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Préambule au mémoire des élèves
Cela faisait longtemps que nous savions que les bâtiments de notre établissement
avaient été réquisitionnés par la Gestapo. Mais ce n’est qu’en 2014, lorsque le
Concours National de la Résistance et de la Déportation a proposé le thème : « La
Libération et le retour à la République », que nous avons senti, comme une évidence,
le besoin de faire travailler les élèves eux-mêmes sur l’histoire de notre lycée, l’ORT,
et, à travers elle, sur une partie de l’histoire de la communauté juive de Strasbourg.
Le cas de l’Alsace durant la Seconde Guerre mondiale est un cas à part ; pour
Hitler et les Nazis, ce n’était pas une région française comme les autres, ce n’était pas
la Zone Occupée, c’était le Reich. L’Occupation y a donc pris une forme tout à fait
singulière. Le Gauleiter Wagner, un Nazi de la première heure, incarcéré avec Hitler
après le putsch raté de novembre 1923, s’était vu donner pour mission précise par le
Führer de « gagner la population alsacienne à la politique et à la cause nationale-
socialiste dans un délai de dix ans ». Il s’agissait, en d’autres termes, de la nazification
à marche forcée de l’Alsace.
Les bâtiments de notre lycée sont devenus, après l’annexion de 1940 et durant
un peu plus de quatre ans, l’un des centres de la machine totalitaire nazie : ils
abritaient le quartier général de la Gestapo, la terrible police secrète d’État, chargée
de traquer toute forme de résistance au régime, et d’arrêter les Juifs. Seule une plaque
sur l’un des bâtiments rappelle aujourd’hui ce passé, sans plus d’explication. Les
élèves passent leurs récréations biquotidiennes devant cette plaque, mais n’y prêtent
qu’une attention secondaire, sans vraiment savoir. Et nous, professeurs, que savions-
nous vraiment ?
Il nous a fallu partir à la recherche de renseignements, lever le voile d’une
histoire que nous ne connaissions que de façon superficielle, creuser, si l’on peut dire,
sous la plaque à la mémoire de Georges Wodli, et faire parler ces lieux. Mais nous ne
savions pas ce que nous allions découvrir. Le projet était donc au départ un peu flou :
retrouver l’histoire de ces locaux, juifs d’abord, puis nazis, puis juifs de nouveau. Plus
nous fouillions dans les documents d’archives et entendions les témoins de cette
période et de cette histoire singulière, et plus le besoin d’aller au-delà de ce que tout
le monde savait devenait impérieux.
Nos objectifs se sont ainsi précisés peu à peu. Du point de vue pédagogique,
nous avons pu reprendre des notions fondamentales sur une période très mal
maîtrisée par nos élèves. En effet, tous les élèves appartiennent à des classes
« passerelles » et se trouvaient en très grande difficulté scolaire jusqu’à cette année.
Une fois les notions fondamentales acquises, les activités pédagogiques ont été très
diverses : recherche documentaire, recherche de témoins, préparation et réalisation
d’interviews, mise en forme et rédaction des résultats de ces recherches, participation
à la réalisation d’un film documentaire joint au mémoire. Toutes sortes de
compétences ont ainsi été mobilisées et le travail a été mené dans un souci de
transversalité du début à la fin par les professeurs d’histoire, de français et de cinéma
audio-visuel.
Ces recherches et la rédaction des résultats ont été faites par les élèves, au fur et
à mesure de l’année. Nous, les enseignants, cherchions avec eux, parfois pour eux,
lorsqu’il y avait besoin de se rendre aux archives ou dans les salles patrimoniales
réservées aux bacheliers. Mais nous découvrions les documents en même temps