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La Compagnie de Jésus
Pour la plus grande gloire... de qui ?
« On est Pape maintenant ! »
La Compagnie de Jésus
Pour la plus grande gloire... de qui ?
SOMMAIRE
Introduction ........................................................................................................5
Les débuts ............................................................................................................7
Le fondateur ..........................................................................................................7
Ordre crypto-judaïque ou ordre catholique ? ......................................................10
Structure et buts de la Compagnie ......................................................................15
Prélude à la conquête du monde .........................................................................17
Chronologie de la Compagnie de Jésus ..........................................................20
L’Europe et la lutte contre le protestantisme ......................................................20
L’Asie et la politique de l’inculturation .............................................................24
Les rapides excursions en Afrique .....................................................................30
L’Amérique, terre d’expérimentation pour la Compagnie .................................31
La suppression de la Compagnie ........................................................................34
Jésuites et Franc-maçonnerie ..............................................................................37
Après la restauration de la Compagnie ...............................................................39
Les jésuites et les réactions nationales au début du XXe siècle ..........................42
Les jésuites aujourd’hui ......................................................................................44
Conclusion .........................................................................................................48
3
4
INTRODUCTION
À la suite de la destruction de l’ordre des Templiers, en 1307, les ordres chevaleresques
perdirent leur rôle fondamental dans la société, et l’Église ne connut plus jamais la
puissance à laquelle elle s’était hissée du temps des Croisades. Le christianisme était au
terme de sa glorieuse apogée. Il allait être remplacé par une civilisation matérialiste qui
devint progressivement athée.
La Renaissance annonçait, en dehors de tout ce qu’elle engendra artistiquement, la
généralisation des valeurs humanistes au détriment des valeurs sacrales.
Les armes à feu signèrent l'obsolescence de la chevalerie, et donc de l’éthique dont elle
fut toujours la gardienne.
La découverte des « nouveaux mondes » allait réveiller les appétits impérialistes et poser
les bases du mouvement internationaliste.
La science et les techniques progressaient parallèlement au matérialisme.
L’imprimerie allait amener le temps de la « guerre intellectuelle » et le triomphe de la
raison sur la foi.
Entre le XIVe et le XVIe siècle, le monde occidental prit une nouvelle direction – tant
au niveau matériel que social, religieux et politique – qui allait lui être fatale.
Parmi les évènements funestes du christianisme, il faut noter l’apparition de la
Compagnie de Jésus, ou Société de Jésus, fossoyeur du christianisme qu’on allait
curieusement prendre pour un sauveur.
La Compagnie de Jésus allait constituer une élite internationale pour le monde chrétien,
et elle se rendit nécessaire pour contrer le danger de la Réforme, ce qui fut la clef de son
succès.
Mais cet ordre allait amener avec lui les prémisses du mondialisme, le développement
des sciences matérialistes, le culte de la raison et la conception d’une religion terrestre
et simplement humaniste – choses qui furent toujours étrangères au monde chrétien
traditionnel.
Toute la perversité de la Société de Jésus est de s’être rendue quasiment indispensable
pour « sauver l’Église », tout en amenant peu à peu une nouvelle forme de catholicisme :
un catholicisme non plus tourné vers Dieu, mais vers l’Homme et la matière.
La majorité des lecteurs ne comprendront pas ces affirmations qui semblent gratuites,
mais une brève histoire de la Compagnie de Jésus, chose à laquelle plus personne ne
s’intéresse, sinon les jésuites eux-mêmes ou leurs partisans, démontrera clairement à qui
nous avons affaire.
Nous nous adressons ici particulièrement au public dit « de Droite », averti à propos des
dangers du mondialisme et de la décadence morale qui ronge le monde moderne. Ce
5
public, bien informé sur de nombreux sujets, peut être victime d’un parti pris en faveur
de l’ordre jésuite, alors qu’en creusant un peu, il apparaît que cet ordre fut parmi les
promoteurs les plus acharnés de l’internationalisme et de la destruction des traditions.
6
LES DÉBUTS
LE FONDATEUR
Ignace de Loyola
Ignace Lopez de Loyola est né en 1491 dans une fratrie de treize enfants, en pays basque
espagnol, dans le château de Loyola. Son père, don Beltrán Yáñez de Oñaz y Loyola,
est issu de la petite noblesse basque. Sa mère, Marina Sáenz de Licona y Balda, serait
la fille d’un convers1.
À l'âge de sept ans, Ignace perd sa mère, puis plus tard son père à l'âge de quinze ans,
en 1506. Il devient alors page à la cour du roi Ferdinand d'Aragon. À l'âge adulte, devenu
gentilhomme, il travaille avec un parent de sa mère, le convers Juan Velázquez de
Cuéllar, trésorier général de la reine de Castille, Isabelle la Catholique.
Ignace a la réputation d’être très mondain, d’aimer les fêtes et les plaisirs, « les vanités
de la vie », comme en témoigne son autobiographie. En aucune manière, il n’aspire à se
vouer à une vie ascétique.
En 1517, il entre dans l’armée du duc de Lara, vice-roi de Navarre, alors rattachée au
royaume de Castille.
C’est le 20 mai 1521 que la vie d’Ignace va brutalement changer. Alors défenseur de la
ville de Pampelune, en Navarre, contre les armées françaises, et tandis qu'il exhorte ses
camarades à poursuivre le combat, sa jambe est brisée par un boulet de canon ennemi.
Il est opéré, mais les conséquences de la blessure l’empêchent de réintégrer l’armée.
Durant sa convalescence, il lit des ouvrages sur la vie de Jésus et des Saints. Selon lui,
c’est au cours d’une illumination qu’il décide de changer radicalement de vie pour suivre
la voie de la sainteté.
Il part donc en pèlerinage à Jérusalem entre 1523 et 1524.
De retour à Barcelone, il décide de se consacrer à l’étude, et il passe notamment par
l’université d’Alcala de Henares, qui rassemble les convers les plus éminents de
l’époque.
Ignace est à plusieurs reprises suspecté d’illuminisme et de pratiques judaïsantes2 et,
pour ces raisons, subit les foudres de l’Inquisition et de l’ordre des Dominicains. Il se
fait beaucoup d’ennemis, tous les catholiques ne reconnaissant pas en lui l'un des leurs.
Contraint de partir pour Paris en février 1528, il y poursuit ses études. Là aussi, il est
confronté à l’hostilité.
1
Juif converti au catholicisme.
Ignace de Loyola fit toujours l’apologie du peuple hébreu et déclara à plusieurs reprises, pour ne pas cacher le
bonheur qu’il aurait eu d'être juif : « J’aurais aimé être du même sang que Notre Seigneur ! »
2
7
Mais Ignace réussit à rassembler autour de lui six séminaristes déterminés, fascinés par
sa personnalité et prêts à le suivre en toutes choses.
C’est le 15 août 1534, à Montmartre, que les sept compagnons prononcent leurs vœux,
deviennent les « Amis dans le Seigneur » et fondent leur Compagnie qu’on appellera
« Compagnie de Jésus », un ordre de prêtres voués à l’évangélisation du monde. En
1538, la jeune Compagnie se met au travail à Rome, conformément au souhait du Pape
Paul III. Elle brave l’hostilité à maintes reprises : en 1538, accusation d’hérésie par
l’Inquisition, en Italie où l’on dit que les amis d’Ignace sont pourchassés depuis Paris et
Alcala ; vers la fin des années 1530, suspicion de l’ordre dominicain sur le catholicisme
jésuite ; en 1539, opposition à la ratification de la Compagnie ; dans les années 1540,
opposition virulente du cardinal Siliceo, opposition à la curie pour reconnaître la
Compagnie, etc.
Malgré cela, la Compagnie finit par être reconnue et fondée officiellement par Paul III,
en 1540, et Ignace est élu premier Supérieur Général de la Compagnie, en 1541.
Une ascension très rapide
La Compagnie devait connaître une ascension très rapide, en fournissant à Rome une
force pour la Contre-Réforme. La Société ne manquait pas d’audace : dès le départ, en
dépit de l’hostilité, elle se lance dans l’éducation du mieux qu’elle peut et envoie des
missionnaires aux quatre coins du globe avec un seul mot d’ordre : conquérir les âmes !
On peut dire qu’elle sera loin d’échouer dans ces entreprises. En 1544, bien qu’elle ne
compte pas cent membres, la Compagnie a déjà neuf grands établissements en Europe.
En 1554, l’ordre se compose déjà de 8 provinces : les Indes, avec 12 établissements
(dont 2 au Japon), le Brésil, avec 5 établissements, le Portugal, avec 5 établissements,
la Castille, avec 9 établissements, l’Espagne méridionale, avec 5 établissements,
l’Aragon, avec 4 établissements, l’Italie, avec 11 établissements sans compter Rome, la
Sicile, avec 3 établissements. En dehors de ces provinces, on dénombre d’autres
établissements en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, etc. La Compagnie ne possède
pas moins de 61 résidences et 63 maisons, sans compter les implantations dans certaines
colonies, comme le Congo. Les collèges jésuites prolifèrent aussi : en 1555, ils ne
comptent pas loin de 6 000 écoliers, chiffre énorme pour l’époque !
La Compagnie de Jésus va vite devenir le fer de lance de la catholicisation de l’Europe
comme du monde, mais à condition qu’il s’agisse de son catholicisme, c’est-à-dire de
son enseignement dont les fondements, comme nous allons le voir, sont absolument
antichrétiens et antireligieux. Chose à laquelle ne s’oppose pas Rome, Paul III étant
largement favorable à la Compagnie. Dès lors, le catholicisme fera du jésuitisme une
partie intégrante de ses dogmes et de sa théologie.
Ainsi, à partir du XVIe siècle, début de l’époque des grandes missions d’évangélisation
internationales, on ne peut plus parler de propagation du christianisme, mais bien de
propagation du jésuitisme.
On pouvait déjà reprocher au catholicisme son caractère universaliste, opposé à la
diversité des traditions et des identités, mais la Compagnie de Jésus portera cet aspect à
8
son paroxysme, tout en gommant peu à peu les hautes perspectives spirituelles de la
religion chrétienne.
9
LA COMPAGNIE DE JÉSUS : ORDRE CRYPTO-JUDAÏQUE OU
ORDRE CATHOLIQUE ?
Les marranes, convers d’Espagne
Le 31 mars 1492, les très catholiques souverains Ferdinand et Isabelle, donnent quatre
mois aux juifs d’Espagne pour quitter le territoire du royaume ou se convertir au
catholicisme. L’édit ne fut pas pris à la légère, en cette période où l’Inquisition espagnole
fut probablement la plus meurtrière.
Mais la persécution des juifs fut toujours fatale à l’Église, car elle forçait la conversion
d’éléments qui rentraient alors dans la communauté catholique tout en voulant s’en
venger, voire en la haïssant profondément.
Les convers agissaient d’autant mieux pour les intérêts de leur communauté d’origine
sous le masque du catholicisme. D’autres, plus sincères ou indulgents envers l’Église,
tentaient de marier la culture sémite à la culture catholique. 3
À la fin du XVe siècle, en Espagne, les conversions massives de juifs donnèrent lieu à
une nouvelle communauté : les marranes, ou conversos. Ces convers formaient presque
un peuple à part entière, reconnu par l’Église catholique.
Certains virent même dans les persécutions toujours plus accentuées contre les juifs non
convertis, une volonté de fusionner la communauté catholique et la communauté juive.
Le nouvel Ordre créé par Ignace de Loyola allait effectivement remplir ce rôle : il était
le seul, parmi les ordres principaux, à accepter et même encourager la présence de
convers dans ses rangs !
Ignace de Loyola, lui-même descendant de marranes, souhaitait qu’un maximum de
convers s’engage dans la Compagnie, ce qu’ils feront en masse ! Il créera même un
centre d’asile pour juifs convertis, à Rome, en 1543, et appuiera le Pape pour qu’il
facilite le passage légal entre judaïsme et christianisme.
La Compagnie de Jésus était la porte par laquelle les juifs entraient dans l’Église, et cette
fois-ci par le haut et non par le bas.
Les convers du départ, fondateurs de la Compagnie
Dès le début, Ignace s’entoura de convers qui sont à compter parmi les pères de la
Compagnie.
Le plus célèbre est évidemment Jacques Lainez, un des sept « Amis dans le Seigneur »
de 1534. Fidèle conseiller et second d’Ignace, il lui succédera, en 1558, à la tête de la
Compagnie devenant ainsi le deuxième Supérieur Général de l’ordre !
Pedro Ortiz fut aussi un des principaux convers de l’entourage d’Ignace : ce prêtre,
proche de Charles-Quint, fera tout pour faire connaître et approuver la Compagnie par
le Saint-Siège.
3
Dans l’histoire catholique, rares furent les convers qui se retournèrent contre leur religion d’origine en ayant
trouvé dans le catholicisme « la seule et unique vérité ».
10
Jean-Alphonse Polanco, quant à lui, fut le secrétaire d’Ignace ainsi que de son
successeur Lainez, et restera un des membres les plus influents du noyau central de
l’ordre.
Jérome Nadal, proche d’Ignace qui faisait partie des successeurs potentiels de celui-ci
et était commissaire en Espagne, posera certains fondements de la doctrine spirituelle
des jésuites.
Mais ces convers, parmi les premiers et les plus influents de l’ordre, ne furent pas les
seuls.
De la fondation de la Compagnie jusqu’en 1593, des juifs allaient rentrer en masse dans
celle-ci – à tel point que le roi Philippe II d’Espagne (1527-1598), grand allié des
jésuites, qualifiera la Compagnie de « Synagogue de juifs ».
Plus d’une bonne centaine de noms nous sont parvenus, sans compter ceux qui sont
aujourd’hui dans l’anonymat, ou encore ceux dont les origines ne sont pas certaines.
Étaient notamment d’origine juive des jésuites comme :
- Francisco Toledo (1534-1596), un des principaux professeurs de Rome, reconnu
comme le meilleur théologien de cette ville dans les années 1560. Il fut envoyé
dans des missions très difficiles en Allemagne, en France, en Pologne. Il fut le
premier jésuite à devenir cardinal, en 1593.
- Manuel da Sa (1528-1596), qui fut, avec Toledo, un des plus importants
professeurs du Collège romain (1556-1572). Il conseillera Ignace sur les
Constitutions de la Compagnie. Son manuel pour les confesseurs sera édité plus
de 80 fois, notamment en japonais, à Nagasaki.
- Jean-Baptiste Eliano, qui se fit baptiser juste avant de rentrer dans la Compagnie,
en 1551. Son père était un marchand juif de Bohème et sa mère était la fille du
grand rabbin ashkénaze de Nuremberg, Elie Levita Ashkenazi, qui était déjà en
son temps protégé par le cardinal Petrus Egidius. Eliano sera professeur d’hébreu
au Collège romain et sera envoyé en mission en Égypte et au Proche et MoyenOrient.
