La Lettre aux Romains - L`Eglise catholique à Issy-les

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La Lettre aux Romains
Plan de l’épître
Rappel : Elle fait partie des 13 lettres attribuées de manière certaine à Paul dans le NT.
Aujourd'hui, la paternité de 6 ces lettres est contestée. Eph, Col et 2 Thess., et les
pastorales (1 et 2 Tim, Tite). 7 lettres authentiques de Paul : Rom, 1 et 2 Co, Ga, Phi,
Philémon, 1 Thess. Cette ER est la 1° des lettres de Paul dans le NT (car la + longue).
En introduction au résumé de la théologie de Rm 9-11 – s’il est possible de la résumer-,
je voudrais resituer ces 3 chapitres dans le cadre de l’ensemble de l’épître d’une part, et
d’autre part, rapporter le contexte de l’écriture de cette lettre.
L'Epître aux Romains raconte comment le salut de Dieu est apparu aux hommes et
comment il s'accomplit en Jésus-Christ « livré pour nos fautes et ressuscité pour notre
réconciliation » : il renvoie le Juif aux Écritures, qui racontent comment le salut est
donné dans l'Alliance, et il ouvre la conscience du Grec à l'accueil de la foi. Tel est
l'objet des chapitres 1 à 4.
La deuxième étape (ch. 5 à 8) appelle le chrétien à s'approprier ce salut.
Le salut advenu en Christ doit encore s'accomplir en nos vies. Pour nous prémunir
contre la tentation de nous croire déjà installés dans le Royaume de Dieu, Paul nous
remet devant les yeux « le mystère d'Israël » (ch. 9 à 11), avant d'évoquer le combat
spirituel du chrétien affronté au monde de ce temps (ch. 12 à 16). Ces deux aspects
sont complémentaires. Il ne faut jamais perdre de vue le rapport étroit qui lie Israël à
l'Eglise — à la fois origine et déchirure.
Introduction : rappel du contexte d’écriture de l’épître,
pour éclairer 9-11
La lettre de Paul aux Romains, écrite au début du printemps 57 ou 58, représente l’un
des derniers documents que nous tenons de l’apôtre. La lettre est adressée à une
communauté qu’il n’a pas fondée, dans laquelle se manifestent des tensions qu’il veut
apaiser, et auprès de laquelle il veut s’introduire. La lettre apparaît comme l’une des
plus paisibles et des plus élaborées théologiquement de l’apôtre ; au point que certains
commentateurs ont voulu y reconnaître une sorte de traité théologique plus qu’une
lettre...
Même s’il est vrai que Romains reprend les principaux thèmes de la théologie
paulinienne, il semble bien cependant que Romains soit une lettre, certes un peu longue
et préfigurant à ce titre le genre de la « lettre apostolique », mais adressée à une
communauté en fonction de problèmes qui se posent en son sein. Parmi tous ces
problèmes, il faut mettre en exergue celui des relations entre judéo-chrétiens et paganochrétiens. Il faut savoir que ces derniers étaient devenus majoritaires dans la
communauté de Rome, à la suite de l’expulsion des judéo-chrétiens de la ville par
l’empereur Claude en 41 ap. J.C.. Ils sont revenus quelques années plus tard, à partir
des années 50, lorsque l’édit fut révoqué, et des problèmes de coexistence ont
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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commencé à ce moment-là. C’est en particulier pour faire face à ces problèmes que,
fort de son expérience acquise par exemple à Antioche, Paul intervient afin de défendre
l’égalité du statut du judéo- et du pagano-chrétien devant Dieu, tout en maintenant
subtilement une priorité de l’élément d’origine juive.
• Aux judéo-chrétiens, il va rappeler que les pagano-chrétiens, bien que ne faisant
pas partie du peuple élu, peuvent maintenant se recommander de la paternité
d’Abraham, en vertu de la justification par la foi (voir en particulier les chapitres
1-4) ; il va rappeler surtout (chapitres 7 et 10) que la loi de Moïse porte en elle la
révélation du Christ, et que c’est d’ailleurs là sa « fin ».
