5
l'avoir fécondée et fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,
ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans
effet, sans avoir accompli ce que j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission » (55, 10-11).
Le dessein de Dieu n’a pas échoué, car il faut distinguer entre Israël et Israël.
Ceux d'Israël ne sont pas tous Israël. Tous les descendants d’Abraham ne sont pas
ses enfants. Le premier Israël est, sans doute possible, Jacob, l'ancêtre éponyme,
l’Israël selon la chair, c’est-à-dire le peuple concret, historique d’Israël ; mais qu'en
est-il du second ? Selon la réponse donnée à cette question, c'est toute l'interprétation
des chapitres 9-11 qui va varier, à moins de considérer que Paul n'est pas conséquent
dans sa compréhension du terme...
•Pour les uns, « Israël » garde une connotation ethnique et le mot désigne tout du
long le peuple habituellement désigné par ce nom, dont Paul annoncerait en
finale le salut « Tout Israël sera sauvé », ie le reste (v. 5), une partie d’Israël, v.
25) (11, 26) ;
•Pour d'autres, il s'agit de l'« Israël de Dieu » (cf. Ga 6, 16 : Paix et miséricorde
sur l’Israël de Dieu ») et donc d'un peuple encore en cours de constitution: Paul,
dans les chapitres 9-11, dévoilerait le mode particulier de cette constitution (11,
25-26) ;
•Pour d'autres encore, à mi-chemin des deux précédents, « Israël » serait une
désignation tantôt ethnique et tantôt religieuse, et Paul voudrait montrer en fait
comment l'histoire du salut permet à Dieu de constituer son peuple à partir du
peuple hébreu...
Ce qui est sûr, c’est que l’Israël de Dieu, (ou de l’Esprit ou de l’élection) n’est pas à
confondre avec le nouveau peuple de Dieu, l’Église (par opposition au peuple concret,
l’Israël de la chair). Dans Rm 9-11, Paul juxtapose, sans les confondre, l’Israël de Dieu
et les croyants. Et jamais dans toutes ses lettres, Paul n’oppose l’Israël de Dieu à
l’Israël de la chair ; jamais non plus il n’appelle l’Église du nom de « nouvel
Israël ». L’Israël de Dieu serait donc l’ensemble des juifs sui ont cru au Christ crucifié,
et qui , en union avec les païens, forment le peuple de Dieu.
L'interprétation la plus étayée est celle de F. Refoulé (« Et ainsi tout Israël sera sauvé »,
Lectio Divina 117, Cerf Paris 1984). Cet auteur postule, en fait, la cohérence des
chapitres 9-11 dans l'utilisation du terme qu'il équivaut à « Israël de l'élection », et qui
désignerait ceux des juifs contemporains de Paul, zélés pour la justice, semblant donc
destinés à rencontrer l'Évangile, et qui sont pourtant passés à côté de lui : Paul
annoncerait le caractère temporaire de leur égarement. Du coup, les chapitres 9-11 ne
peuvent plus constituer le fondement d'une théologie chrétienne du judaïsme, puisque
d’une part, ces chapitres ne concerneraient qu’un reste du peuple historique et que
d’autres part, l’endurcissement ne serait que provisoire.
Pris isolément, les chapitres 9-11 peuvent parfaitement soutenir la thèse de F. Refoulé ;
elle devient toutefois plus contestable dès lors qu'on replace ces chapitres dans
l'ensemble de la lettre : on imagine mal, en effet, à côté des problèmes soulevés ou
impliqués dans les chapitres 1-8 et 12-16, qu'il s'agisse seulement pour Paul de se
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015