
Habsbourg conservent la souveraineté et que les matières d'intérêt commun (affaires
étrangères, guerre, finances) sont attribuées à un Ministère d'Empire.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------3/ les nationalistes irlandais sont insatisfaits par les mesures d'autonomie (Home Rule)
antérieures (1893, 1912), tandis que les riches protestants du nord (Ulster) se refusent à devenir
une minorité dans un Etat catholique. En 1914, la Question irlandaise met la Grande-Bretagne
au bord de la guerre civile. Les nationalistes irlandais chercheront même alors l'appui de
l'Allemagne, et la révolte nationaliste d'avril 1916 à Dublin (Pâques sanglantes ) fera plusieurs
centaines de morts et de blessés, avec à la clé l'exécution de seize chefs du mouvement.
c) Nations insatisfaites : les peuples balkaniques .
* Question d'Orient *.
Le recul répété de l'Empire ottoman vers l'Asie amène l'avènement dans sa partie européenne
(Roumélie) d'Etats nouveaux ou agrandis. Mais ces Nations sont insatisfaites du découpage territorial, qui est
décidé par les grandes puissances impérialistes à l'issue de guerres, ou lors de congrès internationaux où se
règlent les conflits d'influence - découpage d'ailleurs quasiment impossible par suite de l'enchevêtrement
séculaire des ethnies, des langues et des religions dans cette zone sud-est de l'Europe.
Contrairement à l'Empire austro-hongrois, il n'existe pas dans l'Empire ottoman d'élément culturel
fédérateur : le pays est morcelé en communautés (ethniques, religieuses, linguistiques) parfois rivales, et qui
sont elles-mêmes divisées (y compris chez les musulmans : sunnites, chiites, etc.).
Le problème est encore compliqué par l'impérialisme de certaines d'entre elles, notamment la Serbie
et la Bulgarie, qui rêvent de reconstituer les grands ensembles formés par elles au Moyen Age (XIVe siècle), et
cela forcément au détriment de leurs voisines.
* Cas de la Serbie :
- 1331-1355 : apogée de la Grande Serbie médiévale.
- 1812 (traité de Bucarest) : autonomie (non respectée) accordée par le sultan sous la
pression de la Russie et de l'Autriche ;
- 1829/30 : autonomie effective (prince héréditaire local, assemblée nationale et force
armée), moyennant paient d'un tribut et garnisons turques ;
- 1867 : évacuation totale des troupes turques ;
- 1878 (Congrès de Berlin) : indépendance complète (de même que pour le Monténégro et
la Roumanie), et agrandissement au sud-est.
3. Un cas particulier : le mouvement sioniste *.
Forme de nationalisme juif supranational qui traverse la Diaspora et prône la création d'un Etat juif en
Palestine (Sion étant le nom biblique de Jérusalem), le sionisme résulte le plus souvent de la montée en
puissance des nationalismes dans les Etats où résident les Juifs. En effet, une dérive courante du nationalisme
est la xénophobie, et l'antisémitisme sévit un peu partout depuis la fin du XIXe siècle. Il s'alimente en outre par
la suspicion et la jalousie suscitées par quelques grosses fortunes juives (les Juifs ont pu profiter de leur
émancipation et de l'essor industriel et commercial), ainsi que par l'assimilation courante des Juifs au
mouvement libéral et anticlérical qui les a émancipés. Dans des pays troublés comme l'Empire russe, les Juifs
sont parfois violemment persécutés (pogroms*).
* Principales étapes :
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
4
- 1844 : fondation à Londres de la Société britannique et étrangère pour favoriser la
restauration de la Nation juive en Palestine .
- 1861 : la colonisation de la Palestine (formant alors plusieurs provinces de l'Empire ottoman)
est préconisée par le rabbin Kalisher dans son livre La Question de Sion.
- 1880 : campagne des Juifs de Russie pour la reconstitution d'une patrie juive.
- 1882 : première colonie juive en Palestine ; le premier kibboutz (Degania) est créé en 1909. La
population juive de Palestine s'élèvera à 100 000 personnes en 1914.
- 1896 : manifeste sioniste de Théodore Herzl (Juif de Hongrie, 1860-1904) dans son livre
L'Etat juif.
- 1897 : même revendication par le premier congrès du mouvement sioniste, à Bâle.
- 1905 : le Congrès sioniste repousse la proposition du gouvernement britannique (1903) de
créer un Etat autonome juif en Ouganda.
B. Les rivalités d’impérialismes.
1. Les grandes puissances
a) L’impérialisme britannique
Disposant à la fois de la première flotte au monde et du plus grand empire colonial de l'histoire,
la Grande-Bretagne est présente un peu partout et tient absolument à se réserver la route des Indes, par la voie
maritime comme par la voie terrestre. Elle est encore la plus grande puissance économique mondiale jusqu'en
1914 et entend bien conserver cette triple suprématie. D'autre part, elle s'est toujours opposée à l'avènement
d'une super-puissance en Europe. Rivale de la France en Afrique et dans l'Empire ottoman (capitulations*), elle
veut contenir la montée en puissance de l'Allemagne, qui modernise sa flotte et cherche des terres à coloniser,
sans compter qu'elle entretient de bonnes relations avec la Turquie. D'autre part, elle se heurte, dans deux
directions, à l'impérialisme russe : d'une part en Méditerranée (panslavisme dans les Balkans et volonté d'en
finir avec la Turquie d'Europe), et d'autre part en Asie (concurrence pour la Perse, l'Afghanistan et le Tibet, à la
faveur du déclin des vieux Empires turc, perse et chinois).
b) L’impérialisme russe
La Russie, grande puissance continentale handicapée par le fait que ses ports, septentrionaux, sont
paralysés par les glaces en hiver, a des visées dans deux directions :
- vers le sud, en Asie (Perse, Afghanistan, Tibet), où elle cherche, on l'a vu, à s'étendre en
profitant du déclin des vieux Empires. Ce faisant, l'impérialisme russe se heurte à celui de la Grande-Bretagne,
qui cherche à en faire autant à partir du sud (Inde et Birmanie).
- vers le sud-ouest (mer Noire, Détroits, Balkans), où les Russes cherchent à évincer
définitivement les Turcs d'Europe (y compris de Constantinople), et cela en soutenant activement, au nom du
christianisme orthodoxe et du panslavisme, les mouvements d'émancipation des nations balkaniques - dont la
Russie pense par là se faire des alliées inconditionnelles - afin de faire la loi en mer Noire et dans les Détroits,
pour avoir des débouchés en Méditerranée. Ce faisant, l'impérialisme russe heurte évidemment les intérêts de
l'Empire ottoman, mais aussi contrecarre l'impérialisme autrichien (tutelle des chrétiens catholiques de Balkans
et visées sur le port de Thessalonique5), ainsi que l'impérialisme britannique (intérêts commerciaux en mer
Noire et Méditerranée, route des Indes). - Dans cette région, la Russie entend se venger d'une double
humiliation :
1/ le coup d'arrêt mis à ses visées sur la mer Noire et les Détroits.
N.B. Au terme de la guerre de Crimée (1853-1856) - remportée par la France et la GrandeBretagne, qui s'étaient portées au secours de l'Empire ottoman contre les Russes -, le traité de Paris (1856) l'avait
obligée à renoncer au protectorat des principautés danubiennes ; il avait établi la liberté de navigation sur tout le
cours du Danube ainsi que la neutralisation de la mer Noire. Lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, on
avait connu un scénario un peu semblable : les armées du tsar s'étant approchées d'Istamboul, la GrandeBretagne avait envoyé des navires dans le Bosphore et sauvé ainsi la capitale, et donc l'Empire ottoman. Quant
au détroit des Dardanelles (entre les mers Egée et de Marmara ; long.: ± 50 km ; larg.: 2 à 6 m), il était interdit,
en temps de paix, à tout navire de guerre sans autorisation de la Turquie (traité de 1841, confirmé en 1856, 1871
5 Toujours à la Turquie jusqu'à la première guerre balkanique (1912), qui le donnera à la Grèce.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
5
et 1878). Internationalisée par le traité de Sèvres (1920), la zone sera ensuite restituée à la Turquie à condition
d'être démilitarisée (traité de Lausanne, 1923).
2/ l'annexion (1908) par l'Autriche de la Bosnie-Herzégovine, qu'elle avait dû accepter du bout
des lèvres.
c) L’impérialisme français
A l'instar de sa rivale la Grande-Bretagne, la France se présente comme une grande puissance qui
investit à l'étranger (particulièrement en Russie) et tient à défendre son empire colonial contre les appétits
allemands (crises marocaines de 1905 et 1911, dénouées grâce à des échanges). Elle est également concernée
par la Question d'Orient (capitulations, tutelle des catholiques de l'Empire ottoman) ; elle détient la Somalie
française et avait entretenu autrefois (1802-1840) de bonnes relations avec l'Egypte (devenue protectorat
britannique en 1882).
d) L’impérialisme italien
Etat jeune dont les principales revendications sont d'ordre nationaliste (irrédentisme), l'Italie
manifeste également des velléités de colonisation. Evincée de Tunisie par la France6, elle réussira à mettre la
main sur des territoires d'Afrique orientale (Somalie 1889, Erythrée 1890), et plus tard sur la Libye7 (1912), qui
séparera les empires français et britanniques. De plus, l'Italie voit dans les Balkans un des axes potentiels de
l'expansion à laquelle elle aspire (plus tard, Mussolini s'emparera de l'Albanie).
e) L’impérialisme autrichien
Grande puissance impériale aux Temps modernes, l'Autriche a reculé à l'ouest et au sud :
- par le congrès de Vienne : perte des Pays-Bas méridionaux (1815, et pratiquement depuis 1794) ;
- par l'action des nationalistes italiens : perte de la Lombardie (1859) et de la Vénétie (1866) ;
- par l'action de la Prusse : perte de tout pouvoir en Allemagne (Sadova, 1866).