- Luis de Almeida, médecin et riche marchand qui partit pour les Indes en 1546. Il
entra dans la Compagnie, au Japon, en 1556. Il fit don d’une grosse partie de sa
fortune à la province du Japon et permit ainsi aux jésuites de s'investir dans le
commerce de la soie en Extrême-Orient, commerce qui allait devenir une de leur
source majeure de profit dans cette région. Luis de Almeida fut un des pionniers
de la mission japonaise et convertit plusieurs seigneurs du Japon.
- José de Acosta (1540-1600), qui rentrera avec ses quatre frères dans la
Compagnie ! Il fut écrivain, professeur, missionnaire, etc. Il fut un proche du roi
Philippe II d’Espagne et devint Provincial du Pérou.
- La famille convers de Duenas, qui aida financièrement la Compagnie et fournit
quatre frères qui entrèrent dans celle-ci en 1554.
- Juan de Mariana (1536-1624), considéré comme un des plus grands penseurs du
Siècle d’Or espagnol ! Outre des écrits sur l’Histoire ou sur la monnaie, il publia
aussi De rege et regis institutione (Du roi et de l'institution royale), dans lequel
il légitime le régicide. Il qualifiera d’ailleurs le meurtre du roi de France Henri
III d’« exploit miraculeux ».
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Cristobal Rodriguez (1521-1581), qui accompagna le convers Jean-Baptiste
Eliano en Égypte et chez les Vaudois d’Italie. Il deviendra provincial de Toscane,
puis de Rome.
Luis de Santander, qui entra en 1554 dans la Compagnie. Il fut surtout actif à
Ségovie et fut le confesseur de Sainte Thérèse d’Avila. Il travailla activement
dans toute l’Espagne, notamment avec les Morisques.
Francisco Suàrez (1548-1617), qui est considéré comme un des plus grands
théologiens du premier siècle de la Compagnie. On le dit « plus grand scolasticien
après Thomas d’Aquin ». Il inspira les réductions du Paraguay ou encore les
Méditations métaphysiques, de Descartes. Éminent professeur du Collège
romain, il verra même le Pape Grégoire XIII assister à certains de ses cours. Il
influença la philosophie comme la métaphysique de son époque, et il est aussi un
des pères du droit international !
Anrrique Anrriques, entré en 1545 dans la Compagnie, qui partira directement
pour les Indes avec les premières vagues de missionnaires. Il fut soutenu par Saint
François-Xavier, et était vénéré aussi bien par les Tamouls du sud de l’Inde qu’il
convertissait, que par ses compagnons jésuites. Il est considéré comme le premier
européen à écrire des livres en tamoul.
Antonio Possevino, qui entra en 1559 dans la Compagnie. Il fut missionnaire en
Italie, en France et en Pologne. Il fut ambassadeur auprès du roi de Suède et
auprès du tsar de Russie, et il fut secrétaire de la Compagnie (1573-1577). Il
écrivit près de 40 ouvrages.
(Et bien d’autres encore.)
Pour ne pas nous étendre indéfiniment sur les origines juives de la Compagnie de Jésus
et d’une grande partie de ses premiers membres, nous vous conseillons des ouvrages
assez récents comme Du même sang que Notre Seigneur, écrit par le père jésuite Marc
Rastoin, qui revendique la filiation judaïque pour son ordre, ou encore les travaux de
l’historien R.A. Maryks, The Jesuit Order as a Synagogue of Jews.
« La minorité des jésuites d’origine juive (…) façonna l’histoire de la première
Compagnie de Jésus. Ils occupèrent les plus hautes fonctions administratives,
définirent le développement institutionnel de la Compagnie et sa spiritualité,
modifièrent l’historiographie d’Ignace de Loyola en lui attribuant un caractère
décidément antiprotestant. Ils fournirent des missionnaires linguistiquement
doués, en Asie et dans les Amériques et furent les représentants les plus
autorisés de la Compagnie au Concile de Trente. Ils contribuèrent de façon
significative à la transformation de la Compagnie comme premier ordre
enseignant catholique et au choix de la culture gréco-latine comme centre du
curriculum des collèges jésuites (…). Ils développèrent une nouvelle discipline
en théologie morale et fournirent les cadres de la pénitencerie papale de la
basilique Saint-Pierre de Rome. Comme le dit le jésuite Garcia Giron de
Alarcon : "Par leur sainteté et leur science, ils rendirent la Compagnie
célèbre." » 4
4
R.A. Maryks, The Jesuit Order, p. XXIII, BRILL, 2010.
12
Dans un article sur le jésuite convers Jérôme Nadal, le même auteur conclut :
« On peut donc argumenter que la vie intellectuelle et religieuse des premiers
jésuites était dominée par les hommes d’origine judéo-converse. »
L’esprit judaïque dans l’Église
Bien qu’il y eut deux courants opposés sur ce sujet au sein de la Compagnie, l’un
défendant les convers et l’autre voulant les exclure, l’influence juive demeure
néanmoins incontestable. Ignace lui-même, l’esprit de la Compagnie de Jésus, était un
farouche défenseur du peuple sémite qu’il encourageait à entrer dans la Compagnie.
L’ordre gardera donc toujours les traces de cette influence.
La Compagnie de Jésus était d’ailleurs un ordre missionnaire avant tout autre chose et,
selon Ignace lui-même, les juifs étaient à compter parmi les meilleurs missionnaires qui
soient. En effet, qui a pu mieux que le peuple juif se propager sur toute la surface de la
Terre, à travers toutes les civilisations ?
Les jésuites, convers ou non, bénéficieront d’ailleurs à plusieurs reprises des réseaux
juifs internationaux. Le père Matteo Ricci, qui était « vieux chrétien »5, trouvera lors de
sa mission en Chine (1583-1610) une communauté juive coupée des autres pays depuis
plusieurs siècles. Cette communauté, stupéfaite de voir ce brillant homme se baser sur
une théologie très proche de la sienne, proposa au père de se mettre sous sa direction
pour l’aider dans sa mission !
Mais les liens avec la communauté juive étaient bien trop visibles pour un Ordre qui se
disait catholique. Ainsi, à partir du quatrième Supérieur Général, Everard Mercurian, on
commence à vouloir minimiser l’influence sémitique qui condamne l’ordre auprès de
certains membres du clergé catholique. C’est sous le cinquième Supérieur Général,
Claudio Acquaviva, que sera votée, en 1593, une interdiction pour les personnes de
lignage convers d’entrer dans la Compagnie. La mesure d’exclusion spécifie d’ailleurs
que le nombre trop important de convers « (…) entraîne un préjudice pour le nom même
de la Compagnie ».
S’agissait-il d’une réaction pour se débarrasser d’une influence que le christianisme
jugeait incompatible, voire nocive ? Non, vraisemblablement il s’agissait plutôt d’une
tentative de dissimuler ou d’atténuer ce qui, étant si visible voire caricatural, aurait pu
compromettre l’image de l’ordre.
Très rapidement, en 1608, la décision sera d’ailleurs déjà mitigée et les enquêtes doivent
prouver le lignage d’un postulant qu’on dit convers, avant de le refuser.
D’autres convers entreront donc encore dans la Compagnie, mais de manière moins
visible et moins encouragée qu’au départ.
Par exemple, Alexandre de Rhodes qui entre dans la Compagnie en 1612. Ce jésuite issu
d’une famille juive deviendra un des plus importants missionnaires d’Extrême-Orient.
Au Vietnam, il travailla à développer l’écriture afin de diffuser les idées de son ordre et,
encore aujourd’hui, il est considéré comme le père de l’écriture vietnamienne !
Le jésuite Antonio Vieira (1608-1697) fut connu, outre ses missions au Brésil, pour être
un grand défenseur de la cause du peuple juif. Il rencontrera le rabbin Menasseh ben
5
C'est-à-dire d’origine non-juive.
13
Israel, en Hollande, en 1649. Le projet de ce rabbin était de rouvrir l’Angleterre aux
juifs, ce qui était la condition fondamentale de leur succès international et commercial.
Avec l’aide des jésuites et de leur allié momentané Oliver Cromwell, qui prit le pouvoir
en Angleterre et fit tuer son roi, les juifs purent à nouveau entrer dans ce pays à partir
de 1655.
Le jésuite Antonio Vieira reçut d’ailleurs un personnel d’exemption du Pape, privilège
qui le rendait intouchable comme un cardinal et interdisait l’Inquisition de s’en prendre
à lui.
D’une manière générale, le judaïsme ne sera jamais très loin de l’ordre. Même des juifs
hostiles au catholicisme s’allieront à la Compagnie.
Par exemple, en 1842, après un voyage à Rome, le jeune juif alsacien Alphonse Tosbie
Ratisbonne, au préalable ennemi déclaré du catholicisme, décide subitement de se
convertir à cette religion et entre dans la Compagnie la même année !
Ce n’est pourtant qu’en 1923 qu’on rendra, officiellement, les conditions d’acceptation
de convers encore un peu plus souples, et qu’en 1946 que le décret de 1593 sera
définitivement aboli.
Mais il est très clair que les lignes de départ et les fondements de l’ordre furent, plus que
tout, influencés par l’esprit judaïque.
On peut dire que, à ses débuts, la Compagnie de Jésus fut presqu’intégralement une
entreprise de convers.
14
STRUCTURE ET BUTS DE LA COMPAGNIE
Un ordre de soldats
Avant de passer en revue la chronologie de la Compagnie de Jésus, il faut se pencher
sur son organisation interne.
La Compagnie de Jésus est un ordre de prêtres dont la structure est davantage basée sur
un modèle militaire que sur un modèle religieux.
Extrêmement hiérarchisée, elle perdure grâce à l’obéissance absolue et à l’abnégation
de ses membres qu’on compare parfois à des soldats. Le renoncement à la personnalité
est au cœur du fonctionnement jésuite, et chaque prêtre jésuite, formaté par de longues
années d’apprentissage intense et de discipline, est à prendre comme une cellule de
l’ordre et non comme un individu en tant que tel.
L’ordre, ayant avant tout un caractère missionnaire et éducatif, s’est donné pour céleste
mission la conquête des âmes, de toutes les âmes, afin de les amener vers son Dieu
unique, jaloux et ennemi de toute forme de diversité.
Le « Dieu » des jésuites, mélange de Jéhovah et du Dieu romain, ne conçoit qu’une
nation mondiale unie autour d’une religion unique, comme stade final de l’évolution.
Les jésuites sont persuadés que leur travail de conquête internationale et
d’uniformisation des mœurs, des cultures et des idées, tantôt profitable au Saint-Siège,
tantôt totalement nuisible à celui-ci, répond au souhait le plus cher de Dieu.
L’engagement militaire dont ils font preuve provient de cette intime conviction d’être le
fer de lance de la cause divine !
Un jésuite qui sortit de la Compagnie écrivit par la suite à propos de ses anciens
confrères :
« La seule religion qu’ils aient, est cette folle et singulière ambition de faire du
monde entier un empire unique, soumis aux lois de leur Général (…)
Je sais que dans ce système il y a quelque chose de si absurde et de si risible,
qu’on est tenté de le prendre pour une fable. » 6
Hiérarchie et organisation
La Compagnie de Jésus se préoccupe beaucoup de la formation intellectuelle et
idéologique de ses membres, afin que ceux-ci deviennent des combattants
imperturbablement convaincus et s’abandonnant comme des « cadavres dans les mains
de l’ordre » pour reprendre les propres termes jésuites.
Le néophyte doit d’abord effectuer deux ans de noviciat durant lesquels il est presque
coupé du monde et éprouvé sur sa détermination à donner sa vie à l’ordre. Après ces
deux ans, il peut rentrer dans la Société et effectuer sa « troisième année » … qui dure
entre dix et quinze ans ! C’est la période du scolasticat, de l’étude, durant laquelle le
jésuite est formé à devenir une « machine de guerre » intellectuelle dans tous les
domaines, ou alors dans un domaine spécialisé afin d’y devenir le meilleur.
6
Abbé Martial Marcet de la Roche-Arnaud, Mémoires d’un jeune jésuite, Librairie Romantique, 1828, p.269
15
Après le noviciat de deux ans, ou encore pendant le scolasticat, le novice peut devenir
« coadjuteur temporel » et, généralement, il le restera toute sa vie. Les coadjuteurs
temporels s’occupent des tâches administratives, fonctionnelles, matérielles. Ils ne sont
pas ordonnés prêtres.
C’est à la fin du scolasticat que le jésuite peut être ordonné prêtre et prononcer les trois
vœux (pauvreté, chasteté et obéissance) en public : il est alors « coadjuteur spirituel ».
S’il a fait de bonnes études, au bout de sept ans de prêtrise, il peut passer « profès des
trois vœux ». Les meilleurs des profès des trois vœux pourront quant à eux passer le
quatrième vœu (qu’on appelle « obéissance absolue au Saint-Siège »). Ce vœu de « mort
à soi-même » signifie que, sans plus aucune volonté personnelle, on peut désormais faire
tout (et son contraire) pour l’ordre. Ceux qui prêtent le quatrième vœu sont appelés
« profès du quatrième vœu », on estime qu’ils représentent environ 2 % de la
Compagnie. Il s’agit là du noyau dur de l’ordre, qui dispose du reste de la Compagnie,
c’est-à-dire d’une armée de théologiens, de scientifiques, de philosophes, de techniciens,
d’orateurs, de confesseurs, de diplomates, de conseillers politiques, d’écrivains, de
linguistes et traducteurs, de missionnaires, de professeurs, d’historiens, etc., pour faire
avancer sa cause.
Le système de confession est extrêmement rigoureux au sein de la Compagnie et permet
un contrôle total sur le psychisme de ces « soldats de Dieu ». L’ordre marche alors
comme un seul homme, dirigé par le Supérieur Général aussi appelé le Pape noir.
L’Église n’a pas de droit de regard sur le système de confession de la Compagnie, ni sur
ses réunions ou sa politique interne. Les jésuites constituent, de fait, un clergé
indépendant.
À vrai dire, la Compagnie de Jésus est la puissance de conquête mondiale la plus efficace
qu’on ait vu depuis les débuts de l’Histoire connue.
16
PRÉLUDE À LA CONQUÊTE DU MONDE
L’ordre prend son indépendance
Bien que, dans les années 1530, le Pape Paul III vit dans la Compagnie naissante une
arme efficace pour le catholicisme romain, on peut deviner qu’il y avait chez lui une
certaine méfiance vis-à-vis de cet ordre lorsqu’en le rendant officiel, il lui interdit
néanmoins dans sa Bulle de compter plus de 60 membres (1540).
Ce qui ne fut pas forcément une entrave pour Ignace : les soixante « sélectionnés » le
furent avec soin, et ils furent chacun aussi actifs, ambitieux et efficaces qu’un
Alexandre, qu’un Jules César ou qu’un Charlemagne.
