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La Lettre aux Romains
Plan de l’épître
Rappel : Elle fait partie des 13 lettres attribuées de manière certaine à Paul dans le NT.
Aujourd'hui, la paternité de 6 ces lettres est contestée. Eph, Col et 2 Thess., et les
pastorales (1 et 2 Tim, Tite). 7 lettres authentiques de Paul : Rom, 1 et 2 Co, Ga, Phi,
Philémon, 1 Thess. Cette ER est la 1° des lettres de Paul dans le NT (car la + longue).
En introduction au résumé de la théologie de Rm 9-11 – s’il est possible de la résumer-,
je voudrais resituer ces 3 chapitres dans le cadre de l’ensemble de l’épître d’une part, et
d’autre part, rapporter le contexte de l’écriture de cette lettre.
L'Epître aux Romains raconte comment le salut de Dieu est apparu aux hommes et
comment il s'accomplit en Jésus-Christ « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre
réconciliation » : il renvoie le Juif aux Écritures, qui racontent comment le salut est
donné dans l'Alliance, et il ouvre la conscience du Grec à l'accueil de la foi. Tel est
l'objet des chapitres 1 à 4.
La deuxième étape (ch. 5 à 8) appelle le chrétien à s'approprier ce salut.
Le salut advenu en Christ doit encore s'accomplir en nos vies. Pour nous prémunir
contre la tentation de nous croire déjà installés dans le Royaume de Dieu, Paul nous
remet devant les yeux « le mystère d'Israël » (ch. 9 à 11), avant d'évoquer le combat
spirituel du chrétien affronté au monde de ce temps (ch. 12 à 16). Ces deux aspects
sont complémentaires. Il ne faut jamais perdre de vue le rapport étroit qui lie Israël à
l'Eglise — à la fois origine et déchirure.
Introduction : rappel du contexte d’écriture de l’épître,
pour éclairer 9-11
La lettre de Paul aux Romains, écrite au début du printemps 57 ou 58, représente l’un
des derniers documents que nous tenons de l’apôtre. La lettre est adressée à une
communauté qu’il n’a pas fondée, dans laquelle se manifestent des tensions qu’il veut
apaiser, et auprès de laquelle il veut s’introduire. La lettre apparaît comme l’une des
plus paisibles et des plus élaborées théologiquement de l’apôtre ; au point que certains
commentateurs ont voulu y reconnaître une sorte de traité théologique plus qu’une
lettre...
Même s’il est vrai que Romains reprend les principaux thèmes de la théologie
paulinienne, il semble bien cependant que Romains soit une lettre, certes un peu longue
et préfigurant à ce titre le genre de la « lettre apostolique », mais adressée à une
communauté en fonction de problèmes qui se posent en son sein. Parmi tous ces
problèmes, il faut mettre en exergue celui des relations entre judéo-chrétiens et pagano-
chrétiens. Il faut savoir que ces derniers étaient devenus majoritaires dans la
communauté de Rome, à la suite de l’expulsion des judéo-chrétiens de la ville par
l’empereur Claude en 41 ap. J.C.. Ils sont revenus quelques années plus tard, à partir
des années 50, lorsque l’édit fut révoqué, et des problèmes de coexistence ont
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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commencé à ce moment-là. C’est en particulier pour faire face à ces problèmes que,
fort de son expérience acquise par exemple à Antioche, Paul intervient afin de défendre
l’égalité du statut du judéo- et du pagano-chrétien devant Dieu, tout en maintenant
subtilement une priorité de l’élément d’origine juive.
Aux judéo-chrétiens , il va rappeler que les pagano-chrétiens, bien que ne faisant
pas partie du peuple élu, peuvent maintenant se recommander de la paternité
d’Abraham, en vertu de la justification par la foi (voir en particulier les chapitres
1-4) ; il va rappeler surtout (chapitres 7 et 10) que la loi de Moïse porte en elle la
révélation du Christ, et que c’est d’ailleurs là sa « fin ».
Aux pagano-chrétiens , il va rappeler que les juifs bénéficient d’une priorité,
qu’ils sont ainsi la racine de l’arbre sur lequel eux, pagano-chrétiens, ont été
greffés (et c’est précisément le thème de ces chapitres 9-11).