Dès lors l'Autriche, d'ailleurs bientôt réconciliée avec l'Allemagne (1879, Duplice) et l'Italie (1882,
Triple Alliance), va reporter ses ambitions sur le sud-est de l'Europe (Balkans), en profitant du recul turc : il
s'agit à la fois de canaliser à son profit les nationalismes des Slaves du Sud (au détriment de la Turquie comme
de la Russie), et de se ménager un débouché maritime en Méditerranée avec le port de Thessalonique. Ces
visées autrichiennes se sont concrétisées doublement : d'une part par la mainmise, avec le soutien de
l'Allemagne, sur la Bosnie-Herzégovine (mise sous administration autrichienne dès 1878 par le congrès de
Berlin, puis annexée en 1908) ; d'autre part par la concession, obtenue du sultan Abdulhamid II en février 1908,
d'une voie de chemin de fer traversant le sandjak (district) de Novipazar pour rejoindre Thessalonique. Vienne
prétend en outre protéger les catholiques de l'Empire ottoman.
f) L’impérialisme allemand
Etat jeune à l'économie en pleine expansion, l'Allemagne dirige naturellement ses ambitions vers le
sud-est de l'Europe et l'Anatolie, dans les zones-tampons laissées entre les impérialismes russe et britannique.
Elle établit de bonnes relations avec l'Empire ottoman, où une compagnie allemande construit le chemin de fer
reliant le Bosphore à Bagadad et au golfe Persique8, et où un général allemand, Liman von Sanders, devient en
1914 inspecteur général de l'armée. L'émergence de l'impérialisme allemand dans cette zone va entraîner
l'alliance russo-britannique et jeter dans les bras de l'Allemagne l'Empire ottoman, qui a tout lieu de craindre, en
cas de victoire alliée, un démembrement de son territoire.
Arrivée en retard dans la course aux colonies, l'Allemagne entre en compétition, en Afrique, avec
la France (crises marocaines de 1905 et 1911) et la Grande-Bretagne (Afrique du Sud).
D'autre part, l'Allemagne modernise son armée et sa flotte (la Kriegsmarine , fille chérie du Kaiser),
ce qui augmente encore les inquiétudes de la Grande-Bretagne.
Enfin, l'impérialisme allemand apparaît d'autant plus dangereux qu'il se nourrit d'une idéologie
6 La Tunisie, menacée par la conquête française de l'Algérie (1830), avait été mise sous protectorat français en 1881. Dès
1878, dans le cadre du congrès de Berlin, des négociations secrètes avaient admis par avance la colonisation de la
Tunisie par la France (de même, d'ailleurs, que celle de l'Egypte par la Grande-Bretagne) ; ces visées françaises étaient,
en effet, encouragées par Bismarck, qui espérait que les aventures coloniales détourneraient la France de l'obsession de
l'Alsace-Lorraine.
7 La Libye (Tripolitaine) sera acquise au terme de la guerre italo-turque de 1911-1912, achevée par le traité d'Ouchy (15
octobre 1912).
8 Le Bagdad-Bahn , commencé en 1903 avec des capitaux en grande partie allemands, sera interrompu de 1918 à 1933
pour ne s'achever qu'en 1940.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
6
belliqueuse, le pangermanisme *. En 1891 avait été fondée à Berlin la Ligue pangermaniste (Allgemeiner
deutscher Verband, réorganisée en 1894 sous le nom d'Alldeutscher Verband), groupant rapidement de
nombreux industriels, généraux, professeurs d'université et autres intellectuels. Jouant sur la confusion voulue
entre peuple et langue, ces idéologues considèrent qu'il faut constituer une Grande Allemagne en y incluant les
peuples frères séparés par des frontières politiques inadéquates.9 Dès la fin du XIXe siècle, des théoriciens
allemands ont proclamé le droit absolu des peuples civilisateurs (Kulturvölker) à l'expansion. Pour les
pangermanistes, l'Allemagne est un Etat en voie de croissance, qui a droit à un espace vital (Lebensraum).
L'expansionnisme qu'il prône officiellement sera avant tout colonial jusqu'à la guerre de 1914, qui révélera son
impuissance à rivaliser avec l'Empire colonial britannique ; par la suite, il se reportera sur l'Europe orientale.
N.B. Ce pangermanisme agressif, auquel Guillaume II était rallié, va beaucoup plus loin que le
nationalisme allemand antérieur tel qu'il s'était manifesté en réaction aux agressions françaises (guerres de la
Révolution et de l'Empire), puis par l'action de Bismarck, lequel se contentait d'avoir fondé une Allemagne forte
sous l'égide de la Prusse, ayant évincé tant l'Autriche que la France, et s'était refusé à mener une politique
expansionniste - notamment au niveau colonial, pour ne pas irriter la Grande-Bretagne. D'autre part, pendant
longtemps, la composante raciste sera très loin de former l'élément dominant de l'idéologie pangermaniste.
2. Les impérialismes secondaires.
Cas particuliers de la Serbie (rêve de Yougoslavie, regroupant les Slaves du Sud sous l’égide de
Belgrade) et de la Bulgarie, visant toutes deux à rétablir le grand Etat que chacune avait formé au
Moyen Age.
a) La Serbie , très irritée de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine (1908) et de l'indépendance de
l'Albanie (1912), qui la prive d'accès à la mer, cherche à faire reculer la puissance turque
(encore présente dans la future Nouvelle Serbie et en Macédoine), mais aussi à s'étendre au
détriment de ses voisins (notamment Bosnie et Bulgarie). En effet, posant en championne de la
libération des Slaves du Sud (Yougoslaves), la Serbie rêve de les fédérer sous son égide, et
n'hésite pas à recourir au terrorisme.
b) La Bulgarie , qui vient de se rendre totalement indépendante (1908), cherche à refouler
complètement les Turcs d'Europe.
3. Le carrefour des impérialismes : les Balkans . - La Question d’Orient*.
* Cas de la Turquie.
1853-1856 : guerre de Crimée.
1878 : - traité de San Stefano mettant fin à la guerre russo-turque.
- congrès de Berlin : indépendance complète de la Serbie, qui s'agrandit au sud-est.
1908 (septembre) : rencontre de Buchlau entre les ministres des Affaires étrangères russe et autrichien,
qui s'entendent sur un partage de la Turquie d'Europe en zones d'influence :
Détroits et Bulgarie pour la Russie, Serbie et Macédoine pour l'Autriche, Albanie
et Grèce pour l'Italie.
1908 (5-10) : Annexion de la Bosnie-Herzégovine par l'Autriche-Hongrie.
1912 : indépendance de l'Albanie.
- Les guerres balkaniques (1912-1913) et leurs conséquences [p. 5 n° 2].
a) Positions des grandes puissances quant à l'avenir de l'Empire ottoman .
1/ Russie : pour la suppression de la Turquie d'Europe, où des zones d'influence seraient
partagées entre Russie et Autriche-Hongrie.
2/ GB et F : statu quo afin de ne pas irriter Constantinople, à la fois pour sauvegarder leurs
intérêts commerciaux (capitulations) et pour s'opposer aux progrès de la Russie dans la région.
3/ Autriche : d'abord (1790-1848) favorable à l'option russe ; ensuite pour un relatif statu quo (par
crainte de la contagion nationaliste des Balkans vers l'Empire austro-hongrois), avec visées sur
9 Ainsi, en 1899, sa revue, Alldeutsche Blätter, publie une carte de l'Europe en 1950 (sic !), où l'Allemagne englobe
l'Alsace-Lorraine, le Nord de la France (Dunkerque), le Benelux, le sud du Danemark et le nord-est de l'Italie (Trieste),
la Hongrie, la future Tchécoslovaquie, la plus grande partie de la Lituanie et de la Pologne. En Europe orientale, ces
annexions étaient justifiées par l'implantation en terre slave d'importants groupes de populations à dominante allemande
- descendants des colons du Moyen Age (Drang nach Osten , XIIe-XIIIe s.) qui y avaient introduit leur savoir-faire et y
avaient parfois été installés par les autorités locales elles-mêmes.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
7
les Balkans (Bosnie-Herzégovine occupée en 1878, puis annexée en 1908) ; enfin (1908) retour
à l'option russe.
N.B. Un peu avant l'annexion de la Bosnie-Herzégovine eut lieu un accord (entrevue de
Buchlau, septembre 1908) Autriche-Russie sur un plan de partage de la Turquie d'Europe :
les Détroits et la Bulgarie passeraient sous influence russe, la Serbie et la Macédoine
(Vienne convoite Thessalonique) sous influence autrichienne, tandis qu'une position
privilégiée serait réservée à l'Italie en Grèce et en Albanie (celle-ci sera érigée en Etat
indépendant en 1912, à la fureur des Serbes).
4/ Allemagne : d'abord (1871-1888) souci de Bismarck de préserver l'équilibre européen en
tentant de concilier les intérêts assez divergents de la Russie et de l'Autriche ; ensuite, avec
l'avènement de Guillaume II (1888) et l'alliance franco-russe (1892), politique de
coopération économique et militaire avec la Turquie.
b) Les guerres balkaniques (1912-1913 et 1913).
1/ Première guerre (18-10-1912 au 30-5-1913) : l'Entente balkanique refoule presque
complètement les Turcs d'Europe.
- Sommées de s'entendre par la Russie et la Grande-Bretagne, la Bulgarie et la Serbie
veulent refouler complètement les Turcs d'Europe, en profitant de la guerre italo-turque
(19111-1912) et du soutien russe. Elles forment une Entente balkanique avec le
Monténégro et la Grèce (mars 1912).
- Défaite turque sanctionnée par le traité de Londres (30 mai 1913) :
La Turquie est presque éliminée d'Europe (cession de tous les territoires situés à l'ouest
de la ligne Enos-Midia), mais garde le contrôle des Détroits ; insatisfaction de la Russie.
2/ Seconde guerre (1913 : 29 juin-juillet), suite à des dissensions entre les vainqueurs de la
première (partage de la Macédoine) : retour des Turcs et défaite bulgare.