Au début des années 1540, la Compagnie de Jésus était déjà tellement sur le devant de
la scène européenne qu’on croyait communément qu’elle comptait plusieurs centaines
de membres, alors qu’elle n’en comptait que soixante ! La Compagnie était présente
dans la lutte contre le protestantisme, dans les missions en Asie, dans les débats
intellectuels et philosophiques, dans les changements du système éducatif, dans le
lancement d’établissements de charité, etc.
Et lorsque, déjà en 1543, la Bulle papale n’ordonnait plus la limitation à 60 membres,
Ignace avait constitué un noyau sûr, prêt à accueillir tous ceux qui se présentaient pour
rentrer dans la Société cette fois en nombre illimité. En 1555, la Compagnie compte déjà
mille membres – qu’il ne faut pas voir comme de simples soldats, mais comme des
hommes si bien formés qu’ils sont chacun capables de renverser la situation politique,
intellectuelle ou religieuse d’un pays.
La Compagnie put donc passer rapidement à sa deuxième phase : après avoir prouvé son
utilité, voire son indispensabilité, elle cessa peu à peu d’être une arme docile aux mains
de l’Église. Progressivement, elle fit alors de l’Église sa propre arme de conquête : celle
avec laquelle elle attaquerait les autres cultures et religions à travers le monde.
C’est sous le pontificat de Jules III (1550-1555), pape très favorable aux jésuites, que la
Compagnie va prendre ce tournant : l’ordre est placé dans une position éminente, il est
soustrait de la juridiction des autorités ecclésiastiques locales, a l’accord d’avoir ses
propres lois et est autorisé à ne reconnaître qu’une autorité suprême : celle de son
Général.
Ces dispositions annonçaient la destruction de l’Église, de l’intérieur.
La science et la raison contre la foi
La Compagnie va peu à peu écraser les autres ordres catholiques en devenant la plus
persévérante dans les missions, la plus habile en théologie et la plus écoutée aussi bien
par les universitaires que par les princes. Elle formera aussi bien des théologiens que
des scientifiques, des éducateurs que des conseillers politiques, ou encore des
explorateurs aventuriers pouvant être envoyés dans n’importe quelle région du monde.
Dans tous les domaines, elle se doit de fournir les meilleurs.
17
La Compagnie méprise tout particulièrement les ordres monastiques qui, d’après elle,
ne sont d’aucune utilité en termes de conquête et véhiculent encore un
« christianisme primitif ».
La Compagnie veut moderniser la religion, et ainsi les plus grands jésuites sont aussi
spécialistes dans une science : mathématiques, astronomie, biologie, physique, etc.
Souvent, les missionnaires se doivent de maîtriser au moins une de ces sciences, comme
les nombreux astronomes que la Compagnie enverra en Asie, afin de modifier les
calendriers, de se rendre indispensables dans les écoles ou auprès des souverains, ou
encore de surpasser les scientifiques autochtones et de leur imposer leur vision et leurs
théories.
Certains jésuites seront parmi les plus grands scientifiques de ces derniers siècles,
comme l’astronome mathématicien Christophe Clavius (1538-1612), le mathématicien
Gilles-François de Gottignies (1630-1689), le physicien, architecte, opticien et
mathématicien François d'Aguilon (1567-1617), le physicien, astronome et
mathématicien Roger Joseph Boscovich (1711-1787), le botaniste Ethelbert Blatter
(1877-1934), l’astrophysicien et pionnier de la spectroscopie Angelo Secchi (18181878), le paléontologue, anthropologue et chercheur Pierre Teilhard de Chardin (18811955), le géophysicien et historien en sciences Pierre-Noël Mayaud (1923-2006), etc.
La Compagnie de Jésus va, en fait, amener une nouvelle conception étrangère au
catholicisme : Dieu est celui de la raison, et le progrès technique et intellectuel est son
œuvre. Les missionnaires doivent d’ailleurs convaincre les peuples non pas par la foi,
mais par la raison.
Au sein de la Compagnie va donc proliférer ce qu’on appelle « le matérialisme spirituel »
qui sacralise ce qu’il y a de plus matériel et de plus humain. La religion se résume à la
vie terrestre et à une philosophie intellectualiste, sans aucune transcendance. Le salut de
l’âme proposé par les jésuites est en fait sa perdition dans la contingence de
l’incarnation. Plus aucune référence sacrée et authentique ne va persister dans leurs
enseignements.
« L’énoncé le plus exact est que toutes les choses inanimées et irrationnelles peuvent
être légitimement vénérées »7, affirme le père jésuite Gabriel Vasquez, énonçant là ce
qui sera à compter parmi les fondements de l’athéisme, du nihilisme ou encore de la
pseudo-spiritualité du Nouvel Âge.
Les jésuites ont introduit dans le catholicisme l’idolâtrie de la matière, véhiculée entre
autre par la sacralisation du progrès scientifique.
Et lorsqu’ils affirmeront combattre l’idolâtrie, ils combattront en fait, comme en Asie,
des systèmes religieux et philosophiques plurimillénaires qu’ils ne peuvent absolument
pas comprendre, tout d’abord parce que ceux-ci sont adaptés aux Orientaux, et ensuite
parce qu’ils sont à l’opposé des conceptions matérialistes de la Société de Jésus.
Mais la Compagnie s’aventura bien au-delà du simple matérialisme. Les pères
Busembaum et Lacroix, dans Theologia Moralis, écrivent que « la chiromancie peut être
considérée comme légale. » Le père Antonio Escobar écrit quant à lui :
« Il est légal d’avoir recours à la science acquise avec l’assistance du Diable, à
condition que la détention et l’utilisation de ce savoir ne dépendent pas du
7
De Cultu « Adorationis, Libri Tres » Lib. III, Disp. I, c. 2.
18
Diable, car le savoir est bon et le péché par lequel il a été acquis est
consommé. »8
Le catholicisme : une arme pour les jésuites
En modernisant le catholicisme, la Compagnie s’en servira pour abattre ce qu’il reste
des sociétés traditionnelles à travers le monde : que ce soit par la force, accompagnée
d’armées européennes comme ce fut parfois le cas en Amérique ou, plus
subversivement, par les idées, la propagande et l’enseignement comme ce fut plutôt le
cas en Asie.
La Société de Jésus va s’imposer comme une nouvelle église, et bien qu’elle commença
en Europe par prendre le masque du catholicisme afin de le récupérer, elle fera de même
dans le monde avec le confucianisme, le bouddhisme, les idolâtries des Indiens
d’Amérique du Sud, le brahmanisme, le chamanisme – bref, avec toutes les croyances
traditionnelles qui n’avaient pas encore été éteintes par le monothéisme. Rapidement,
les jésuites poseront les bases d’une « nouvelle religion mondiale », en promouvant une
théologie qui vise à mettre en relief les points de ressemblance entre les différentes
cultures et croyances.
Le catholicisme ne devint plus qu’un instrument parmi d’autres pour la Compagnie de
Jésus qui, fondamentalement, méprisait cette religion.
« La Compagnie surpasse l’Église, tant parce qu’elle est le monument qui a
révélé à la Terre les merveilles du Christ, que par les prérogatives singulières
qu’elle octroie et décerne à ses fils. (…) Saint Ignace dépasse et surpasse tous
les fondateurs d’ordres religieux. C’est lui qui s’est le plus rapproché du Christ.
Il a vu intuitivement la Divine Essence. En fondant la Compagnie, il fonda pour
la seconde fois l’Église. »9
Les jésuites ne modèrent pas leur arrogance. Ignace disait déjà en son temps : « De cette
chambre, je gouverne le monde entier ». Et, en quelques décennies, la Compagnie de
Jésus devint le pouvoir international le plus important qui soit.
8
9
Theologiae Moralis, Tom. IV, Lugduni, 1663
Imago primi saeculi Societatis Jésus, publié en 1640 pour le centenaire de la Compagnie.
19
CHRONOLOGIE DE LA COMPAGNIE
DE JÉSUS
L’EUROPE ET LA LUTTE CONTRE LE PROTESTANTISME
Les jésuites et la monarchie française
Dès la montée d’Henri III sur le trône de France (1575), celui-ci essaye de tempérer les
guerres civiles religieuses, les Protestants étant menés par Henri de Navarre et les
Catholiques par Henri de Guise. La Ligue de Guise est appuyée par les jésuites,
notamment via la royauté espagnole qui cherchent à prendre le pouvoir via Henri de
Guise. Celui-ci, projetant un coup d’état, sera tué sur ordre d’Henri III (1588) qui a
pourtant toujours tenté de concilier Catholiques et Protestants. La réponse ne se fait pas
attendre, et le moine Jacques Clément, appuyé entre autre par les jésuites, assassine
Henri III, le 1er août 1589. Le jésuite Mariana écrira que le crime de Clément est « un
exploit insigne et merveilleux ».
C’est Henri de Navarre qui accède alors au trône sous le nom d’Henri IV. Il abjure le
protestantisme et se convertit au catholicisme en 1593, conscient que la couronne de
France est la fille de l’Église. Cela n’empêchera pas les jésuites d’essayer de le faire tuer
par Pierre Barrière l’année même de sa conversion, et une nouvelle fois, l’année suivante
par Jean Châtel.
En 1594, le Parlement de Paris expulse alors les jésuites de France, qui, en plus d’user
du régicide, excitent les guerres de religion à leur profit, alors que les rois de France ne
cessent d’essayer de les calmer. L’année suivante, Henri IV entre en guerre avec
l’instrument principal des jésuites sur la scène européenne : Philippe II de Habsbourg 10,
roi d’Espagne (qui a aussi pris la couronne portugaise sur l’impulsion des jésuites), duc
de Milan, roi de Sicile, prince des Pays-Bas et archiduc d’Autriche. Les jésuites feront
d’ailleurs assassiner par Balthazar Gérard 11 le prince Guillaume d’Orange-Nassau, « le
fondateur de la civilisation néerlandaise », qui avait pris la tête de la révolte
d’indépendance des Pays-Bas contre le roi Philippe II.
Le roi de France Henri IV est, sur tous les plans, ennemi des jésuites. « Je suis roi
catholique, catholique romain, non catholique jésuite. Je connais les Catholiques
jésuites ; je ne suis pas de l’humeur de ces gens-là ni de leurs semblables, qui sont des
10
Roi qui terrorisera l’Espagne avec l’Inquisition, fera pourchasser son ancien conseiller Antonio Perez évincé
par les jésuites, fera tuer son fils par l’Inquisition et sera, avec les jésuites, à l’origine du meurtre de plusieurs
centaines de prêtres et moines portugais hostiles à la Compagnie.
11
Balthazar Gérard déclarera avoir consulté quatre jésuites avant d’assassiner le prince, mais ne voulut pas
donner leur nom.
20
faiseurs de tueurs de rois. », déclare le roi devant le Parlement le 16 février 1599. Mais
curieusement, les jésuites sont autorisés à revenir en France en 1603, notamment grâce
à l’influence du père jésuite Pierre Coton, qui va devenir confesseur et conseiller du roi
Henri IV lui-même ! Les jésuites savent se racheter comme il se doit et changer d’image
à leur guise. Henri IV, revenant sur ses positions, confiera même au père Coton
l’éducation de son fils, le Dauphin Louis XIII.
Coton essayera de réconcilier la France et l’Espagne.
Les jésuites profitent d’être rentrés en France pour fonder des instituts, se relancer dans
l’éducation, l’information, etc. Le Parlement de Paris leur est cependant toujours hostile.
C’est le 14 mai 1610 qu’Henri IV est assassiné par Ravaillac, élève des jésuites qui
voulut entrer dans la Compagnie mais qui ne fut jamais officiellement accepté, ce qui
aurait été trop compromettant pour eux.
Les accusations fusent de part et d’autre contre les jésuites mais cela ne fait rien : la
couronne est reprise par Louis XIII, quant à lui totalement sous la coupe des jésuites,
dans la cour duquel restera d’ailleurs le confesseur Pierre Coton.
Dès lors, les jésuites deviennent les apologistes de la monarchie absolue en France !
Tant que les rois sont sous leur contrôle.
Louis XIV sera probablement le roi de France le plus "enjésuité", avec des conseillers
et confesseurs comme le célèbre père La Chaise ou le père Le Tellier. Le père jésuite
Mainbourg défendra même publiquement le roi Louis XIV contre le Pape, auquel
un jésuite est pourtant censé vouer une obéissance absolue. La Compagnie prolifère
plus que jamais en France sous le règne de Louis XIV, et fait par conséquent de celleci une nation riche et puissante, un modèle pour le monde entier. La mise en scène
du « Roi Soleil » est d’ailleurs copiée du culte de l’Empereur de Chine, d’où les jésuites
ramènent de nombreuses traditions en Europe et particulièrement en France et en
Italie.
Les jésuites changeront bien évidemment de politique lors de leur nouvelle expulsion
sous Louis XV …12
La Compagnie déclenche l’hostilité
L’offense à la moralité et les manœuvres machiavéliques de la Compagnie la conduisent
à être chassée de plusieurs endroits en Europe. De France à plusieurs reprises comme
nous l’avons vu, mais aussi presque définitivement du Portugal, en 1578, de différents
États italiens au début du XVIIe siècle, comme Venise, en 1606, ou Naples, en 1622,
etc.
Dans la Péninsule ibérique, les jésuites étaient donc du côté de Philippe II de Habsbourg
pour annexer la couronne portugaise à la couronne espagnole (1580). En effet, le
Portugal devenait dangereux tant les jésuites avaient investi le pays et attisé l’opinion
contre eux. Les jésuites s’attaquèrent aussi au clergé portugais qui leur résistait.
Cela n’empêchera pas la Compagnie de Jésus de soutenir Jean IV du Portugal contre
l’Espagne, en 1640, pour redonner l’indépendance à son pays ! À noter que les jésuites
seront, au même moment, toujours du côté espagnol, actifs dans les instituts et présents
12
Le livre d’Eugène de Monglave, Histoire des conspirations des jésuites contre la maison de Bourbon en
France, 1825, montre comment, durant toute son histoire, la Compagnie a essayé de bâtir son empire au
détriment de la monarchie des Bourbons – que tantôt elle combattait, tantôt elle asservissait.
21
à la cour royale, notamment avec le conseiller et confesseur Johann Eberhard Nithard.
Diviser pour régner.
La Contre-Réforme
Dans toute l’Europe, la Compagnie fit de la lutte contre le protestantisme un simple
opportunisme politique. Infiltrée dans les cours catholiques des rois d’Espagne, de
Portugal, de France ou d’Autriche, elle condamna des couronnes protestantes comme
celles de l’Angleterre, de la Hollande ou des pays nordiques simplement parce que ces
couronnes étaient ennemies des nations européennes qu’elle avait sous son contrôle. La
Compagnie ne voyait pas plus de rivaux religieux ou d’« hérétiques » dans les nations
protestantes que dans les autres membres du clergé catholique ! Elle n’y voyait que des
rivaux politiques. Pour preuve, les jésuites s’attaqueront aussi aux clergés catholiques,
et pas seulement protestants, de ces pays !