• Aux pagano-chrétiens, il va rappeler que les juifs bénéficient d’une priorité,
qu’ils sont ainsi la racine de l’arbre sur lequel eux, pagano-chrétiens, ont été
greffés (et c’est précisément le thème de ces chapitres 9-11).
Dans son ER, Paul fait tout pour amener les deux partis à s’accepter mutuellement, à
prendre conscience de leur unité fondamentale. En ce sens, le sommet de la lettre
pourrait être 15,7 : « Accueillez-vous les uns les autres comme le Christ vous a
accueillis, pour la gloire de Dieu. » Les indices en faveur de cette hypothèse sont
nombreux. Paul emploie très souvent les termes Juifs-grecs et leurs parallèles. Il ne
mentionne jamais « L’Église de Dieu » qui est la destinataire de toutes les autres
lettres, inutile au sein d’une communauté désunie.
C’est l’hypothèse dominante dans la recherche biblique sur l’épître aux romains.
Ces trois chapitres sont sans équivalent dans le NT. Ils sont les seuls à maintenir le
statut de « peuple de Dieu » à Israël, à lui attribuer une place permanente dans
l’économie du salut. Impossible de comprendre l’émergence de l’Église, dans sa
différence et sa nouveauté, sans son enracinement permanent dans le peuple de la
promesse.
Ces chapitres 9 à 11 sont devenus la référence majeure pour préciser les relations entre
l’Église et le judaïsme. Mais ne faisons pas d’anachronisme : au temps de Paul, la
rupture n’est pas encore définitivement consommée. Le propos porte sur les relations
entre cette part d’Israël qui refuse l’Évangile et les nations. C’est le « mystère »
d’Israël qui est en question.
Résumé de la complexité des 3 chapitres (avant d’aborder 2 ou 3 points
plus précisément)
Partons d’Abraham, comme Paul le fait au ch. 9. Paul fait de lui l'ancêtre des juifs
et des païens. 9,7 : « … pour être la descendance d’Abraham, tous ne sont pas ses
enfants… » Alors, une question se pose : quel est le statut particulier d’Israël, à partir
du moment où les païens sont intégrés à la descendance d’Abraham ? ou, pour le dire
autrement, l’élection d’Israël est-elle devenue caduque ? A quoi bon la longue
fréquentation de Dieu avec ce peuple particulier, si c'est pour abandonner son
lien exclusif avec lui ? Et puis, si la justification n'est jamais donnée qu'en
vertu de la foi (seule la foi rend juste, et non la pratique de la Loi), quel salut attend
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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ceux qui affirment la priorité de la Loi sur la foi ?
C’est bien la question qui est traitée dans les chapitres 9 à 11. Après avoir
systématiquement exposé la justification par la foi dans les chapitres précédents,
Paul en vient à se dire logiquement : et alors Israël ?
L'argumentation de ces 3 chapitres est difficile à suivre. Visiblement Paul est
agité, au sens propre, agité par la question qui le torture. Il le déclare d'entrée:
« Je préférerais être moi-même séparé du Christ pour mes frères, ceux de ma
race selon la chair, les Israélites à qui appartiennent l'adoption, la gloire, les
alliances, la Loi, le culte, les promesses et les pères » (Rm 9,3-5). Paul est
traversé de sentiments contradictoires face à la brillance d'une tradition à
laquelle Dieu s'est si intimement lié, mais qui a rejeté son Messie.
Paul hésite entre deux arguments opposés qu'il entrelace presque jusqu'à la fin.
• Le premier consiste à dire qu'au fond il n'y a pas d'échec. « La parole de
Dieu n’a pas échoué » (9,6). Les vrais enfants d'Abraham sont les enfants de
la promesse, donc les chrétiens, tant d’origine juive (je reviendrai sur la
nuance d’emploi du terme Israël). L'histoire du peuple élu a d'ailleurs
toujours fonctionné ainsi, remarque-t-il: la majorité du peuple n'écoutait
pas la voix des prophètes, elle demeurait endurcie; mais il y avait un
reste, un reste sauvé selon le libre choix de la grâce (Rm 11,5).
