Conseil Constitutionnel - Histoire constitutionnelle et théorie

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Histoire constitutionnelle et théorie constitutionnelle
Michel TROPER - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 28 (Dossier : L'histoire du contrôle de
constitutionnalité) - juillet 2010
Professeur émérite à l'Université de Paris Ouest Nanterre La Défense
Centre de Théorie et Analyse du Droit UMR CNRS 7074
Tous les constitutionnalistes sont persuadés de l'importance de l'histoire du droit pour la compréhension du droit
positif actuel. Pourtant, s'ils s'accordent à penser que les institutions sont des produits de l'histoire, ils se séparent
souvent sur la signification de cette influence et l'on ne sait pas toujours ce que l'histoire est réputée expliquer, car une
même institution peut être considérée tantôt comme le prolongement, tantôt comme la réaction à une pratique
ancienne. Ainsi, on a longtemps écrit que l'introduction tardive en France du contrôle de constitutionnalité s'expliquait
par une tradition inaugurée par la Révolution française, en rupture avec les pratiques des anciens parlements. Mais,
plus récemment, on a souligné que certains juristes de la IIIe République appelaient les tribunaux à exercer un
contrôle de constitutionnalité et l'on a voulu voir dans certaines pratiques judiciaires de l'Ancien Régime ou du xixe
siècle une ressemblance avec certaines formes de contrôle. Le contrôle tel qu'il existe sous la Ve République pourrait
donc s'inscrire ou bien en rupture avec une tradition ou bien dans la continuité d'une autre.
On retrouve une ambiguïté du même ordre, lorsqu'on considère les rapports entre l'histoire du droit et la théorie
constitutionnelle, notamment la théorie du contrôle de constitutionnalité. D'une part, les historiens décrivent les
institutions du passé à l'aide des concepts et à la lumière des théories d'aujourd'hui, mais d'autre part certaines des
théories constitutionnelles d'aujourd'hui sont issues des pratiques du passé.
I. L'apport de la théorie constitutionnelle à l'histoire du droit
Nous ne décrivons pas le droit positif de notre époque avec le seul lexique du droit positif. Quand nous parlons de la
Constitution de la Ve République, nous employons des expressions comme « organe », « régime parlementaire » ou «
contrôle de constitutionnalité », qui ne figurent pourtant pas dans le texte de 1958. Ces termes ne désignent pas des
concepts du droit positif, mais ceux de la théorie constitutionnelle, des méta-concepts.
Il en va évidemment de même lorsqu'il s'agit de décrire le droit du passé. Il en est ainsi non seulement des termes
comme « organe », absent des textes anciens, comme de la Constitution de 1958, mais même des termes que ces textes
contiennent, comme « constitution » ou « loi ». Pour déterminer la nature de la Constitution de 1791, il ne suffit pas de
constater que le terme figure en tête du document, ni de connaître la signification que lui donnaient les hommes de la
Révolution. Il faut aussi savoir ce que la théorie constitutionnelle moderne désigne ainsi. Ce n'est que de cette manière
que l'on peut vérifier que l'on est bien en présence d'un objet semblable à la Constitution ou à la Constitution italienne
actuelle. Les historiens ont quelquefois très clairement conscience que les instruments intellectuels qu'ils emploient ne
sont pas tirés de la culture de l'époque étudiée, mais de celle dans laquelle ils vivent. Marc Bloch analysait ainsi la
société médiévale à l'aide d'un concept de « société féodale » apparu beaucoup plus tard et de même Olivier-Martin,
pour soutenir que les parlements d'ancien régime revendiquaient une part du pouvoir législatif, invoquait précisément
la doctrine de son temps « demandez aux constitutionnalistes modernes, écrivait-il, si le droit de veto n'implique pas
participation au pouvoir législatif »[1]. Il pouvait alors analyser leur pouvoir non comme une première forme de
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contrôle de constitutionnalité, comme on le fait parfois aujourd'hui, mais comme une « rébellion » [2].