« On y reconnaitra aussi leur injustice à propos du Clergé catholique de
Hollande, qu’ils font passer depuis si longtemps pour rebelle à l’Église et
hérétique, tandis qu’après les examens les plus sérieux que j’en ai fait sur les
lieux, y étant autorisé par Benoît XIV, et par les Évêques même de ce Clergé,
je n’ai reconnu en eux que des sentiments très orthodoxes et très catholiques
(…) »13
Le Père qui a écrit ces lignes décrit ensuite, avec des exemples à n’en plus finir, que ce
sont les jésuites qui se comportent en rebelles par rapport au Saint-Siège, ne lui obéissent
que par convergence d’intérêts, ont menacé et/ou soudoyé ceux qui voulaient rapporter
la vérité à leur sujet ou au sujet des clergés catholiques qu’ils décrient, etc.
Les jésuites combattirent le protestantisme de la même manière qu’ils combattirent, à
travers le monde, toutes les religions qui leur résistaient. Ou plutôt, ils excitèrent le
clergé romain contre le protestantisme, sachant que, de toute manière, on imputerait la
cause de ces excès non pas à la Compagnie, mais à l’Église. Les positions qu’ils prirent
contre le jansénisme ou contre d’autres « dérives » au sein de l’Église obéirent entre
autre à cette même politique.
Et lorsque, bien des siècles plus tard, l’heure fut venue de parler de réconciliation des
religions et d’œcuménisme, comme lors de Vatican II, les jésuites furent bien parmi les
premiers apologistes, voire parmi les concepteurs, de ces réformes internationalistes.
Et n’oublions pas que cet ordre qui prit la tête de la Contre-Réforme catholique était en
réalité plus juif que chrétien, du moins dans ses premières décennies d’existence. Ce fait
montre bien qu’il s’agissait là d’une action politique motivée par la recherche d’alliés
dans les grandes cours d’Europe et de prise d’importance dans l’Église, et non d’une
action motivée par des réelles convictions religieuses, bien que les prêtres jésuites de
base, eux, furent des plus sincères.
Quel intérêt eurent tant de juifs à s’investir de la sorte, corps et âme, aux côtés de cette
religion catholique qui les persécutait ?
13
Pierre Parisot, envoyé en mission par Benoît XIV, et qui écrira ensuite ses Mémoires historiques sur les
affaires des jésuites avec le Saint-Siège, 1766
22
Mais, alors qu’on peut toujours se faire leurrer par la politique d’apparence catholique
que mena la Société en Europe, celle qu’elle mène en Asie est beaucoup plus
révélatrice !
23
L’ASIE ET LA POLITIQUE DE L’INCULTURATION
Les jésuites commencent à conquérir l’Inde
Dès son arrivée en Asie, en1542, le jésuite Saint François-Xavier déclenche les
massacres par les armées portugaises de plusieurs populations en Inde, réticentes à la
catholicisation et à l’occidentalisation.
Les jésuites apportent la guerre et la discorde sur l’île de Ceylan qui sera noyée dans le
sang.
« Lorsque, dans les eaux du baptême, j’ai régénéré toute une bourgade, je fais abattre
toutes les idoles et raser tous les temples. Je ne puis vous peindre la joie que j’éprouve
en voyant tomber sous les marteaux de mes nouveaux chrétiens ces statues (…) »14
déclare le « Saint ». Du passé faisons table rase !
Les jésuites attireront, bien entendu, l’hostilité contre eux, ce qu’ils attendent et
demandent ! En effet, lorsque le roi de Janafapatan de Ceylan, déclarera la guerre à ces
« chrétiens » qui détruisent plusieurs millénaires de civilisation, François-Xavier y
trouvera un prétexte pour rassembler la Compagnie et le vice-roi portugais des Indes
afin de déclencher une croisade contre ce « tyran ».
Mais vouloir compromettre les jésuites là-dessus n’aurait rien de probant, car là n’est
pas la preuve de leur manque de foi catholique. C’est sur l’« évangélisation » qu’ils
propagèrent, qu’il faut se pencher.
L’inculturation, ou la fusion des traditions
Dès leurs premières missions dans le monde, et principalement en Asie, les jésuites se
font les prophètes de l’inculturation, c’est-à-dire l’évangélisation en prenant les « habits
du pays », en adoptant la culture, les mœurs et les rites de celui-ci. De ce fait, partout où
ils iront, ils ne propageront pas le catholicisme, mais marieront celui-ci avec la culture
et les religions locales ! D’ores et déjà, ils se font les apologistes d’un syncrétisme avant
l’heure.
Ainsi, les jésuites se font brahmanes, en Inde, comme Roberto De Nobili (1577-1656) ;
mandarins ou confucianistes, en Chine, comme Matteo Ricci (1552-1610) ou Michele
Ruggieri (1543-1607) ; japonisants et conseillers des daimyos, au Japon, tout comme
Luis Frois (1532-1597) ; commerçants15 portugais dans tout l’Extrême-Orient, comme
Luis de Almeida (1525-1583) ou Alessandro Valignano (1539-1606) qui fut aussi un
excellent diplomate adapté aux mœurs indiennes comme aux mœurs japonaises ;
fédérateurs et linguistes d’exception comme Antonio Ruiz de Montoya (1585-1652)
chez les Guaranis d’Amérique du Sud ; lamas bouddhistes au Tibet comme Estevao
Cacella (1585-1630?) ou Ippolito Desideri (1684-1733), etc.
Les jésuites furent à l’origine de nouvelles « théologies » un peu partout dans le monde,
mais ils ramenèrent aussi les autres cultures en Europe : Matteo Ricci fera connaître le
14
15
Lettre de Saint François-Xavier à la Société de Jésus à Rome, le 27 janvier 1545 à Cochin.
À noter que la Société de Jésus fut le seul ordre autorisé à faire du commerce et de la banque !
24
confucianisme à l’Occident, Athanase Kircher (1601-1680) sera, avant même d’être
véritablement chrétien, un éminent orientaliste, encyclopédiste et égyptologue ;
Alessandro Valignano fera en sorte d’envoyer des ambassades japonaises en Europe et
d’unir ces deux cultures en apparence incompatibles, etc.
Ce même Valignano, lorsqu’il rencontra, le 27 mars 1581, l’unificateur du Japon, Oda
Nobunaga, résuma très bien à ce dernier le but de son ordre : l’établissement d’une
fraternité mondiale entre les pays. Les jésuites n’ont pas attendu 1918 pour réfléchir à
la création d’une « Société des Nations ».
Le très moderne Oda Nobunaga, bolcheviste avant l’heure, persécutait sur ses propres
terres, au nom d’un idéal de centralisation politique, aussi bien les religieux que les
seigneurs féodaux. Ce Nobunaga fut le premier et véritable propagateur du jésuitisme
au Japon. Autant il protégera les pères jésuites, autant il s’attaquera à ceux qui, dans son
propre peuple, voulaient rester fidèles à leurs traditions. Nobunaga, athée, n’eut aucun
mal à se reconnaître dans l’idéal véhiculé par la Société de Jésus.
L’Église tentera de réagir plusieurs fois, mais en vain, contre les jésuites qui ne font pas
de l’évangélisation leur priorité, mais œuvrent plutôt à l’uniformisation des cultures et
à l’internationalisation.
L’Église contre les rites jésuites
Une des réactions les plus connues de l’Église contre l’œuvre de mondialisation mise en
place par les jésuites donnera lieu à la « querelle des rites » en Orient, et principalement
en Chine. En effet, les jésuites créèrent au contact des autres cultures de nouveaux rites
plus ou moins catholiques. Le père Matteo Ricci fut un des pionniers de cette mouvance.
Il mélangea, en Chine, le christianisme au confucianisme, posant les bases d’une église
« spécifiquement chinoise », église bâtarde qui n’était ni chrétienne ni en accord avec
les traditions chinoises, qu’elle désirait détruire.
Les jésuites attaquèrent les nobles enseignements métaphysiques du taoïsme et
propagèrent à la place un pseudo-christianisme dans lequel, par exemple, le culte de
Confucius était entièrement intégré et les mariages incestueux autorisés !
L’inculturation et les changements de rites leur valurent l’opposition des autres ordres,
Franciscains et Dominicains en tête, et même des divisions internes à la Compagnie.
Durant tout le XVIIe siècle, la question divisa l’Église et les papes.
En 1702, le cardinal Charles Thomas Maillard de Tournon est envoyé pour inspecter la
mission de Chine et la propagation du catholicisme dans ce pays. Il se heurtera à
l’empereur Kangxi, protecteur des jésuites, qui laissa même les Affaires étrangères de
sa nation entre les mains de ceux-ci ! Chassé jusqu’au port portugais de Macao, le
cardinal sera maltraité par des jésuites qui l’empêcheront de repartir en Europe. Il écrira :
« On apprendra avec horreur que ceux-là mêmes qui devaient naturellement
aider les pasteurs de l’Église, les aient provoqués et attirés aux tribunaux des
idolâtres, après avoir pris soin d’exciter contre eux la haine dans les cœurs des
païens et engagé les païens à leur tendre des pièges et à les accabler de mauvais
traitements. »
Le cardinal mourra à Macao en 1710.
25
Ce cas ne fut pas une exception, et d’autres exemples abondent. Nous pourrions citer le
père Charles Castoran, vicaire général de l’évêque de Pékin qui, porteur des décrets
pontificaux de 1704 et 1710 condamnant les rites chinois jésuites, se vit menacer par
ceux-ci du courroux de l’empereur de Chine, qui était entièrement du côté de la
Compagnie. En novembre 1716, par les manœuvres des pères jésuites, Castoran fut
persécuté et jeté dans les prisons réservées aux criminels pour plus d’un an. Par la suite,
le légat clérical qui s’occupa de l’affaire se résolut à faire preuve d’indulgence envers la
Compagnie, et laissa celle-ci désobéir aux décisions papales à sa guise.
Mais le pouvoir impérial chinois sera lui aussi exaspéré par les jésuites, qui n’agissent
au final que pour leurs intérêts, et il expulsera les missionnaires en 1721 avant d’interdire
le christianisme en 1724. Plusieurs jésuites, comme Joseph-Marie Amiot (1718-1793),
resteront néanmoins encore longtemps à la cour impériale en tant que savants et hommes
de sciences.
Le père capucin Pierre Parisot, affecté à la mission des Indes en 1736, dénoncera
vigoureusement lors de son retour en Europe les « rites malabares » créés par les jésuites
dans le sud de l’Inde et les commerces auxquels ils se livrent (Mémoires sur les missions
des Indes).
Ses attaques virulentes contre la Compagnie, qu’il juge anti-chrétienne, le contraignirent
à quitter son ordre et à s’exiler. Le pape Benoît XIV et certains hommes de pouvoir
européens le prendront néanmoins au sérieux. Il publia six autres volumes exceptionnels
sur le sujet, Mémoires historiques sur les affaires des jésuites avec le Saint-Siège (sous
le nom de père Norbert Bar-le-Duc), environ 3 000 pages en tout, dans lesquelles il
dénonce la permanente opposition de la Compagnie au Saint-Siège et au christianisme
en général, et comment, à maintes reprises, la Compagnie dut et faillit être supprimée,
mais réussit toujours à s’en sortir (jusqu’à ce qu’elle soit supprimée en 1773).
Ce ne fut finalement qu’en 1744 que la Bulle papale Omnium Sollicitudinum interdit
définitivement les « rites non chrétiens ».
Les jésuites prouvèrent ainsi à plusieurs reprises que le catholicisme n’était pour eux
qu’une arme : une arme pour faire tomber les autres traditions et les autres cultures, tout
en les mélangeant afin d’œuvrer au développement de ce qu’ils appellent « la fraternité
mondiale ». Au Japon, ils inventèrent même une nouvelle histoire de Jésus-Christ,
adaptée à la culture du pays.
Les jésuites seront aussi parmi les premiers à promouvoir l’orientalisme en Europe, ce
qui se fit au détriment du christianisme, et, encore aujourd’hui, ils soutiennent
notamment le bouddhisme tibétain qui fait office de référentiel moral international. 16
Les jésuites au Tibet
En effet, les jésuites eurent beaucoup d’influence sur le développement religieux du
Tibet.
Ils se mêlèrent intimement au lamaïsme, voulant unir bouddhisme tibétain et théologie
catholique. Les pères Cacella et Cabral, premiers Européens à rentrer au Bhoutan, y
16
Le célèbre moine bouddhiste tibétain Matthieu Ricard admit d’ailleurs que le bouddhisme tibétain était en
partie aidé financièrement par la Compagnie de Jésus.
26
formeront, en 1627, avec l’approbation du souverain, de jeunes « lamas catholiques ».
Le père Cacella fera connaître en Europe la mythique « Shamballa » qui est encore
aujourd’hui une référence importante dans les mouvements Nouvel Âge.
Le père Ippolito Desideri, au début du XVIIIe siècle, rentrera dans des écoles de lamas.
Apportant le catholicisme au Tibet, il veut aussi apporter les mantras tibétains et la
morale bouddhiste aux Occidentaux. Lorsque trois Capucins arriveront à Lhassa, en
1716, avec des décrets pontificaux accordant à leur ordre le travail exclusif dans cette
province, Desideri ne voudra pas quitter les lieux et désobéira volontairement aux
consignes du Saint-Siège. Il ne partira que lorsque la Compagnie lui en donnera l’ordre,
en 1721 ! Il regagnera l’Europe, où il rencontrera, entre autre, le roi de France Louis XV.
Il défendra sans cesse la présence jésuite au Tibet, pays étonnamment en affinité avec
la Compagnie.
La fusion des panthéons catholique et tibétain donnera d’ailleurs naissance à la
« Hiérarchie des Maîtres de Sagesse », divinisée par les théosophes du XIXe siècle.
Les jésuites au Japon
Au Japon, les jésuites amènent l’anarchie, montant les daimyos les uns contre les autres.
Ils furent à l’origine de guerres et de persécutions par des daimyos convertis, de
populations japonaises restées fidèles au bouddhisme ou aux traditions shintos. Par leurs
intrigues, et notamment comme nous l’avons vu, leur influence auprès d’Oda Nobunaga,
de nombreux grands temples bouddhistes seront rasés. Le pape Grégoire XIII (15721585), qui est totalement sous leur emprise et ne cesse de les favoriser, leur accordera
l’exploitation exclusive de la mission japonaise par son bref Ex pastoralis officio. Dès
lors, les autres ordres catholiques sont chassés du Japon par les jésuites, qui y œuvrent
sans que d’autres membres du clergé puissent assister à leurs manigances. Le successeur
de Grégoire XIII, le pape Sixte V 17, nuance déjà le bref de son prédécesseur et permet
aux Franciscains de s’établir partout en Extrême-Orient. Ils seront néanmoins combattus
violemment par les jésuites qui s’opposent aux missions des ordres mendiants en Asie.