• Le deuxième argument est bien différent: oui, Israël a chuté; oui, ils se
sont cruellement trompés en rejetant le Messie. Seulement, est-ce pour
toujours qu'ils ont trébuché ? Non, parce que leur faute a eu cet effet
bénéfique de faire accéder les païens au salut en vue d'exciter la jalousie
d'Israël (11,11). Et Paul de rappeler aux païens qu'ils sont des
bénéficiaires de seconde main, greffés sur les branches restantes de
l'olivier. Israël est donc la racine qui te porte (11,18), car c'est à lui
qu'ont été destinées les promesses.
On perçoit bien la tension entre les deux arguments. Le premier justifie l'essor
du christianisme par une logique du reste, inhérente à l'histoire même d'Israël: il
y a toujours eu un petit résidu, sauvé par grâce, en vertu de la décision
souveraine de Dieu. Mais au moment où l'on s'apprêterait à tirer un trait sur
l'Israël qui rejette l'Evangile, le second argument vient bloquer le geste: ils ont
fait une erreur, mais le salut vient d’Israël, et son refus a permis aux païens
d'entrer dans la sainteté du peuple choisi.
Pour synthétiser :
• D'un côté, on pourrait oublier les juifs ; de l'autre, ils ne doivent jamais
l'être parce que notre salut est l'élargissement du leur.
• D'un côté ils sont bel et bien endurcis, mais de l'autre les païens leur
doivent l'infini respect d'avoir véhiculé jusqu'à eux la grâce.
Comment sortir de cette impasse ? Eh bien, par un coup de théâtre qu'on
appelle en théologie un « mystère ». Le mystère désigne une vérité non
prévisible et non déductible. « Je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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mystère, de peur que vous ne vous preniez pour des sages: l'endurcissement
d'une partie d'Israël durera jusqu'à ce que soit entré l'ensemble des païens; et
ainsi tout Israël sera sauvé » (11,25-26).
La désobéissance d’Israël n’est pas définitive, car « Dieu n’a pas rejeté son peuple ».
L’avenir reste ouvert. Tout Israël sera sauvé, le « reste » fidèle en est les prémices et le
gage.
L’offre du salut ouverte aux nations a perturbé le rapport d’Israël avec son Dieu. Mais
le faux pas du plus grand nombre ne peut pas être définitif. Si leur chute a permis
l’entrée des païens, que ne fera pas leur réconciliation ? Certes des branches ont été
retranchées de l’olivier, mais la racine (les Pères et le reste judéo-chrétien) porte encore
les branches greffées à partir d’un olivier sauvage. Et Dieu est capable de greffer à
nouveau les branches coupées sur leur propre olivier.
Ainsi le salut de « tout Israël » se réalisera par le détour des nations. Il n’est pas dit
qu’Israël entrera dans l’Église, mais qu’il reconnaîtra Jésus de Nazareth comme le
Christ, lors de sa venue à la fin des temps. Israël et l’Église sont des grandeurs
historiques qui convergeront à la fin des temps. Mais l’idée d’une voie de salut
particulière pour Israël, qui ne passerait pas par le Christ Jésus, est incompatible avec
la pensée de Paul. Reste que même s’il refuse l’évangile, Israël est maintenu dans la
grâce de l’élection, car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance.
La théologie paulinienne de la grâce trouve ainsi son aboutissement ultime à
confesser que nul n'est propriétaire de Dieu. Ni Israël, ni l'Eglise. Si l'histoire
de la grâce se tisse désormais avec les chrétiens, ce n'est pas pour autant que
le lien de Dieu avec Israël se vide de la miséricorde qui l'a nourri. Non parce
que l'Israélite serait méritant, mais parce que Dieu est Dieu.
La question de l’élection d’Israël
Pour être exhaustif, il faudrait prendre l’ensemble des textes de Paul qui en parlent
(Galates, 1 Co, 1 et 2 Thess, Rm 8). Mais il est un fait incontestable : les nombreuses
occurrences du terme « Israël » dans les chapitres 9-11 de la lettre aux Romains : 10
des 17 emplois du Corpus paulinien se trouvent rassemblés dans ces chapitres. Il paraît
donc indispensable de s'entendre sur la ou les significations de ce terme. On peut dire
que, en Rm 9-11, l’élection est abordée dans un contexte particulier, celui du rapport
entre Israël et l’Eglise.
