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sa rationalité, pour devenir de plus en plus homme.
C'est pourquoi le sens de l'homme, c'est-à-dire l'orientation qu'il doit donner à sa vie, n'est pas d'abord l'action pra-
tique mais la connaissance désintéressée.
Certes, l'action pratique n'est pas à négliger, mais en se souvenant qu'il faut savoir pour agir, c'est-à-dire que la con-
naissance vraie est la condition nécessaire d'une action bonne et efficace.
Vivre en conformité avec sa nature rationnelle, chercher à la développer par la connaissance vraie, cela produira en
l'homme la joie de connaître, le bonheur pleinement humain.
«Deviens ce que tu es» : telle est l'invitation de la nature à l'homme, que l'on étudie dans un deuxième temps. C'est-à-
dire : deviens de façon parfaite, grâce à tes efforts, l'être raisonnable que tu es par nature et en germe.
La connaissance vraie n'est nullement une apathie ou une passivité, elle est au contraire l'action suprême, c'est-à-dire
une plénitude d'être et de réalisation personnelle qui demande effort et travail.
Comme l'homme ne possède pas, au départ, dans sa raison les dispositions suffisantes pour la connaissance, il doit
les créer méthodiquement en lui-même comme des habitudes, car seule l'habitude est une seconde nature.
Cependant, s'il suit en cela sa fantaisie, il va se développer de façon anarchique et inefficace. C'est pourquoi il lui faut
canaliser ses énergies, en se disciplinant lui-même, car rien ne s'acquiert sans effort.
Dans un troisième temps, on se rend compte que la vie selon la raison est plus difficile qu'autrefois, car I'intelligence
est en péril de mort par le développement excessif de certaines activités au détriment d'autres plus importantes.
Nous subissons une invasion des âmes, en ce sens que notre raison est submergée par le flot des sensations qui
nous empêche de réfléchir normalement.
Il nous faut donc réagir en renonçant volontairement aux connaissances inutiles ou nuisibles et en nous intéressant à
ce qui nous concerne, afin d'aboutir à une désintoxication psychique qui nous arrache à la servitude intérieure.
Par ailleurs, nous tendons chaque jour davantage vers l'homme machine, un être humain réduit à la fonction exclusive
de producteur/consommateur. II s'est créé dans notre civilisation un déséquilibre entre le connaître et le faire, entre l'inté-
rieur et l'extérieur, qui met en péril l'homme lui-même.
Malgré ces obstacles, malgré les affirmations de ceux qui prétendent que rechercher la perfection de la nature raison-
nable est un idéal trop élevé, le destin de l'homme reste toujours de bien faire l'homme, parce que noblesse oblige.
QUATRIÈME JOUR - LA MÉTAPHYSIQUE NATURELLE DE L'ESPRIT HUMAIN
Puisque l'homme a pour vocation de rechercher la sagesse, il nous faut savoir comment s'est élaboré cet amour
de la sagesse qu'est la philosophie, sur les plans rationnel, historique et culturel, afin de mettre cette philosophie en rap-
port avec la nature intelligente de l'homme.
Dans un premier temps, on cherche le guide qui nous amènera à la lumière. C'est vers la Grèce antique qu'il convient
de se tourner et, plus précisément, vers le fondateur de la véritable philosophie. Car la recherche méthodique de la sa-
gesse n'est rien d'autre que le testament de Socrate.
Socrate fut le médecin des âmes de son temps corrompues par le relativisme intellectuel des sophistes et qui déses-
péraient d'atteindre à la vérité. Il a restauré la confiance dans la raison, mais dans une raison disciplinée, humble en face
des choses.
A son école, nous pouvons nous demander ce qu'est cet amour de la sagesse, en recherchant une définition précise
de la philosophie. Ainsi qu'il nous l'a montré, nous utilisons pour cela, tour à tour, l'étymologie, l'opinion courante et l'his-
toire éclairées par la réflexion intellectuelle.
Dans un deuxième temps, nous recueillons I'héritage rationnel de Socrate, c'est-à-dire la relation qu'il a établie entre
la philosophie et la raison humaine naturelle.
Le noyau primitif de la raison, qui comprend les évidences essentielles et fondatrices de la pensée humaine, s'appelle
le sens commun ou la raison première.
Cette raison première est pour le philosophe comme le bâton de l'aveugle, lui évitant de se perdre dans l'absurde,
bien que la philosophie dépasse de beaucoup le sens commun en amplitude et en précision.
Dans un troisième temps, nous recevons de Socrate son héritage historique, c'est-à-dire cette insertion nécessaire de
la philosophie dans la trame d'une histoire de la pensée humaine.
La fondation de la philosophie par les anciens Grecs a été, en même temps, l'élaboration de son cadre de pensée es-
sentiel. C'est pourquoi il est sans cesse indispensable au philosophe de se retourner vers la lumière d'Athènes.
Puisqu'il existe une seule vérité, la recherche de l'unique vraie philosophie nous amène à cette philosophia perennis
qui dépasse les divers systèmes et s'est réalisée par l'effort successif des générations.
Le discernement de cette unique philosophie se fera selon le critère principal que Socrate nous a légué : la véritable
philosophie est celle qui veut toujours raison garder.
Dans un quatrième temps, nous assumons notre héritage culturel, c'est-à-dire une relation essentielle de la réflexion
philosophique avec les acquis de la civilisation.
La pensée ne se réalisant pas sans les mots d'une culture donnée, il existe un problème du langage philosophique,
lorsque nous cherchons les mots pour dire l'être. Il s'agit de ne pas simplifier indûment la pensée tout en évitant de som-
brer dans le jargon.
Cette difficulté du langage et des concepts philosophiques rend l'accès à la sagesse malaisé pour l'honnête homme.
Mais, si notre œil est simple, nous pourrons néanmoins la goûter au-delà de l'obstacle des mots.
Pour être de véritables philosophes, nous devons ainsi nous attacher à cette métaphysique naturelle de l'esprit hu-
main qui est le patrimoine de l'humanité et que Socrate nous a montrée le premier. En recueillant cet héritage, nous se-
rons ces nains assis sur les épaules des géants, voyant plus loin qu'eux mais grâce à eux.
CINQUIÈME JOUR - SCIENCE SANS CONSCIENCE...
Dans le monde moderne, la philosophie n'est plus la fière sagesse suprême. Devant elle se dresse la science qui pré-
tend la supplanter ou la détruire. Il est donc nécessaire de «situer» la philosophie par rapport à la science et de montrer