Restée province turque jusqu'en 1878 (traité de San Stefano, le 3 mars, mettant fin à la
guerre russo-turque de 1877-1878), la Macédoine avait alors été annexée à la Bulgarie
(celle-ci recevant à cette occasion une certaine autonomie), mais cet accord avait été
repoussé par le congrès de Berlin (13 juin au 13 juillet 1878), qui avait rendu la Macédoine
à l'Empire ottoman.
- Perdue à nouveau par ce dernier lors de la première guerre balkanique, la Macédoine fera
l'objet d'un projet de partage entre Serbie et Grèce. Alors la Bulgarie, évincée du partage
alors qu'elle avait apporté la plus grande contribution à la guerre, va à son tour entamer
les hostilités (29 juin 1913) contre les Grecs et les Serbes.
- Défaite des Bulgares, qui se sont trouvés pris à revers : au nord par les Roumains (qui
n'avaient pas participé à la première guerre, mais voulaient reprendre la Dobroudja
méridionale) ; au sud par les Turcs, revenus pour reconquérir leurs territoires d'Europe et
venger ainsi leur défaite lors de la première guerre.
Au traité de Bucarest (10 août 1913) :
- La Macédoine est partagée entre Serbie et Grèce ;
- La Bulgarie cède : - à la Roumanie, la Dobroudja méridionale ;
- à la Turquie, la région d'Andrinople10.
3/ Bilan. Les Serbes sont confortés dans leur nationalisme et leurs ambitions impérialistes ;
amertume des Bulgares, qui dans la guerre mondiale se rangeront dans le camp adverse…
C. La perspective d’une guerre comme échappatoire à des problèmes internes (fuite en avant).
Plusieurs Etats européens sont aux prises avec des difficultés sérieuses, et la tentation est grande de
chercher des dérivatifs et de se consolider par des succès extérieurs. Cela ne veut pas dire que leurs
gouvernements ont voulu la guerre, mais bien qu'ils y ont trouvé une occasion de renforcer la
10 Actuelle Edirne, en Thrace orientale. Cette ville (qui avait été la capitale de l'Empire de 1361 à 1453) avait été prise par
les Bulgares le 26 mars 1913.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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cohésion nationale (union sacrée 11 contre l'ennemi extérieur) en faisant oublier les problèmes internes.
Cependant, ce stratagème suppose, pour réussir, un conflit limité dans le temps et victorieux.
N.B. Rappel de précédents célèbres : en 1870, la Prusse, qui a tout fait pour amener la France à lui
déclarer la guerre afin de parachever l'unification de l'Allemagne ; en 1792, les autorités françaises
aux abois (forte opposition intérieure et position équivoque du roi) déclare la guerre au roi de Bohême
et de Hongrie pour relancer et renforcer le mouvement révolutionnaire.
1. Cas de la Russie.
Problèmes : nationalisme des minorités opprimées (Pologne, Finlande, pays baltes) ; agitation
révolutionnaire depuis la révolution avortée de 1905 ; pays encore sous le choc de sa défaite face
au Japon (1905).
2. Cas de l’Autriche-Hongrie.
Problème : nationalismes excités de l'extérieur ; en particulier, la dislocation de la Serbie mettrait
fin à ses velléités impérialistes alimentées par le mythe de la Grande Serbie (Yougoslavie).
D. L’effondrement du système bismarckien et le jeu diplomatique.
1. Le système bismarckien, construction diplomatique du chancelier allemand, visant l'isolement de
la France et l'équilibre entre les grandes puissances.
Après sa victoire dans la guerre franco-allemande (1870-1871), soldée par l'annexion de l'AlsaceLorraine, Bismarck est assez réaliste pour savoir que l'Europe ne tolérerait pas d'autres
agrandissements de son pays. Il prône donc une politique de paix fondée sur l'équilibre entre les
puissances européennes, tout en isolant la France pour l'empêcher de reprendre l'Alsace-Lorraine.
Son habileté diplomatique va sceller l'union d'Etats naguère ennemis.
a) Dès septembre 1872, la rencontre à Berlin de Guillaume Ier, François-Joseph et Alexandre II
établit l'Alliance des Trois Empereurs - malgré l'opposition des intérêts autrichiens et russes
dans les Balkans. L'alliance sera concrétisée en 1873 par les conventions germano-russe (6
juin) et austro-russe (22 octobre ; elle sera renouvelée en 1881 (18 juin), ainsi que par le traité
de réassurance germano-russe de 1887.
b) Duplice (1879) : alliance défensive de l'Allemagne avec l'Autriche, contre la Russie.
c) Triplice ou Triple Alliance (1882) : ralliement de l'Italie à la précédente, cette fois contre la
France. L'Italie a été vexée d'être évincée par la France en Tunisie. Pour calmer les
appréhensions britanniques, le traité spécifie qu'il ne pourra en aucun cas être dirigé contre la
Grande-Bretagne.
Disposant ainsi de solides alliances, et entretenant de bonnes relations avec la Grande-Bretagne,
l'Allemagne, au centre de l'Europe, est prépondérante et arbitre de la paix.
2. La nouvelle politique allemande et la riposte franco-britannique.
a) Guillaume II (1888-1918) sacrifie l'alliance russe (incompatibilité entre les intérêts russes et
autrichiens dans les Balkans) à l'alliance autrichienne. Dès lors, la Russie va se rapprocher de
la France. La politique d'impérialisme exalté et agressif du nouvel empereur entraîne la
démission de Bismarck (1890).
b) La France12, pour sortir de son isolement, réagit rapidement et parvient à établir un nouvel
équilibre européen.
1/ Alliance franco-russe (1892) dirigée contre l'Allemagne. C'était le cauchemar de Bismarck
car, en cas de guerre, son pays aura à lutter sur deux fronts.
2/ Elle détache (1911-1912) l'Italie de la Triplice13 : laissant aux Italiens toute liberté d'action
en Tripolitaine14, la France obtient d'eux l'engagement de rester neutres en cas de guerre
11 Formule du président français Poincaré.
12 En particulier Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères de juin 1898 à juin 1905.
13 Cette alliance aura, entre-temps, été renouvelée (1902, 1907, 1912), mais non sans réserves, et les relations de l'Italie
avec les puissances centrales se dégradèrent lentement dans les années précédant 1914.
14 Région centrée sur Tripoli (nord-ouest de la Libye), la Tripolitaine, possession turque, sera acquise par l'Italie en 1912
(traité de Lausanne ou d'Ouchy, le 15 octobre, au terme de la guerre italo-turque de 1911-1912). Plus tard (1934), elle
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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franco-allemande.
3/ Elle s'accorde avec la Grande-Bretagne, qui reste très réticente à prendre des engagements
sur le continent, mais s'inquiète des progrès de la flotte allemande. C'est l'Entente cordiale
(1904), qui n'est pas une alliance militaire mais avant tout un règlement du contentieux
colonial entre les deux pays ; il prévoit, entre autres, que la Grande-Bretagne aura les mains
libres en Egypte, et la France au Maroc.
4/ Elle réussit à rapprocher la Grande-Bretagne et la Russie pour former la Triple Entente
(1907), qui n'est pas un traité bien précis15 mais bien une entente établie entre les trois
puissances entre 1907 et 1917. Dans ce cadre, on va voir la Grande-Bretagne, s'entendre
avec la Russie :
- La Convention de Saint-Petersbourg (31 août 1907, confirmée le 13 septembre) règle leur
contentieux en Asie : la Perse est partagée en deux zones d'influence ; l'Afghanistan et le
Tibet sont reconnus par la Russie comme zone d'influence britannique.
- La rencontre de Reval16 (11 juin 1908) entre Edouard VII et Nicolas II prévoit, en cas de
victoire alliée, le démembrement de l'Empire ottoman.
E . La psychose de guerre : paix armée, course aux armements [p. 10].
Partout en Europe, chaque Etat est persuadé des intentions agressives de ses voisins ; le meilleur
moyen de garantir la paix semble dès lors être le renforcement de la puissance militaire :
- augmentation du budget de la Défense ;
- le service militaire obligatoire généralisé est institué (Belgique, 1913) ou prolongé (rétablissement
du service de trois ans en France) ;
- l'armement est renforcé et renouvelé, notamment en Grande-Bretagne (avec les dreadnoughts ,
cuirassés de 30 000 tonnes, les navires les plus puissants alors), en Allemagne et en Russie.
II. LES FAITS.
A. La guerre de mouvement (août à novembre 1914).
1. La stratégie.
a) Côté allemand : le plan Schlieffen17 (élaboré à partir de 1898, mis au point à la Noël 1905 et
encore remanié par la suite).
Il repose sur une double stratégie :
- offensive à l'ouest : en finir rapidement avec la France, dont la défaite doit amener son alliée
la Russie à renoncer à la lutte. Le plan prévoit un vaste mouvement enveloppant (appuyé
sur une puissante artillerie lourde de campagne) qui contourne par le nord (et donc à travers
le futur Benelux, ou tout au moins la Belgique) le système de fortifications français du
nord-est (où une attaque frontale aurait été aléatoire) ; dès lors, donner un maximum de
puissance à l'aile droite des armées allemandes qui, après avoir battu l'armée française dans
les plaines de la Belgique et du nord de la France, devaient ensuite revenir vers la Suisse.
- défensive à l'est, en attendant de se retourner contre la Russie au cas où elle ne capitulerait
pas après la défaite française.
b) Côté français.
Stratégie opposée :
- défensive à l'ouest, derrière la ligne de fortifications ;
- offensive à l'est : la France compte sur le rouleau compresseur russe pour opérer un
mouvement d'est en ouest.
sera réunie à la Cyrénaïque pour former la Libye, colonie italienne incorporée à la métropole en 1939. De 1951 à 1969,
la Libye sera un royaume (Idris), abattu par le coup d'Etat du colonel Muammar al-Kadhafi, toujours chef de l'Etat en
2011, bien que pourchassé suite à un soulèvement populaire.
15 Elle ne sera consacrée par un acte officiel que le 3 septembre 1914, lorsque les trois Etats s'engagèrent à ne pas conclure
de paix séparée (ce que les Bolcheviks feront quand même, le 5 décembre 1917, avec l'armistice de Brest-Litovsk.
