La n de l’année est une période propice aux "rétrospectives" et autres "best
of" de l’année. Cédant à cette mode, Z’infos Marines revient dans ce dernier
numéro de 2013 sur trois moment forts, trois actualités positives trop peu
médiatisées qui sont venues, discrètement, éclaircir ces douze derniers mois.
Commençons par février. Le 27, le pétrolier Shell annonçait la suspension
de ses activités de forages d'exploration dans les mers de Beaufort et des
Tchouktches, en Alaska. LArctique, ce nouvel eldorado de chercheurs d’or noir,
abrite également des richesses biologiques et écologiques incommensurables,
menacées par le développement des activités anthropiques, notamment
pétrolières. Voyons dans le retrait, malheureusement temporaire, de Shell, un
signe positif au niveau de la défense de ce territoire exceptionnel.
En mars, on assistait à une avancée majeure au niveau de la protection des
requins. La 16ème Conférence des Parties à la Convention sur le commerce
international des espèces menacées (Cites) a débouché sur la régulation du
commerce de quatre espèces prisées pour leurs ailerons. Un premier pas
notable en faveur de ces espèces largement surexploitées, et dont la disparition
s’avérerait dramatique pour l’ensemble des réseaux écologiques océaniques.
En septembre, ce n’est rien de moins qu’une "petite révolution juridique" qui
était proposée à Christiane Taubira, ministre de la Justice. Le rapport qui lui a
été remis le 17 par un groupe de travail présidé par Yves Jegouzo propose de
donner naissance au "préjudice écologique" : le code civil ne protègera plus
uniquement les personnes et le patrimoine, il sanctionnera aussi les atteintes à
l'environnement. 2014 nous dira si un projet de loi suit ces propositions. Si tel
était le cas, les défenseurs de l’environnement disposeront peut être bientôt
d’un nouvel allié de poids en la "personne" du Code Civil.
Et à la Réunion, que s’est-il passé en 2013 dans le monde de l’environnement
marin ? Kélonia a impulsé le programme Cocaloca, qui permettra de mieux
connaître la tortue caouanne. Globice a choisi de revenir sur le programme
CéTO, visant à prospecter les eaux peu connues de la Réunion, an de découvrir
ce qui s’y cache. A leur échelle, deux moments forts pour ces structures. Pour
conclure cette année, nous vous offrons enn un long voyage. Nous partons
en n de numéro pour Saint Pierre et Miquelon, à la rencontre de l’association
Frag’îles.
Bonne année 2014 à tous !
La rédaction
Edito
10
Quatrième trimestre 2013
COCALOCA
Kélonia, Ifremer, CLS Argos - p. 2
Retour sur la mission CéTO : à la découverte
des eaux peu connues de la Réunion
Globice - p. 4
Rivages d'ailleurs : Lassociation
SPM Frag’îles de Saint-Pierre et Miquelon
SPM Frag'îles - p. 6
L’invité du trimestre
Interview de Romain Troublé - p. 8
1
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L’actualité environnementale
de la Réunion côté marin
Ce trimestre dans
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- Kélonia, coordinateur du projet, est un établissement de
la Région Réunion dont les missions sont de sensibiliser à la
préservation du patrimoine naturel et culturel associé aux tortues
marines (Kélonia a accueilli plus de 120.000 visiteurs en 2013),
développer des programmes d’étude et de conservation des
tortues marines et de leurs habitats. Kélonia et Ifremer gèrent la
base de données TORSOOI (http//www.torsooi.com).
Lespèce concernée par COCALOCA est la tortue caouanne Caretta
caretta, inscrite sur la Liste Rouge de l’UICN comme menacée et
sur la Liste Rouge Réunion comme "Data décient". En effet, cette
espèce rare sur le littoral de La Réunion est cependant présente
dans les eaux territoriales, par lesquelles transitent des stades
pélagiques. Mais l’intérêt pour cette espèce est très récent à La
Réunion.