Il n'est donc pas étonnant que cela soit seulement au moment où le contrôle de constitutionnalité a commencé à
occuper une place centrale dans la théorie constitutionnelle et où la jurisprudence du Conseil constitutionnel a fait
évoluer la notion même de constitution que les historiens du droit ont pu envisager d'employer ces concepts pour
décrire l'action des parlements d'ancien régime comme une première forme de contrôle de contrôle juridictionnel de la
constitutionnalité des lois[3]. Comme le souligne justement François Saint-Bonnet, cette entreprise coïncide avec la
mutation du concept de constitution, qui, en France, depuis 1971, n'est plus seulement un document écrit ayant pour
objet l'organisation des pouvoirs publics et la répartition des compétences entre eux, mais un ensemble de principes
écrits et non écrits, résultant du travail de la jurisprudence et visant à garantir les droits et libertés [4]. Il pouvait donc y
avoir aussi un contrôle de constitutionnalité sous l'Ancien Régime en l'absence d'une constitution écrite[5].
Pour pouvoir établir une équivalence entre les pratiques des parlements et le contrôle de constitutionnalité, les
historiens doivent réaliser deux séries d'opérations.
En premier lieu, ils peuvent analyser le discours des parlementaires eux-mêmes et montrer que ceux-ci estimaient
effectuer un contrôle des actes royaux par rapport à une norme supérieure et qu'ils justifiaient ce pouvoir de la même
manière qu'on justifie aujourd'hui le pouvoir des Cours constitutionnelles. Il suffit de traduire leurs discours dans les
termes du xxe siècle, c'est-à-dire d'employer les méta-concepts de la théorie constitutionnelle pour y voir des
références à la hiérarchie des normes, à la nécessité de contre-pouvoirs pour éviter le despotisme, à la protection des
droits et libertés, à la théorie de l'aiguilleur[6].
Les historiens peuvent aussi constater que les parlementaires surmontent par des procédés semblables à ceux que nous
connaissons sous la Ve République la difficulté de concilier le contrôle des lois avec l'idée que celui qui les fait est le
souverain : on peut soutenir ou bien que la souveraineté n'est pas illimitée et qu'elle comporte des contre-pouvoirs 
c'est en cela que la monarchie, comme aujourd'hui la démocratie, se distingue du despotisme  ou au contraire que les
juges sont eux-mêmes une partie du souverain, parce qu'ils le représentent. Au xviiie siècle, les parlementaires
affirmaient représenter le corps immortel du roi dont ils exprimaient la volonté réelle, contre celle qui n'avait été
exprimée que par erreur par le roi mortel[7] ; de même aujourd'hui certains voient dans le juge constitutionnel le
représentant du peuple éternel[8].
Le principe de ces traductions est parfaitement légitime et ce n'est pas le lieu de discuter chacune d'elles, de se
demander par exemple si la relation entre lois fondamentales et actes royaux, telle que la présentent les magistrats
d'ancien régime correspond « réellement » à une hiérarchie des normes ou si la pratique des remontrances est «
réellement » semblable au contrôle de constitutionnalité que nous connaissons aujourd'hui. On pourrait sans doute
souligner qu'il y a quelques différences importantes, notamment que, contrairement aux lois fondamentales, la
Constitution à laquelle on se réfère aujourd'hui est perçue avant tout comme une constitution positive, bien qu'elle
comprenne aussi des principes non écrits. C'est en effet en interprétant un texte que le juge invoque ces principes. Ce
texte est réputé exprimer une volonté humaine et non pas refléter des lois naturelles ou divines. C'est parce qu'elle est
positive, qu'il est possible au souverain de la modifier. On pourrait ajouter que le lit de justice des rois de France n'est
pas un acte du pouvoir constituant et qu'il se présente comme une décision du souverain qui rend la justice.
Ces différences n'affectent cependant pas la validité de l'analyse, parce qu'il ne s'agit pas de démontrer une
correspondance trait pour trait entre les pratiques anciennes et les pratiques actuelles, mais d'examiner s'il est possible
de subsumer pratiques anciennes et pratiques modernes sous un même méta-concept de contrôle de constitutionnalité
que nous fournit la théorie contemporaine. Cependant la difficulté est ailleurs.