Dans son ER, Paul fait tout pour amener les deux partis à s’accepter mutuellement, à
prendre conscience de leur unité fondamentale. En ce sens, le sommet de la lettre
pourrait être 15,7 : « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a
accueillis, pour la gloire de Dieu. » Les indices en faveur de cette hypothèse sont
nombreux. Paul emploie très souvent les termes Juifs-grecs et leurs parallèles. Il ne
mentionne jamais « L’Église de Dieu » qui est la destinataire de toutes les autres
lettres, inutile au sein d’une communauté désunie.
C’est l’hypothèse dominante dans la recherche biblique sur l’épître aux romains.
Ces trois chapitres sont sans équivalent dans le NT. Ils sont les seuls à maintenir le
statut de « peuple de Dieu » à Israël, à lui attribuer une place permanente dans
l’économie du salut. Impossible de comprendre l’émergence de l’Église, dans sa
différence et sa nouveauté, sans son enracinement permanent dans le peuple de la
promesse.
Ces chapitres 9 à 11 sont devenus la référence majeure pour préciser les relations entre
l’Église et le judaïsme. Mais ne faisons pas d’anachronisme : au temps de Paul, la
rupture n’est pas encore définitivement consommée. Le propos porte sur les relations
entre cette part d’Israël qui refuse l’Évangile et les nations. C’est le « mystère »
d’Israël qui est en question.
Résumé de la complexité des 3 chapitres (avant d’aborder 2 ou 3 points
plus précisément)
Partons d’Abraham, comme Paul le fait au ch. 9. Paul fait de lui l'ancêtre des juifs
et des païens. 9,7 : « … pour être la descendance d’Abraham, tous ne sont pas ses
enfants… » Alors, une question se pose : quel est le statut particulier d’Israël, à partir
du moment les païens sont intégrés à la descendance d’Abraham ? ou, pour le dire
autrement, l’élection d’Israël est-elle devenue caduque ? A quoi bon la longue
fréquentation de Dieu avec ce peuple particulier, si c'est pour abandonner son
lien exclusif avec lui ? Et puis, si la justification n'est jamais donnée qu'en
vertu de la foi (seule la foi rend juste, et non la pratique de la Loi), quel salut attend
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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ceux qui affirment la priorité de la Loi sur la foi ?
C’est bien la question qui est traitée dans les chapitres 9 à 11. Après avoir
systématiquement exposé la justification par la foi dans les chapitres précédents,
Paul en vient à se dire logiquement : et alors Israël ?
L'argumentation de ces 3 chapitres est difficile à suivre. Visiblement Paul est
agité, au sens propre, agité par la question qui le torture. Il le déclare d'entrée:
« Je préférerais être moi-même paré du Christ pour mes frères, ceux de ma
race selon la chair, les Israélites à qui appartiennent l'adoption, la gloire, les
alliances, la Loi, le culte, les promesses et les pères » (Rm 9,3-5). Paul est
traversé de sentiments contradictoires face à la brillance d'une tradition à
laquelle Dieu s'est si intimement lié, mais qui a rejeté son Messie.
Paul hésite entre deux arguments opposés qu'il entrelace presque jusqu'à la fin.
Le premier consiste à dire qu'au fond il n'y a pas d'échec. « La parole de
Dieu n’a pas échoué » (9,6). Les vrais enfants d'Abraham sont les enfants de
la promesse, donc les chrétiens, tant d’origine juive (je reviendrai sur la
nuance d’emploi du terme Israël). L'histoire du peuple élu a d'ailleurs
toujours fonctionné ainsi, remarque-t-il: la majorité du peuple n'écoutait
pas la voix des prophètes, elle demeurait endurcie; mais il y avait un
reste, un reste sauvé selon le libre choix de la grâce (Rm 11,5).