Le jésuite Valignano, responsable des missions en Orient, souligne dans une lettre : « Il
me semble assurément que la venue au Japon d’autres ordres religieux, non seulement
ne sera pas un bon remède, mais se révélera un grand obstacle et causera un grand
désarroi à cette nouvelle Église (…) » 18.
Les jésuites essayeront de monter les forces portugaises contre des Franciscains
espagnols. Parfois, ils iront jusqu’à monter des daimyos japonais contre des
représentants d’autres ordres catholiques ! Ainsi, le tout-puissant premier ministre du
Japon après la mort d’Obunaga, Toyotomi Hideyoshi, qui tolérait encore les jésuites
mais de moins en moins les autres catholiques, fait crucifier un groupe de Franciscains,
en 1587, sur la colline Nishizaka, près de Nagasaki.
Les différents groupes de Franciscains assassinés au Japon ne seront d’ailleurs même
pas reconnus par les jésuites comme martyrs !
17
Que les jésuites tenteront de faire assassiner. Le père jésuite Ribadeneira louera d’ailleurs la mort du pape
comme une action du Seigneur !
18
Extrait de Vittorio Volpi – Alessandro Valignano, Salvator, 2012, p.235
27
Mais les jésuites seront par la suite violemment chassés du Japon pour leurs exactions,
et c’est aussi à Nagasaki, ville qui leur fut donnée par un daimyo japonais, que plusieurs
jésuites seront tués avant que la ville ne soit reprise par les autochtones 19.
Les jésuites à la recherche du profit
Des enquêtes dénonceront les jésuites qui se préoccupent avant tout de commerce en
Orient, contrôlant notamment une bonne part du commerce maritime de Goa, en Inde,
jusqu'à Nagasaki. Dès la direction de cette région par Alessandro Valignano, dans la
seconde moitié du XVIe siècle, des membres du clergé s’indignent du comportement des
jésuites ! Dans les années 1590, les Franciscains se plaignent des activités frauduleuses
des jésuites au Japon, dans la banque et le commerce. Leurs activités ne cesseront pas
pour autant, allant du commerce de la soie à celui des esclaves ! Au début des années
1680, l’archevêque de l’Église de Manille et des îles Philippines, Dom Philippe Pardo,
issu de l’ordre dominicain, dénonce vigoureusement les implications jésuites dans tous
ces commerces.
« Ce prélat fit la découverte du prodigieux trafic que les jésuites font dans les
Philippines, contre les Bulles des papes qui le leur ont défendu, aussi bien que
le roi catholique qui a ordonné l’exécution de ces Bulles. » 20
Mais l’archevêque Dom Pardo sera persécuté par les jésuites et banni en 1683.
Certains papes tenteront d’intervenir, du mieux qu’ils peuvent, dans ces affaires à l’autre
bout du monde. Ou bien ils furent désinformés, ou bien la Compagnie se pliait
momentanément à leurs exigences, ou encore elle persécutait ceux qui osaient se dresser
contre elle et se rebellait contre le Saint-Siège, usant parfois de l’assassinat s’il le fallait,
comme elle put le faire avec les souverains.
Innocent XIII, monté sur le Saint-Siège en 1721, tenta de rappeler à maintes reprises la
Compagnie de Jésus à son devoir d’obéissance. Il s’attaquera aussi aux rites chinois et
à la manière dont les jésuites utilisent les missions à leurs propres fins.
Le Général de la Compagnie n’aura que faire de ces mises en garde et signalera
presqu’ironiquement au pape que les manigances de cinq jésuites à Pékin ne concernent
pas toute la Compagnie, comme si ces jésuites n’étaient pas sous son contrôle ! L’ex
père Capucin Pierre Parisot écrira 21 :
« Les maximes que le p. Général établit dans le corps de l’ouvrage, la défense
qu’il y prend des jésuites de la Chine les plus notoirement coupables, la manière
dont il y parle de l’autorité et de la conduite des légats et des vicaires
apostoliques approuvés et loués par le Saint-Siège, les lettres et autres écrits de
ses missionnaires qu’il a rassemblés dans son Sommaire, comme les pièces sur
lesquelles ils fondent toute la défense et celle de la Société, démontre à
19
Les jésuites verront ainsi l’explosion de la bombe atomique sur Nagasaki, le 9 août 1945, comme un retour de
la justice divine. Le futur Supérieur Général Pedro Arrupe se trouvera d’ailleurs juste à côté de Nagasaki (à
Nagatsuka) au moment de l’explosion de la bombe, et le jésuite Edmund Walsh ira représenter la Compagnie de
Jésus auprès de l’armée américaine pour célébrer la reddition du Japon.
20
Antoine Arnauld, Histoire de la persécution de deux saints évêques par les jésuites, 1691
21
Sous le pseudonyme de p. Norbert Bar-le-Duc, Mémoires historiques sur les affaires des jésuites avec le SaintSiège, Tome V, F.L. Ameno, 1766, p.636-637 et p.645
28
quiconque sait réfléchir, que le chef et le corps de la Compagnie sont coupables
de la révolte la plus caractérisée contre les décisions dogmatiques du SaintSiège en matière très importante, et d’une révolte soutenue pendant près de
quatre-vingt ans avec une obstination que tous les efforts de l’autorité
apostolique n’ont pu vaincre. »
Il continue plus loin :
« Il est donc de la dernière évidence que les jésuites sont inflexibles dans leur
désobéissance et dans leur malice ; qu’ils n’ont jamais eu d’autre dessein que
d’amuser, de jouer, de tromper le Saint-Siège par toutes leurs promesses et par
leurs serments ; qu’ils n’ont jamais dit vrai, que lorsqu’ils ont déclaré par la
plume de leur père Simonelli (Sonn. N°. 56. lett. a.) que jamais ils n’obéiraient
aux décrets apostoliques contre les rites chinois. »
Innocent XIII proposera de supprimer ou de limiter très fortement la Société de Jésus,
comme avant lui Innocent XI, Innocent X, Paul IV du temps d’Ignace, ou encore après
lui Benoît XIV ! Mais comme ces papes, il en fut empêché, et mourra en 1724 de
manière probablement « prématurée ».
29
LES RAPIDES EXCURSIONS EN AFRIQUE
En Afrique, l’activité jésuite ne sera pas plus motivée par la propagation de la foi
catholique.
Vers la fin des années 1540, les jésuites arrivent déjà au Congo. Ils s’y imposeront avec
arrogance. Par leur faute, tous les Européens seront expulsés du pays, en 1555.
La Compagnie de Jésus reviendra en force dans cette région grâce à la colonisation belge
(trois siècles plus tard), connaissant les profits qu’elle pouvait tirer de ces vastes et riches
terres.
En Abyssinie, l’arrivée des jésuites en plusieurs vagues durant le XVIe siècle,
correspond à l’arrivée de la décadence et du chaos dans le pays. Au début du
XVIIe siècle, les jésuites et le père Pedro Paez (1564-1622) en tête, utilisent le prince
Sousneyo pour prendre le pouvoir dans l’Empire d’Éthiopie. À la mort de Sousneyo, les
jésuites sont rapidement démasqués, notamment dans leurs agissements contre l’Église
copte, et ils sont expulsés, en 1632.
En Angola, durant le XVIIe siècle, les jésuites s’imposent en tant que marchands et
esclavagistes. Plusieurs lettres s’en plaignent : « Ces religieux donnent du scandale par
l’exemple de leur vie », ou encore « Ils font des affaires et du commerce, de sorte qu’ils
n’y vont pas comme ecclésiastiques, prédicateurs de l’Évangile, mais comme des
marchands séculiers pour trafiquer. »22
Mais c’est surtout en Amérique, continent vierge ou peuplé d’indigènes, que les jésuites
trouveront une véritable terre d’expérimentation.
22
Lettres de 1643, citées d’après Cuvelier et Jardin, L’ancien Congo d’après les archives romaines, Bruxelles,
1954
30
L’AMÉRIQUE, TERRE D’EXPÉRIMENTATION POUR LA
COMPAGNIE
La conquête de l’Amérique du Sud
En Amérique du Sud, où ils se trouvent dès 1550, les jésuites fondent un État sous leur
juridiction : la République chrétienne, à cheval sur l’actuel Paraguay, l'Argentine, le
Brésil et l'Uruguay. Ils occupent 200 000 km² qu’ils aménagent en « réductions », minicités pour les Indiens autochtones. Pratiquant l’inculturation comme partout ailleurs, ils
marieront le catholicisme aux coutumes des Indiens d’Amérique du Sud, et à plusieurs
reprises auront des ennuis avec le Vatican qui ne reconnaît pas toujours ces nouvelles
« cités » qui se développent. Dans leurs réductions, les jésuites expérimentent déjà un
mode de fonctionnement proche du bolchevisme, avec une dimension pseudo-religieuse
en plus.
Dès la fin du XVIe siècle, les Franciscains tenteront à plusieurs reprises de dénoncer les
actions jésuites en Amérique du Sud, car ces derniers n’agissent non pas pour la foi,
mais pour une politique propre à leur ordre.
Vers la fin des années 1640, l’évêque franciscain Dom Bernardinos de Cardenas, évêque
du Paraguay et d’Amérique méridionale, accusera les jésuites d’agir contre le
catholicisme, d’être hérétiques et d’exploiter secrètement des mines d’or en Amérique
du Sud. S’ensuivront des guérillas, principalement à Asunción, entre les réductions
jésuites et les colons qui s’y opposent. Les jésuites finiront par emprisonner l’évêque
puis l’expulser !
Un autre évêque, Jean de Palafox, lui aussi persécuté par les jésuites, écrira une lettre au
Saint-Père, le 25 mai 1647, dont voici quelques extraits :
« J’ai trouvé entre les mains des jésuites presque toutes les richesses, les fonds,
l’opulence de ces provinces de l’Amérique septentrionale, et ils en sont encore
aujourd’hui les maîtres. (…)
Faut-il s’étonner si après cela les jésuites de la domination du Portugal ont
soutenu une guerre contre leur souverain pendant six années dans les terres de
l’Euragai ?
Ne doit-on pas s’attendre que ceux du Paraguay, sujets d’Espagne, seront
encore plus forts, et mieux armés pour s’opposer à Sa majesté catholique dans
le cas qu’elle veuille s’en rendre maître à leur préjudice ? (…)
Et si ceux de la France et du Portugal qui agissent en désespérés, prennent le
parti d’aller se joindre à leurs confrères du Paraguay, l’Espagne aura là une
longue et cruelle guerre à soutenir si elle veut s’en rendre la maîtresse ; la
Société est si terrible qu’elle fait trembler les puissances les plus formidables,
l’or et l’argent qu’elle possède, le génie guerrier qui l’anime, les principes
machiavéliques qui la dirigent, le poison et la trahison dont elle fait usage, tout
cela n’est-il pas capable d’effrayer et de vaincre ceux qui l’attaquent ? »
L’évêque savait de quoi il parlait et la suite de l’histoire allait prouver son bon sens.
Le 8 janvier 1649, il écrivit encore :
31
« Votre Sainteté peut connaître par ce détail, que les plus grands scandales qui
puissent arriver dans l’Église de Dieu sont demeurés sans châtiments jusqu’ici.
Elle voit que les jésuites ont commis impunément une infinité d’attentats contre
son autorité et contre la dignité du Saint-Siège (…)
Quel autre ordre religieux, très Saint père, a été préjudiciable à l’Église
universelle, et a rempli de tant de troubles les provinces chrétiennes ?
Quel autre ordre religieux a des constitutions qu’on tient secrètes, des privilèges
qu’on ne veut point déclarer, des règles cachées ?
Quel autre ordre religieux a causé tant de troubles, a semé tant de divisions et
de jalousies, a excité tant de plaintes, tant de disputes et tant de procès parmi les
autres religieux, les évêques, le clergé et les princes séculiers quoique chrétiens
et catholiques ? Il est vrai que des religieux ont eu quelques différents à démêler
avec d’autres ; mais il ne s’en est jamais vu qui en aient autant que ceux-ci avec
tout le monde : ils ont contesté de la pénitence et de la mortification avec les
observantins et les déchaussés, du chant et du chœur avec les moines et les
religieux mendiants, de la clôture avec les cénobites, de la doctrine avec les
Dominicains, de la juridiction avec les évêques, des dîmes avec les églises
cathédrales et paroissiales, du gouvernement et de la tranquillité des États avec
les princes et les Républiques ; enfin ils ont eu des différends avec toute l’Église
généralement et même avec votre Siège apostolique »
La lettre n’en finit pas, soulignant aussi l’occultation par la Société des grands Saints et
enseignements de l’Église au profit des maîtres qu’elle seule a fournis, le trafic et les
commerces indignes auxquels elle se livre dans ses maisons, les nouveaux rites et les
fausses instructions dispensées en Orient, etc.
Il n’y a pas meilleure description de l’ordre jésuite et, à vrai dire, ce type de lettre n’est
pas exceptionnel 23 : partout où la Compagnie de Jésus s’insinuait, elle écrasait les autres
religieux et déclenchait l’hostilité.
Mais que purent ces plaintes contre un ordre pour qui le Vatican n’était plus qu’une
puissance sous contrôle parmi d’autres, et ce au même titre que la cour impériale
chinoise, la maison royale des Bourbons, en France, la maison impériale européenne des
Habsbourg ou encore les dizaines de milliers d’Indiens dépendants de ses réductions, en
Amérique du Sud ?
Révoltes contre l’Espagne et le Portugal
La situation se dégradera toujours davantage, au début du XVIIe siècle, avec les autorités
espagnoles et portugaises qui se partagent l’Amérique du Sud. En 1735, le gouverneur
du Paraguay dom Martin de Barua, ne supportant plus la puissance et l’arrogance des
jésuites, qui se conduisent davantage en club politique qu’en ordre spirituel, demandera
la suppression de leurs privilèges au roi d’Espagne.
Le pape Benoît XIV condamnera les activités indignes de la Compagnie : recherche des
richesses comme priorité, exploitation des Indiens, commerce et esclavage, non
seulement d’Indiens idolâtres, mais même de convertis, etc. La Bulle papale de 1741
23
De tels documents furent rassemblés en très grand nombre par l’excellent travail déjà cité de Norbert Bar-leDuc, Mémoires historiques sur les affaires des jésuites avec le Saint-Siège, 1766
32
leur interdit vainement « d’oser à l’avenir mettre en servitude les Indiens du Paraguay,
de les séparer de leurs femmes et de leurs enfants, de les acheter ou de les vendre. » Le
pape devra s’y prendre à plusieurs reprises, menaçant même de réduire la Compagnie à
l’Italie ! La tension ne fait alors qu’augmenter.
