03 September 2011 - Basel Declaration

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# 03 | September 2011
L’ÉCHO DES SOURIS
Nouvelles percées concernant la maladie
d’Alzheimer avec des souris transgéniques
La maladie d‘Alzheimer
La maladie d‘Alzheimer (AD) est avant tout une maladie des personnes âgées; sa prévalence augmente
de manière presque exponentielle avec le vieillissement de la population. L’AD prive les personnes
atteintes de leur mémoire, de leur personnalité, de
leur autonomie et de leur contexte social. La lente
progression de la dévastation personnelle est également réfléchie par la charge financière imposée
aux états du monde entier. Ainsi, pour 2008, les dépenses du régime d’assurance maladie américain
pour la maladie d‘Alzheimer ont atteint $94 milliards, un tiers de son budget total. Actuellement, il
n’existe pas de médicament commercialisé ralentissant ou arrêtant la progression de la maladie. Les
médicaments disponibles traitent les symptômes,
mais uniquement de manière provisoire.
Les compagnies pharmaceutiques font des efforts importants pour essayer de sortir pour l’AD un
médicament modifiant la maladie. Mais au cours de
cette dernière décade, nous avons assisté à une série
d‘échecs dans la phase finale des études de phase 3.
Les raisons de ces échecs sont multiples et peuvent
inclure le choix de la mauvaise cible moléculaire
sous-jacente.
Alors que la plupart des efforts de recherche se
sont focalisés sur l’amyloïde, une nouvelle approche a ciblé l’autre pathologie-clé, les emmêlements
neurofibrillaires déjà décrits par le Dr Alois Alzheimer en 1906. Ce n’est toutefois que dans les années
1960 que l’équipe de Sir Martin Roth a indiqué la
corrélation entre la charge des emmêlements et le
degré clinique de démence. La nature et la composition de ces emmêlements a été déterminée après
leur isolation et leur purification opérée par Claude Wischnik dans les années 1980. Ils sont à base de
protéine tau, une protéine absolument essentielle
pour la forme des neurones et le transport «cargo»
le long des axones connectant les réseaux nerveux
et le cerveau. Toute accumulation anormale de protéine tau dans les neurones est étroitement liée aux
signes cliniques de démence et à la dégénérescence
neuronale.
Neurone sain
Emmêlement
«fantôme»
Emmêlement
Nucleus
Agrégats de
protéine tau
Plaque nerveuse
Fig. 1: Représentation schématique de l’évolution de la pathologie tau neuronale
L‘évolution de la pathologie tau (tauopathie) suit un
schéma caractéristique dans la durée, qui a été découvert et décrit pour la première fois en 1991 par les
neuropathologues allemands, Heiko et Eva Braak,
et qui est depuis communément appelé stades de
Braak. La tauopathie démarre dans l’hippocampe et
le cortex entorhinal, une région importante pour la
mémoire et l’apprentissage chez les souris et chez
les humains. Avec la progression de la maladie, les
emmêlements s’étendent sur le cortex temporal,
pariétal et frontal. Cette extension caractéristique
de la pathologie d’agrégation tau semble, post-mortem, correspondre étroitement au schéma régional
des déficits cérébraux pouvant être démontrés intra
vitam par des scans fonctionnels du cerveau, mesurant soit la réduction du flux sanguin, soit la réduction de l’utilisation du glucose (SPECT ou PET). De
tels déficits correspondent à la progression clinique
de l’AD, qui peut être suivie à l’aide de batteries de
tests neuropsychologiques variés.
«Toute accumulation anormale de protéine tau dans
les neurones est étroitement liée aux signes cliniques
de démence et à la dégénérescence neuronale.»
En 1991, l’équipe de John Hardy à Londres a rapporté
qu’une mutation génétique menait à l’AD chez les
patients ayant des antécédents familiaux de la maladie. La mutation touchait une protéine produisant
un fragment d’amyloïde insoluble s’accumulant
sous forme de «plaques» dans le cerveau, en dehors
des neurones, ce qui correspond à l’autre pathologie évidente déjà décrite par Alois Alzheimer. Ceci
a donné naissance à ce qui est appelé l’hypothèse de
la cascade amyloïde, dans laquelle le processus menant à l’accumulation d’amyloïde dans les plaques
a été mis au centre du processus de développement
de la maladie. Cette hypothèse doit toutefois encore être confirmée par une étude clinique réussie.