Lorigine de ce programme revient
aux palangriers de La Réunion qui
ont contacté Ifremer et Kélonia
pour connaître la conduite à tenir
en cas de capture accidentelle de
tortues marines. La tortue caouanne
est une espèce carnivore et peut
donc venir se nourrir sur les appâts
des palangres. Le partenariat mis
en place entre les professionnels
et les organismes de recherche
réunionnais permet de réduire
l’impact de ces captures accidentelles,
mais également d’accroître les
connaissances sur cette espèce
en vue de dénir une stratégie
de gestion et de préservation au
niveau régional et local. Restait
à trouver un nancement pour
donner de l’ampleur au projet.
Le programme bénécie d'un
nancement de l’Agence Française
de Développement (AFD) dans le
Le programme COCALOCA, sur la COnnectivité des populations de
tortues CAouannes (Caretta caretta) dans l’ouest de l’océan Indien :
mise en place de mesures de gestion LOCAles et régionales, regroupe
3 instituts :
- CLS, leader mondial pour la collecte de données
environnementales à partir de satellite, la localisation et l’observation
par satellite. La direction Océanographie spatiale travaille avec
l’école doctorale des sciences de l’univers, de l’environnement et
de l’espace de l’Université Paul Sabatier de Toulouse ;
- Ifremer, qui contribue à la connaissance des océans et de leurs
ressources, pour suivre l’évolution de l’environnement littoral
et marin, et favoriser un développement durable des activités
marines. Pour cela Ifremer conçoit et utilise des outils d’observation,
d’expérimentation et de suivi, et gère des bases de données
océanographiques. A la Réunion, Ifremer étudie les tortues marines
depuis 1975 ;
COCALOCA
2
Figure 1. A gauche : Partenariat unique palangrier/scientifique pour la préservation des tortues
caouannes. En haut à droite : L’hameçon est retiré sous anesthésie générale.
En bas à droite : Chaque tortue relâchée en mer est parrainée par des scolaires.
Grâce à COCALOCA, les enfants pourront suivre les déplacements
océaniques des tortues parrainées et ainsi découvrir la biologie de
cette espèce et l’environnement océanique régional.
Les premiers résultats des suivis Argos ont déjà montré que
les tortues caouannes présentes dans les eaux réunionnaises
poursuivaient leur migration selon deux patterns distincts.
Certaines tortues restent dans l’océan Indien austral et se déplacent
le long des zones de convergence au sud de Madagascar et de
la Réunion. D’autres tortues traversent l’équateur en direction
des côtes de la péninsule arabique et notamment d’Oman.
Aussi, pour comprendre ces
comportements différents,
COCALOCA prévoit d’établir
des partenariats avec les
équipes d’Afrique du Sud,
du Mozambique et de
Madagascar, mais également
avec Oman, qui accueille sur
son littoral les sites de ponte
de tortues caouannes les plus
importants au monde. Les
échanges d’informations avec
les équipes scientiques de
ces pays doivent permettre,
au terme du programme, de
reconstituer les déplacements
océaniques des populations de
tortues caouannes de l’océan
Indien et de contribuer à la
connaissance de cette espèce
à l’échelle régionale. Pour
cela, les données acquises
grâce à la génétique, l’étude
des isotopes stables et la
modélisation des dérives des juvéniles à partir des sites de ponte
seront croisées entre elles et analysées.
Enn, le dernier volet de COCALOCA prévoit d’étudier la faisabilité
de créer un centre de soins sur Mayotte en partenariat avec les
acteurs mahorais et notamment le Parc Marin de Mayotte et
d’initier un partenariat avec la pêche palangrière de Mayotte qui
sera amenée à se développer dans les années à venir.
cadre de BEST de l’Union Européenne. L’UICN intervient pour le
compte de l’AFD pour la gestion administrative et nancière du
programme.
La première action du programme COCALOCA a été l’organisation
d’un atelier aux Açores en octobre 2013. Lobjectif était de
rencontrer les équipes des régions ultrapériphériques Atlantiques
qui travaillent sur les tortues caouannes depuis de nombreuses
années et de partager les expériences et les bonnes pratiques;
14 scientiques de la Réunion, de métropole, des Canaries, des
Açores, de Madère et des Etats Unis ont participé à cet atelier
accueilli par le Département
Océanographie et Pêches
à Horta sur l’île de Faial.
Cela a permis de conrmer
la pertinence des actions
prévues dans COCALOCA,
d’orienter les protocoles
d’étude et de suivi an de
bénécier des dernières
connaissances acquises,
notamment concernant les
isotopes stables, et d’établir
de nouveaux contacts et
partenariats.