16 Actuelle Tallin (Estonie).
17 Du nom d'Alfred, comte von Schlieffen (1813-1913), officier prussien (1854), officier d'Etat-major dans les guerres de
1866 et 1870, général (1886), chef du grand Etat-major (1891-1906).
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
10
N.B. Le plan Schlieffen a dû être sérieusement révisé sous la pression de certains événements
imprévus, dès le début du conflit :
- vigueur de la défense belge, dont les forces avaient été sous-estimées ;
- efficacité et rapidité de l'aide britannique à la France ;
- invasion de la Prusse-Orientale par les Russes, ce qui provoqua la panique et obligea le hautcommandement allemand à ramener des forces sur le front oriental.
2. A l'ouest, l'avance allemande est stoppée. Bataille de la Marne (5 au 12 septembre 1914)18.
B. La guerre de position (novembre 1914 à février 1917).
Les troupes des deux camps se terrent dans des tranchées, pour se lancer par moments dans des
offensives indécises et meurtrières. Bataille de Verdun (1916) : massacre, mais Philippe Pétain reste
maître de la situation.
C. Le tournant de la guerre (1917).
- A partir de février, les Empires centraux pratiquent la guerre sous-marine à outrance .
- D'où, en avril 1917, l'entrée en guerre des Etats-Unis (au nom de la liberté des mers, mais aussi à
cause des prêts consentis à la France et à la Grande-Bretagne). Mais il faudra une année pour que
ce renfort s'avère efficace (mobilisation, production du matériel, entraînement des troupes,
transport) - tandis que les Alliés font face à de graves difficultés militaires, en France et en Italie.
- Du côté des Alliés, la Russie va bientôt faire défection. Déjà mal préparée à la guerre (organisation
défectueuse, manque de matériel, insuffisances de l'intendance), elle entre en révolution dès le début
mars (révolution de février), ce qui désorganise la machine de guerre malgré l'assurance donnée par
les nouvelles autorités de tenir les engagements pris avec les alliés. Plus grave encore, le coup d'Etat
mené par les Bolcheviks de Lénine au début novembre (révolution d'octobre ) amène le nouveau
pouvoir communiste à conclure une paix séparée avec l'Allemagne (armistice de Brest-Litovsk19, 5
décembre 1917 ; paix le 3 mars 1918). C'est la rupture - au profit de l'Allemagne - de l'équilibre des
forces que les états-majors cherchaient depuis trois ans : un des principaux belligérants est hors-jeu,
et l'Allemagne est libre de reporter vers le front occidental la quasi-totalité de ses forces, alors que
Français et Britanniques arrivent tout juste à contenir la poussée ennemie. En plus de ce contretemps
désastreux au plan militaire, la révolution russe va avoir de graves conséquences politiques,
notamment en France et en Italie : le communisme pacifiste a montré qu'il pouvait s'imposer, ce qui
aura pour effet d'une part de renforcer les milieux de gauche et de faire voler en éclats l'union sacrée ,
et d'autre part d'augmenter les partisans d'un arrêt des hostilités (en France, certains hommes
politiques préconisent des pourparlers en vue d'une paix blanche).
- Chez tous les belligérants, graves difficultés (approvisionnement, hausse vertigineuse des prix) et
grave crise morale (grèves, pacifisme, mutineries).
D. Derniers sursauts et effondrement des Empires (1918).
1. Dès novembre 1917, le président français Raymond Poincaré a appelé Clémenceau à la présidence
du Conseil, car il connaît sa détermination.20 Le nouveau Cabinet (Conseil des Ministres) se donne
pour programme de faire la guerre jusqu'au bout. Le défaitisme est brisé : on coupe court aux
négociations, on traduit en Haute Cour de justice les hommes politiques suspects de rêver d'une paix
18 Pendant cette bataille, le général Joseph Joffre (1852-1931), depuis 1911 chef d'Etat-major général et commandant en
chef des armées françaises du nord et du nord-est, a fait placer en résidence à Limoges 134 officiers généraux jugés
incapables. Depuis, le terme limoger a remplacé celui de disgrâcier pour désigner un déplacement d'office ou une mise à
la retraite forcée. - A noter aussi à cette époque la présence de soldats allemands au collège Saint-Pierre à Uccle.
19 C'est-à-dire Brest de Lituanie. Ville située actuellement en Biélorussie (Bélarus), et à l'époque en Pologne russe.
Polonaise jusque 1795 (troisième partage de la Pologne), la ville passa à la Russie de 1795 à 1917. Elle fut occupée par
les Allemands le 26 août 1915. Revenue à la Pologne (1921-1939), puis prise par les Russes (septembre 1939) et reprise
par les Allemands (juin 1941), reprise par les Russes (28 juillet 1944), elle devait revenir à l'U.R.S.S. en 1945 (traité
russo-polonais du 16 août).
20 Georges Clémenceau (1841-1929) était pourtant un ennemi politique. D'abord situé à l'extrême gauche (Radicaux),
républicain anticlérical et anticolonialiste, il avait défendu Dreyfus et soutenu Zola. Socialiste mais de caractère très
incisif, il avait brisé des grèves. Ministre de l'Intérieur en 1906 puis président du Conseil (1906-1909), il revient donc à
ce poste en novembre 1917. Il va lutter contre le défaitisme et accentuer l'effort de guerre, ce qui le fera surnommer le
Tigre et Père-la-Victoire.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
11
blanche. Cette action est très importante pour les Alliés, car la France est la pièce maîtresse de la
coalition.
2. Quatre offensives allemandes désespérées sont suivies d'une vaste contre-offensive alliée. La
décision d'un commandement interallié unique (conféré au général français Ferdinand Foch le 26
mars 1918) pour toutes les forces militaires du front occidental a également été d'une importance
décisive.
3. Effondrement des puissances centrales dans les Balkans, en Palestine, en Italie.
4. Révolutions dans les Empires centraux (Prague, Zagreb, Allemagne), entraînant l'abdication (9
novembre) de Guillaume II, suivie de celles des princes allemands.
5. L'armistice est signé (11 novembre) à Rethondes (Oise, forêt de Compiègne, nord-est de la
France, où se trouvait le quartier général du maréchal Foch), dans le wagon-salon21 du maréchal
Foch, lequel n'a accepté de recevoir la délégation allemande (des civils, les militaires ayant
refusé de s'y rendre) qu'après avoir reçu l'assurance d'une capitulation sans conditions.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ANNEXE. 1915 : le Lusitania , les époux Depage et Edith Cavell.
* Antoine Depage (1862-1925) est un chirurgien. Co-fondateur du scoutisme, il enseigne à
l'U.L.B. En 1907, il fonde à Ixelles (rue de la Culture, actuelle rue Franz Merjay) une école d'infirmières dont il
confie la direction à l'Anglaise Edith Cavell22. Après l'invasion allemande de la Belgique, Antoine Depage, à la
demande expresse du roi Albert et de la reine Elisabeth (celle-ci était elle-même fille d'un chirurgien), organise
un hôpital, d'abord au palais de Bruxelles, puis (décembre 1914) à La Panne, où l'hôtel L'Océan est
réquisitionné et transformé pour héberger un nombre croissant de soldats blessés (200 lits, puis 50 et enfin
2000). Les fonds provenaient surtout de dons anglais.
* Marie Picard (° Ixelles 23-9-1872 - † 7-5-1915), fille de l'ingénieur Désiré-Emile Picard et
de Victorine Héger (soeur de Paul Héger, physiologiste, professeur à l'U.L.B.), était depuis 1893 l'épouse
d'Antoine Depage. Connaissant parfaitement l'anglais, elle servait de secrétaire et d'agent de liaison. Pour
récolter l'argent destiné à l'hôpital de La Panne, elle part le 27 janvier 1915 pour une tournée aux Etats-Unis.
Elle reviendra en compagnie du docteur Jmes Houghton, un jeune médecin américain qui, enthousiasmé par
l'exposé de Marie, s'est porté volontaire pour venir travailler à l'hôpital de La Panne, Belgium. Hélas, le retour
fut différé par une nouvelle collecte de fonds, non prévue au départ, ce qui amena Marie à s'embarquer sur un
autre navire : le Lusitania.
* Le Lusitania , paquebot anglais, a quitté New-York à destination de Liverpool. Le 7 mai
1915, arrivé en vue des côtes d'Irlande, il est torpillé sans sommation par un sous-marin allemand. Dans
l'impossibilité d'atteindre un canot de sauvetage, Marie Depage et le médecin américain sautent à la mer, munis
d'une bouée, pour tenter d'atteindre à la nage un radeau, mais Marie est aspirée vers le fond par le navire en train
de sombrer. Plus de mille passagers périrent, dont Marie, victime, à 42 ans, de son patriotisme, ainsi que 124
citoyens américains - ce qui contribuera à indigner l'opinion publique américaine et à déclencher plus tard
l'entrée en guerre (6 avril 1917) des Etats-Unis. Le Gouvernement allemand assura que le navire transportait des
munitions destinées aux Alliés…
* Edith Cavell (Swardeston, près de Norwich, 4-12-1865 - † Bruxelles, Tir national, 12-101915) est une infirmière anglaise de talent qui a déjà fait ses preuves à la tête d'un établissement dans son pays.
Appelée à Bruxelles par Antoine Depage pour soigner un enfant, elle y était arrivée en 1907. Pendant la guerre,
sa clinique sera le refuge de nombreux soldats et résistants. A la suite d'imprudences et d'une trahison, Edith
Cavell est arrêtée (5-8-1915) ; jugée (6-10-1915) par le tribunal militaire de l'occupant (celui-ci siégeait dans
l'hémicycle du Sénat), elle est condamnée à mort et fusillée.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------III. LES CARACTÈRES DU CONFLIT.
A. La durée.
21 En 1940, Hitler fera rechercher ce wagon pour y faire acter la capitulation française ; à la fin de la seconde guerre, le
wagon sera détruit par les S.S.
22 Cette création avait notamment pour objectif d'enlever aux Soeurs hospitalières le monopole des soins aux malades.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
12
B. L’extension dans l’espace ou mondialisation (guerre mondiale ). Facteurs :
1. La mentalité de paix armée (crainte d’encerclement impliquant une action préventive) et le jeu
des alliances préexistantes.
