L`UTILITÉ DES COMITÉS D`ÉTHIQUE par Jacqueline DALCQ

L’UTILITÉ DES COMITÉS D’ÉTHIQUE
par
Jacqueline DALCQ-DEPOORTER
Avocat au barreau de Bruxelles,
Membre du Comité consultatif
de bioéthique de Belgique
I. — Introduction
Ce qui caractérise la deuxième moitié du XX
e
siècle ce n’est pas
tant la soif de connaissance des hommes, c’est l’objet de leurs
recherches, à savoir l’homme lui-même. Dans le contexte des
progrès de plus en plus rapides des sciences et des techniques, la
biomédecine occupe une place toute particulière car à la différence
des autres sciences qui tendent à assurer la maîtrise sur les choses
et l’environnement, elle s’applique directement à l’homme. Dès
1976, Jean Bernard lançait un avertissement dans son remarquable
ouvrage : « L’homme changé par l’homme »(
1
).
Face au développement et au recours à des techniques biomédi-
cales en vue d’objectifs non strictement thérapeutiques permettant
la manipulation de l’être humain, il convenait donc de déterminer
les limites de l’acceptable et de l’inacceptable. Il en est ainsi parce
que les découvertes scientifiques suscitent l’appât du gain, parce
que les possibilités offertes par les progrès biotechnologiques favori-
sent les revendications du droit au bonheur de chacun par la réalisa-
tion de tous ses désirs, parce qu’il convient de réagir contre la tenta-
tion de traiter l’être humain comme un simple objet. On a dès lors
pris conscience du fait que ce qui pouvait apparaître comme source
d’immenses progrès porteurs d’espoirs pouvait aussi constituer une
menace pour les droits et libertés des individus ainsi que pour les
générations futures. Jamais, comme le souligne Jean Ladrière (
2
), le
savoir ne s’est accompagné d’un pouvoir aussi impressionnant.
L’avènement de la démarche bioéthique apparaît dès lors comme
(1) Ed. Buchet/Chastel, 1976.
(2) L’éthique dans l’univers de la rationalité — Catalyses — Artel-Fidès.
une nouvelle forme de lutte contre le pouvoir, non plus le pouvoir
politique mais le pouvoir technico-scientifique.
La naissance du mouvement bioéthique est liée à des origines
multiples : la multiplication des problèmes posés par le développe-
ment des sciences, l’abus de l’expérimentation sur l’homme, la
mainmise croissante sur l’homme de la naissance à la mort (
3
).
L’apparition des comités d’éthique fut l’une des composantes de
ce mouvement.
II. — Qu’appelle-t-on comité d’éthique?
Le terme désigne diverses structures appelées à donner des avis
dans le domaine de la bioéthique à différents niveaux : local, natio-
nal et supranational.
A quelque niveau qu’elles se situent, ces structures sont des lieux
de discussion à caractère pluridisciplinaire et pluraliste.
A. — Les comités d’éthique locaux
Le rôle des comités d’éthique locaux est double : d’une part, ils
sont un organe de réflexion qui a pour mission de définir la ligne
éthique de la pratique d’une institution hospitalière et d’apporter
une aide à la décision lorsqu’un médecin éprouve des difficultés
d’ordre éthique dans une démarche diagnostique ou le traitement
d’une maladie.
D’autre part, toute recherche biomédicale impliquant des sujets
humains nécessite la rédaction d’un protocole qui doit être soumis
à un comité d’éthique médicale. C’est l’expérimentation sur les êtres
humains qui a été le premier moteur de la naissance des comités
d’éthique.
1. Les comités d’expérimentation humaine
L’expérimentation sur l’homme a existé de tous temps mais les
méthodes expérimentales ont considérablement évolué afin de four-
nir aux sujets d’expérimentation la meilleure protection possible.
Les règles éthiques qui les gouvernent aujourd’hui par le biais des
comités d’éthique assurent la protection des sujets d’expérience.
550 Rev. trim. dr. h. (54/2003)
(3) Sokal, Bulletin de l’Ordre des médecins, 1999-84
E
,p.5.
Autrefois les expériences étaient pratiquées sur des sujets qui
n’avaient pas donné leur consentement. Pasteur lui-même avait
proposé à l’empereur du Brésil d’offrir la grâce à des condamnés à
mort qui se soumettraient à une expérimentation consistant en une
inoculation préventive de la rage (
4
). Certains se sont inquiétés de
ces pratiques et dès 1931, un premier code d’éthique médicale en
vigueur dans la République de Weimar interdisait l’expérimenta-
tion sur l’homme en l’absence de consentement.
En 1947, le procès de Nüremberg a révélé au monde l’horreur des
expériences menées par des médecins dans les camps de concentra-
tion; elles donneront lieu aux condamnation du tribunal de Nürem-
berg.
C’est aux Etats-Unis que furent créés les premiers comités d’éthi-
que locaux à la suite d’une série de scandales révélant que des expé-
riences avaient été menées sur des populations fragiles en l’absence
de consentement de leur part (Noirs pauvres de l’Alabama, patients
âgés hospitalisés, enfants arriérés mentaux placés en orphelinat).
C’est donc dans un esprit de protection du sujet d’expérience mais
aussi de méfiance vis-à-vis de certains praticiens de la science que
sont nés les premiers comités. Depuis lors ils ont été créés légale-
ment dans la plupart des pays d’Europe occidentale, les Etats-Unis,
le Canada et le Québec. C’est « le lieu institutionnel où peut s’opérer
la délicate balance entre la liberté de la recherche scientifique et la
nécessaire protection des individus » (
5
). La discussion des enjeux de
l’expérimentation permet un arbitrage entre les divers intérêts en
présence : ceux du patient, des investigateurs et des promoteurs et
ceux de la société toute entière.
