Éditorial La médecine régénérative est l’avenir de la transplantation Regenerative medicine is the future of transplantation Y. Calmus* L a médecine régénérative est sans doute l’avenir de la transplantation – et des transplanteurs. Il est un peu trop tôt pour changer le nom de notre revue en Courrier de la Transplantation et de la Médecine Régénérative. Mais il nous a semblé utile de faire le point sur les avancées récentes dans ce domaine lors du dernier Club de la transplantation, qui s’est tenu à Lille les 5 et 6 février 2015. D’abord, quelles cellules imagine-t-on utiliser ? * Hôpital de la PitiéSalpêtrière et université Pierre-et-Marie-Curie, Paris. 144 0144_CTR 144 Pour la production de masse de cellules destinées à la réparation d’organes ou de tissus lésés, à des bioréacteurs ou à des organes créés in vitro ou in vivo, les cellules souches pluripotentes induites (IPS) semblent actuellement les mieux adaptées. L’histoire de ces cellules est passionnante, car elle correspond, comme souvent dans les grandes avancées scientifiques, à la rupture d’un dogme, ici, celui de l’irréversibilité de la différenciation cellulaire. Jusqu’à une période très récente, les cellules souches embryonnaires (CSE) étaient les seules cellules souches pluripotentes (CSP) disponibles, et le dogme était que la différenciation cellulaire aboutissait in fine à des cellules adultes hautement différenciées, parfois encore capables de divisions multiples, mais incapables de revenir en arrière et de retrouver des caractéristiques de cellules souches. Pourtant, on savait que la plupart des cellules adultes conservaient un patrimoine génétique complet, et que la différenciation ne correspondait qu’à des phénomènes épigénétiques responsables de l’extinction progressive de l’expression de nombreux gènes. En 2006, S. Yamanaka et son équipe ont transformé une cellule différenciée en CSP en réactivant l’expression des gènes associés à la pluripotence (1). En utilisant des vecteurs viraux, ils ont introduit dans des fibroblastes de souris adultes 4 facteurs de transcription exprimés dans les CSE : Oct3/4, Sox2, KLF4 et c-Myc qui ont induit une dédifférenciation des cellules adultes vers l’état pluripotent caractéristique du stade embryonnaire. En 2007, ces chercheurs ont reproduit le phénomène dans des cellules humaines adultes. S. Yamanaka a obtenu en 2012 le prix Nobel de physiologie ou médecine 2012 (avec J. Gurdon, l’homme du transfert nucléaire et de la brebis Dolly). Les IPS ont, par rapport aux CSE, l’avantage de pouvoir être produites à partir de n’importe quel individu, et donc de permettre la production de cellules autologues en prélevant des fibroblastes chez un individu pour lequel on envisage une médecine régénérative. D’autres types cellulaires peuvent être utilisés, notamment des cultures de cellules épithéliales pour la régénération des épithéliums cornéen et cutané (lire l’article de O. Damour et al., p. 156). Dans le cas du myocarde, une autre question étonnante se pose. Initialement, l’objectif de la thérapie cellulaire cardiaque était de montrer que les cellules greffées s’intégraient dans le myocarde receveur et, en remplaçant les cardiomyocytes lésés, amélioraient la fonction contractile. La discordance entre le nombre faible ou nul des cellules greffées encore détectables après quelques semaines et le maintien d’un bénéfice fonctionnel a conduit à envisager un mécanisme paracrine (lire l’article de P. Menasché, p. 152). Dans cette hypothèse, les cellules injectées agiraient en sécrétant des facteurs activant des voies de réparation : stimulation de l’angiogenèse, diminution de la fibrose et peut-être augmentation de la masse de cardiomyocytes contractiles, par mobilisation de cellules souches endogènes, multiplication de cardiomyocytes natifs, voire induction dans les cellules épicardiques d’un programme de différenciation cardioangiogénique. Enfin, une application intéressante de la thérapie cellulaire est l’utilisation de cellules souches mésenchymateuses (MSC) dans un but immunomodulateur (lire l’article de C. Jorgensen, p. 170). Les MSC sont des cellules souches adultes dont les capacités fonctionnelles ont été utilisées pour la régénération de tissus musculosquelettiques et cartilagineux. Elles ont également des propriétés immunomodulatrices et de cicatrisation (augmentation de l’angiogenèse, inhibition de la fibrogenèse, inhibition de l’apoptose) par le biais de sécrétions paracrines. Ces propriétés peuvent être utilisées dans le traitement des maladies ostéoarticulaires