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Les historiens désireux d'établir que le contrôle de constitutionnalité des lois existait sous l'Ancien Régime doivent en
effet réaliser une seconde opération : montrer que, selon le droit positif, les lois jugées contraires aux lois
fondamentales par les parlements étaient privées de validité. Mais en réalité l'analyse des historiens porte seulement
sur les discours des parlementaires, dont on présume un peu vite qu'ils correspondent au droit positif. Ce sont les
parlementaires et eux seuls qui affirment tenir du roi lui-même le pouvoir de contrôler ses actes, eux qui prétendent
devoir refuser « l'exécution de ce qu'ils croiraient contraire à la Constitution et aux lois de l'État, aux droits essentiels
des sujets, aux intérêts de la couronne et à ceux de l'autorité royale elle-même », eux encore qui se disent les
représentants de la nation. Le roi, lui, est d'un avis différent.
Ainsi, ce qu'on a décrit, c'est seulement l'idéologie des cours. Certains historiens indiquent expressément que tel est
bien leur seul objet [9]. Mais le plus souvent ils présentent cette description comme la description du droit positif. Il en
est ainsi parce qu'ils se fondent sur une théorie du droit, qui reste toujours implicite [10]. Contrairement à ce qu'on
pourrait croire, cette théorie du droit n'est pas la théorie réaliste. Sans doute celle-ci peut-elle définir le droit comme
discours des juges, mais à condition que ce discours soit accepté par l'ensemble des acteurs, alors que la monarchie de
l'Ancien Régime a contesté avec énergie les prétentions des parlements.
Cette théorie du droit est au contraire une théorie idéaliste, qui ramène le droit à l'ensemble des principes et des règles
que l'on peut énoncer au terme d'un discours rationnel.
Ainsi, le discours des parlementaires se confondrait avec le droit tout simplement parce que les historiens du xxie
siècle le jugent cohérent. Et si ce discours est cohérent, c'est parce qu'il paraît s'accorder avec celui que l'on tient
aujourd'hui sur le contrôle de constitutionnalité et la hiérarchie des normes.
La boucle paraît ainsi se refermer : après avoir analysé le droit de l'Ancien Régime en traduisant le discours des
parlementaires dans le langage d'aujourd'hui, les historiens peuvent s'émerveiller de sa modernité. L'histoire du
contrôle de constitutionnalité s'écrit donc bien à la lumière d'une théorie constitutionnelle postérieure et la validité de
ses analyses est tributaire de la pertinence de cette théorie. Cependant, cette théorie est elle-même dépendante des
concepts et des pratiques du passé.
II. L'apport de l'histoire du droit à la formation des doctrines du contrôle de
constitutionnalité
C'est une banalité de dire que le droit constitutionnel, comme d'ailleurs les autres branches du droit, est un produit de
l'histoire. Les institutions ne sont-elles pas le résultat d'une évolution, n'ont-elles pas été créées ou modifiées en
réaction à des institutions précédentes ou pour les améliorer ? Ces créations et modifications ne s'expliquent-elles pas
par l'évolution des rapports de forces politiques ou les transformations des idéologies ? On estime parfois que le rôle
actuel du président de la République en France peut être expliqué par des références au discours de Bayeux, aux
faiblesses de la IVe République, à l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle, aux derniers moments de la guerre
d'Algérie, etc··· De même, on présente le Conseil constitutionnel comme le produit d'une longue histoire, qui va du
refus du contrôle de la constitutionnalité des lois par la Révolution française à l'avènement de l'État de droit et qui
résulte de facteurs multiples, parmi lesquels on cite pêle-mêle l'exemple américain, la prise de conscience par la
doctrine juridique de la nécessité d'assurer la suprématie de la Constitution et la garantie des droits fondamentaux ou
le besoin en 1958 de régler les conflits de compétences qui pourraient naître de la répartition des matières entre le
pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire.