Deux phrases méritent d’être analysées pour comprendre.
Non pas certes que la parole de Dieu ait échoué. Car ceux-là (issus) d'Israël (ne sont)
pas tous Israël...
En fait, nous n'avons pas ici une, mais deux affirmations ou « thèses ». La parole de
Dieu n'a pas échoué. C'est bien sûr la conviction fondamentale de tout juif ou de tout
chrétien, une conviction que le prophète Isaïe a bien formulée : « De même que la pluie
et la neige descendent des cieux et n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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l'avoir fécondée et fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger,
ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans
effet, sans avoir accompli ce que j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission » (55, 10-11).
Le dessein de Dieu n’a pas échoué, car il faut distinguer entre Israël et Israël.
Ceux d'Israël ne sont pas tous Israël. Tous les descendants d’Abraham ne sont pas
ses enfants. Le premier Israël est, sans doute possible, Jacob, l'ancêtre éponyme,
l’Israël selon la chair, c’est-à-dire le peuple concret, historique d’Israël ; mais qu'en
est-il du second ? Selon la réponse donnée à cette question, c'est toute l'interprétation
des chapitres 9-11 qui va varier, à moins de considérer que Paul n'est pas conséquent
dans sa compréhension du terme...
• Pour les uns, « Israël » garde une connotation ethnique et le mot désigne tout du
long le peuple habituellement désigné par ce nom, dont Paul annoncerait en
finale le salut « Tout Israël sera sauvé », ie le reste (v. 5), une partie d’Israël, v.
25) (11, 26) ;
• Pour d'autres, il s'agit de l'« Israël de Dieu » (cf. Ga 6, 16 : Paix et miséricorde
sur l’Israël de Dieu ») et donc d'un peuple encore en cours de constitution: Paul,
dans les chapitres 9-11, dévoilerait le mode particulier de cette constitution (11,
25-26) ;
• Pour d'autres encore, à mi-chemin des deux précédents, « Israël » serait une
désignation tantôt ethnique et tantôt religieuse, et Paul voudrait montrer en fait
comment l'histoire du salut permet à Dieu de constituer son peuple à partir du
peuple hébreu...
Ce qui est sûr, c’est que l’Israël de Dieu, (ou de l’Esprit ou de l’élection) n’est pas à
confondre avec le nouveau peuple de Dieu, l’Église (par opposition au peuple concret,
l’Israël de la chair). Dans Rm 9-11, Paul juxtapose, sans les confondre, l’Israël de Dieu
et les croyants. Et jamais dans toutes ses lettres, Paul n’oppose l’Israël de Dieu à
l’Israël de la chair ; jamais non plus il n’appelle l’Église du nom de « nouvel
Israël ». L’Israël de Dieu serait donc l’ensemble des juifs sui ont cru au Christ crucifié,
et qui , en union avec les païens, forment le peuple de Dieu.
L'interprétation la plus étayée est celle de F. Refoulé (« Et ainsi tout Israël sera sauvé »,
Lectio Divina 117, Cerf Paris 1984). Cet auteur postule, en fait, la cohérence des
chapitres 9-11 dans l'utilisation du terme qu'il équivaut à « Israël de l'élection », et qui
désignerait ceux des juifs contemporains de Paul, zélés pour la justice, semblant donc
destinés à rencontrer l'Évangile, et qui sont pourtant passés à côté de lui : Paul
annoncerait le caractère temporaire de leur égarement. Du coup, les chapitres 9-11 ne
peuvent plus constituer le fondement d'une théologie chrétienne du judaïsme, puisque
d’une part, ces chapitres ne concerneraient qu’un reste du peuple historique et que
d’autres part, l’endurcissement ne serait que provisoire.
Pris isolément, les chapitres 9-11 peuvent parfaitement soutenir la thèse de F. Refoulé ;
elle devient toutefois plus contestable dès lors qu'on replace ces chapitres dans
l'ensemble de la lettre : on imagine mal, en effet, à côté des problèmes soulevés ou
impliqués dans les chapitres 1-8 et 12-16, qu'il s'agisse seulement pour Paul de se
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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préoccuper du sort des justes d'Israël ; comment admettre, au seul vu de l'implication
personnelle véhémente du passage 9, 1-5, que Paul n'ait pas été préoccupé par le sort
de tous ses « frères » (v. 3), justes et... injustes ?
