« Littérature et philosophie » d’après trois proemia de Cicéron Tusculanae disputationes, livre I I – Quand j'ai vu enfin, qu'il n'y avait presque plus rien à faire pour moi, ni au barreau, ni au sénat, j'ai suivi vos conseils, Brutus, et me suis remis à une sorte d'étude, dont le goût m'était toujours resté, mais que d'autres soins avaient souvent ralentie, ou même interrompue longtemps. Par cette étude, j'entends la philosophie, qui est l'étude même de la sagesse, et qui renferme toutes les connaissances, tous les préceptes nécessaires à l'homme pour bien vivre. J'ai donc jugé à propos de traiter en notre langue ces importantes matières : non pas que la Grèce n'ait à nous offrir, et livres et docteurs, qui pourraient nous les enseigner : mais il m'a toujours paru, ou que nos Romains ne devaient rien qu'à leurs propres lumières, supérieures à celles des Grecs ; ou que s'ils avaient trouvé quelque chose à emprunter d'eux, ils l'avaient perfectionné. III – Pour la philosophie, elle a été jusqu'à présent négligée ; et dans notre langue nous n'avons point d'auteurs, qui lui aient donné une sorte d'éclat. C'est à quoi j'ai dessein de m'appliquer, afin que si nos Romains ont autrefois retiré quelque fruit de mes occupations, ils en retirent encore, s'il est possible, de mon loisir. J'embrasse d'autant plus volontiers ce nouveau travail, que déjà certains philosophes, dont je veux croire les intentions bonnes, mais dont le savoir ne va pas loin, ont témérairement répandu, à ce qu'on dit, plusieurs ouvrages de leur façon. Or il se peut faire qu'on pense bien, et qu'on ne sache pas s'expliquer avec élégance. Mais en ce cas, c'est abuser tout à fait de son loisir, et écrire en pure perte, que de mettre ses pensées sur le papier, sans avoir l'art de les arranger, et de leur donner un tour agréable, qui attire son lecteur. Aussi les auteurs dont je parle n'ont-ils de cours que dans leur parti : et s'ils trouvent à se faire lire, c'est seulement de ceux qui veulent qu'on leur permette à eux-mêmes d'écrire dans ce goût-là. Après avoir donc tâché de porter l'art oratoire à un plus haut point qu'il n'avait été parmi nous, je m'étudierai avec plus de soin encore à bien mettre en son jour la philosophie, qui est la source d'où je tirais ce que je puis avoir eu d'éloquence. IV – Aristote, ce rare génie, et dont les connaissances étaient si vastes, jaloux de la gloire que s'acquérait Isocrate le Rhéteur, entreprit à son exemple d'enseigner l'art de la parole, et voulut allier l'éloquence avec la sagesse. Je veux de même, sans oublier mon ancien caractère d'orateur, me jeter sur des matières de philosophie. Je les trouve plus grandes, plus abondantes que celles du barreau : et mon sentiment fut toujours que ces questions sublimes, pour ne rien perdre de leur beauté, avaient besoin d'être traitées amplement et avec toutes les grâces qui dépendent du langage. J'ai essayé si j'y réussirais, et cela est allé déjà si loin, que j'ai même osé tenir des conférences philosophiques, à la manière des Grecs. De diuinatione, livre II I – Puisque, dirai-je encore, Aristote et aussi Théophraste, des hommes éminents, esprits profonds et écrivains diserts, ont joint à la philosophie la rhétorique, il me semble que je puis citer aussi mes ouvrages traitant de l'art oratoire. Ils comprennent trois livres Sur l’Orateur ; le quatrième est le Brutus ; le cinquième a pour titre L’Orateur. De officiis, livre I I – Je t'engage donc, mon cher Cicéron, à lire assidûment non seulement mes discours, mais aussi mes ouvrages de philosophie, déjà presque aussi nombreux. Il y a dans les premiers plus de passion, mais on doit aussi cultiver une manière de dire égale et tempérée. J'ajoute qu'aucun Grec à ma connaissance n'a jusqu'ici réussi à posséder à la fois ces deux aptitudes : l'éloquence du forum et l'art de disserter paisiblement, si ce n'est peut-être à la rigueur Démétrius de Phalère, argumentateur subtil et orateur sans beaucoup de flamme mais agréable, digne disciple de Théophraste. Quant à moi, je laisse à d'autres le soin de dire dans quelle mesure j'y ai réussi, mais il est certain que j'ai nourri cette double ambition. Au reste, je crois que Platon, s'il avait voulu aborder la tribune aux harangues, eût parlé avec force et abondance et que Démosthène, s'il avait retenu les enseignements reçus par lui de Platon et s'il lui avait plu de les reproduire, l'eût fait avec talent et clarté. Je porte un jugement semblable sur Aristote et Isocrate : l'un et l'autre, satisfaits du choix qu'ils avaient fait, dédaignèrent un genre qui n'était pas le leur.