En s’appuyant sur le
partenariat avec les pêcheurs
et les organisations profes-
sionnelles, COCALOCA doit
renforcer les actions an
de réduire les menaces
au niveau local, grâce à la
prise en charge des tortues
capturées accidentellement
par le centre de soins de Kélonia. Les données acquises grâce
aux tortues accueillies au centre de soins permettront d’identier
les principales menaces pesant sur les stades pélagiques des
tortues caouannes, mais également d’étudier le comportement
océanique des tortues caouannes présentes dans les eaux
territoriales de La Réunion et Mayotte. Ce partenariat entre les
palangriers et les scientiques est unique au monde et aboutit
à la remise en mer de plus de 80% des tortues capturées après
une intervention chirurgicale pour retirer l’hameçon. Les tortues
relâchées en mer sont systématiquement parrainées par des
écoles de la Réunion, ce qui permet d’associer aux actions de
préservation des programmes de sensibilisation à la préservation
de l’environnement marin. Auteurs : Stéphane CICCIONE (Kélonia), Jérôme BOURJEA (Ifremer)
Crédits photos : Kélonia
Pour en savoir plus : wwz.ifremer.fr/lareunion/Les-projets/Tortues-
Marines/COCA-LOCA-en-cours
3
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Figure 2. Déplacement océanique des tortues caouannes capturées
accidentellement à La Réunion (Dalleau et al. 2013)
En matière scientique, les écosystèmes océaniques et les
espèces qu’ils abritent restent encore bien mal documentés. Près
d’un million d'espèces marines ont à ce jour été recensées, tandis
que les deux tiers d’entre elles resteraient encore à découvrir,
selon une récente étude parue dans la revue Current Biology. A la
Réunion aussi la vie marine reste bien mystérieuse, notamment en
ce qui concerne les cétacés.
Si, grâce notamment aux suivis menés par Globice depuis 2001,
les eaux côtières de l’ouest commencent à être bien documentées
(Dulau et al., 2008), il n’en va pas de même pour les eaux du
large, ou encore les secteurs sud et est. Ceux-ci sont en effet plus
exposés et offrent moins d’accès à la mer, ce qui rend compliquée
la mise en œuvre de prospections. Les données disponibles sur
ces secteurs demeurent ainsi largement incomplètes en matière
de cétacés, mais également en ce qui concerne les tortues et les
oiseaux.
Le programme CéTO (Cétacés, Tortues, Oiseaux), mené
conjointement par Kélonia, Globice et le laboratoire Ecomar
de l’Université de la Réunion, vise à améliorer le niveau de
connaissance de ces eaux méconnues par la mise en œuvre
de prospections communes. Les études d'abondance et de
distribution de ces trois groupes se basent en effet sur les mêmes
méthodologies de terrain (technique du transect linéaire), rendant
possible la mutualisation des moyens à la mer.
Une première campagne CéTO a été mise en œuvre en 2009 et
2010. Les deux missions hauturières qui avaient alors été menées
avaient permis d’identier trois nouvelles espèces de cétacés à la
Réunion :
- Le petit rorqual antarctique (Balenoptera bonaerensis), obser
à 10 miles nautiques au large de la côte Nord, dans des eaux de
2.200 m de profondeur ;
- Le cachalot nain (Kogia sima), qui avait jusqu’alors uniquement
été observé échoué à la Réunion ;
- La baleine à bec de Longman (Indopacetus pacicus), qui avait
été rencontrée à 7,5 miles nautiques au large de la côte nord,
dans des eaux de 1.600 m de fond.
2013 a vu la mise en œuvre d’une nouvelle campagne CéTO, dont
la phase de terrain s’est achevée mi-décembre.
Retour sur une mission d’exploration scientique des eaux
méconnues de la Réunion.
Conformément au programme prévu, trois types de prospection
ont été mis en œuvre : une prospection marine côtière,
une prospection aérienne côtière en ULM et deux missions
hauturières. La mission aérienne visant plus spéciquement les
tortues, revenons sur les missions maritimes et leurs objectifs en
ce qui concerne les cétacés : compléter l’inventaire des espèces
présentes à la Réunion, et à apporter des données sur celles
rarement observées.
