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LA PREMIERE GUERRE MONDIALE (1914-1918)
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I. LES ORIGINES DU CONFLIT.
A. Les mouvements nationalistes
1. Le
virus
nationaliste depuis le milieu du XIXe siècle.
Contrecoup de la révolution française et résultat du mouvement libéral : une très forte sensibilité à
tout ce qui touche à la Nation se manifeste un peu partout.
N.B. Ceci explique :
- l'apparente facilité avec laquelle les Etats se lanceront dans la guerre ;
- l'échec du mouvement socialiste à imposer son pacifisme internationaliste (assassinat de
Jean Jaurès en 1914).
Le phénomène affecte particulièrement :
- des Nations qui se sont déjà affrontées (F/GB, F/D) ;
- des Nations qui sont, contre leur gré, soit dépendantes, soit séparées d'un Etat ;
- des Nations qui viennent de se constituer en Etat (Allemagne, Italie, Serbie).
* REVOIR : unification de l'Allemagne (pangermanisme*) et de l'Italie (avec les problèmes
pendants :
Question romaine
* ;
irrédentisme
*).
2. Les zones de crise
a) Nations mutilées.
1/ La France réclame l'Alsace-Lorraine ;
2/ L'Italie revendique les terres irrédentes (Trentin, Istrie…) ;
3/ La Serbie revendique la Bosnie-Herzégovine, annexée par l'Autriche-Hongrie (1908).
N.B. On retrouvera la Serbie parmi les
nations insatisfaites
.
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* NOTE SUR LA BOSNIE-HERZEGOVINE.
Province de l'Empire ottoman jusque 1878 tout comme la Serbie, la Bosnie-Herzégovine,
partiellement peuplée de Serbes, avait fait partie de la
Grande Serbie
au XIVe siècle.
- Etapes historiques :
- Empire romain : la Bosnie morceau de la province de Pannonie ;
- VIIe s.: peuplée par les Serbes et les Croates ;
- Passe sous suzeraineté hongroise ;
- Indépendante à partir de 1370, la Bosnie (capitale : Sarajewo) s'augmente d'une partie
de la Dalmatie et de la Serbie (Herzégovine) en 1376 ;
- Conquête turque et annexion (1462-1908) à l'Empire ottoman, dont elle constitue la
province (
eyalet
) la plus extrême du côté nord-ouest.
- 1875 : soulèvement, qui entraîne (Congrès de Berlin, 1878) sa mise sous
administration austro-hongroise tout en reconnaissant la suzeraineté du sultan ;
- 1908 : annexion par l'Autriche-Hongrie, qui parvient à éviter une guerre avec la
Russie et la Serbie, grâce à la médiation allemande (1909).
N.B. L'Herzégovine (capitale : Mostar) forme la partie méridionale de cette ancienne
province turque.
- Etapes historiques :
- 1376 : arrachée à la Serbie pour être intégrée au royaume de Bosnie ;
- 1440 : se rend indépendante avec la sécession menée par un noble serbe, Stepan
Kosaca qui, avec l'appui de l'empereur Frédéric III, est proclamé
herceg
1 ;
- 1462 : le duché est conquis par les Turcs en même temps que la Bosnie, dont il
partagera ultérieurement la destinée ;
1 Emprunt serbe (
c
se prononçant
ts
) à l'allemand
Herzog
(duc), d'où le nom donné au pays.
E. de CRAYENCOUR,
La première guerre mondiale
, Bruxelles, 2010.
2
- 1878 (Congrès de Berlin) : légère amputation dans le sud au profit du Monténégro2,
pour ne conserver que le district de Mostar.
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b) Nations soumises.
1/ Pologne : partagée (XVIIIe s.) entre Autriche (sud-ouest), Prusse (nord-ouest) et Russie (est).
2/ Slaves de l'Empire austro-hongrois (outre la minorité italienne).
Leur agitation, soutenue de l'extérieur, contribuera beaucoup à l'effondrement de l'Empire en
1918.
Ils sont séparés (par les Allemands et les Hongrois) en deux groupes géographiques :
- Slaves du Nord : Tchèques, Slovaques, Polonais, Ruthènes ;
- Slaves du Sud : Slovènes, Croates, Serbes et Roumains.
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NOTE SUR L'EMPIRE D'AUTRICHE-HONGRIE (appellation officielle de 1867 à 1918).
- Superficie : 625 337 km2 (plus vaste que la France : 536 408 km2).