2. Le prolongement des hostilités, d’où une extension démesurée du front, par la crainte d’être
encerclé.
3. La multiplication des intervenants :
a) spontanément :
1/ dans l’espoir d’acquisitions territoriales à la paix (Italie, Roumanie, Japon) ;
2/ par réflexe, compte tenu du camp choisi par un rival (Chine) ;
b) par des pressions :
1/ intervention des troupes coloniales, en Europe et aux colonies.
2/ pression de l’opinion publique (Italie, Etats-Unis) ;
3/ pression des belligérants sur les neutres (Italie, Roumanie, Grèce) ;
4/ provocation (Etats-Unis et Empires centraux).
C. Conflit de nationalismes.
En dépit de la volonté opiniâtre, de la part de la France surtout, d'imputer à l'Allemagne toute la
responsabilité de la guerre, celle-ci a été avant tout l'aboutissement catastrophique des rivalités
nationalistes qui se sont manifestées tout au long du XIXe siècle et au-delà. Ceci l'oppose au second
conflit mondial, qui aura un caractère nettement idéologique (fascismes contre démocraties), en dépit
de la présence de la Russie communiste dans le camp allié.
D. Formes nouvelles.
1. Guerre de masse : volume des effectifs engagés.
2. Guerre industrielle , mobilisant toutes les ressources (matérielles et humaines) de l’économie
nationale et coloniale (matières premières).
3. Matériel nouveau : avions (guerre aérienne ), sous-marins (guerre sous-marine ; inaugurée par
les Sudistes dans la guerre de Sécession), chars d’assaut (blindés), lance-flammes , gaz
asphyxiants (guerre chimique).
4. Guerre économique, visant à détruire l’économie adverse (capacité industrielle, stocks, routes
d’approvisionnement, transports).
5. Guerre psychologique, visant le moral de l’adversaire pour l’amener à capituler. Rôle important
de la propagande (affiches, radio) et des bombardements de villes ouvertes.
Implications :
a) au plan culturel : destruction du patrimoine national et universel (monuments, notamment
symboliques ; archives, objets d’art, manuscrits précieux, etc) ; suppression arbitraire des
emprunts supposés à la culture de l’adversaire (titres monarchiques, noms de rues), invention
de noms insultants, etc.
b) au plan stratégique : spontanément ou sous l’effet de la propagande adverse, la prise de
conscience de l’absurdité du conflit entraîne mutineries et désertions dans les deux camps
(hors le cas spécifique de la Russie).
c) au plan idéologique, philosophique et religieux : crise de conscience qui amène chacun à
réviser ses valeurs, sa conception du monde et du sens de la vie. D’où des réactions en sens
divers : désenchantement, morosité, scepticisme, misanthropie, pacifisme ou au contraire
xénophobie et nationalisme renforcés, abandon de la foi ou retour à elle, conversions…
6. Impact sur la population civile . Cet impact résulte en partie des caractères précédents. On peut
y ajouter la mobilisation, sur une échelle considérable, des forces vives de la population, ce qui
aura des conséquences durables :
- coupes sombres dans une génération, et en particulier de futures élites et de
nombreux consommateurs potentiels, dont le pays sera privé, d’où un
appauvrissement économique et culturel à terme
;
- forte implication des femmes , qui doivent suppléer à l’absence des maris
(d’autant que beaucoup ne reviendront pas) - aussi bien au niveau des
entreprises (main-d’oeuvre) qu’à domicile (obligation de jouer le rôle de chef
de famille).
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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* Notion de guerre totale * (caractère déjà présent dans la guerre de Sécession).
Remarque sur la Grande Guerre .
La recherche historique s'est longtemps focalisée sur la seconde guerre mondiale plutôt que sur la première
- et ceci est encore, dans une large mesure, le cas pour les médias et le grand public. C'est pourtant celle de
1914/18 qui a reçu et conservé l'appellation de Grande Guerre - bien sûr parce qu'elle a été la première à être
d'une ampleur jamais vue, mais pas seulement pour cette raison. Certes, la seconde guerre s'est avérée
globalement plus destructrice. Néanmoins, il ne faut pas oublier un certain nombre de réalités concernant le
premier conflit mondial :
- l'occupation allemande y a été beaucoup plus dure ;
- pour la Belgique, la France et la Grande-Bretagne, les pertes en vies humaines ont été plus importantes ;
- le conflit a fait perdre à la Belgique 18 % de la richesse nationale, contre 8 % lors de la seconde guerre
mondiale ;
- les villes d'Ypres et de Bailleul (France, Nord) ont été complètement anéanties, bien plus encore que
Nagasaki et Hiroshima en 1945 - indépendamment, bien sûr, du bilan humain effroyablement meurtrier et sans
comparaison dans le cas des villes japonaises.
IV. LES CONSÉQUENCES DU CONFLIT.
A. Territoriales et géopolitiques (rapports entre puissances).
P.M. Les grands remaniements territoriaux antérieurs de l'Europe remontent à
- 1815 (traité de Vienne) ;
- 1713/15 (traités mettant fin aux guerres de Louis XIV) ;
- 1648 (traités de Westphalie mettant fin à la guerre de Trente Ans).
1. Les traités de paix [P.M. : RF p. 11, II n° 1] et leurs principes directeurs :
a) Punition des vaincus au profit du camp des vainqueurs.
b) Respect du droit des Nations par la constitution, dans la mesure du possible et
éventuellement après plébiscite, d’Etats-Nations (sans minorités ethniques) économiquement
viables et politiquement aptes à l’autodétermination.
2. Les solutions territoriales concernant les quatre ex-Empires.
a) Allemagne (traité de Versailles, 28 juin 1919).
Perte d'environ 1/7e de son territoire en Europe, ainsi que de toutes ses colonies (elle était, des
quatre Empires, la seule puissance coloniale).
1/ Ses colonies sont partagées entre France, Grande-Bretagne, Japon, Afrique du Sud, et même
la Belgique (Ruanda et Urundi).
2/ En Europe :
a/ à l'ouest.
- Retour de l'Alsace-Lorraine à la France ;
- la Belgique reçoit les cantons rédimés (Eupen, Malmedy, Saint-Vith) en compensation
des pertes subies (traité de Versailles, art. 33 et 34) ;
- occupation militaire temporaire (prévue jusque 1935) de la rive gauche du Rhin, plus un
certain nombre de têtes de pont sur la rive droite ;
- statut provisoire (pour 15 ans) pour la Sarre, en attendant un règlement définitif
(plébiscite en 1935 : retour à l'Allemagne).
b/ au nord : retour du Schlesvig du Nord au Danemark (population de langue danoise).
c/ à l'est, où les mutilations sont les plus importantes, au profit principalement de la Pologne
qui est enfin reconstituée (aux dépens notamment de l'Allemagne).
- perte de la Poznanie et de la Haute-Silésie ;
- perte du corridor (ou couloir ) de Dantzig, créé au profit de la Pologne afin de lui
procurer un accès à la mer. Ceci a pour effet de séparer la Prusse-Orientale du
Brandebourg et de la Poméranie (situation existant en 1648 !). Quant à la ville de Dantzig
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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(de son nom polonais Gdansk) elle-même, elle est érigée en ville libre.23
b) Autriche-Hongrie
L'option d'une confédération danubienne, évoquée en 1919, sera rapidement écartée, et l'Empire
des Habsbourg va être désintégré, pour différentes raisons :
- la pression de la France, ennemie séculaire des Habsbourg, et qui cherche à s'assurer dans la
région amitié politique et clientèle économique ;
- la pression des anciennes nations slaves sujettes, dont les représentants se sont entendus avec
les Alliés et les ont mis devant le fait accompli en proclamant leur indépendance sous la forme
républicaine (Tchèques, Serbes, Roumains).
- la nécessité de créer - forcément aux dépens de l'ancien Empire - des Etats forts entre
l'Allemagne et la Russie, et cela dans un double objectif :
- diminuer le risque d'une hégémonie économique et militaire des anciens Empires centraux ;
- ériger un cordon sanitaire * (expression de Georges Clémenceau) le long de la frontière
occidentale de la Russie (de la Finlande à la Roumanie, en passant par les pays baltes et la
Pologne), afin de préserver l'Europe centrale et occidentale d'une contagion communiste,
suite à la révolution bolchevique de 1917, mais aussi aux révolutions communistes avortées
qui avaient, en 1919, affecté l'Allemagne comme la Hongrie (Béla Kun).
1/ Autriche (traité de Saint-Germain-en-Laye, 10 septembre 1919).
a/ Etat réduit à ses terres allemandes (83 849 km2 ; l'ancienne Cisleithanie couvrait 300 012
km2).
b/ Refus du rattachement à l'Allemagne (Anschluss) ; en effet :
- il aurait créé une Allemagne plus grande et plus peuplée qu'avant 1914 (même en tenant
compte des amputations prévues) ;
- il aurait impliqué un risque stratégique dans l'éventualité d'une revanche allemande ;
- il représentait une menace d'hégémonie économique allemande sur toute l'Europe
centrale et orientale.
N.B. L'Anschluss semblait cependant conforme aux principes directeurs des traités. En
effet :
- l'Autriche en avait fait la demande (9 janvier 1919) ;
- on pouvait douter de la viabilité économique du pays réduit à ses terres
allemandes, avec une capitale énorme abritant un tiers de la population.
2/ Hongrie (traité de Trianon, 4 juin 1920).
Etat réduit au tiers de sa superficie de 1914, en-deçà même de celle couverte par les Magyars.
Non seulement elle se trouve amputée de 13,2 millions d'habitants (sur 20,8), mais en outre les
nouvelles frontières excluent du nouvel Etat 3,5 millions de Magyars. C'est que, pour cet Etat
vaincu, les arguments donnés ci-dessus (désintégration de l'Empire) ont prévalu.
3/ Roumanie : une des grandes bénéficiaires de la paix (agrandissement considérable).