Les longues analyses des expressions « Israël » ou « tout Israël » menées par F.
Refoulé commandent de donner raison à cet auteur, mais le contexte impose pour sa
part une autre interprétation... Contradiction apparemment incontournable, que l'on ne
peut dépasser en supposant que ces chapitres 9-11 sont susceptibles de soutenir
plusieurs interprétations pour avoir connu une existence indépendante.
Le schéma serait le suivant : au départ, l'Évangile de Paul, tel qu'il se présente dans les
chapitres 9-11, est l'écho d'un débat scripturaire interne à la communauté chrétienne
primitive (cf. Ga 2, 2 s.) sur les questions corrélatives de l'élection d'Israël et du salut
des païens ; dans cette perspective, l'accent porte surtout aux yeux de Paul sur le
second de ces points ; si l'on s'intéresse au premier, c'est par rapport aux « justes »
d'Israël, ceux dont on peut s'étonner que leurs vertus ne les aient pas conduits au
Christ.
La même question est néanmoins au centre des débats internes à la communauté
romaine lorsque Paul intervient, à cette différence près que c'est maintenant la place
des chrétiens d’origine juive, de retour à Rome, qui est mise en cause par les chrétiens
d’origine païenne, qui forment la majorité de la communauté. Le terme « Israël » qui,
dans un débat interne à des judéo-chrétiens, désignait l'« Israël de l'élection » formé par
les justes, désigne désormais, dans une controverse entre judéo-chrétiens et paganochrétiens, l'Israël ethno-religieux, le « peuple historique ». Dans un cas comme dans
l'autre, on peut dire que le thème de ces trois chapitres est bien l'élection d'Israël, à
cette différence près - et elle est considérable - que le terme Israël ne désigne plus
exactement dans l'un et l'autre cas la même réalité.
Parcours narratif de quelques passages de Rm 9-11
Rm 9,1-5 :
Commence par un passage très personnel, en « je », mais Paul ne se livre pourtant pas
à un exercice de style : la question de l'élection d'Israël est celle qui tient le plus au
cœur de ce juif zélé (cf. Ga 1, 13-14 ; Ph 3, 4-6), subitement appelé par Dieu à Damas
pour devenir l'Apôtre des gentils (Ga 1, 15-16).
Mais il n'est encore ici question que d'Israélites - un mot dont deux des trois emplois
recensés dans ce même corpus paulinien se trouvent dans ces chapitres 9-11, ici en 9, 3
et plus loin en 11, 1 - et l'accent de ces versets d'introduction porte moins sur ce terme
que sur les privilèges attribués aux « Israélites » et que Paul énumère ensuite : avec
deux groupes de trois termes qui paraissent vouloir se répondre dans leur terminaison :
adoption- gloire-alliances/loi-culte-promesses.
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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Rm 9, 6-13
Nous revoilà donc en face de ce fameux verset 6 qu'il est nécessaire d'interpréter dans
le contexte de la lettre aux Romains ; autrement dit, sans nier encore une fois que le
deuxième emploi du terme Israël ait pu avoir une valeur restreinte et désigner l'« Israël
de l'élection », ie celui constitué par les justes du seul peuple juif, on doit admettre que
sa valeur est ici plus large, qu'il renvoie au peuple juif dans sa globalité, sujet porteur et
garant de l'élection.
Mais tous les membres de ce peuple ne sont pas disposés à recevoir et à mettre en
œuvre cette élection, autrement dit à se soumettre à ses conditions: « Tous ceux d'Israël
ne sont pas Israël. » Dieu a donc entrepris un processus de distinction et de séparation,
en quelque sorte un processus d'ajustement entre « élection potentielle » et « élection
réelle » : c'est Isaac, et non Ismaël, qui engendre la véritable descendance, c'est Jacob
qui est aimé et non Ésaü avant même la naissance de ces deux jumeaux. Ce processus
pourrait paraître arbitraire ; Paul rappelle qu'il est la réalisation d'un dessein qui
dépasse l'entendement humain.