En 1750, le Portugal et l’Espagne signent un traité pour redéfinir les limites territoriales
de leurs colonies. Plusieurs réductions jésuites passeront sous le contrôle du Portugal,
qui était de plus en plus exacerbé par l’influence de la Compagnie dans tous les
domaines de la société, en Europe comme dans le monde. Le marquis de Pombal,
homme fort du roi du Portugal Joseph Ier, s’attaquera à la Compagnie, désirant limiter le
pouvoir de celle-ci. La Société de Jésus armera alors les Indiens guaranis, bien
endoctrinés dans ses réductions au préalable, contre le Portugal (ce qu’elle fit déjà au
début du XVIIe siècle contre les Hollandais ou contre les Indiens des bords de
l’Uruguay). Entre 1753 et 1756, des pères jésuites à la tête d’Indiens armés soulèvent
les réductions contre l’autorité portugaise. Les jésuites seront définitivement expulsés
du Portugal, en 1767. Ils sont aussi expulsés des territoires espagnols d’Amérique du
Sud à la même époque.
L’Amérique du Nord
En Amérique du Nord, au XVIIe siècle, les jésuites amènent davantage la civilisation
occidentale avec son « progrès » et son mode de vie, que le catholicisme. Entre 1632 et
1658, ils ont l’exclusivité des missions en Nouvelle France et s’imposeront aussi bien
auprès des Iroquois que des Algonquins, faisant toujours du commerce et de l’esclavage.
Ils créent aussi des réductions dans l’actuel Québec, avec la prétention de faire des
communautés « plus chrétiennes » qu’en Europe ! Entendez, plus soumises à la
Compagnie et à son idéologie.
Comme toujours, les jésuites se mêleront de ce qui ne les concerne normalement pas,
excitant guerres et partis entre les différents clans amérindiens, s’impliquant notamment
dans le sanglant conflit entre Hurons et Iroquois. Certains jésuites en paieront les frais
et les fameux « martyrs du Canada » ne sont aujourd’hui toujours pas oubliés.
À noter que la France perdit le Canada contre l’Angleterre, car l’émigration n’y était pas
assez importante : en effet, les jésuites aidés du cardinal Richelieu limitèrent
l’émigration, notamment en y interdisant les protestants, afin de faire de ces nouvelles
terres des réductions sous leur seule autorité.
33
LA SUPPRESSION DE LA COMPAGNIE
La Compagnie contre le monde
L’exaspération engendrée par cette Compagnie, qui ne redoutait plus ni le Saint-Siège
ni les souverains, le contrôle qu’elle prenait dans la politique, l’éducation, la religion et
les sciences, le vice et la cruauté dont elle n’hésitait pas à faire preuve pour arriver à ses
fins, qu’elle jugeait « divines », tout cela conduisit la Société de Jésus à subir un
retournement général, au milieu du XVIIIe siècle.
Jusque-là elle ne craignait rien, car expulsée ou combattue dans un pays, elle n’en était
que renforcée chez les adversaires de ce pays. Mise à mal en quelque endroit du monde,
elle utilisait ses réseaux d’influence ou politiques ou financiers pour se tirer d’affaire ;
ou elle délaissait tout simplement les lieux pour s’investir à un autre endroit du globe.
Mais la Compagnie étant peu à peu devenue la puissance internationale à combattre pour
toute nation ou religion désirant sauvegarder son indépendance, elle allait être
supprimée au même moment par tous les grands royaumes d’Europe, base centrale de
l’ordre.
« Pourrait-on donc s’étonner, qu’Innocent XI et Innocent XIII eussent résolus
de supprimer cette Société de Religieux devenus absolument incorrigibles, et
tombés généralement dans de pareils excès ? Et pourrait-on ne pas reconnaître
la justice du grand Benoît XIV (…) ? Reconnaissons donc que le roi de Portugal,
en les proscrivant de toutes les terres de sa domination, et que le roi de France
voulant qu’à l’avenir leur Société n’ait plus lieu dans ses États, n’ont fait
qu’exécuter un projet formé par les plus grands papes, de la supprimer dans
toute l’Église ; et qu’on ne saurait que louer le zèle et la justice de ces monarques
d’avoir fait ce que les papes n’ont pu faire jusqu’ici, mais ce qu’il serait facile
d’exécuter à présent. Tous les princes chrétiens pourraient-ils ne pas désirer la
destruction d’une Société d’hommes si pernicieuse au bien de l’Église et de
l’État, et qui n’inspire que la révolte contre les papes et les souverains, dès qu’ils
veulent les rappeler à leur devoir, et qu’ils osent condamner leur horrible
doctrine ? »24
Suppression au Portugal
Au Portugal, le marquis de Pombal combat la Compagnie du mieux qu’il peut. Le roi
du Portugal Joseph Ier est visé par un attentat sur l’ordre des jésuites. La Compagnie est
finalement expulsée du pays, en 1759, par décision royale. Une des figures principales
de la Compagnie au Brésil et au Portugal, le jésuite Gabriel Malagrida, criminel et
rebelle contre l’État qui tenta de faire assassiner le roi Joseph Ier, est jugé par
l’Inquisition portugaise pour ses actes criminels et pour hérésie. Il est brûlé à Lisbonne,
le 21 septembre 1761.
Suppression en France
24
P. Norbert Bar-le-Duc, Mémoires historiques sur les affaires des jésuites avec le Saint-Siège, F.L. Ameno,
1766. (Ouvrage paru sept ans avant la suppression universelle de la Compagnie par le Saint-Siège).
34
En France, le scandale financier du père jésuite Antoine Lavalette achève de convaincre
l’opinion, déjà montée contre les jésuites depuis longtemps. En 1658 déjà, les curés de
Paris étaient tous unanimement unis contre les jésuites et avaient fait publier une série
de neuf lettres documentées contre eux. En 1757, Robert-François Damiens, qui fut valet
au collège Louis-le-Grand des jésuites à Paris, tenta d’assassiner Louis XV.
Le bon Louis XV essaye à maintes reprises de tempérer la situation avec les jésuites.
L’avocat général et conseiller d’État Joly de Fleury dresse une liste des critères qui
doivent présider à l’examen des Constitutions de la Compagnie par le Parlement.
Figurent en bonne place notamment les points suivants : « privilèges accordés aux
jésuites en préjudice de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle », « Les
jésuites indépendants de toutes juridictions civiles ou criminelles pour leur personne et
pour leurs biens », « Les jésuites indépendants des souverains dans l’ordre politique »,
« Les jésuites indépendants de l’autorité de l’Église » ou encore « Les jésuites
indépendants des papes ». Le magistrat indiquait en référence tous les écrits dont
l’examen permettrait de justifier ces griefs. Le Parlement de Paris prend la décision
d’expulser la Compagnie, en 1762. Le roi finira par suivre, et proscrira et confisquera
les biens de la Compagnie dans toute la France, en 1764.
Suppression en Espagne
En Espagne, le roi Charles III est aussi mitigé. Mais les soulèvements organisés par les
jésuites dans les colonies d’Amérique latine, les révoltes qu’ils fomentent à Madrid, en
1761, et les avertissements du ministre des Finances Pedro Rodríguez de Campomanes
qui voit dans les jésuites des « membres d’une organisation supranationale qui est une
menace pour l’Espagne », achèvent de convaincre Charles III. Le décret d’expulsion de
la Compagnie est signé en 1767 et le roi spécifie qu’il garde secrètes certaines autres
raisons de cette expulsion… À la suite de l’Espagne, le royaume des Deux-Siciles
(Naples et Sicile) et le duché de Parme expulsent les jésuites.
Charles III d’Espagne continue dans la même direction en spécifiant que tous les
documents pontificaux, avant de paraître sur son territoire, doivent passer par
l’approbation du conseil de Castille. On sait que, depuis bien longtemps, Rome n’est
plus que la puissance avec laquelle les jésuites s’attaquent aux États. En effet, le pape
Clément XIII ne cesse de défendre du mieux qu’il peut cette Compagnie – qui n’utilise
le pontife que comme un instrument de sa politique.
Suppression universelle de la Compagnie de Jésus
Mais pourtant, même Rome aura un sursaut de réveil. Clément XIII meurt en 1769 et le
pape Clément XIV, voyant l’hostilité générale qu’a réveillée la Compagnie autour
d’elle, fait paraître, le 21 juillet 1773, le bref Dominus ac Redemptor : la Compagnie de
Jésus est supprimée dans le monde entier ! Il aurait déclaré par la suite : « La voilà donc
faite cette suppression, je ne m'en repens pas… et je la ferais encore, si elle n'était pas
faite ; mais cette suppression me tuera ! » En effet, l’année suivante, le pape
Clément XIV meurt empoisonné.
35
La Compagnie est mise à mal. Mais malheureusement, deux souverains vont la sauver
de la clandestinité et de la disparition définitive : Frédéric II de Prusse et Catherine II de
Russie, deux souverains influencés par la nouvelle idéologie des Lumières. Ces derniers,
qui ne sont pas inféodés au Vatican, ne veulent pas appliquer le décret et permettent à
la Compagnie de se maintenir sur leurs terres. C’est surtout en Russie que celle-ci
perdurera, y conservant toute son organisation, sa structure et même son Supérieur
Général. Tout en continuant d’agir souterrainement via les nombreux mouvements
qu’elle avait infiltrés, elle attendra patiemment dans le grand Empire des tsars d’être
restaurée universellement par le pape Pie VII, en 1814.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire en se fiant aux apparences, la Compagnie de
Jésus ne fut jamais aussi destructrice que lorsqu’elle devint interdite, et donc souterraine,
entre 1773 et 1814. En effet, de la même manière que les jésuites s’étaient fait
brahmanes, mandarins, banquiers, idolâtres, lamas, ils rentrèrent au sein des sociétés
secrètes d’Europe et certains devinrent francs-maçons.
Ainsi, comme nous allons le voir, les jésuites iront dans le sens des mouvements
révolutionnaires, cherchant à se venger de ceux qui les supprimèrent : l’Église et le
pouvoir royal.
36
JÉSUITES ET FRANC-MAÇONNERIE
La Franc-maçonnerie spéculative trouve son origine dans la famille royale anglaise des
Stuart, dont les jésuites étaient alors parmi les partisans les plus actifs.
Le roi d'Angleterre Jacques II Stuart (1633-1701) avait d’ailleurs pour confesseur le père
jésuite Edward Petre, et Jacques II et son prédécesseur, Charles II, entretinrent de très
bons rapports avec le roi de France Louis XIV, grand allié des jésuites.
C'est donc ainsi que les Stuart trouveront à plusieurs reprises refuge en France chez
Louis XIV, et plus tard, même au Vatican chez les jésuites. En France, ils furent aussi
accueillis au collège de Clermont à Paris, le fameux collège des jésuites qui prit plus
tard le nom de collège Louis-le-Grand. Et c’est de ce même collège de Clermont que
naquirent le Chapitre maçonnique de Clermont et le Rite Écossais, encore utilisés
mondialement !
D’une manière générale, les jésuites, ayant une grande expérience en termes de sociétés
secrètes, furent à l’origine de plusieurs rites de la Maçonnerie jacobite des Stuart et de
certains de ses hauts-grades. La Compagnie de Jésus a d’ailleurs toujours eu des
chercheurs très compétents en hermétisme et en ésotérisme, tels que le célèbre jésuite
Athanase Kircher (1601-1680) qui fut aussi orientaliste, égyptologue et scientifique.
Ainsi, il existe de nombreux diplômes maçonniques de grades écossais, signés du nom
de Charles-Edouard Stuart, qui maintiendront jusqu'à la Révolution le sceau de la croix
du Christ avec en exergue la devise de l'ordre des jésuites : Ad majorem Dei Gloriam
(« Pour la plus grande gloire de Dieu »). Devise que les Maçons ont transformée en « À
la gloire du Grand Architecte de l’Univers ».
Deux Maçonneries se développeront en Angleterre, la stuardiste (jacobite) et la
hanovrienne, mais les deux finiront par se rejoindre dans des rites et des obédiences
communes lorsque la Maçonnerie s'étendra internationalement.
Et la franc-maçonnerie allait rapidement croître, au XVIIIe siècle, « entre autre grâce à
l’immixtion des jésuites », avouera le Frère Peter.
Le fameux chevalier Ramsay, référence internationale de la franc-maçonnerie, a
d’ailleurs été soutenu par les jésuites et fut toujours un défenseur du Vatican.
De nombreux autres Frères admettront qu’il existe des liens entre la Compagnie de Jésus
et la Maçonnerie, comme le Frère Ragon, le Frère Findel, le Frère Rebold, le Frère Detré,
etc.
Rebold, historien maçonnique aussi compétent que consciencieux, indique six ou sept
rites créés par les jésuites : le Rite de la Vieille Bru, le Rite des Clercs de la Stricte
Observance, le Rite de l'Étoile Flamboyante, le Rite des Chevaliers de la Cité Sainte,
etc.
37
Le Frère Jouaust admet quant à lui que le grade de l'ancien Rose-Croix, essentiellement
catholique dans la forme, paraît avoir été la brèche par laquelle les jésuites ont investi la
Maçonnerie supérieure.
Autre étrangeté non négligeable : il faut savoir que sur le tableau du grade de « Maître
Irlandais » au Rite Écossais Ancien et Accepté se trouve le IHS des jésuites ! Ce grade
est en effet inspiré des rites chinois jésuites, selon certains francs-maçons (Etiemble –
L’Europe chinoise).
Les jésuites formèrent aussi le célèbre Maçon J-B Willermoz, ou encore le fondateur
des Illuminés de Bavière, Adam Weishaupt. Weishaupt fonda d’ailleurs les Illuminés de
Bavière l’année où la Compagnie fut officiellement interdite par le Saint-Siège,
continuant l’œuvre jésuite, cette fois sous un angle clairement athée, au sein des milieux
maçonniques qui tendaient de plus en plus vers l’idéologie révolutionnaire.
Le père jésuite J.A. Ferrer Benimeli a reconnu que « à la veille de la Révolution, rien
qu'en France, plus d'une trentaine de loges ont un ecclésiastique pour Vénérable ; les
loges qui ne comptaient pas un abbé ou un religieux dans leur sein constituaient des
exceptions. » 25
C’est ainsi que les jésuites se mêlèrent aux sociétés secrètes qui allaient soutenir les
révolutions dites « des Lumières », en Europe. Ils appuyèrent certainement la Révolution
Française, ayant une terrible vengeance à prendre contre la couronne de France et contre
l’Église, qui furent les deux cibles de la Révolution.