Les provinces de Moldavie (nord-est) et de Valachie (ouest), qui avaient obtenu leur
indépendance au congrès de Paris (1856), s'étaient unies (1859), puis étaient devenues le
Royaume de Roumanie (1881). Celui-ci va à présent se trouver agrandi :
- à l'ouest, vers la Transylvanie, au-delà des Carpates (terres prises à la Hongrie) ;
- au nord-est avec la Bessarabie24 (détachée de la Russie) ;
- au sud-est avec la Dobroudja (disputée à la Bulgarie).
4/ Yougoslavie : un nouvel Etat.
Le nouveau Royaume des Slaves du Sud (appelé Yougoslavie à partir de 1929) groupe, autour
du Royaume de Serbie (capitale : Belgrade), le Monténégro, la Bosnie et l'Herzégovine, la
Croatie, la Slovénie et la Macédoine. C'est en quelque sorte le vieux rêve nationaliste de
Grande Serbie qui se concrétise, d'autant que l'élément serbe, politiquement prépondérant, va
23 Cette solution avait déjà été celle choisie par Napoléon Ier en 1807. Le problème de cette ville polonaise était d'autant
plus délicat qu'elle était devenue au cours des siècles presque complètement allemande. L'Allemagne nazie intégrera
naturellement son annexion à ses revendications.
24 Actuelle Moldavie. Elle repassera à la Russie en 1947.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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y pratiquer une politique centralisatrice au mépris des minorités nationales.
5/ Tchécoslovaquie : un nouvel Etat.
Cette république groupe, d'ouest en est, les territoires suivants :
- l'ancien Royaume de Bohême (capitale : Prague) ; il représente la composante tchèque qui,
comme les Serbes en Yougoslavie, imposera, contre la volonté des présidents de la
République, un régime centralisateur au détriment des autres nationalités (Slovaques,
Ruthènes, Juifs, Allemands des Sudètes) ;
- la Moravie (capitale : Brno/Brünn) ;
- la Slovaquie (capitale : Bratislava/Presbourg), arrachée à la Transleithanie ;
- la Ruthénie.25
N.B. Les Sudètes26, population allemande établie sur le pourtour de la Bohême, le long des
frontières allemande et autrichienne, se sont vus refuser leur intégration à l'Anschluss
(ensemble Allemagne-Autriche), qu'ils avaient réclamée pour les mêmes raisons que
l'Autriche, d'autant qu'ils souffraient depuis le XIXe siècle du nationalisme tchèque. En
effet, outre les raisons déjà développées précédemment :
- bien que légèrement majoritaires dans la région, les Allemands y sont mêlés aux
Tchèques ;
- la Tchécoslovaquie s'oppose à toute amputation de son territoire.
c) Empire ottoman .
Son sort va se régler en deux temps, d'abord suite à la capitulation du sultan (armistice du 30
octobre 1918), ensuite à cause de l'intervention victorieuse du général Mustafa Kémal contre
l'offensive grecque.
1/ Traité de Sèvres (10 août 1920).
a/ amputations territoriales.
- En Europe, la Thrace est perdue au profit de la Grèce. La Turquie d'Europe est réduite à
sa plus simple expression, ce qui complète le bilan des guerres balkaniques.
- En Asie :
- les provinces arabes sont perdues. L'Arabie devra être indépendante, de même que
l'Arménie et le Kurdistan (ce dernier devant au moins obtenir l'autonomie) ;
- l'extrémité occidentale de l'Anatolie (notamment la région d'Izmir/Smyrne) est perdue
au profit de la Grèce ;
- les îles de la mer Egée sont partagées entre la Grèce et l'Italie.
b/ limitation de souveraineté.
- rétablissement des capitulations, qui sont même aggravées ;
- démilitarisation des Détroits, qui sont ouverts à la navigation (surveillée par une
commission ad hoc).
2/ Intervention de Kémal.
Nationaliste turc et farouche opposant au régime aboslutiste du sultan, Kémal refuse sa
capitulation et mobilise les troupes et la Nation. Ayant réuni un congrès national qui le
nomme généralissime (5 août 1921), il parvient à chasser d'Anatolie les Grecs (qui avaient
débarqué à Smyrne en 1919), forçant les Alliés à une révision du traité de Sèvres.
3/ Traité de Lausanne (24 juillet 1923).
a/ Au plan territorial.
- En Europe, la Turquie récupère la Thrace orientale (avec Andrinople/Edirne) ;
- En Asie, elle retrouve la totalité de l'Anatolie (Asie Mineure), y compris l'Arménie et le
25 Enlevée elle aussi à la Transleithanie, la Ruthénie hongroise, qui sera appelée par les Tchèques Ruthénie subcarpatique
et par les Russes Ukraine carpatique , sera rendue à la Hongrie suite aux accords de Munich en novembre 1938 ; en juin
1945, elle sera annexée par l'Union soviétique.
26 Appelés ainsi d'après les monts Sudètes, chaîne de montagnes située dans le nord-est de la Bohême. Il s'agit des
descendants de colons allemands que les rois de Bohême avaient appelés dès le XIIIe siècle afin de stimuler l'économie
grâce à leur savoir-faire et à leur avance technologique. Plus tard, le refus opposé par Prague de toute autonomie aux
Sudètes, les pressions de l'Allemagne nazie et la lâcheté des puissances occidentales aboutiront à l'annexion des Sudètes
par l'Allemagne (accords de Munich, 1938).
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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Kurdistan.
b/ Au plan de la souveraineté.
- Abolition définitive des capitulations ;
- Rétablissement de la souveraineté turque sur la zone des Détroits, qui ne sera ouverte que
dans certaines limites à la navigation étrangère.
N.B. Une convention annexe prévoit le transfert de minorités entre la Turquie et la Grèce.
Conclusion. Les projets de Kémal sont réalisés : il a rendu sa fierté à la Nation turque
humiliée et établi un Etat fort, débarrassé de ses provinces arabes (dès 1917 il avait conseillé
au sultan de s'en défaire, et la révolte de l'Arabie qui avait suivi lui avait donné raison).
4/ Les anciennes provinces arabes (couloir syro-palestinien et Proche-Orient), considérées
comme inaptes à l'autodétermination et à l'indépendance - et situées, de surcroît, dans une
zone éminemment stratégique -, vont passer provisoirement sous le contrôle des vainqueurs
qui s'étaient le plus acharnés au dépeçage de la Turquie, moyennant un mandat de la Société
des Nations : au nord la France (Liban à l'ouest, Syrie à l'est), au sud la Grande-Bretagne
(Palestine, Transjordanie, Irak).
d) Russie .
Ayant abandonné le camp des vainqueurs après avoir été prise en main par les bolcheviks de
Lénine (1917), la Russie va voir s'écrouler d'un seul coup sa façade occidentale, héritage des
conquêtes de Pierre le Grand et Catherine II.
1/ Au nord, perte de la Finlande qui conquiert son indépendance ; formation des Etats baltes
(Estonie , Lettonie , Lituanie ), anciennes provinces suédoises qui avaient été conquises par la
Russie.
2/ Au centre, perte d'une partie de la Russie Blanche et de l'Ukraine russe au profit de la
Pologne enfin reconstituée.
N.B. Cependant, la frontière ne sera fixée qu'en 1922, passé la guerre russo-polonaise (19201921), quand la Russie reconnaîtra ses pertes territoriales et fera la paix avec la Pologne
et les Etats baltes.
3/ Au sud, perte de la Bessarabie au profit de la Roumanie.
3. Problèmes non résolus et solutions dangereuses.
a) Problèmes nationalistes (avant tout).
Il s'agit, encore une fois, de frustrations nationalistes, en dépit de la volonté de nombreux
négociateurs de la paix (en particulier américains) d'y apporter des solutions.
1/ Problèmes non résolus.
- Question irlandaise ;
- Question flamande ;
- Question des Sudètes : Anschluss refusé ;
- Italie irrédente (en partie) : deux des terres irrédentes (sur cinq) ne sont pas intégrées au
royaume d'Italie.
- Question d'Orient, en partie :
- les provinces arabes sont mises sous mandat de la S.D.N. ;
- les Arméniens et les Kurdes n'obtiennent pas d'Etat indépendant et restent intégrés à
la Turquie ;
- Question palestinienne (voir ci-après).
2/ Nationalités frustrées (voir aussi le a ci-dessus).
a/ par la volonté des vainqueurs.
- Russie amputée ;
- Allemagne :
- en partie occupée et démilitarisée (Rhénanie) ; Sarre sous statut spécial ;
- réparations d'un montant exagéré, quasi inopérantes (prêts consentis par des puissances
soucieuses de reprendre leurs activités commerciales, comme la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis ; réduction progressive au gré des conférences internationales, pour
finalement aboutir à la cessation) mais humiliantes (blessure psychologique de la
Nation allemande, à qui on a fait endosser l'entière responsabilité du conflit).
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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- Peuples allemands (Allemagne, Autriche, Sudètes) : refus de l'Anschluss.
b/ par la politique centralisatrice qui va être menée au sein des nouveaux Etats au profit de la
nationalité prépondérante.
- Magyars exclus de la nouvelle Hongrie (notamment en Roumanie) ;
- Turquie : prépondérance turque, sous la férule de Kémal, au détriment des Arméniens
(déjà victimes d'un génocide en 1915) et des Kurdes ;
- Tchécoslovaquie : prépondérance tchèque au détriment des Slovaques, Ruthènes, Juifs et
Sudètes (contre la volonté du président Masaryk) ;
- Yougoslavie : prépondérance serbe, au détriment notamment des Slovènes et des
Croates.
b) Problèmes économiques : viabilité ? Ex.: Autriche.
c) Problème idéologique : la Russie est isolée par le cordon sanitaire , car le communisme est
considéré comme l'ennemi n° 1, surtout après les mouvements révolutionnaires communistes
d'Allemagne (notamment à Berlin) et de Hongrie (Budapest).
4. La Question palestinienne.
B. Politiques.
Introduction : progrès du mouvement démocratique.
* Facteurs de la poussée démocratique d'après-guerre.
A/ Au plan international.