(Je laisse ici de côté Rm 10, que je n’ai pas le temps de traiter)
Rm 11, 1-12
La reprise se fait d'abord du côté de Dieu : appuyé maintenant sur 1 Sam 12, 22 = Ps
94, 14, Paul affirme que « Dieu n'a pas rejeté son peuple ». Presque tous les
commentateurs supposent que le peuple en question est ici l'« Israël historique » car si
c’était l’Israël de l’élection, on ne voit pas comment l'avenir de la portion pieuse et
juste de l'Israël historique constituerait le problème principal de la communauté
chrétienne de Rome. Par contre, la question posée par le sort de l'Israël historique,
surtout si les judéo-chrétiens de Rome se recommandent de lui, constitue un enjeu
crucial.
Si donc, dans les versets 1-2, le peuple est aussi le peuple historique, comment
comprendre la suite constituée par les versets 3-10 ? Certains commentateurs affirment
que la suite est contradictoire : Paul annonce le salut de ce peuple, et ensuite, il ne parle
que d'un Reste. Mais ce Reste fait partie de ce peuple ; par suite, ce Reste fût-il réduit à
une seule unité (Paul lui-même comme il le fait remarquer au v. 1, mais d'abord et
surtout Jésus), Paul pourrait encore affirmer que Dieu n'a pas rejeté son peuple, en ce
sens (cf. 11, 28) que les promesses lui restent toujours en priorité offertes et que Dieu
reste fidèle à celui qu'il a d'avance connu (v. 2).
Dans cette perspective, l'élection n'a pas été transférée sur l'Église : elle reste le
privilège du peuple historique, et ce sont les païens qui sont venus s'introduire dans
l'héritage, selon la volonté même de Dieu.
Après les justifications scripturaires habituelles (1 R 19, 10.14.18), Paul peut donc
réaffirmer l'existence d'un Reste, élu en fonction de sa foi et non des œuvres. Mais
n'est-il pas étonnant qu'il puisse dire au verset 7 : « Ce qu'Israël recherche, il ne l'a pas
atteint ; mais l'élection l'a atteint » ? Deux points font en effet difficulté :
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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• Que recherche Israël ? Pour la plupart des commentateurs, il s'agit implicitement de
la justice : cf. 9, 30-31 et Is 51, 1. La justice, oui, mais surtout Celui qui est cette
justice même (cf. 1 Co 1, 30 ; Rm 3, 21-22), Jésus-Christ (remarquer qu'en Is 51, 1,
justice et Seigneur sont mis en parallèle). Alors, il est bien vrai que, quand bien même
il a pu se trouver des juifs pour recevoir de la loi, autrement dit de son fondement, le
Christ, leur justification, le peuple d'Israël n'a pas dans son ensemble, dans le temps
présent (cf. v. 5), atteint le Christ, sa vraie justice.
• Quel est le rapport entre « Israël » et l'« élection » ? L'Israël de l'élection est
certainement le peuple d'Israël en tant que sujet porteur de cette élection, en tant
qu'arbre-souche ou « olivier franc » ; mais dans la mesure où la majorité de ce peuple
n'a pas encore répondu à cette élection de grâce proposée et maintenue par Dieu (cf.
11, 29), il est bien aussi l'Israël actuellement endurci.
Pour Paul, ce refus d'Israël (et non pas ce rejet !) s'inscrit dans le cadre de la
providence divine. Oui, ce refus est providentiel parce qu'il permet aux apôtres, et en
dernière analyse à Dieu, de faire miséricorde aux païens (cf. 11, 11).
Mais la priorité d'Israël subsiste. Et Paul le rappelle au verset 12 en soulignant que le
salut des païens n'est pas une fin en soi, mais qu'il reste ordonné à celui d'Israël ; de
manière très cohérente, Paul prend d'ailleurs soin de choisir des termes qui n'évoquent
aucune chute définitive du côté d'Israël, tels « trébucher », « écart », « diminution »...
Rm 11,25-32
Sans revenir sur toutes les difficultés, signalons les principales, souvent connexes.