Braak et Braak ont montré que la pathologie amyloïde semble être une caractéristique générale du
cerveau vieillissant qui ne suit pas de schéma défini
de progression ou d‘extension. Une relation systématique tout au plus minimale entre la pathologie
amyloïde et la dégénérescence cognitive clinique a
été confirmée depuis. Il est intéressant de noter que
les plaques «névritiques» de l’AD contiennent également des terminaisons nerveuses montrant en
abondance les mêmes fibrilles que celles retrouvées
dans les emmêlements
L’agrégation de protéine tau
Pour pouvoir développer des médicaments susceptibles d’arrêter le processus de l’agrégation de
la protéine tau menant aux emmêlements dans
les cerveaux AD, il faut disposer d’un modèle permettant de tester ces médicaments. Wischnik et ses
collaborateurs ont développé de tels modèles afin
de montrer qu’une classe de composés peut inhiber l’agrégation tau dans un tube d’essai, une cellule isolée puis dans un modèle murin. Tant dans
le modèle cellulaire que dans le modèle murin, le
processus de l’agrégation tau a été initié par une
petite semence capturant ensuite la protéine tau
et menant à un complexe stable et insoluble de tau
agrégée. On ne comprend pas encore ce qui lance le
processus dans le cerveau humain, mais il semble
probable qu’il puisse y avoir différents évènements
susceptibles de déclencher ce processus. Dans certains cas, il s’agit peut-être d’amyloïde anormale ou
de l’accumulation de protéines anormales ou encore de «pigment de vieillissement». Une fois initiée,
la capacité d‘autopropagation de la pathologie par
la protéine tau aux dépens de la protéine tau normale a été confirmée dans plusieurs études récentes. Les fibrilles tau agrégées peuvent être absorbées
par des cellules contenant de la protéine tau longue
et transmises aux cellules voisines, propageant ainsi
l’agrégation. La transmission et l’extension de la pathologie tau peuvent être induites de manière similaire dans des modèles murins.
Une fois l’ensemencement initial réalisé, la cascade de l’agrégation tau est autopropagatrice, menant à deux résultats préjudiciables. Elle convertit
d’abord la protéine tau fonctionnelle normale du
neurone en sa forme agrégée retrouvée dans les emmêlements. La protéine tau normale est nécessaire à
la stabilisation des microtubules axonaux. Le réseau
microtubulaire contribue à la forme du neurone
avec la longueur d’axone requise pour la connexion
de deux parties distantes du cerveau. Mais le point
le plus important est que les agrégats de tau sont directement neurotoxiques et entrainent la mort neuronale.
Inhibiteurs de l’agrégation de la protéine tau
Le chlorure de méthylthioninium (MT), communément appelé bleu de méthylène, a été le premier
inhibiteur de l’agrégation tau rapporté. Les concentrations de MT efficaces dans la désorganisation des emmêlements in vitro et dans les modèles
cellulaires sont liées aux concentrations inoffensives chez les humains. Ceci nous mène à la question
d’une possible utilisation de MT sans danger et efficace dans l’AD.
Deux modèles murins ont donc été développés, démontrant en premier lieu que l’agrégation
tau provoque des déficits sur le plan cognitif et
d’apprentissage moteur et, deuxièmement, que la
pathologie tau se développe au sein des neurones,
le processus étant organisé de manière similaire à
la neuropathologie humaine. Ces modèles murins
ont confirmé que le MT: (a) passe la barrière hématoencéphalique; (b) entraine une modification du phénotype clinique (fonctions cognitives et apprentissage moteur); (c) réduit la charge de tau oligomérique
dans des régions importantes pour la mémoire.
Dans le premier modèle transgénique, la souris
«lignée 1» exprime un fragment de tau formant
l’unité centrale au sein des filaments individuels de
l’emmêlement Alzheimer. La conception de la protéine lui permet de se fixer à un endroit de la membrane où elle enclenche un ensemencement de tau
pouvant capturer d’autres protéines tau. Ces souris
récapitulent le phénomène essentiel des stades de
Braak. Chez les souris de moins de 12 mois, la pathologie de tau agrégée est principalement localisée
dans le cortex endorhinal et l’hippocampe. Lorsque
la souris vieillit, la pathologie s’étend aux autres régions corticales du cerveau. Ces souris de la lignée
1 développent une altération de l’apprentissage
après l’âge de 7 mois, ainsi que montré dans la
tâche du labyrinthe aquatique. L‘acquisition d’un
d’apprentissage donné exige presque le double
Génération de souris transgéniques
du nombre d’essais chez les souris de la lignée 1,
Des oocytes fertilisés ont été prélevés de souris fe- mais l’administration orale de MT inverse ce déficit
melles âgées de quatre semaines. Le vecteur, con- d’apprentissage tout en réduisant la charge de tau
tenant la séquence de codage de la protéine tau oligomérique.