- Population : 35 millions d'habitants vers 1908 (contre 38,5 pour la France), dont : 9
millions d'Allemands, 6,5 millions de Magyars et 5,5 millions de Tchèques ; les Slaves y
sont beaucoup plus nombreux que les Allemands et les Magyars. En dehors de quelques
grandes zones (Autriche ; centre, ouest et sud-ouest de la Hongrie), l'enchevêtrement des
ethnies, des langues et des religions est tel qu'il rend impossible un découpage
satisfaisant du territoire qui fasse droit aux aspirations légitimes de tous ces peuples.
- Politique. Pendant tout le long règne de l'empereur François-Joseph de Habsbourg (1848-
1916), l'Empire d'Autriche hésite entre centralisme et fédéralisme. Affaibli par ses pertes
dans le sud, en Italie (Lombardie 1859, Vénétie 1866) et à l'ouest (raclée de Sadova,
1866), les autorités seront amenées à adopter un fédéralisme tronqué, le dualisme, avec
l'Autriche-Hongrie, née du Compromis* de 1867 qui accorde une autonomie importante
(Diète, gouvernement) à la Hongrie et fait de l'Empire deux entités autonomes :
Cisleithanie ou Autriche (300 012 km2) et Transleithanie ou Hongrie (325 325 km2).
L'agitation nationaliste, souvent alimentée de l'extérieur (ex.: Serbes soutenus par la
Serbie, elle-même appuyée par la Russie), et une politique hésitante et souvent maladroite,
mettront l'Empire en danger. D'autre part, le Compromis de 1867 ravive les nationalismes,
car les autres nationalités - et en particulier celles qui sont opprimées par la Hongrie
devenue autonome3 - réclament à leur tour l'autonomie. En sens inverse, les mouvements
de révolte des populations slaves provoquent dans certaines couches de la population
allemande adeptes du pangermanisme des réactions de xénophobie.4
Néanmoins, la supériorité culturelle et technologique de l'élément allemand ainsi que la
langue allemande joueront en même temps un rôle fédérateur pour toutes ces nationalités,
notamment à Vienne.
NOTE SUR LA HONGRIE.
- 1526 (bataille de Mohacs) : conquête par les Turcs (Soliman le Magnifique) de presque
tout le pays, qui se trouve dès lors divisé en deux et dont la petite partie occidentale
(Presbourg) appartenait aux Habsbourg d'Autriche, appelée
Hongrie royale
après que
Ferdinand, frère de Charles Quint, ait été proclamé roi de Bohême et de Hongrie par la
Diète de Presbourg (1526).
- 1699 (paix de Karlowitz mettant fin à la guerre contre les Turcs, 1683-1699) : l'Empire
ottoman abandonne à l'Autriche toute la Hongrie propre et la Transylvanie, à l'exception
du Banat de Temesvar (celui-ci sera conquis par les Impériaux à l'occasion d'une nouvelle
2 Autre principauté étroitement liée à la Russie, et qui avait été au Moyen Age une province de la Grande Serbie.
3 Slovaques, Ruthènes, Roumains, Serbes, Croates et Dalmates ont subi, dès avant le Compromis de 1867, l'opression des
Magyars, majoritaires.
4 Certaines prises de position dans ce sens contribueront à inspirer Hitler.
E. de CRAYENCOUR,
La première guerre mondiale
, Bruxelles, 2010.
3
guerre, en 1718).
- 1848 : administration particulière, obtenue à la faveur de la révolution à Vienne. Dès les
années 1820, la Hongrie était travaillée par un mouvement nationaliste indépendantiste.
- 1867 (Compromis austro-hongrois). Dès 1849 la Hongrie s'était à nouveau révoltée et avait
proclamé son indépendance, en riposte à la volonté manifestée par François-Joseph de
faire d'elle une simple province autrichienne. Cette révolte avait été matée grâce à
l'intervention russe, réclamée par Vienne, mais la résistance passive des Hongrois (face à
la politique de germanisation menée par Vienne) et la défaite de l'Autriche à Sadowa
(1866) ont enfin amené Vienne à composer. Dès lors, la Hongrie forme une entité
autonome, les Magyars possédant leur Diète et leur gouvernement, tandis que les
Habsbourg conservent la souveraineté et que les matières d'intérêt commun (affaires
étrangères, guerre, finances) sont attribuées à un Ministère d'Empire.