Le deuxième argument est bien différent: oui, Israël a chuté; oui, ils se
sont cruellement trompés en rejetant le Messie. Seulement, est-ce pour
toujours qu'ils ont trébuché ? Non, parce que leur faute a eu cet effet
bénéfique de faire accéder les païens au salut en vue d'exciter la jalousie
d'Israël (11,11). Et Paul de rappeler aux païens qu'ils sont des
bénéficiaires de seconde main, greffés sur les branches restantes de
l'olivier. Israël est donc la racine qui te porte (11,18), car c'est à lui
qu'ont été destinées les promesses.
On perçoit bien la tension entre les deux arguments. Le premier justifie l'essor
du christianisme par une logique du reste, inhérente à l'histoire même d'Israël: il
y a toujours eu un petit résidu, sauvé par grâce, en vertu de la décision
souveraine de Dieu. Mais au moment l'on s'apprêterait à tirer un trait sur
l'Israël qui rejette l'Evangile, le second argument vient bloquer le geste: ils ont
fait une erreur, mais le salut vient d’Israël, et son refus a permis aux païens
d'entrer dans la sainteté du peuple choisi.
Pour synthétiser :
D'un côté, on pourrait oublier les juifs ; de l'autre, ils ne doivent jamais
l'être parce que notre salut est l'élargissement du leur.
D'un côté ils sont bel et bien endurcis, mais de l'autre les païens leur
doivent l'infini respect d'avoir véhiculé jusqu'à eux la grâce.
Comment sortir de cette impasse ? Eh bien, par un coup de théâtre qu'on
appelle en théologie un « mystère ». Le mystère désigne une rité non
prévisible et non déductible. « Je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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mystère, de peur que vous ne vous preniez pour des sages: l'endurcissement
d'une partie d'Israël durera jusqu'à ce que soit entré l'ensemble des païens; et
ainsi tout Israël sera sauvé » (11,25-26).
La désobéissance d’Israël n’est pas définitive, car « Dieu n’a pas rejeté son peuple ».
L’avenir reste ouvert. Tout Israël sera sauvé, le « reste » fidèle en est les prémices et le
gage.
L’offre du salut ouverte aux nations a perturbé le rapport d’Israël avec son Dieu. Mais
le faux pas du plus grand nombre ne peut pas être définitif. Si leur chute a permis
l’entrée des païens, que ne fera pas leur réconciliation ? Certes des branches ont été
retranchées de l’olivier, mais la racine (les Pères et le reste judéo-chrétien) porte encore
les branches greffées à partir d’un olivier sauvage. Et Dieu est capable de greffer à
nouveau les branches coupées sur leur propre olivier.
Ainsi le salut de « tout Israël » se réalisera par le détour des nations. Il n’est pas dit
qu’Israël entrera dans l’Église, mais qu’il reconnaîtra Jésus de Nazareth comme le
Christ, lors de sa venue à la fin des temps. Israël et l’Église sont des grandeurs
historiques qui convergeront à la fin des temps. Mais l’idée d’une voie de salut
particulière pour Israël, qui ne passerait pas par le Christ Jésus, est incompatible avec
la pensée de Paul. Reste que même s’il refuse l’évangile, Israël est maintenu dans la
grâce de l’élection, car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.
La théologie paulinienne de la grâce trouve ainsi son aboutissement ultime à
confesser que nul n'est propriétaire de Dieu. Ni Israël, ni l'Eglise. Si l'histoire
de la grâce se tisse désormais avec les chrétiens, ce n'est pas pour autant que
le lien de Dieu avec Israël se vide de la miséricorde qui l'a nourri. Non parce
que l'Israélite serait méritant, mais parce que Dieu est Dieu.
La question de l’élection d’Israël
Pour être exhaustif, il faudrait prendre l’ensemble des textes de Paul qui en parlent
(Galates, 1 Co, 1 et 2 Thess, Rm 8). Mais il est un fait incontestable : les nombreuses
occurrences du terme « Israël » dans les chapitres 9-11 de la lettre aux Romains : 10
des 17 emplois du Corpus paulinien se trouvent rassemblés dans ces chapitres. Il paraît
donc indispensable de s'entendre sur la ou les significations de ce terme. On peut dire
que, en Rm 9-11, l’élection est abordée dans un contexte particulier, celui du rapport
entre Israël et l’Eglise.
