D E i D ACTQu E i D D ACTQu Sous le charme Des élèves conquis par la musique de Wagner À l’issue d’une saison lyrique largement marquée par le Ring des Nibelungen de Richard Wagner dont le Grand Théâtre de Genève a célébré cette année le bicentenaire de la naissance avec panache, des élèves de deux classes de 3ème OS allemand du Collège Sismondi (Genève) conduits par leurs professeurs, nous ont spontanément livré leurs impressions en mots et en images. Collage de Camille 38 I par Kathereen Abhervé mages inspirées de la bande dessinée, du monde du design, dessins naïfs au crayon, à la craie d’art, au pastel, à la plume, collages ont été réalisés de mémoire par des élèves particulièrement touchés par une représentation de Siegfried de Wagner. ILS L’ONT DIT AVEC DES DESSINS Invités à ce spectacle à l’issue d’une solide préparation en classe et au Grand Théâtre, les élèves d’Anne Vaudano et de Stefan Ettlin – tous deux professeurs d’allemand – ont décliné leur plaisir et leurs émotions en couleurs vives suscitées par les décors de Jürgen Rose : la forge incandescente de Mime au fond de laquelle Siegfried va redonner vie à Notung, la sombre forêt aux arbres géants peuplée d’oiseaux multicolores où le jeune homme sera initié par une fille-oiseau. Tant de scènes-clés qui ont marqué l’imaginaire des élèves et les ont guidés vers des réalisations originales, délicates et sensibles, non dépourvues de poésie. LE DEUXIÈME ACTE PLÉBISCITÉ Si certains élèves ont semblé plus à l’aise à manier feutres et crayons, d’autres ont préféré jongler avec les mots pour décrire l’étrange forêt du deuxième acte dont la scénographie a touché de nombreux collégiens comme Tess C. qui a aimé « les magnifiques décors, les arbres mais surtout les oiseaux multicolores qui ont rendu à cet opéra quelque chose de magique, de libre et de léger ». Par ailleurs, l’un de ses camarades a trouvé « très ingénieux que les arbres et les oiseaux puissent être bougés par des gens qui se trouvent à l’intérieur des troncs ». Illenia s’est par contre étonnée « de la présence de certaines personnes dans les arbres qui, selon elle, ne servaient ni à faire bouger les branches, ni les racines ». En revanche, Céliane G. a été touchée par la féérie de cet acte « dont les oiseaux aux couleurs vives volent autour de Siegfried au rythme de la musique plutôt gaie, contrastant avec les couleurs sombres des arbres et du dragon » elle a eu « l’impression d’être dans un conte pour enfants ». La voix de l’oiseau, ajoute-t-elle, « était très agréable à écouter, douce et sensible ». Si Flora M. a apprécié « l’esthétique de la scène des oiseaux, elle a également aimé celle de la scène finale mais a été déçue par le dragon ». Elle aurait aimé voir « un Siegfried plus jeune et des costumes un peu plus prestigieux ». Mais de manière générale, elle « a été comblée par cette œuvre ». Constant Z. quant à lui, a trouvé « la performance vocale des artistes impres- Dessin de Éliot sionnante, ainsi que le décor et la mise en scène ». Cette pièce lui a donné envie de retourner à l’opéra, mais elle lui a surtout appris à apprécier la complexité du jeu des acteurs sur de la musique sombre et puissante. Salina C., qui a rédigé son texte en élégantes lettres anglaises, a constaté « qu’après 4h50 de chant et de spectacle, les avis des élèves étaient partagés. Il est évident, poursuit-elle, que l’opéra ne fait pas l’unanimité, mais très bien mis en scène Siegfried a fait changer d’opinion la plupart des jeunes spectateurs. » SIEGFRIED : « LES MOTS NE SUFFISENT PAS » C’est ainsi qu’Alejandro C., le mélomane de la classe de Stephan Ettlin, a intitulé son excellent texte critique. Il est le seul de ses camarades à avoir assisté aux quatre spectacles de la Tétralogie (même la répétition générale de Götterdämmerung programmée le lundi de Pâques, n’a pas eu raison de cet élève passionné). Après avoir apprécié la