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3/ les nationalistes irlandais sont insatisfaits par les mesures d'autonomie (
Home Rule
)
antérieures (1893, 1912), tandis que les riches protestants du nord (Ulster) se refusent à devenir
une minorité dans un Etat catholique. En 1914, la
Question irlandaise
met la Grande-Bretagne
au bord de la guerre civile. Les nationalistes irlandais chercheront même alors l'appui de
l'Allemagne, et la révolte nationaliste d'avril 1916 à Dublin (
Pâques sanglantes
) fera plusieurs
centaines de morts et de blessés, avec à la clé l'exécution de seize chefs du mouvement.
c) Nations insatisfaites : les peuples balkaniques .
*
Question d'Orient
*.
Le recul répété de l'Empire ottoman vers l'Asie amène l'avènement dans sa partie européenne
(
Roumélie
) d'Etats nouveaux ou agrandis. Mais ces Nations sont insatisfaites du découpage territorial, qui est
décidé par les grandes puissances impérialistes à l'issue de guerres, ou lors de congrès internationaux où se
règlent les conflits d'influence - découpage d'ailleurs quasiment impossible par suite de l'enchevêtrement
séculaire des ethnies, des langues et des religions dans cette zone sud-est de l'Europe.
Contrairement à l'Empire austro-hongrois, il n'existe pas dans l'Empire ottoman d'élément culturel
fédérateur : le pays est morcelé en communautés (ethniques, religieuses, linguistiques) parfois rivales, et qui
sont elles-mêmes divisées (y compris chez les musulmans : sunnites, chiites, etc.).
Le problème est encore compliqué par l'impérialisme de certaines d'entre elles, notamment la Serbie
et la Bulgarie, qui rêvent de reconstituer les grands ensembles formés par elles au Moyen Age (XIVe siècle), et
cela forcément au détriment de leurs voisines.
* Cas de la Serbie :
- 1331-1355 : apogée de la
Grande Serbie
médiévale.
- 1812 (traité de Bucarest) : autonomie (non respectée) accordée par le sultan sous la
pression de la Russie et de l'Autriche ;
- 1829/30 : autonomie effective (prince héréditaire local, assemblée nationale et force
armée), moyennant paient d'un tribut et garnisons turques ;
- 1867 : évacuation totale des troupes turques ;
- 1878 (Congrès de Berlin) : indépendance complète (de même que pour le Monténégro et
la Roumanie), et agrandissement au sud-est.
3. Un cas particulier : le mouvement sioniste *.
Forme de nationalisme juif supranational qui traverse la Diaspora et prône la création d'un Etat juif en
Palestine (
Sion
étant le nom biblique de Jérusalem), le sionisme résulte le plus souvent de la montée en
puissance des nationalismes dans les Etats où résident les Juifs. En effet, une dérive courante du nationalisme
est la xénophobie, et l'antisémitisme sévit un peu partout depuis la fin du XIXe siècle. Il s'alimente en outre par
la suspicion et la jalousie suscitées par quelques grosses fortunes juives (les Juifs ont pu profiter de leur
émancipation et de l'essor industriel et commercial), ainsi que par l'assimilation courante des Juifs au
mouvement libéral et anticlérical qui les a émancipés. Dans des pays troublés comme l'Empire russe, les Juifs
sont parfois violemment persécutés (pogroms*).
* Principales étapes :
E. de CRAYENCOUR,
La première guerre mondiale
, Bruxelles, 2010.
4
- 1844 : fondation à Londres de la
Société britannique et étrangère pour favoriser la
restauration de la Nation juive en Palestine
.
- 1861 : la colonisation de la Palestine (formant alors plusieurs provinces de l'Empire ottoman)
est préconisée par le rabbin Kalisher dans son livre
La Question de Sion
.
- 1880 : campagne des Juifs de Russie pour la reconstitution d'une patrie juive.
- 1882 : première colonie juive en Palestine ; le premier
kibboutz
(Degania) est créé en 1909. La
population juive de Palestine s'élèvera à 100 000 personnes en 1914.
- 1896 : manifeste sioniste de Théodore Herzl (Juif de Hongrie, 1860-1904) dans son livre
L'Etat juif
.
- 1897 : même revendication par le premier congrès du mouvement sioniste, à Bâle.
- 1905 : le Congrès sioniste repousse la proposition du gouvernement britannique (1903) de
créer un Etat autonome juif en Ouganda.