inflammatoires ou dégénératives, et les premiers résultats cliniques sont encourageants. Mais il reste à préciser les meilleures indications et la sécurité de leur utilisation en pratique clinique. Le Courrier de la Transplantation - Vol. XV - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2015 18/11/2015 15:05:19 Comment passer des cellules aux tissus ou aux organes ? La première application est l’utilisation des cellules dans des bioréacteurs, par exemple, des cellules hépatiques pour le traitement de l’insuffisance hépatique aiguë. Une possibilité plus évoluée est la création in vitro d’organes par l’utilisation de l’impression tridimensionnelle (3D) ou par la recellularisation d’organes décellularisés (lire les articles de J. De Vos, p. 146, et d’A. Dubart-Kupperschmitt, p. 164). Enfin, une autre approche est la création in vivo d’organes ou de bourgeons d’organes dans des animaux réceptacles (lire l’article de T. Takebe, p. 167) ou par l’intermédiaire d’animaux chimères (lire l’article de J. De Vos, p. 146). Ces approches posent le problème de la vascularisation de l’organe : les cellules nécessitent en effet la présence d’un capillaire à proximité (< 50 µm) pour lui assurer oxygénation et nutrition. Cette contrainte impose que l’ingénierie tissulaire doit construire des tissus et des organes traversés d’un dense réseau de capillaires. Pour le foie, T. Takebe envisage la possibilité d’injecter des bourgeons multiples dans le mésentère. Il est également possible, au moins en théorie, de produire un organe humain dans un animal hôte. L’animal hôte serait génétiquement altéré afin de bloquer le développement de l’organe recherché, pour que seules les cellules humaines puissent contribuer à la croissance de cet organe. Nous sommes là presque dans la science-fiction. Des IPS humaines seraient injectées dans le blastocyste de l’animal génétiquement altéré, puis le blastocyste porteur des cellules humaines serait implanté dans l’utérus d’une femelle “porteuse”. L’animal qui naîtrait serait élevé jusqu’à la taille requise pour l’organe humain, puis sacrifié le jour où l’organe devrait être réimplanté (lire l’article de J. De Vos, p. 146). L’animal actuellement envisagé pour porter de tels organes est le porc, pour des raisons de taille, de physiologie et de connaissances issues des travaux sur la xénogreffe. Les premières tentatives expérimentales d’injection de CSP humaines dans le blastocyste de souris ont déjà été réalisées. Cependant, un certain nombre d’obstacles techniques (sans envisager ici les obstacles éthiques) doivent encore être levés avant de passer à la production d’organes humains dans le porc. Le premier obstacle est la barrière interespèce : les cellules humaines doivent “communiquer” avec les cellules porcines. Seule l’expérience permettra de savoir si la communication est suffisante pour tous les organes. Une autre difficulté est que les IPS humaines actuellement obtenues sont de moins bon “niveau” que les IPS de souris (elles sont “commutées” et non pas vraiment équivalentes des CSE), alors que la colonisation du blastocyste animal par des IPS nécessite des IPS “naïves” (lire l’article de J. De Vos, p. 146). Cela fait l’objet de recherches actives de la part de la communauté scientifique. Un troisième obstacle est d’ordre immunitaire : l’organe humain produit, en théorie autologue pour le futur receveur, pourrait encore comporter des cellules résiduelles de porc responsables d’un rejet. Une étape supplémentaire pourrait être nécessaire (invalidation de gènes porcins responsables d’épitopes immuns ou nécessaires au développement des vaisseaux et de l’hématopoïèse). Enfin, le dernier obstacle est la possibilité de transmettre à l’homme des agents infectieux, tels que les rétrovirus endogènes dont le risque potentiel est l’hybridation avec des rétrovirus humains, une question déjà posée au cours des recherches sur la xénotransplantation de cellules porcines. Au-delà des problèmes techniques, dont les barrières tombent plus rapidement que prévu, il reste les problèmes éthiques. Les cliniciens y sont plus préparés que les chercheurs, mais il faut s’attendre à de nombreuses questions de la part de la société civile et à des obstacles de la part des législateurs… ■ Référence bibliographique 1. Takahashi K, Yamanaka S. Induction of pluripotent stem cells from mouse embryonic and adult fibroblast cultures by defined factors. Cell 2006;126(4):663–76. Y. Calmus déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. 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