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On perçoit moins l'influence de l'histoire non sur le droit lui-même, mais sur la théorie du droit. Cette influence, on
peut la concevoir de deux manières : l'histoire peut d'abord servir de répertoire d'exemples, de concepts ou de théories
justificatives ; mais elle peut elle-même sécréter des théories.
Dans le premier cas, l'influence de l'histoire du droit est très indirecte lorsqu'elle n'est qu'un vaste répertoire, où la
théorie puise des exemples, des concepts ou des justifications.
On sait bien que certaines des catégories élaborées par les constitutionalistes sont les produits de généralisations. Les
catégories « régime présidentiel » et « régime parlementaire » ont été obtenues dans la seconde moitié du xixe siècle à
partir des cas américains et anglais tels qu'ils étaient à cette époque et il arrive aussi que les auteurs puisent dans
l'histoire des exemples ou procèdent par généralisation à partir de certains phénomènes du passé. Ainsi, ce qu'on
appelle « régime d'assemblée » ou « régime conventionnel » a été construit à partir du système politique de 1793.
On ne peut pourtant pas voir dans ces constructions un apport véritable de l'histoire à la théorie constitutionnelle.
Il est en effet tout à fait possible que ces constructions n'aient avec la réalité historique que des rapports assez lâches.
La description du régime parlementaire en termes d'équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne
correspond pas  et n'a peut-être jamais correspondu  à la réalité du régime britannique et le gouvernement de la
Convention nationale n'a jamais réellement fonctionné sur le modèle de la confusion des pouvoirs qui est censé
caractériser le régime d'assemblée.
On pourrait sans doute répondre qu'il s'agit de modèles ou de types idéaux, que la réalité ne saurait leur correspondre
exactement et qu'il suffit d'examiner la valeur logique et l'intérêt scientifique des oppositions régime parlementaire /
régime présidentiel et confusion des pouvoirs / séparation des pouvoirs. La vérité historique serait donc parfaitement
indifférente.
Pourtant, la référence à la méthode des types idéaux n'est pas une excuse universelle. L'intérêt de la méthode est de
permettre de rendre compte d'une grande diversité de faits. Les types idéaux doivent donc être testés au regard des
réalités. Si l'on découvrait par exemple que le système politique, tel qu'il a fonctionné en France entre 1792 et 1795,
ne correspond pas trait pour trait au modèle du régime conventionnel, ce modèle ne perdrait pas pour autant sa
pertinence pourvu qu'il permette néanmoins de rendre compte correctement d'une autre situation dans un autre lieu ou
à une autre date, parce que cette situation présente au moins quelques-uns des traits décrits dans le modèle. On aurait
seulement effectué un mauvais classement du système de 92-95, qui ne remettrait pas en cause la classification
elle-même. Par contre, si le modèle ne rend compte, même approximativement, d'aucun système politique réel, il
faudrait considérer qu'il n'est pas pertinent.
Cependant, ce n'est pas à proprement parler l'analyse historique, qui permet de tester les modèles théoriques, mais
seulement la confrontation du modèle avec une réalité empirique, quel que soit le moment historique de cette réalité. Il
n'y a à cet égard aucune différence entre la manière de tester la validité du modèle « régime d'assemblée » au regard
de l'expérience de 1792-1795 et celle des modèles « présidentiel » ou « parlementaire » au regard des régimes
contemporains.
Dans d'autres cas, l'histoire paraît servir de réservoir de concepts. Plusieurs des concepts essentiels de la théorie
constitutionnelle sont présentés comme des productions ou des découvertes du passé. C'est ainsi qu'ont procédé
notamment les publicistes de la IIIe République. Carré de Malberg, par exemple, soutient que sa théorie de la
souveraineté nationale ou la théorie de l'organe sont des produits de la Révolution française.