Chaque mission suit le même rituel de préparation : constitution
des équipes, organisation de la logistique, révision des protocoles,
puis, surtout, attente d’une fenêtre météo favorable sur 4 jours
d’aflée (chose rare !). Quand tout est prêt et que vent et houles
nous accordent quelques répits, les prospections peuvent
commencer.
Au total, ce sont près de 1.000 km de prospection sur neuf jours
qui ont été effectués. La mission côtière, menée les 1 et 2 juillet
2013, a consisté en un tour complet de l’île au départ de Ste Marie,
via une escale à St Pierre. Les deux missions hauturières, menées
Retour sur la mission CéTO :
à la découverte des eaux peu connues de la Réunion
4
Figure 1. L'équipage à l'affût des cétacés, tortues et oiseaux marins
entre le 25 et le 28 septembre pour la première et entre le 9 et le
12 décembre pour la seconde, visaient quant à elles à prospecter
les eaux en étoile” jusqu’à 18 miles nautiques (32 km) des côtes.
A partir de St Gilles, les équipes ont rejoint jour après jour les
ports de St Pierre, Ste Rose et Ste Marie, pour revenir à St Gilles.
Ces campagnes hauturières offrent l’opportunité de contempler
l’île à plus de 30 km au large, avec l’espoir de rencontrer des espèces
rares, occupant ces eaux de plus de 2.000m de fond. Au large,
les observations sont moins fréquentes, mais les observateurs ne
baissent pas la garde, car les rencontres apportent souvent des
moments uniques!
Des observations rares, voire inédites
Cette nouvelle campagne a tenu ses promesses au niveau du
recensement de nouvelles espèces à la Réunion ! La 1ère mission
hauturière a permis l’observation de la 23ème espèce observée
autour de l’île : le dauphin de Risso (Grampus griseus). Ce
dauphin est plutôt abondant en milieu tropical et tempéré, mais
il fréquente préférentiellement les eaux profondes, ce qui rend
son observation difcile. C’est au large de Ste Suzanne que les
individus ont été observés, conrmant que les eaux de l’est nous
réservent encore quelques surprises.
Moins exceptionnelles, tout en restant très rares, les rencontres
avec un cachalot, obserau large de St Gilles, ainsi que trois
rorquals communs, vus au large de St André. Si ces espèces
Auteurs : Guillaume COTTAREL, Violaine DULAU,
Laurent MOUYSSET
Crédits photos : GLOBICE
Pour en savoir plus : www.globice.org
avaient déjà été observées par le passé, elles restent très peu
communes à la Réunion.
A noter également l’observation de grands dauphins de
l'Indo-Pacique à St Benoît et Ste Rose, deux secteurs très peu
documentés. La collecte et l’analyse des photo-identications
permettra de mieux comprendre les mouvements des individus
autour de l’île et de mieux caractériser leur habitat.
Enn, n’oublions pas les traditionnels grands dauphins communs,
dauphin long bec et dauphins tachetés pantropicaux, habitués des
rendez-vous hauturiers avec les équipes de Globice, rencontrés
tout autour de l’île, ainsi que trois rencontres avec des baleines à
bosse, à St Leu, au Cap Lahoussaye et à Langevin.
Lensemble des données récoltées,outre la mise à jour du
catalogue des espèces de la Réunion, permettront de mieux
caractériser l’abondance des différentes espèces rencontrées et
de mieux caractériser leur habitat.
CéTO nous conrme bien que les richesses marines de la Réunion
ne sont pas l’apanage de la côte ouest, notamment en ce qui
concerne les cétacés !
Globice remercie SFR et le Fonds Biome, lesquels par leur
soutien nancier ont permis la réalisation du programme, ainsi
que Bourbon Pêche Plaisance et Réunion Fishing Club pour leur
soutien logistique.
Référence :
Dulau-Drouot, V., Boucaud, V. & Rota, B. (2008) Cetacean diversity off
La Réunion island (France). Journal of Marine Biology Association of UK,
88(6): 1263–1272.
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
Figure 4. Dauphin tacheté pantropical
Figure 3. Dauphins de Risso, nouvelle espèce pour la Réunion
Figure 2. Transects en étoile pour prospecter les eaux du large
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