B. Les rivalités d’impérialismes.
1. Les grandes puissances
a) L’impérialisme britannique
Disposant à la fois de la première flotte au monde et du plus grand empire colonial de l'histoire,
la Grande-Bretagne est présente un peu partout et tient absolument à se réserver la route des Indes, par la voie
maritime comme par la voie terrestre. Elle est encore la plus grande puissance économique mondiale jusqu'en
1914 et entend bien conserver cette triple suprématie. D'autre part, elle s'est toujours opposée à l'avènement
d'une super-puissance en Europe. Rivale de la France en Afrique et dans l'Empire ottoman (capitulations*), elle
veut contenir la montée en puissance de l'Allemagne, qui modernise sa flotte et cherche des terres à coloniser,
sans compter qu'elle entretient de bonnes relations avec la Turquie. D'autre part, elle se heurte, dans deux
directions, à l'impérialisme russe : d'une part en Méditerranée (panslavisme dans les Balkans et volonté d'en
finir avec la Turquie d'Europe), et d'autre part en Asie (concurrence pour la Perse, l'Afghanistan et le Tibet, à la
faveur du déclin des vieux Empires turc, perse et chinois).
b) L’impérialisme russe
La Russie, grande puissance continentale handicapée par le fait que ses ports, septentrionaux, sont
paralysés par les glaces en hiver, a des visées dans deux directions :
- vers le sud, en Asie (Perse, Afghanistan, Tibet), où elle cherche, on l'a vu, à s'étendre en
profitant du déclin des vieux Empires. Ce faisant, l'impérialisme russe se heurte à celui de la Grande-Bretagne,
qui cherche à en faire autant à partir du sud (Inde et Birmanie).
- vers le sud-ouest (mer Noire, Détroits, Balkans), où les Russes cherchent à évincer
définitivement les Turcs d'Europe (y compris de Constantinople), et cela en soutenant activement, au nom du
christianisme orthodoxe et du panslavisme, les mouvements d'émancipation des nations balkaniques - dont la
Russie pense par là se faire des alliées inconditionnelles - afin de faire la loi en mer Noire et dans les Détroits,
pour avoir des débouchés en Méditerranée. Ce faisant, l'impérialisme russe heurte évidemment les intérêts de
l'Empire ottoman, mais aussi contrecarre l'impérialisme autrichien (tutelle des chrétiens catholiques de Balkans
et visées sur le port de Thessalonique5), ainsi que l'impérialisme britannique (intérêts commerciaux en mer
Noire et Méditerranée, route des Indes). - Dans cette région, la Russie entend se venger d'une double
humiliation :
1/ le coup d'arrêt mis à ses visées sur la mer Noire et les Détroits.
N.B. Au terme de la guerre de Crimée (1853-1856) - remportée par la France et la Grande-
Bretagne, qui s'étaient portées au secours de l'Empire ottoman contre les Russes -, le traité de Paris (1856) l'avait
obligée à renoncer au protectorat des principautés danubiennes ; il avait établi la liberté de navigation sur tout le
cours du Danube ainsi que la neutralisation de la mer Noire. Lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, on
avait connu un scénario un peu semblable : les armées du tsar s'étant approchées d'Istamboul, la Grande-
Bretagne avait envoyé des navires dans le Bosphore et sauvé ainsi la capitale, et donc l'Empire ottoman. Quant
au détroit des Dardanelles (entre les mers Egée et de Marmara ; long.: ± 50 km ; larg.: 2 à 6 m), il était interdit,
en temps de paix, à tout navire de guerre sans autorisation de la Turquie (traité de 1841, confirmé en 1856, 1871
5 Toujours à la Turquie jusqu'à la première guerre balkanique (1912), qui le donnera à la Grèce.
E. de CRAYENCOUR,
La première guerre mondiale
, Bruxelles, 2010.
5
et 1878). Internationalisée par le traité de Sèvres (1920), la zone sera ensuite restituée à la Turquie à condition
d'être démilitarisée (traité de Lausanne, 1923).