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Ces analyses sont pourtant en grande partie anhistoriques. Les constitutionnalistes du début du xxe siècle entendaient
en effet produire une Théorie générale comme le montre par exemple le titre de l'ouvrage de Carré de Malberg, «
Contribution à la Théorie générale de l'État », mais pour parvenir à la formuler à partir des concepts de la Révolution
française, il fallait prétendre que ce qui avait été produit par l'histoire n'était pas seulement des modes d'organisation et
de fonctionnement du pouvoir politique, ni des concepts propres au travail constituant d'un moment particulier, mais
bien des concepts et des théories scientifiques de portée générale. D'où le sous-titre de la « Contribution », «
spécialement d'après les données fournies par le droit constitutionnel français ». En d'autres termes, les concepts
découverts sous la Révolution française feraient encore partie du droit constitutionnel de la IIIe République et
formeraient les éléments d'une Théorie générale de l'État. Ils vaudraient comme méta-concepts.
Cependant, pour donner à ces principes une portée vraiment générale et même pour les rendre aptes à justifier les
règles les plus adaptées à la IIIe République, nos auteurs devaient nécessairement leur faire subir quelques
manipulations. C'est ainsi que Carré de Malberg fabriquait à partir de la théorie révolutionnaire de la représentation un
concept d'organe ou, à partir de la théorie de la souveraineté, sa fameuse distinction de la souveraineté nationale et de
la souveraineté populaire[11]. Ces méta-concepts ne sont donc pas des produits de l'histoire, mais de la théorie du
droit.
C'est également l'histoire qui est invoquée pour renforcer des théories à fonction justificative. La théorie du lit de
justice de Georges Vedel en offre un bon exemple.
« C'est cette plénitude du pouvoir de révision constitutionnelle, écrit-il, qui légitime le contrôle de la constitutionnalité
des lois. À celui qui se plaint que la loi votée par les représentants de la Nation ne soit pas souveraine comme la
Nation elle-même, on répond que 'la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution'. Cette
formule justifie le contrôle de constitutionnalité, mais elle n'a cette vertu que parce qu'elle sous-entend que l'obstacle
que la loi rencontre dans la Constitution peut être levée par le peuple souverain ou ses représentants s'ils recourent au
mode d'expression suprême : la révision constitutionnelle. Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout
moment, le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant peut, dans une sorte de lit de justice,
briser leurs arrêts » [12].
Pourtant, la référence historique n'est qu'approximative et possède surtout une valeur rhétorique. Vedel ne fait que
prolonger la théorie de Kelsen, que Favoreu avait appelée « théorie de l'aiguilleur » : lorsque le juge constitutionnel
déclare qu'une loi est inconstitutionnelle, il ne se prononcerait pas sur le fond, mais seulement sur la procédure. Il se
bornerait en effet à indiquer qu'une certaine mesure ne pouvait être adoptée en forme législative, mais seulement en
forme constitutionnelle.
Cependant, cette thèse appelle immédiatement une question : en quoi la procédure constitutionnelle est-elle préférable
à la procédure législative ? À cette question, Kelsen se bornait à répondre que la révision constitutionnelle est plus
démocratique parce qu'elle requiert en général une majorité qualifiée. Si l'on définit la démocratie comme l'autonomie,
le fait d'être soumis à des normes auxquelles on a consenti, le pouvoir constituant est plus démocratique que le
pouvoir législatif, parce qu'il exprime le consentement d'un plus grand nombre de représentants. Quelle que soit la
valeur de l'argument, Kelsen est contraint de s'y tenir parce qu'il récuse la théorie de la souveraineté et ne peut donc se
fonder sur l'idée que la Cour constitutionnelle doit s'incliner devant le souverain. Elle possède une compétence, qui lui
a été conférée par la Constitution, mais tel est aussi le cas du pouvoir constituant dérivé et il n'y a, du point de vue de
Kelsen, aucune différence entre eux. Vedel, qui raisonne dans le contexte du droit constitutionnel français, est tenu de
faire un pas de plus : il y a un souverain. C'est le pouvoir constituant, de sorte que, en invalidant une loi, le juge ne se
dresse pas contre le souverain et celui-ci peut intervenir à tout moment.
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