Deux phrases méritent d’être analysées pour comprendre.
Non pas certes que la parole de Dieu ait échoué. Car ceux-là (issus) d'Israël (ne sont)
pas tous Israël...
En fait, nous n'avons pas ici une, mais deux affirmations ou « thèses ». La parole de
Dieu n'a pas échoué. C'est bien sûr la conviction fondamentale de tout juif ou de tout
chrétien, une conviction que le prophète Isaïe a bien formulée : « De même que la pluie
et la neige descendent des cieux et n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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l'avoir fécondée et fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,
ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans
effet, sans avoir accompli ce que j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission » (55, 10-11).
Le dessein de Dieu n’a pas échoué, car il faut distinguer entre Israël et Israël.
Ceux d'Israël ne sont pas tous Israël. Tous les descendants d’Abraham ne sont pas
ses enfants. Le premier Israël est, sans doute possible, Jacob, l'ancêtre éponyme,
l’Israël selon la chair, c’est-à-dire le peuple concret, historique d’Israël ; mais qu'en
est-il du second ? Selon la réponse donnée à cette question, c'est toute l'interprétation
des chapitres 9-11 qui va varier, à moins de considérer que Paul n'est pas conséquent
dans sa compréhension du terme...
Pour les uns, « Israël » garde une connotation ethnique et le mot désigne tout du
long le peuple habituellement désigné par ce nom, dont Paul annoncerait en
finale le salut « Tout Israël sera sauvé », ie le reste (v. 5), une partie d’Israël, v.
25) (11, 26) ;
Pour d'autres, il s'agit de l'« Israël de Dieu » (cf. Ga 6, 16 : Paix et miséricorde
sur l’Israël de Dieu ») et donc d'un peuple encore en cours de constitution: Paul,
dans les chapitres 9-11, dévoilerait le mode particulier de cette constitution (11,
25-26) ;
Pour d'autres encore, à mi-chemin des deux précédents, « Israël » serait une
désignation tantôt ethnique et tantôt religieuse, et Paul voudrait montrer en fait
comment l'histoire du salut permet à Dieu de constituer son peuple à partir du
peuple hébreu...
Ce qui est sûr, c’est que l’Israël de Dieu, (ou de l’Esprit ou de l’élection) n’est pas à
confondre avec le nouveau peuple de Dieu, l’Église (par opposition au peuple concret,
l’Israël de la chair). Dans Rm 9-11, Paul juxtapose, sans les confondre, l’Israël de Dieu
et les croyants. Et jamais dans toutes ses lettres, Paul n’oppose l’Israël de Dieu à
l’Israël de la chair ; jamais non plus il n’appelle l’Église du nom de « nouvel
Israël ». L’Israël de Dieu serait donc l’ensemble des juifs sui ont cru au Christ crucifié,
et qui , en union avec les païens, forment le peuple de Dieu.
L'interprétation la plus étayée est celle de F. Refoulé (« Et ainsi tout Israël sera sauvé »,
Lectio Divina 117, Cerf Paris 1984). Cet auteur postule, en fait, la cohérence des
chapitres 9-11 dans l'utilisation du terme qu'il équivaut à « Israël de l'élection », et qui
désignerait ceux des juifs contemporains de Paul, zélés pour la justice, semblant donc
destinés à rencontrer l'Évangile, et qui sont pourtant passés à côté de lui : Paul
annoncerait le caractère temporaire de leur égarement. Du coup, les chapitres 9-11 ne
peuvent plus constituer le fondement d'une théologie chrétienne du judaïsme, puisque
d’une part, ces chapitres ne concerneraient qu’un reste du peuple historique et que
d’autres part, l’endurcissement ne serait que provisoire.
Pris isolément, les chapitres 9-11 peuvent parfaitement soutenir la thèse de F. Refoulé ;
elle devient toutefois plus contestable dès lors qu'on replace ces chapitres dans
l'ensemble de la lettre : on imagine mal, en effet, à côté des problèmes soulevés ou
impliqués dans les chapitres 1-8 et 12-16, qu'il s'agisse seulement pour Paul de se
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