prestation de l’OSR, il constate que « Dieter Dorn a fait un travail remarquable en étant capable de nous montrer un Siegfried qui est à la fois fidèle aux didascalies de Wagner et en même temps une création moderne. Les arbres qui bougent avec des acrobates à l’intérieur donnent l’impression que la forêt, si importante à Wagner, est un personnage à part entière. De plus la terrifiante et splendide tête de Fafner, le réalisme de la forge, les scènes qui glissent et tombent et tous les effets spéciaux innombrables font vivre au spectateur ACT.0 | 19 Dessins de Mélanie... ... et de Raphaël des émotions qui permettent de ne s’ennuyer à aucun moment, ce qui est difficile, ajoute-t-il, pour un opéra de quatre heures ! » Pour ceux à qui cette “superficialité ” déplairait, sachez, écrit-il, « qu’elle est beaucoup plus profonde qu’elle n’en a l’air à première vue, car de nombreux détails illustrent parfaitement cette profondeur de l’œuvre. Le décor sombre permet de mieux illustrer la pureté des oiseaux et les miroirs qui, dans La Walkyrie, illustraient le combat interne de Wotan face à lui-même, se trouvent également ici. (…) En sortant de la salle, conclut-il, on est juste dégoutés du monde réel comparé à la beauté du monde de Wagner et malgré les quatre heures de spectacle, on n’a pas envie que ça s’arrête. » coup, mais finalement, je suis tout de suite entrée dans cet univers si particulier de Wagner. » Comme plusieurs de ses camarades, Solène C. reconnait qu’au départ, elle était « un peu sceptique sur le fait d’aller voir un opéra ». Rester assise pendant plusieurs heures n’est pas vraiment son truc. Mais finalement, elle a trouvé que la représentation est passée assez vite, et elle l’a même beaucoup appréciée. Elle pense par ailleurs que « c’est grâce aux cours de préparation qu’elle a pu comprendre et apprécier l’opéra Siegfried ». Même son de cloche de la part de Julie R. qui estime que « ces ateliers de préparation animés par des professionnels lui ont ouvert le regard sur ce qu’est un opéra qui n’est pas juste une suite de chansons mais une vrai histoire, un conte, et qu’écouter un opéra c’est comme lire un livre, on a envie de connaître toute l’histoire. » Pour elle, « l’opéra c’est aussi du théâtre, de la construction, de la couture, de la musique, du réglage technique ». Certains d’entre eux comme Tim W., ont « particulièrement aimé participer à l’atelier de mise en scène animé par Michèle Heimendinger-Cart, et plus précisément à l’atelier chant de Marie-Camille Vaquié ». Il ajoute encore : « S’exercer à chanter avant la répétition générale, nous a permis de nous rendre davantage compte de ce que l’on regarde. » Tess C. a beaucoup appris au sujet des processus de création à l’opéra : « Je ressors de ces quelques activités avec une vision beaucoup plus ouverte sur le monde de l’opéra. Voir tout le travail que demande l’organisation d’un opéra m’a fortement impressionnée. Je ne pensais pas que c’était un travail de si grande envergure. Maintenant je comprends beaucoup mieux le prix d’un billet d’opéra. Dorénavant, ayant conscience de tout le travail que cela requiert, je suis beaucoup plus ouverte à l’idée de dépenser une certaine somme pour le théâtre ou l’opéra. Je dois dire que le monde du théâtre me donne encore plus envie après ces quelques découvertes. En sortant de ces activités découvertes, ma vision sur l’opéra, poursuit-elle, a évoluée. La visite de l’atelier de couture m’a fascinée et, assister à la création du torse du géant m’a beaucoup plu. J’ai particulièrement aimé voir l’évolution du costume encore en préparation, puis à la répétition, le costume fini avec des poils et du sang. » Nous laisserons le mot de la fin à Vera R. R. qui « a beaucoup apprécié cette fabuleuse expérience ! […] Ce fut une bonne chose, écrit-elle, de nous faire chanter et jouer un extrait de Siegfried, car on a pu voir la difficulté