Le code de Nüremberg qui reflète les attendus du jugement du
Tribunal militaire américain condamnant les médecins nazis est le
premier texte international d’éthique médicale. Les principes qu’il
énonce seront repris dans tous les textes d’éthique médicale subsé-
quents et notamment la Déclaration d’Helsinki de l’Association
médicale mondiale de 1964 (révisée à plusieurs reprises et pour la
dernière fois à Edimbourg en octobre 2000) et la directive euro-
péenne 2001/20CE concernant les bonnes pratiques cliniques dans la
conduite d’essais cliniques de médicaments à usage humain.
Jacqueline Dalcq-Depoorter 551
(4) Voy. Axel Kahn, Et l’homme dans tout ça? Plaidoyer pour un humanisme
moderne, p. 318.
(5) Voy. notamment Les comités de la recherche biomédicale, travaux de la Faculté
de droit de Namur sous la responsabilité scientifique de Mme Marie-Luce Delfosse,
Presses universitaires de Namur, 1997.
En vertu de ces textes comme des diverses législations nationales
relatives aux comités d’éthique expérimentaux, toute expérimenta-
tion humaine doit faire l’objet d’un protocole soumis à un comité
d’éthique qui veille à ce que soient réunies toutes les conditions
nécessaires « à la sécurité, à l’autonomie, à l’intégrité physique, au
bien-être et aux droits des personnes qui participent à une expérimenta-
tion médicale ». Toutefois, « le conflit relatif à l’expérimentation sur
l’homme ne se réduit pas à une opposition entre liberté de la recherche
et autonomie des personnes. Il faut également prendre en considération
la bienfaisance et l’utilité collective »(
6
).
En outre, conformément aux « Good Clinical Practices »
(G.C.P.) (
7
), le comité d’éthique est chargé d’une réévaluation conti-
nue en ce sens qu’il doit se tenir régulièrement au courant des
progrès réalisés dans l’application pratique d’un protocole de
recherche, dans une fréquence proportionnelle au risque encouru par
le sujet. Il doit également être attentif à l’indépendance financière
de l’expérimentateur vis-à-vis du commanditaire.
L’article 9 de la directive européenne 2001/20/CE du 4 avril 2001
prévoit expressément qu’un essai clinique ne peut commencer
qu’après délivrance d’un avis favorable d’un comité d’éthique. Cet
avis favorable ne pourra être émis que si le comité est convaincu
que le protocole satisfait à chacun des critères prévus à l’article 6
de la directive à savoir :
a) la pertinence de l’essai clinique et de sa conception;
b) le caractère satisfaisant de l’évaluation des bénéfices et des ris-
ques attendus...;
c) le protocole;
d) l’aptitude de l’investigateur et de ses collaborateurs;
e) la brochure pour l’investigateur;
f) la qualité des installations;
g) l’adéquation et l’exhaustivité des informations écrites à fournir
ainsi que la procédure à suivre pour obtenir le consentement
éclairé et la justification de la recherche sur des personnes inca-
pables de donner leur consentement éclairé...;
552 Rev. trim. dr. h. (54/2003)
(6) Avis n
o
13 du comité consultatif belge relatif aux expérimentations sur
l’homme.
(7) De l’International conference of harmonisation of technical requirements for
registration of pharmaceutical for human use (I.C.H.).
h) les dispositions prévues en vue de la réparation ou de l’indemni-
sation en cas de dommage ou de décès imputables à l’essai clini-
que;
i) toutes assurances ou indemnités couvrant la responsabilité de
l’investigateur et du promoteur;
j) les montants et les modalités de rétribution ou d’indemnisation
éventuelles des investigateurs ou des participants à l’essai clini-
que et les éléments pertinents de tout contrat prévu entre le pro-
moteur et le site;
k) les modalités de recrutement des participants.
2. Les comités d’éthique clinique
La raison d’être des comités d’éthique locaux ne se limite pas à
l’encadrement de l’expérimentation sur l’être humain. Les progrès
de la science placent de plus en plus souvent les médecins face à des
décisions difficiles, soit qu’ils se trouvent en présence d’un conflit de
valeurs, soit que le patient soit dans l’incapacité de consentir à un
acte médical.
Les comités d’éthique clinique appelés parfois aussi, en Belgique
tout au moins, « comités d’éthique hospitalière » ont la double mission
de formuler au sein d’une institution hospitalière les lignes direc-
trices de la pratique hospitalière et d’apporter une aide à la
réflexion lorsqu’un médecin est confronté à des difficultés d’ordre
éthique dans le traitement d’un patient. Ces avis n’ont aucune force
contraignante et ne peuvent en aucun cas altérer la liberté théra-
peutique du médecin.
Dans la pratique, comité d’éthique clinique et comité d’expéri-
mentation humaine ne forment souvent qu’un seul comité réunis-
sant les mêmes personnes.
C’est aux Etats-Unis qu’est née cette pratique de consultation
éthique clinique à la suite de deux affaires concernant des décisions
d’interruption de traitement ou d’abstention thérapeutique : dans
l’affaire Queenlan, les parents d’une jeune fille en état de coma pro-
fond à la suite d’un accident de la route se sont battus pour obtenir
qu’on enlève le respirateur. La Cour suprême du New Jersey sug-
géra en 1976 que l’on recoure à un comité d’éthique pour évaluer
la situation. Dans une deuxième affaire, l’affaire Jane Doe, en 1983,
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