(ADNc de tau) sous le contrôle d’un promoteur neu- Le MT montre également des effets positifs dans
ronal Thy-1, a été microinjecté dans le pronucléus un deuxième modèle murin («lignée 66»). Chez cette
mâle des oocytes fertilisés. Après la microinjection, souris, la protéine tau humaine a été modifiée par
les oocytes ont été implantés dans l’oviducte de des mutations accélérant l’agrégation tau. Ces musouris femelles NMRI pseudogestantes âgées de 8 à tations se retrouvent en fait dans un autre type de
10 semaines. Les souris transgéniques ont été iden- démence, la démence frontotemporale, où les symptifiées par génotypage en utilisant la PCR (réaction tômes primaires concernent plus souvent des chande polymérase en chaîne) afin d’identifier la pré- gements du comportement que de la mémoire. Alors
sence d’ADN de tau inséré spécifiquement humain. que la souris de la lignée 1 montre une pathologie
Le nombre de copies d’inserts a été déterminé par tau très modeste, la souris de la lignée 66 montre
Southern blot. L’expression de l’ARNm de tau par une pathologie tau sévère. Les emmêlements de tau
Northern blot et de protéine tau a ensuite été déter- chez les souris de la lignée 66 sont filamentaires et
minée par immunoblots et une analyse immuno- sont observés dans l’hippocampe, le cortex endorhihistochimique des tissus cérébraux.
nal et d’autres régions corticales.
Neurones
tau-positifs
Génération de souris tau transgéniques
Pronuclei d’oocyte
ADNc de tau humain injecté
dans le pronucléus d’ovules
fertilisés avant la fusion en
pronuclei mâle/femelle
300
200
Ovules implantés
100
Souris procréée avec
ADNc de tau
Expression de tau dans
le cerveau
Fig. 2: Génération de souris tau transgéniques
0
15
45
MT
(ng/kg/jour)
Fig. 3: Réduction dose-dépendante de la charge de tau neuronale chez les souris après l’administration de MT
«Les effets du méthylthioninium chez les
souris tau transgéniques ont eu un rôle décisif
dans l’encouragement de la recherche clinique»
Les souris de la lignée 66 montrent de sévères anormalités de l’apprentissage moteur. L’administration
orale de MT peut inverser ce déficit tout en réduisant la charge de tau.
Le MT peut donc inverser les symptômes et la
pathologie dans deux modèles de souris tau transgéniques: un modèle de phénotype cognitif avec
prédominance d’oligomères de tau (lignée 1) et un
phénotype moteur de type frontotemporal avec
abondance de tau filamentaire (lignée 66). Les effets du MT chez les souris tau transgéniques ont été
décisifs dans l’encouragement de la recherche clinique.
Il serait souhaitable de pouvoir comprendre les mécanismes complexes
de l’organisme sans expérimentation stressante pour les animaux.
Ce n’est malheureusement pas encore le cas aujourd’hui bien que les
chercheurs pratiquent déjà depuis bien des années d’innombrables
expériences sur des cellules et des tissus et, à l’époque de la biologie
des systèmes, acquièrent de plus en plus de connaissances grâce aux
simulations sur ordinateur. Le dilemme persistera encore longtemps:
pratiquer la recherche fondamentale sans essais sur des animaux
signifierait renoncer à tout progrès médical. «L’Écho des souris» veut
expliquer pourquoi et, à cette fin, relate des réussites médicales qui
n’auraient pas été possibles sans l’expérimentation animale.
La recherche translationnelle dans la maladie
d‘Alzheimer
Le concept d’inhibition de l’agrégation de tau a été
confirmé par des résultats provenant d’une étude
clinique contrôlée portant sur 321 patients souffrant d’AD. Le MT a significativement réduit le taux
de déclin cognitif clinique de 84% sur 50 semaines
lorsque mesuré à l’aide de l’échelle ADAS-cog, un
instrument validé et accepté de l’enregistrement
des changements cognitifs dans l’AD. Le critère
d‘évaluation clinique global coprimaire et les résultats d’une sous-étude SPECT étaient significativement positifs. Ces résultats suggèrent que le MT peut
ralentir la détérioration dans l’AD. L’administration
de MT pourrait donc être particulièrement utile aux
stades précoces de la maladie. Une forme améliorée
de MT doit bientôt être testée dans des études de
phase 3. La confirmation clinique et par imagerie
neurologique de ces conclusions initiales est attendue avec impatience, afin de voir si le principe d’une
thérapie ciblant la protéine tau peut offrir un nouvel espoir dans le traitement de l’AD.
Herausgeberin in Cooperation:
«L’Écho des souris» est une collaboration avec la «Déclaration de Bâle».
www.basel-declaration.org
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Münchhaldenstrasse 10
Postfach
8034 Zürich
[email protected]
www.forschung-leben.ch
www.recherche-vie.ch
Autor:
Hans J. Moebius, MD, PhD, ECPM
Redaktion:
Astrid Kugler «Forschung für Leben»
Barbara Moebius «Forschung für Leben»
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