d’être un artiste lyrique. Durant tout le spectacle, j’étais impatiente de voir le passage chanté par des professionnels et j’ai même chanté avec eux dans ma tête. » Après cela, peut-on toujours affirmer que la musique de Wagner n’est réservée qu’aux initiés ? Et assurer que les jeunes ne s’intéressent pas à l’opéra ? KA PROSE ET POÉSIE POUR RACONTER LA DEUXIÈME JOURNÉE DU RING Quelques élèves ont préféré la poésie à la prose, comme Alvhilde V. et Valentin B. qui ont réussi l’exploit de comprimer 4h50 de musique en 11 vers dont l’heureuse fin est ainsi résumée : « Brünnhilde, la Walküre, dort sur son gros rocher / Elle attend celui qui n’a jamais connu la peur / L’amour entre les deux n’est pas du tout fragile. » Anna R. et Ileana C. ont quant à elles, chanté avec finesse, les pouvoirs de Notung, l’épée magique, en un délicat poème de cinq strophes que l’on peut découvrir ci-contre. Après l’épée de Siegfried, le bouclier de Brünnhilde auquel s’est identifié l’un des collégiens qui s’est imaginé « la recouvrant [Brünnhilde], la protégeant encore au-delà des flammes, au-delà des paysages, des dragons et des dieux, m’appuyant contre son corps […]. Je pesais si peu pour elle, et ses mains contre moi sans se serrer me tenaient, son souffle me berçait. » Ce texte étonnant se poursuivait ainsi : « Et aujourd’hui on me détachait d’elle, par mégarde peut-être, seulement je n’y croyais pas, c’était un homme, tout ce que nous avions espéré et craint, et les flammes s’étaient éteintes, et les dragons étaient morts et même les dieux ne tarderaient pas, tous tombaient, s’effondraient lorsque son épée se dressait. Il m’écarta, me posa au loin avec une douceur qui ne pouvait être humaine, avec un regard qui ne pouvait être découragé, fatigué ou tué. » QU’ONT-ILS PENSÉ DE CETTE EXPÉRIENCE PÉDAGOGIQUE ? Outre leurs réflexions sur le spectacle, les élèves d’Anne Vaudano et Stefan Ettlin, eux-mêmes passionnés par l’œuvre du maître de Bayreuth, ont également apporté de nombreux commentaires sur la pertinence et la qualité des activités pédagogiques préparatoires. Vera R. R. « a beaucoup apprécié cette fabuleuse expérience ! » Elle appréhendait ces cinq heures d’opéra, car pour elle, c’était une nouveauté : « Je ne savais pas si j’allais tenir le ACT.0 | 19 Notung l'inébranlable Tu brilles dans la nuit, Froid, fougueux et inébranlable. Tu t’es lié à un seul destin d’homme, Un seul vivant étendra son emprise sur toi. ] Tu attends ton heure, Froid, fougueux et inébranlable Tu es comme ton maître à venir. Tu ne connais ni l’horreur, ni l’angoisse,] Ni les palpitations de la peur. Ton âme est résolue, tu ne crains rien. Fidélité, loyauté et grandeur, Tels sont tes attributs. Tu as été seul pendant longtemps Mais le repos de ton esprit n’a jamais été troublé.] Tu savais que ton heure viendrait. Et celui capable de te manier Parlerait enfin ton langage. C’était lui que tu attendais : Siegfried le téméraire, Vous deviez vous rencontrer. Les hommes vous redoutent tous deux :] Froids, fougueux et inébranlables, Votre cœur est pur comme neige. Et vous êtes destinés à perdurer Au-delà des époques, Des existences éphémères, Des aubes éternelles Et des crépuscules ensanglantés. Brisé en morceaux dans la forge souterraine de Mime, ] Disloqué, le cœur plongé dans les ténèbres, tu attendais. ] Riant de la bêtise des hommes. Et t’émerveillant devant les dieux fatigués, ] Tu rassemblais tes forces, Tu brûlais du feu Que nul ne pourrait éteindre. Tu demeurais inchangé. Froid, fougueux et inébranlable. Le temps est passé au dessus de toi sans t’altérer. Et puis, l’heure a sonné, Le héros s’est dévoilé, Ses forces l’ont guidé jusqu’à toi. Les grandes âmes se sont rencontrées. Il n’y avait plus que vous au monde, Qui vivriez au-delà de tout, Dans un éclat qui ne ternit jamais. Vous. Siegfried, le téméraire Et toi, Notung, l’inébranlable. A nna R. et I leana C. 39