Il faudrait lire l'exhortation des versets 13-24 : c'est maintenant la place des judéochrétiens dans la communauté chrétienne, et bien au-delà le rôle d'Israël - peuple
historique - dans l'histoire du salut, qui sont en question. Il faut que l'Apôtre rappelle
qu'Israël n'est pas seulement à l'origine de l'histoire du salut, mais qu'il en est aussi
l'aboutissement, et donc la clef d'interprétation : mystère d'un salut assuré au plérôme
des juifs (v. 12), mais providentiellement suspendu pour permettre l'accès à ce même
salut du plérôme des païens (v. 25-26a).
L'Israël du verset 25 et celui du verset 26a doivent représenter des grandeurs
homogènes, ce qui est le cas si l'Israël en question est celui de l'élection aussi bien que
s'il s'agit du peuple historique.
Les versets 28-29 rappellent le caractère providentiel de l'endurcissement des élus, tout
en soulignant que cet endurcissement ne signifie aucunement « transfert d'élection ».
L'Évangile ne vient pas renverser ou s'opposer à l'élection antérieure ; Dieu ne revient
pas sur sa parole, sur ses dons (le mot français serait très précisément « charismes ») et
sur son appel : c'est le propre de la gratuité (terme de même racine que « charismes »).
Dans le contexte de la lettre aux Romains, pour couper court aux prétentions des
pagano-chrétiens, il était indispensable de rappeler ce fait.
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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Si cette parole n'est pas reçue, Dieu se sert du refus lui-même dans son dessein de
miséricorde, comme Paul le réaffirme aux versets 30-32 ; dans ce passage, on ne
s'étonnera pas de l'emploi de l'adverbe « maintenant » en 31c : comme on l'a vu à
différentes reprises dans la lettre, cet adverbe a une portée temporelle très large car il
désigne « le temps de l'Évangile » ; dès lors, seule la première désobéissance des
païens a eu lieu « autrefois », tandis que la désobéissance des juifs, la miséricorde faite
aux païens, puis à nouveau aux juifs, prennent ou prendront place dans ce même «
maintenant ».
Conclusion
« Je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, de peur que vous ne vous
preniez pour des sages : l'endurcissement d'une partie d'Israël durera jusqu'à ce que
soit entré le plérôme des nations. Et ainsi tout Israël sera sauvé... » (Rm 11,25). Ce
mystère de la destinée d'Israël, que Paul expose et défend jalousement, le Concile
Vatican II, dans sa Déclaration Nostra Aetate, l'a mis en relation avec le mystère de
l'Eglise : « Scrutant le mystère de l'Eglise, le Concile rappelle le lien qui relie
spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la descendance d'Abraham. »
La « descendance d'Abraham » dont il est ici question est constituée non seulement des
toledôt (générations) qui vont d’Abraham au Christ, mais également des générations
qui, depuis Marie, font l’histoire d’Israël jusqu’au retour définitif du Christ. Le lien
spirituel unissant l’Église au peuple juif est et demeurera des origines jusqu’à
l’achèvement de l’histoire du salut. Le Cardinal Béa, au moment du Concile, écrivait :
« Il s’agit des relations existant dans le passé et dans le présent entre l’Église et le
peuple juif. » C’est là toute la question. Pour ce qui concerne les relations du passé, il
n’y a pas de problème pour peu que les chrétiens reconnaissent le lien spirituel qui va
de l’Ancien au Nouveau Testament. Par contre, le lien qui unit l’Église à l’Israël qui lui
fait face dans l’histoire (« dans le présent ») a toujours fait problème aux chrétiens.
St Paul le montre bien dans Rm 9-11, le mystère d’Israël est intérieur à l’action du
Christ, et dès lors, intérieur au mystère de l’Église. Israël existe en face de l’Église ; il
ne lui est pas complémentaire ; l’Église ne remplace pas Israël (pas de théologie de
la substitution). Mais, Israël endurci et promis au salut vient comme au secours des
chrétiens, en les mettant en face de l’universalité de l’Église.
Maurice Autané
Maurice Autané – Romains 9-11 – Lecture biblique Issy-les-Moulineaux – 11 mars 2015
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