La Compagnie étant officiellement dissoute lors de la Révolution Française, les jésuites
ne purent être soupçonnés. Mais l’implication de certaines loges maçonniques dans la
Révolution n’est plus à prouver, et on est en droit de penser que les jésuites n’agirent
certainement pas à l’encontre de l’activité révolutionnaire de ces loges.
Mais, dès 1789, comme des coupables clamant leur innocence avant même qu’on ne les
ait accusés, plusieurs ex-jésuites 26 s’empressèrent de condamner la Révolution et se
firent subitement les apôtres de l’idéologie réactionnaire.
25
26
J.A. Ferrer Benimeli, Le clergé franc-maçon pendant le XVIIIe siècle
Ex-jésuites puisque la Compagnie n’avait plus d’existence légale.
38
APRÈS LA RESTAURATION DE LA COMPAGNIE
La Compagnie reprend une image « catholiquement correcte »
La Révolution Française et ce qu’elle engendra furent une telle horreur que, par
nécessité politique, les jésuites se firent une nouvelle fois les défenseurs principaux de
l’Église, lors de la restauration de leur ordre, en 1814. On les retrouva à maintes reprises
auprès des souverains qui luttèrent contre les idées révolutionnaires.
Ainsi, beaucoup diront que ce ne fut pas la même Compagnie qui ressuscita – bien
qu’elle était restée telle quelle, principalement en Russie, et qu’elle continua d’agir
d’une façon encore plus vicieuse via des loges qu’elle fera mine de condamner par la
suite.
Mais les jésuites, toujours dissimulés derrière le saint visage du catholicisme,
continueront d’agir au XIXe siècle en accord avec l’esprit initial de leur Société.
Même le très clérical auteur du Génie du christianisme, François-René de
Chateaubriand, écrivit dès qu’il apprit à connaître les jésuites :
« Je dois avouer que les jésuites m’avaient semblé trop maltraités par l’opinion.
J’ai jadis été leur défenseur et depuis qu’ils ont été attaqués dans ces derniers
temps, je n’ai dit ni écrit un seul mot contre eux. J’avais pris Pascal pour un
calomniateur de génie, qui nous avait laissés un immortel mensonge ; je suis
obligé de reconnaître qu’il n’a rien exagéré… » (Journal d’un Conclave, 1829).
Les jésuites continuent à faire scandale
En raison de leurs manigances et de leur avidité de pouvoir, les jésuites sont encore
expulsés au XIXe siècle, d’Espagne, en 1835, de Suisse, en 1847, ou encore
d’Allemagne par Bismarck, en 1872.
Le pape Pie IX, au début ami des jésuites puis exaspéré par leurs revendications qui
prennent la forme d’attaques contre sa personne, les renverra de Rome, en 1848.
En 1828, et avec l’approbation du pape Léon XII, la France interdit l’Enseignement aux
jésuites, leur domaine de prédilection grâce auquel ils formatent l’avenir de la société.
En 1845, les jésuites seront à nouveau chassés de France avec le consentement du pape
Grégoire XVI. La France connaît une nouvelle révolution trois ans plus tard – révolution
toujours condamnée idéologiquement par la Compagnie.
En Russie, le tsar Alexandre dut réparer le sabotage de l’impératrice Catherine II qui eut
le malheur de sauver la Compagnie, et il expulsa les jésuites alors que ceux-ci étaient
rétablis dans le reste du monde, d’abord de Saint-Pétersbourg, en 1815, et enfin de tout
le territoire, en 1820.
L’Empire des tsars s’était rendu compte des ravages sur son territoire qu’avait causés la
campagne napoléonienne, soutenue par les jésuites pour affaiblir l’Occident, remodeler
la France et attaquer les couronnes d’Europe.
39
De nombreux écrits sont publiés au XIXe siècle pour dénoncer la Compagnie de Jésus,
la plupart par des laïcs ou des protestants, il faut l’admettre, mais aussi par quelques
catholiques encore lucides sur les menées de la Compagnie, bien que celle-ci fasse à
cette époque le jeu du catholicisme intègre.
« Le jésuitisme a compromis le catholicisme », résumera Edgar Quinet.
Une religieuse, M.F. Cusack, publie en 1896, Le pape noir :
« Les jésuites offrent au monde en général un système théologique selon lequel
n’importe quelle loi, divine ou humaine, peut être enfreinte en toute impunité,
et les Bulles papales ignorées. C’est une effroyable religion ; une religion que
les honnêtes gens doivent abhorrer. »
Un lord anglais, Robert Montagu (1825-1902), écrira quant à lui :
« La Société de Jésus – avec ses adhérents nihilistes en Russie, ses alliés
socialistes en Allemagne, ses Fenians et ses nationalistes en Irlande, ses
complices et ses esclaves à sa merci. Pensez à cet ordre qui n’a aucun scrupule
à déclencher les guerres les plus sanglantes entre les Nations pour faire avancer
sa cause, et pourtant capable de s’abaisser à traquer un homme seul qui connaît
ses secrets et refuse d’être son esclave. Imaginez un ordre capable de concevoir
un complot aussi diabolique tout en s’en vantant ; ne nous manque-t-il pas
l’énergie du désespoir ? »27
Un idéal profondément matérialiste
Le génie des jésuites fut de jouer en permanence dans deux camps : d’être à la fois les
références de la lutte contre-révolutionnaire, afin d’en faire une doctrine dans laquelle
la Compagnie n’est jamais mise en cause, et d’être en même temps les promoteurs d’un
progrès qui allait être fatal au catholicisme comme à toutes les autres religions.
Le temps passant, la Compagnie allait davantage encore que par le passé, s’investir dans
la recherche scientifique.
La Compagnie va se trouver des domaines de prédilection, comme l’astronomie par
exemple. Les jésuites travaillent ainsi de pair, aujourd’hui encore, avec la NASA et ont
obtenu le monopole de l’Observatoire du Vatican qui est établi à Rome, et en Arizona,
aux États-Unis.
Teilhard de Chardin (1881-1955) fut probablement le meilleur exemple du jésuite
moderne, pour qui la théologie est synonyme de philosophie matérialiste et est associée
inéluctablement à la science. Le père Teilhard de Chardin concevait la matière et l’esprit
comme les deux faces d’une même réalité, abandonnant par là toute conception
religieuse transcendante. Il vouait un culte au « Christ de la matière » et voyait dans le
27
In Recent events and a clue to their solution
40
progrès moderne l’œuvre de Dieu. Œuvre qui, toujours selon lui, doit mener au « Point
Oméga » : la fusion de tout dans tout, le retour à la matière primordiale informe, ce que
Teilhard de Chardin ose appeler Dieu.
Teilhard de Chardin est aussi très connu pour la trouvaille de l’homme de Piltdown,
preuve que l’Homme descendrait du singe. Mais, en 1953, deux analyses prouvèrent
qu’il s’agissait là d’un faux, que la datation était inexacte et que la prétendue mâchoire
de ce qui était censé être notre ancêtre était en fait une mâchoire de singe moderne
rajoutée artificiellement ! L’imposture fut dès lors communément admise, mais la
croyance sans preuves 28 que l’Homme descend du singe n’en est pas moins restée un
dogme de notre Histoire, que l’on doit en grande partie au jésuite Teilhard de Chardin.
On pourrait aussi parler du jésuite Michel de Certeau, philosophe matérialiste, pour ne
pas dire athée, et apôtre de la psychanalyse et de la pensée dégénérée dont elle est la
matrice.
Avec les nouvelles orientations du monde moderne, la Compagnie put de plus en plus
dévoiler son véritable idéal, fondamentalement matérialiste.
28
Les seules preuves qu’on ait, celles de la similitude génétique entre l’Homme et le singe, ne permettent pas
d’affirmer si l’Homme descend du singe, si le singe et l’Homme ont des ancêtres communs, ou encore si le singe
descend de l’Homme ! Cette dernière hypothèse, qui paraît tout aussi logique, n’est pourtant jamais enseignée, ni
prise en compte.
41
LES JÉSUITES ET LES RÉACTIONS NATIONALES AU DÉBUT DU
XXe SIÈCLE
Les révolutions décadentes des XVIIIe et XIXe siècles furent donc à la base d’une
nouvelle société matérialiste, imposée de force au niveau international contre la liberté
des Nations à disposer d’elles-mêmes. En Europe, de grands mouvements de réactions
nationales virent donc le jour au début du XXe siècle, et dont l’extrémisme était
proportionnel à celui dont faisait preuve le monde moderne.
C’est ainsi que le parti fasciste italien arriva au pouvoir, en 1922, et le parti nationalsocialiste allemand, en 1933. Dès le début, des jésuites s’allieront à ces nouveaux
pouvoirs afin de garder une influence sur ces dangereuses réactions antimondialistes.
Nous ne parlerons pas des mouvements plus ou moins similaires, par exemple en
Espagne ou au Portugal, desquels les jésuites ne furent pas loin non plus.
En Allemagne comme en Italie, certains idéologues fascistes essayeront de dénoncer les
buts poursuivis par la Compagnie de Jésus, mais en vain.
Dans l’Italie fasciste
Arturo Reghini, chercheur ésotériste pour le moins étrange qui fut un ami proche de
Julius Evola, avec qui il fonda la revue Ur, dénonça vigoureusement la Compagnie de
Jésus auprès du régime fasciste, dans lequel il avait tous ses espoirs. Espoirs qui
s’éteignirent, en 1929, lors de la signature des accords du Latran préparés par le jésuite
Pietro Tacchi Venturi, entre Mussolini et le Vatican.
Reghini avait eu de très bonnes observations sur la Compagnie de Jésus :
« Les jésuites, toujours doués pour distinguer ce qui arrange leurs thèses, quand
ils se trouvent devant des courants et mouvements ayant un caractère universel
et opposé à leur catholicité, les déclarent internationaux et les condamnent au
nom du nationalisme ; inversement, pour faire accepter leur internationalisme,
ils le font passer pour de l’universalisme romain, en spéculant sur les sentiments
et la simplicité des nigauds. (...) Avec ce stratagème, dont le temps et l’amère
expérience rendront conscients les Italiens et aussi les fascistes non aveuglés
par la passion partisane, les jésuites sont en train d’imposer leur politique... » 29
Julius Evola essayera lui aussi, avant les accords du Latran, de mettre en garde le régime
du danger que représentent les jésuites en coulisse :
« Il faut se rendre compte rapidement de la nécessité de procéder à la dissolution
de la Compagnie de Jésus, et ce au motif qu’elle est une association secrète,
illicite et internationale, beaucoup plus dangereuse que la franc-maçonnerie, et
dont les menées antifascistes, que nous n’hésiterons pas à rendre publiques en
temps opportuns, nous sont connues. »30
29
30
Vita Italiana, août-septembre 1924
Julius Evola, Impérialisme païen, Pardès, 1993, p.58
42
Alors qu’à l’époque, le Vatican est presqu’entièrement sous la coupe de la Compagnie
de Jésus, Evola continue :
« Que chaque Italien et chaque fasciste se rappelle que le roi d’Italie est,
aujourd’hui encore, considéré par le Vatican comme un usurpateur. »31
Plus loin, Evola dit qu’il « n’est pas nécessaire d’être gibelin ou païen » pour se rendre
compte des agissements de cette société secrète et internationale qu’est la Compagnie
de Jésus :
« (...) en leur temps déjà, Il Mezzogiorno, La Vita Italiana et La Tribuna avaient
jeté à la tête des jésuites leur internationalisme antifasciste, avec des arguments
et données de fait auxquels La Civiltà Cattolica a été incapable de répliquer. »
Dans l’Allemagne national-socialiste
En Allemagne, l’idéologue Alfred Rosenberg, auteur du fameux Mythe du XXe siècle
(1930), dénonce vigoureusement les jésuites. Il place la Compagnie de Jésus dans les
factions qui menacent la nation de l’intérieur, et ce au même titre que la communauté
juive !
« (...) l’ordre des jésuites travaille consciemment, Ad majorem dei Gloriam, à
la décomposition de l’Europe nordico-germanique et s’infiltre
immanquablement partout où une blessure apparaît sur le corps d’un peuple. »32
Rosenberg déclenchera la haine de nombreux jésuites d’Allemagne, comme le jésuite
Jacob Nôtges qui conseillera à Hitler de « passer une camisole de force » à Rosenberg.
Hitler, sous l’impulsion entre autre de Martin Bormann, mettra peu à peu le travail de
Rosenberg à l’écart.
Le NSDAP des origines dénonce trois grands ennemis internationaux : la Francmaçonnerie, le judaïsme et la Compagnie de Jésus.
Mais le thème des jésuites, trop élitiste et n’ayant pas d’intérêt en termes de politique
électorale, sera vite abandonnée par le NSDAP, jusqu’à ce que des personnes favorables
à la Compagnie prennent de l’importance dans le parti, comme Bormann qui devint le
second d’Hitler.
Le double jeu jésuite
Ainsi, les jésuites tinrent même plus ou moins sous contrôle ceux qui tentèrent de se
soulever contre l’ordre international tant défendu par leur Compagnie !
Promoteur de la contre-révolution durant le XIXe siècle, agissant dans l’ombre des
régimes nationalistes du XXe siècle, les jésuites ont réussi à bénéficier, jusqu’à
aujourd’hui, d’un certain respect dans les milieux de la Droite.
Il faut le dire, ce fut là un coup de génie pour la Compagnie que de réussir à mettre de
son côté ceux qui sont les seuls à combattre l’idéal qu’elle promeut depuis maintenant
cinq siècles : l’Internationale...
31
32
Ibid.
Alfred Rosenberg, Le Mythe du XXe siècle
43
LES JÉSUITES AUJOURD’HUI
La véritable religion des jésuites : un marxisme spirituel
Avec le temps, les jésuites osèrent peu à peu se démasquer et, après avoir fait le jeu de
la droite réactionnaire, beaucoup d’entre eux s’affichèrent ouvertement marxistes : le
Grand soir n’est-il pas la définition pratique de ce que les pères, à la suite de Teilhard
de Chardin, appellent le « Point Oméga » ?
L’union des religions et de toutes les nations dans une République sociale et universelle
n’est-elle pas l’idéal commun des pères jésuites comme des internationalistes athées ?
Dans la seconde moitié du XXe siècle, les jésuites s’impliqueront beaucoup en Amérique
du Sud, continent où ils sont les plus présents, dans la « théologie de la libération »,
nouvelle théologie qui veut donner une dimension religieuse et christique aux luttes
sociales et à l’activisme de gauche.