1/ Vague soulevée par la participation et les pressions des Etats-Unis (notamment les Quatorze
points du président Wilson), perçus comme les champions du libéralisme et de la démocratie.
2/ Signification de la victoire dans l'opinion : c'est, en gros, la victoire des républiques sur les
monarchies, et des démocraties sur des régimes plus ou moins autoritaires ou réputés tels.
B/ Au plan national.
1/ Perception très renforcée de la solidarité civique : cauchemar vécu ensemble, égalité devant
la mort, dette morale vis-à-vis des anciens combattants - en particulier les jeunes -, des
femmes, des veuves et des orphelins de guerre.
2/ Glissement de l'opinion publique vers la gauche (forces progressistes), prônant un
réaménagement du régime politique qui prenne en compte les énormes efforts et sacrifices
consentis par les masses populaires (soldats et civils). Les forces de gauche, idéologiquement
internationalistes et pacifistes, font naturellement endosser à l'élite (la bourgeoisie capitaliste
prépondérante) la responsabilité de n'avoir pu ou voulu empêcher la guerre.
1. Au plan interne.
a) Système politique.
1/ Extension du système républicain et démocratique, notamment sur les ruines des grands
Empires à régime autoritaire.
* Cas de la Turquie.
1876-1909 : règne du sultan Abdul Hamid II, porté au pouvoir suite à un révolution de
palais, en remplacement d'Abdul Aziz, jugé trop docile à l'influence russe.
1876 (déc.) : promulgation d'une constitution (la première qu'ait connue la Turquie)
établissant une monarchie parlementaire avec deux Chambres, et garantissant
les libertés individuelles et religieuses. Néanmoins, retour à l'absolutisme dès
1877 et jusque 1908 !
± 1895 : création du mouvement nationaliste des Jeunes Turcs, issu du milieu militaire.
1908 (juillet) : rétablissement de la constitution de 1876 par le sultan suite au soulèvement
des troupes de Macédoine.
1909 (27 avril) : le sultan, revenu au despotisme, est déposé suite à la marche sur
Constantinople d'une armée envoyée par les Jeunes Turcs. Ceux-ci le
remplacent par le médiocre Mehmet V (1909-1918), mais s'assurent en
fait la réalité du pouvoir, qu'ils détiendront jusque 1918.
1920 (11 mai) : la déchéance du sultan (Mehmet VI, 1918-1922) est proclamée par
l'Assemblée nationale d'Ankara.
1922 (1er novembre) : abolition du sultanat par l'Assemblée nationale.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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1923 (30 octobre) : proclamation de la République , régime laïque . Présidence de Mustafa
Kemal (1922-1938), père de la Turquie moderne (Atatürk, c'est-à-dire
père des Turcs).
1924 (3 mars) : abolition du califat. 27
2/ Adoption d'institutions sur le modèle de la France.
Les constitutions de beaucoup d'Etats nouveaux copient les institutions politiques françaises ;
tel est le cas, notamment, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, et même de la Turquie.
b) Participation au pouvoir.
* Revoir : grandes étapes du régime électoral en Belgique.
1/ Elargissement du corps électoral (électeurs)
a/ Suppression des dernières réserves au suffrage universel au profit du S.U. dit pur et
simple.
Ex.: Grande-Bretagne, Italie, Belgique ; l'Allemagne étend le S.U. à l'élection
présidentielle (République de Weimar).
N.B. Partisans et adversaires du S.U. en Belgique avant 1893.
b/ Extension aux femmes (avec ou sans restrictions).
Ex.: Etats-Unis (1920), Allemagne, Grande-Bretagne (1928 ; victoire du mouvement des
suffragettes commencé dès le début du siècle), Belgique (15 avril 1920 ; mais seulement
pour les élections communales).
2/ Démocratisation du régime représentatif (élus)
a/ Représentation proportionnelle.*
Ex.: France (mais la Ve République y renoncera). La Belgique connaît ce mode de scrutin
depuis 1899.
b/ Apparentement*.
Ex.: Belgique (loi du 22-10-1919).
2. Au plan externe : la Société des Nations.
* Dates : 1919 (8-1) : proposée par Wilson (dernier des Quatorze points ) ;
1919 (28-4) : projet adopté par les Alliés ;
1919 (28-6) : son pacte constitutif inséré en tête du traité de Versailles (et, par la suite,
des autres traités) ;
1920 (10-1) : naissance officielle, avec l'entrée en vigueur du traité de Versailles.
La S.D.N. (siège à Genève) représente un événement pour la démocratie :
a) Primauté absolue du droit sur la force, grâce à ce forum de rencontre, de discussion, de
négociation, voire d'affrontement, et de délibération.
b) Parlement des peuples. Chaque représentant est l'élu de sa Nation ; nouvelle conséquence du
principe de souveraineté nationale, la paix ou la guerre ne devant plus relever de l'Etat comme
tel et moins encore du seul chef d'Etat, mais bien du Peuple.
c) Fonctionnement démocratique : représentants élus, discussions publiques, délibérations,
questions pendantes tranchées par un vote majoritaire.
P.M. Grande faiblesse de la S.D.N. : l'absence des Etats-Unis, déçus par les traités de paix (le
Sénat a refusé de ratifier le traité de Versailles ; échec de la politique de Wilson) et qui
reviennent à leur politique isolationniste.
3. Dans le domaine économique et social.
a) Progrès des législations nationales.
Ex.: la journée de travail de 8 heures (en France, 1919 ; en Belgique, loi du 14 juin 1921
instaurant la journée de 8 h et la semaine de 48 h).
b) Bureau International du Travail.
C. Economiques.
On soulignera ici la formidable montée en puissance des Etats-Unis au détriment des puissances
27 Le calife, successeur de Mahomet comme chef suprême des musulmans, avait connu, entre 1055 et 1774, le cumul de
ses fonctions avec celles de sultan (chef politique et militaire). A part l'éphémère califat du roi Hussein d'Arabie en
1924, personne ne revendiquera plus le titre de calife.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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européennes, qui pèseront de moins en moins lourd au niveau international (économie, armée,
diplomatie), surtout à partir de la seconde guerre mondiale.
Les Etats-Unis, déjà première puissance industrielle du monde avant la guerre, deviennent en outre la
première puissance commerciale et financière (encore débiteurs de l'Europe en 1913, ils seront le
premier créancier du monde à partir de 1921). Ils sont parvenus (1920) au stade de la production de
masse (société de consommation) après la guerre (1920) - dont ils ont relativement moins souffert que
l'Europe, et qui a stimulé l'industrie et les activités bancaires - suite à une concentration industrielle
très poussée (entre 1920 et 1929, plus de 8 000 entreprises disparaissent) et à l'application de
nouvelles méthodes pour accroître la productivité (taylorisme* et fordisme*). - Voir aussi les
Conséquences culturelles.
D . Sociales et culturelles.
1. Démographie.
2. Mentalité.
a) Au plan politique
Deux réactions contradictoires : soit un nationalisme exacerbé ou revanchard, soit le pacifisme
et l'internationalisme.
b) Au plan social
1/ Sentiment renforcé d'égalité et de solidarité, lié au brassage des populations favorisé par la
guerre (la mode et la radio auront également un impact important dans ce sens) ; à l'opposé,
sentiment de révolte à l'égard des parvenus qui ont tiré profit du conflit.
2/ Emancipation féminine relative (et timide au début).
Les femmes ont dû prendre davantage d'initiatives comme seules responsables en l'absence
des hommes, et aussi s'investir plus qu'auparavant dans le travail hors de chez elles.
c) Au plan idéologique : valeurs et repères.
La guerre a suscité une crise des valeurs intellectuelles. Elle a fortement ébranlé une série de
notions solidement ancrées jusque-là, comme celles de progrès, de travail, de grandeur et de
supériorité de la civilisation occidentale, et même d'héroïsme. Elle a remis en cause un ordre
social encore rigide et une mentalité intolérante. Elle a favorisé le sens du relatif et posé des
questions sur le sens e la vie.
La crise des valeurs va donner lieu à deux courants de pensée :
1/ Scepticisme et relativisme (en réaction, notamment, à la propagande et à la censure en usage
durant la guerre). On prônera le pluralisme des valeurs ou l'on donnera la priorité à
l'intuition sur des règles admises une fois pour toutes.
2/ Critique du matérialisme et de la mentalité mercantile. On stigmatise une humanité qui s'est
laissé éblouir par le mirage du progrès et qui s'est laissé asservir au progrès technique, au
domaine de l'avoir au détriment de l'être.
d) Vision de l’avenir.
Deux réactions contradictoires également face aux perspectives d'avenir :
1/ pessimisme fondé sur le sentiment d'absurdité de la vie humaine et alimenté par la nostalgie
(regret de la Belle Epoque) ;
2/ Volonté optimiste de ceux qui sont décidés à construire un monde entièrement nouveau.
3. Religion : modernisation du catholicisme dans sa relation au monde.
* Antécédents.
L'Eglise avait déjà, par le passé, été poussée à changer. Cela avait été le cas, en particulier, et de
façon décisive, avec la Révolution française - celle-ci relayant les mouvements antérieurs de l'humanisme, du
protestantisme, du rationalisme et des Lumières - qui lui avait fait payer le prix fort pour sa collusion avec le
pouvoir civil, la privant de ses biens matériels comme de ses fonctions politiques, la soumettant au régime
général et imposant le principe de la laïcité de l'Etat. Cependant, à terme, cette terrible épreuve devait s'avérer
salutaire : elle a amené une purification de l'institution, permettant à l'Eglise de se recentrer sur sa mission
première, qui est d'aider les hommes à mettre en pratique le message du Christ.
Une telle évolution s'était en outre trouvée renforcée par la suite, avec le mouvement libéral
européen de tendance anticléricale, puis la suppression des Etats de l'Eglise à la faveur de l'unification italienne,
et enfin avec, en France, les lois de séparation de l'Eglise et de l'Etat (1905).