2/ l'annexion (1908) par l'Autriche de la Bosnie-Herzégovine, qu'elle avait dû accepter du bout
des lèvres.
c) L’impérialisme français
A l'instar de sa rivale la Grande-Bretagne, la France se présente comme une grande puissance qui
investit à l'étranger (particulièrement en Russie) et tient à défendre son empire colonial contre les appétits
allemands (crises marocaines de 1905 et 1911, dénouées grâce à des échanges). Elle est également concernée
par la Question d'Orient (capitulations, tutelle des catholiques de l'Empire ottoman) ; elle détient la Somalie
française et avait entretenu autrefois (1802-1840) de bonnes relations avec l'Egypte (devenue protectorat
britannique en 1882).
d) L’impérialisme italien
Etat jeune dont les principales revendications sont d'ordre nationaliste (irrédentisme), l'Italie
manifeste également des velléités de colonisation. Evincée de Tunisie par la France6, elle réussira à mettre la
main sur des territoires d'Afrique orientale (Somalie 1889, Erythrée 1890), et plus tard sur la Libye7 (1912), qui
séparera les empires français et britanniques. De plus, l'Italie voit dans les Balkans un des axes potentiels de
l'expansion à laquelle elle aspire (plus tard, Mussolini s'emparera de l'Albanie).
e) L’impérialisme autrichien
Grande puissance impériale aux Temps modernes, l'Autriche a reculé à l'ouest et au sud :
- par le congrès de Vienne : perte des Pays-Bas méridionaux (1815, et pratiquement depuis 1794) ;
- par l'action des nationalistes italiens : perte de la Lombardie (1859) et de la Vénétie (1866) ;
- par l'action de la Prusse : perte de tout pouvoir en Allemagne (Sadova, 1866).
Dès lors l'Autriche, d'ailleurs bientôt réconciliée avec l'Allemagne (1879, Duplice) et l'Italie (1882,
Triple Alliance), va reporter ses ambitions sur le sud-est de l'Europe (Balkans), en profitant du recul turc : il
s'agit à la fois de canaliser à son profit les nationalismes des Slaves du Sud (au détriment de la Turquie comme
de la Russie), et de se ménager un débouché maritime en Méditerranée avec le port de Thessalonique. Ces
visées autrichiennes se sont concrétisées doublement : d'une part par la mainmise, avec le soutien de
l'Allemagne, sur la Bosnie-Herzégovine (mise sous administration autrichienne dès 1878 par le congrès de
Berlin, puis annexée en 1908) ; d'autre part par la concession, obtenue du sultan Abdulhamid II en février 1908,
d'une voie de chemin de fer traversant le
sandjak
(district) de Novipazar pour rejoindre Thessalonique. Vienne
prétend en outre protéger les catholiques de l'Empire ottoman.
f) L’impérialisme allemand
Etat jeune à l'économie en pleine expansion, l'Allemagne dirige naturellement ses ambitions vers le
sud-est de l'Europe et l'Anatolie, dans les zones-tampons laissées entre les impérialismes russe et britannique.
Elle établit de bonnes relations avec l'Empire ottoman, où une compagnie allemande construit le chemin de fer
reliant le Bosphore à Bagadad et au golfe Persique8, et où un général allemand, Liman von Sanders, devient en
1914 inspecteur général de l'armée. L'émergence de l'impérialisme allemand dans cette zone va entraîner
l'alliance russo-britannique et jeter dans les bras de l'Allemagne l'Empire ottoman, qui a tout lieu de craindre, en
cas de victoire alliée, un démembrement de son territoire.
Arrivée en retard dans la course aux colonies, l'Allemagne entre en compétition, en Afrique, avec
la France (crises marocaines de 1905 et 1911) et la Grande-Bretagne (Afrique du Sud).
D'autre part, l'Allemagne modernise son armée et sa flotte (la
Kriegsmarine
,
fille chérie
du Kaiser),
ce qui augmente encore les inquiétudes de la Grande-Bretagne.
Enfin, l'impérialisme allemand apparaît d'autant plus dangereux qu'il se nourrit d'une idéologie
6 La Tunisie, menacée par la conquête française de l'Algérie (1830), avait été mise sous protectorat français en 1881. Dès
1878, dans le cadre du congrès de Berlin, des négociations secrètes avaient admis par avance la colonisation de la
Tunisie par la France (de même, d'ailleurs, que celle de l'Egypte par la Grande-Bretagne) ; ces visées françaises étaient,
en effet, encouragées par Bismarck, qui espérait que les aventures coloniales détourneraient la France de l'obsession de
l'Alsace-Lorraine.
7 La Libye (
Tripolitaine
) sera acquise au terme de la guerre italo-turque de 1911-1912, achevée par le traité d'Ouchy (15
octobre 1912).
8 Le
Bagdad-Bahn
, commencé en 1903 avec des capitaux en grande partie allemands, sera interrompu de 1918 à 1933
pour ne s'achever qu'en 1940.
E. de CRAYENCOUR,
La première guerre mondiale
, Bruxelles, 2010.
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