Pendant la période où se déroulait le Concile Vatican II, le père Pedro Arrupe, membre
du Parti Communiste espagnol, fut élu Supérieur Général de la Compagnie. Il fut à
l’avant-garde de la politique qu’on appelle « réformiste », à défaut de l’appeler
« anticatholique ». Ce Général, qui est vu comme le plus grand Général de la Compagnie
au XXe siècle, s’occupa davantage des problèmes sociaux à travers le monde que de la
sauvegarde du catholicisme. Lorsque les jésuites appellent Arrupe le « refondateur » de
l’ordre, le comparant parfois à Ignace, ils ne se trompent guère : il s’agit bien là du même
esprit qui fut présent aux origines de la Compagnie.
Les jésuites à l’avant-garde du progrès
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’influence jésuite est plus que jamais présente
dans le monde actuel.
On dira encore et toujours que cette affirmation relève d’un délire « complotiste », et
que les pires crimes dont on accuse la Compagnie de Jésus relèvent du passé, ce à quoi
nous répondrons :
Premièrement, n’y a-t-il pas eu encore récemment, de plus grands fossoyeurs de l’Église
que les artisans de Vatican II, dont les jésuites furent et seront toujours davantage les
défenseurs ? Et ce notamment, à travers certains des acteurs du Concile, qui sont à
compter parmi ses loyaux pères, comme Augustin Bea, John Courtney Murray, Karl
Rahner, etc.33
Les jésuites incarnèrent plus que jamais, lors de ce Concile, l’esprit du progressisme
antireligieux.
Et deuxièmement, pourquoi se ferait-elle aujourd’hui remarquer de manière scandaleuse
et criminelle comme par le passé, alors qu’elle n’a plus besoin de lutter comme
auparavant puisque ce monde est désormais le sien, celui qu’elle a construit par plusieurs
siècles d’influences politiques, religieuses et éducatives ?
33
Ce fut le cardinal jésuite Augustin Bea qui fut un des piliers de l’œcuménisme lors de Vatican II, et qui, fidèle
à l’esprit marrane de sa Société, proposa de faire retirer les passages jugés « antisémites » de la Bible.
44
Plus encore que par le passé, la Compagnie de Jésus forme des pères qui sont à compter
parmi les meurtriers du christianisme, au nom d’un idéal syncrétiste et internationaliste
que, dès le départ, elle incarna dans ses missions.
Poussant toujours plus loin sa politique réformiste, la Compagnie tombe encore parfois
en désaccord avec le Vatican, sur lequel elle est toujours en avance en termes de
« réformes ». Ainsi, en 2007, l’Église se voit-elle obligée de reprocher au jésuite Jon
Sobrino (un des fondateurs de l’Université centraméricaine de San Salvador, connu pour
ses écrits sur la théologie de la libération) que certaines de ses thèses sont incompatibles
avec des dogmes fondamentaux du catholicisme, comme la divinité de Jésus-Christ ou
l’incarnation du Fils de Dieu. Le porte-parole du Conseil Général des jésuites, le père
Jose de Vera, affirmera quant à lui que l’ordre jésuite est complètement en accord avec
tout ce qu’écrit Sobrino !
La Compagnie est aujourd’hui à la pointe des missions humanitaires internationales,
montrant à quel point un ordre mondial est la solution à tous les problèmes de
l’humanité.
Aussi à la pointe du progrès technologique, elle fait l’apologie d’Internet qu’elle appelle
« Notre-Dame du Web34 », démontrant encore une fois de manière magistrale sa
conception du divin. Le nouveau pape jésuite, François, a d’ailleurs déclaré le 23 janvier
2014 qu’Internet était « un don de Dieu » et enjoint les catholiques à devenir « des
citoyens du numérique ». Rien d’incohérent : « Notre-Dame du Web » est en effet ce
qui, à l’heure actuelle, se rapproche le plus du « Point Oméga », désigné par les jésuites
comme le but ultime de l’évolution.
La Compagnie et l’Islam
En ce qui concerne l’Islam, auquel s’oppose traditionnellement la Compagnie35, le
précédent Supérieur Général de l’ordre jésuite (Peter Hans Kolvenbach) déclarait
néanmoins : « Nous avons les mêmes buts, mais n’y allons pas par les mêmes moyens. »
Quant à lui, en juillet 2013, quelques mois après son élection, le pape jésuite François
déclarait : « Je désire me tourner en pensée vers les chers immigrés musulmans qui
commencent le jeûne du ramadan, avec le vœu d’abondants fruits spirituels. L’Église
vous est proche dans la recherche d’une vie plus digne pour vous et vos familles. »
François, en visite à Lampedusa, invitait aussi les Européens à faire preuve de cœur
envers ces immigrés qui doivent braver tant de difficultés pour arriver jusqu’en Europe,
dénonçant la « mondialisation de l’indifférence ». 36
Rappelons que l’arrivée de ce pape jésuite sur le Saint-Siège avait déclenché une onde
d’enthousiasme médiatique internationale, a contrario de son prédécesseur, Benoît XVI,
jugé encore trop conservateur pour l’époque et dont la démission fut probablement un
peu « forcée ».
34
Le site Internet de la « famille ignatienne » porte d’ailleurs ce nom.
Opposition principalement due au fait que l’Islam soit resté trop archaïque et sclérosé pour pouvoir se fondre
dans le nouveau monde des « Droits de l’Homme ».
36
Voir l’article de Guillaume Faye (www.gfaye.com), Le pape, premier agent de l’immigration et de
l’islamisation ?, 13 juillet 2013
35
45
Toujours par rapport à l’Islam, de très bons travaux sur lesquels nous ne nous étendrons
pas ici ont montré que les Constitutions de la Compagnie de Jésus ont été inspirées, entre
autre, des sociétés secrètes musulmanes 37. C’est une thèse qui se défend lorsque l’on
sait que la Compagnie fut créée par des convers majoritairement originaires d’Espagne
où leurs liens avec l’Islam avaient été très étroits.
Le rêve américain des pères jésuites
On pourrait aussi parler des jésuites qui travaillent de pair avec la NASA, ou avec la
Navy américaine dans le domaine de la sismographie et de la cartographie, 38 ou encore
de leurs liens avec certains services secrets. En ce qui concerne ces derniers, le cardinal
jésuite Avery Dulles, mort en 2008, était le correspondant de la CIA au Vatican. Son
père, John Foster Dulles, avait été Secrétaire d’État des USA et son Oncle, Allen Welsh
Dulles, directeur de la CIA. Le prêtre jésuite Walter Ciszek (1904-1984), enfermé en
tant qu’espion en URSS, sera racheté par les Américains en pleine guerre froide. Les
jésuites, en raison de l’expérience et de la puissance de leur Compagnie, ont toujours été
privilégiés pour les missions internationales, qu’il s’agisse de missions diplomatiques,
humanitaires ou secrètes.
Ainsi, durant ce dernier siècle, la Compagnie de Jésus se développa particulièrement
aux USA, fer de lance de l’impérialisme mondialiste. Outre leurs fameuses implications
dans les milieux universitaires (Georgetown, Harvard, etc.), nous pouvons citer de
nombreux jésuites américains importants :
- George Coyne (1933- ), grand astronome qui travailla notamment à l’université
d’Arizona
- Robert Drinan (1920-2007), qui rentra dans la politique, fut membre du Congrès
et appuya la reconnaissance légale de l’avortement
- John La Farge (1880-1963), connu pour ses campagnes « antiracistes », il fut le
fondateur de la Conférence nationale catholique pour la justice interraciale et
prépara un mandement pontifical condamnant le racisme et l’antisémitisme
- John Courtney Murray (1904-1967) qui travailla à accorder le catholicisme aux
principes républicains américains. Il joua un rôle important lors de Vatican II
- John McLaughlin (1927- ), homme de télévision et commentateur politique.
C’est lui qui avait la responsabilité d’écrire les discours du Président Richard
Nixon
- Thomas J. Reese (1945- ), célèbre journaliste dont les articles traitaient de
l’œcuménisme et du pluralisme religieux, de l’homosexualité chez les prêtres,
etc. En 2014, il est nommé à la United States Commission on International
Religious Freedom par le Président Barack Obama
- Vincent O’Keefe (1920-2012), qui seconda pendant 18 ans le Général de la
Compagnie Pedro Arrupe, que nous avons déjà évoqué, sera correspondant du
Vatican avec ABC News et présida l’université jésuite de Fordham
37
Par exemple L’origine musulmane des jésuites (1900), par l’abbé Victor Charbonnel, ou Les origines de la
Compagnie de Jésus (Paris 1898), par Hermann Müller
38
Par exemple, le jésuite Daniel Linehan (1904-1987) était directeur de l’Observatoire de Weston et responsable
de la cartographie de la marine américaine.
46
-
-
Edmund A. Walsh (1885-1956), fondateur de l’université de Georgetown et
agent proche de l’armée américaine. Après la victoire des Alliés lors de la
Deuxième Guerre mondiale, il se rendra au Japon vaincu, avec le Général
MacArthur et sera consultant au Procès de Nuremberg, où il interrogera l’accusé
Karl Haushofer.
Etc.
L’actuel Supérieur Général des jésuites, Adolfo Nicolas, déclare au sujet des États-Unis
d’Amérique : « C’est un pays que j’admire énormément pour beaucoup de raisons, parmi
lesquelles son ardeur au travail, sa spiritualité et sa pensée. » 39 Sa pensée !
Orienter le monde par l’éducation
En ce qui concerne l’éducation, il est reconnu qu’encore aujourd’hui, les jésuites
« forment dans leurs universités une grande partie de l'élite mondiale»40. Le monde des
idées est le leur.
Comme nous l’avons vu, tout prêtre jésuite poursuit une formation intellectuelle et
idéologique si poussée qu’il doit être capable de donner un avis définitif et indiscutable
sur tous les sujets.
Ainsi, c’est en tenant l’éducation, qu’ils maîtrisent avec brio, en formant
progressivement les nouvelles générations et en faisant donc de leurs idées des vérités
communément admises, que les jésuites ont peu à peu donné une nouvelle direction au
monde.
39
40
Radio Vatican, le 04/09/2013
L’Observateur, Un pape jésuite au Vatican ? « Oui, c’est bien une révolution ! », 14 mars 2013
47
CONCLUSION
La Compagnie de Jésus, qui fut bannie près de 80 fois d’à peu près tous les pays, est
donc à compter parmi les agents les plus actifs de la dissolution moderne, et ce depuis
cinq siècles.
Fondements judaïques, influence originelle probablement islamique, forme religieuse
catholique, politique œcuméniste, conceptions matérialistes, tendance à l’orientalisme
tout en condamnant les véritables traditions de l’Orient (comme l’hindouisme) : il ne
fallait pas s’attendre à ce que cet ordre pour le moins étrange soit le sauveur du
Christianisme !
Mais, aujourd’hui, dénoncer la Compagnie de Jésus semble relever d’un
« conspirationnisme paranoïaque » lorsque l’on connaît les théories invraisemblables
qui peuvent circuler sur le Web à propos des jésuites. Et ne parlons même pas des
révoltés qui s’insurgent naïvement devant le fait qu’on demande aux jésuites de faire
vœu d’obéissance absolue, ne trouvant pas d’autres angles sous lesquels les dénoncer.
Mais il est évident que ces dénonciations futiles de la Compagnie de Jésus servent celleci plus qu’autre chose, étouffant les véritables raisons pour lesquelles elle mériterait
d’être dénoncée.
Il faut comprendre que les jésuites placent Jésus avant le Christ, et qu’ainsi,
progressivement, le Rédempteur va devenir un prophète qui sera absorbé parmi ceux de
l’Ancien Testament. Ce fait échappe aux catholiques, globalement "enjésuités".
Le jésuitisme est le rêve d’un royaume terrestre et matériel en opposition absolue avec
le plan de Salut du Christ dont le « Royaume n’est pas de ce monde ». Teilhard de
Chardin appelait Dieu : « Mon Dieu de la matière ».
Les jésuites ont permis à l’œcuménisme d’évoluer vers une nouvelle religion mondiale
de synthèse. Le jésuitisme ne reconnaît qu’un monde homogène où tout se vaut. Mais
qui en aura le contrôle ? C’est là l’enjeu de leur combat.
Les loges maçonniques, composées de petits bourgeois se réunissant le week-end, ne
valent pas mieux que des associations de boy-scouts à côté de cet ordre puissant, qui a
un réel pouvoir occulte. Ordre qui, rappelons-le, est international, ultra-centralisé et
exclusivement composé de soldats sur-formés et ayant fait le sacrifice intégral de leur
vie.
Cela les a placés en pole position avec le judaïsme dans la gestion des affaires terrestres.
Les deux, à plusieurs reprises, ont d’ailleurs collaboré à travers l’Histoire.
48
Aucune autre organisation ne fonctionne avec autant de discipline et d’efficacité sur
cette Terre. Même un agent des services secrets, en temps ordinaire et une fois son
travail terminé, rentre chez lui comme tout le monde pour passer du bon temps avec sa
femme et ses enfants.
Le jésuite, lui, est constamment au service de son armée, qui est aussi sa famille, son
école et son église. Lorsqu’il parle de l’amour du Christ, il parle de l’amour de la Société
de Jésus. Il ne connaît rien d’autre, et dans le cas contraire, il ne pourrait tenir au sein de
la Compagnie.
Il n’est pas étonnant qu’un tel ordre ait réussi à surpasser toutes les épreuves et à
s’imposer au monde entier !
Ayant perdu son utilité, on le croit inoffensif, alors qu’il domine l’Église et d’autres
institutions religieuses et civiles, y compris au sein des armées.
∗
Il est donc nécessaire de rappeler aux patriotes, et en particulier aux catholiques, la
véritable nature de la Compagnie de Jésus qui parvient à garder auprès de ceux-ci
l’image d’un ordre de prêtres sympathiques et plutôt conservateurs, alors que son idéal
est strictement à l’opposé du leur. L’Église n’a été que leur cheval de Troie et le pape
François est le couronnement d’un plan d’une duplicité inouïe. S’affubler du nom du
Poverello Francisco est le comble du cynisme et de la démagogie, mais ce n’est que du
pur jésuitisme.
Chez les antimondialistes d’Occident, peu importe leurs tendances idéologiques, on
s’accorde généralement à dénoncer un ennemi extra-européen, comme l’Islam, le
sionisme ou les États-Unis d’Amérique, et cela pour protéger la civilisation européenne
et, particulièrement, le christianisme.
Mais l’ennemi le plus dangereux n’est-il pas celui qui est considéré comme
fondamentalement européen, inoffensif ou, pire encore, comme faisant partie des alliés
à protéger ?
Les nationalistes et les défenseurs des identités voudraient défendre la « tradition
européenne et chrétienne » prise en un bloc, mais le ver est dans le fruit depuis déjà bien
longtemps...
Avant de dénoncer l’immigration de masse ou l’américanisme, contre lesquels toute
personne de bon sens est censée s’ériger, peut-être faudrait-il dénoncer ceux qui, se
cachant en prenant le masque de la tradition chrétienne, la détruisent de l’intérieur ?
À méditer...
49
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