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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Néanmoins, et à cause même des nombreux coups qui lui avaient été portés, l'Eglise-institution
s'était très souvent retrouvée sur la défensive, voire dans l'opposition ; elle avait tendance à faire corps avec les
milieux conservateurs, dans une attitude rigide, ritualiste et intolérante, tardant à prendre la défense des masses
exploitées (Rerum Novarum, 1891) et s'aliénant ainsi une bonne partie des classes populaires. Il en allait de
même à l'échelle mondiale, où l'action colonisatrice rangeait trop souvent l'Eglise du côté des puissants.
* Introduction.
Confrontée à un conflit horriblement meurtrier et absurde entre des Nations chrétiennes et à la
pointe du progrès matériel (les appels à la paix lancés par Benoît XV n'ont pas été entendus), puis au
bouleversement des valeurs, des mentalités et des moeurs (désarroi, perte des repères) qui a résulté de cette
épreuve, l'Eglise est amenée, une fois de plus, à se remettre en question et à réviser ses positions face au monde.
a) Critique du conformisme.
Attaques (y compris dans les rangs catholiques) contre la religiosité de trop nombreux
chrétiens, et parfois de l'Eglise-institution elle-même, enfermés dans des certitudes
indiscutables imposées par la hiérarchie (autorités), avec une attitude rigide, ritualiste, légaliste
et intolérante. Cette approche formaliste et caricaturale de la religion, souvent instrumentalisée
pour assurer le maintien de l'ordre établi au détriment des classes opprimées, faisait partie de
l'arsenal des convenances sociales imposées par les milieux dits bien-pensants ; elle avait
autrefois fait dire à Karl Marx que la religion est l'opium du peuple .
b) Essor du mouvement oecuménique (ou oecuménisme *), qui vise à refaire l'unité entre les
Eglises chrétiennes, à savoir les catholiques, les orthodoxes (séparés définitivement depuis
1054) et les protestants (séparés depuis 1520). On notera que ce mouvement s'est développé à
l'initiative de protestants ainsi que de quelques évêques catholiques, mais que, contrairement à
ce qui se pratiquera après le concile Vatican II (1962-1965), il n'était en aucune façon
encouragé par la haute hiérarchie. Pie XI s'en méfiait, tout comme son prédécesseur Benoît
XV. C'est que l'Eglise, à sa tête comme dans sa majorité, était absolument convaincue de
détenir la vérité ; dès lors, il revenait aux autres confessions chrétiennes de se rallier à elle !
b) Action de la papauté en particulier (Pie XI, 1922-1939) : ouverture au monde .
1/ ouverture et normalisation vis-à-vis :
a/ des groupes sociaux
Action auprès des laïcs, des ouvriers et des jeunes (associations, mouvements de
jeunesse).
b/ des Etats :
- acceptation de la séparation Eglise/Etat ;
- établissement de concordats (18 pays), notamment avec l'Italie (accords du Latran,
1929, qui créent l'Etat du Vatican et mettent fin à la Question romaine*)
La politique concordataire de Pie XI poursuit un triple but : faire reconnaître
juridiquement par les Etats l'Eglise comme souveraineté spirituelle et supranationale ;
normaliser les relations entre l'Eglise et l'Etat (c'est-à-dire donner à ces relations un
caractère à la fois régulier et réglementé) ; favoriser la pénétration de l'esprit chrétien
dans les législations nationales.
c/ des pays de mission.
Formation d'un clergé indigène (consécration des six premiers évêques chinois en
1926).
2/ promotion d’une éthique solidement ancrée dans la religion.
S'appuyant sur les valeurs fondamentales de la civilisation, l'Eglise veut mettre en avant les
droits de l'homme, mais dans le respect des droits de Dieu.
4. Activités culturelles : art et littérature.
* Introduction : la prépondérance des Etats-Unis.
Dans la vingtaine d'années qui séparent les deux guerres mondiales, les Etats-Unis, qui vont de
plus en plus donner le ton, basculent définitivement dans le XXe siècle suite aux bouleversements de l'économie
et de la société. En effet, ce pays est sorti de la guerre couvert de gloire et aussi beaucoup moins touché dans son
économie (celle-ci a même été en partie stimulée à la faveur du conflit). Cette période (1920-1929), appelée
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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dans l'histoire américaine The Roaring Twenties,28 et animée effectivement d'un dynamisme extraordinaire,
présente les caractéristiques suivantes :
- poussée d'urbanisation et développement des banlieues ;
- consommation de masse, résultant du travail à la chaîne et de la baisse des coûts ;
- début de l'aviation ; essor prodigieux de l'automobile et de la radio ;
- émancipation des femmes ;
- avènement de la société permissive, qui inaugure la régression de la mentalité puritaine (celleci s'effondrera après 1960) ;
- développement du jazz ;
- la langue anglaise, qui sera de plus en plus concurrencée ensuite par l'anglo-américain,
commence, à partir du traité de Versailles (1919), à supplanter le français au niveau des
relations internationales, et cela dans tous les domaines : non seulement la diplomatie, mais
aussi le commerce et les sciences (où l'allemand avait prédominé à la fin du XIXe et au début
du XXème siècle). Un indice parmi d'autres du recul relatif de l'Europe.
Dans un grand foisonnement culturel émergent quatre grands courants .
a) Vers le passé : nostalgie d'un monde disparu ; vision pessimiste quant à l'avenir, et qui se
raccroche à la tradition, prônant un retour à la simplicité et à la nature.
b) Vers le présent : parti pris de jouissance du temps présent (hédonisme) et individualisme
renforcé. Refus des productions industrielle, goût du confort, voire du luxe (ex.: Art déco).
c) Vers l'avenir : projet d'une société plus égalitaire.
Utilisation des ressources de la science et de la technique au service du bien-être pour tous :
recours à la standardisation, au préfabriqué ; transparence des bâtiments, sobriété géométrique,
cités-jardins.
d) Vers l'ailleurs, le tout autre : volonté de rupture ou d'évasion.
L'absurdité de la guerre et ses destructions ont exacerbé la volonté, déjà manifestée par le
mouvement des Impressionnistes, de tourner le dos à un art sclérosé qui n'en finissait pas de
ressasser les vieilles formules conventionnelles, dites classiques et identifiées au bon goût. Pour
changer l'homme et la société, il faut se lancer dans des domaines jusque-là inexplorés.
1/ Refus des formalismes et des certitudes du passé ; reconstruction arbitraire du réel.
Telle est la perspective de l'art abstrait qui, déjà apparu bien avant la guerre, va connaître
un important essor.
2/ Primat de l'imagination et de l'inconscient sur l'approche rationnelle.
Valorisation de l'arbitraire individuel et du plaisir, dans une démarche parfois provocatrice,
voire anarchiste, faisant fi des conventions et s'en remettant volontiers au hasard et à
l'inconscient pour s'exprimer en toute indépendance d'esprit.
Ce courant est illustré surtout par le surréalisme , qui juxtapose à plaisir des éléments
normalement incompatibles ; mais on trouvera aussi l'écriture automatique, le frottage (en
peinture), la présentation d'objets utilitaires comme susceptibles de toutes sortes
d'interprétations, etc.
3/ Quête de naturel, d'authenticité, de simplicité.
Tournant le dos à la vieille Europe qui a énormément déçu et commence à douter d'ellemême, beaucoup vont se précipiter à la découverte des mondes extérieurs. Ce mouvement se
traduira par une recrudescence de l'exotisme * (arts plastiques, musique, danse) et du
primitivisme *, prônant le retour aux origines, à l'authenticité des civilisations primitives ou
à la simplicité et à l'innocence de l'enfance - tous traits qui avaient déjà été promus, dès la
fin du XIXe siècle, par des peintres comme Paul Gauguin ou Henri Rousseau. Ex.: Picasso.
5. Les comportements.
La crise morale des années folles se manifeste par la décompression et le défoulement.
Par réaction aux épreuves et privations de la guerre ainsi qu'aux idéaux qui avaient été mis en avant
pour faire face à la situation (sens du devoir, oubli de soi jusqu'à l'héroïsme, sens du sacrifice), le nouvel idéal
28 Les Années rugissantes, par analogie avec les 40e rugissants, nom donné aux 40èmes parallèles nord et sud à cause des
tempêtes qui y sévissent.
E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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qui s'affirme est une recherche frénétique du bonheur, que l'on pense trouver dans le bien-être et la possession,
la jouissance du temps présent, avec le sentiment que la page est tournée , qu'il faut vivre avec son temps. Cela
passe par la consommation (qui sera bientôt de masse, comme aux Etats-Unis), mais aussi par la recherche du
plaisir, impliquant la valorisation du corps, de l'apparence, et donc de la santé et de la forme physique (une
valeur qui sera fortement promue par le fascisme…) - valorisation qui sera entretenue par la mode et bientôt par
les médias, et cela de manière croissante au long du siècle.
N.B. A l'époque, la tendance décrite ici n'a, bien entendu, pas encore pris le caractère quasi
obsessionnel que l'on constate actuellement, avec un matraquage systématique (périodiques, livres, affiches,
publicité, radio, télévision, spectacles, internet, etc.).
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* Pour résumer ce qui précède, on peut relever un certain nombre de valeurs ou de traits de mentalité qui ont été
malmenés par la guerre, pour leur opposer ce qu'il en est advenu par la suite :
conception d'un progrès continu et à l'infini de l'humanité, susceptible d'évacuer la religion du champ des
préoccupations ; valorisation des progrès scientifiques et techniques permis par une démarche strictement
rationnelle ; exaltation du travail, facteur de richesse et de progrès ; sens du devoir, à rechercher avant le plaisir ;
recherche du profit et valorisation de la richesse matérielle ; ordre social rigide (conventions, conformisme) ;
prépondérance masculine ; prépondérance de la bourgeoisie ; individualisme forcené ; certitude de détenir (soit
dans la foi, soit dans l'athéisme) la vérité, intolérance ; axiome de la grandeur et de la supériorité de la
civilisation occidentale et de ses valeurs ; patriotisme jusqu'à l'héroïsme ; nationalisme valorisant la puissance
(économie, armée, colonies).
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E. de CRAYENCOUR, La première guerre mondiale , Bruxelles, 2010.
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