Z’infos Marines N° 10 Quatrième trimestre 2013 L’actualité environnementale de la Réunion côté marin Edito Ce trimestre dans Z’infos Marines COCALOCA Kélonia, Ifremer, CLS Argos - p. 2 Retour sur la mission CéTO : à la découverte des eaux peu connues de la Réunion Globice - p. 4 Rivages d'ailleurs : L’association SPM Frag’îles de Saint-Pierre et Miquelon SPM Frag'îles - p. 6 L’invité du trimestre Interview de Romain Troublé - p. 8 La fin de l’année est une période propice aux "rétrospectives" et autres "best of" de l’année. Cédant à cette mode, Z’infos Marines revient dans ce dernier numéro de 2013 sur trois moment forts, trois actualités positives trop peu médiatisées qui sont venues, discrètement, éclaircir ces douze derniers mois. Commençons par février. Le 27, le pétrolier Shell annonçait la suspension de ses activités de forages d'exploration dans les mers de Beaufort et des Tchouktches, en Alaska. L’Arctique, ce nouvel eldorado de chercheurs d’or noir, abrite également des richesses biologiques et écologiques incommensurables, menacées par le développement des activités anthropiques, notamment pétrolières. Voyons dans le retrait, malheureusement temporaire, de Shell, un signe positif au niveau de la défense de ce territoire exceptionnel. En mars, on assistait à une avancée majeure au niveau de la protection des requins. La 16ème Conférence des Parties à la Convention sur le commerce international des espèces menacées (Cites) a débouché sur la régulation du commerce de quatre espèces prisées pour leurs ailerons. Un premier pas notable en faveur de ces espèces largement surexploitées, et dont la disparition s’avérerait dramatique pour l’ensemble des réseaux écologiques océaniques. En septembre, ce n’est rien de moins qu’une "petite révolution juridique" qui était proposée à Christiane Taubira, ministre de la Justice. Le rapport qui lui a été remis le 17 par un groupe de travail présidé par Yves Jegouzo propose de donner naissance au "préjudice écologique" : le code civil ne protègera plus uniquement les personnes et le patrimoine, il sanctionnera aussi les atteintes à l'environnement. 2014 nous dira si un projet de loi suit ces propositions. Si tel était le cas, les défenseurs de l’environnement disposeront peut être bientôt d’un nouvel allié de poids en la "personne" du Code Civil. Et à la Réunion, que s’est-il passé en 2013 dans le monde de l’environnement marin ? Kélonia a impulsé le programme Cocaloca, qui permettra de mieux connaître la tortue caouanne. Globice a choisi de revenir sur le programme CéTO, visant à prospecter les eaux peu connues de la Réunion, afin de découvrir ce qui s’y cache. A leur échelle, deux moments forts pour ces structures. Pour conclure cette année, nous vous offrons enfin un long voyage. Nous partons en fin de numéro pour Saint Pierre et Miquelon, à la rencontre de l’association Frag’îles. Bonne année 2014 à tous ! La rédaction 1 COCALOCA Le programme COCALOCA, sur la COnnectivité des populations de - Kélonia, coordinateur du projet, est un établissement de tortues CAouannes (Caretta caretta) dans l’ouest de l’océan Indien : la Région Réunion dont les missions sont de sensibiliser à la mise en place de mesures de gestion LOCAles et régionales, regroupe préservation du patrimoine naturel et culturel associé aux tortues 3 instituts : marines (Kélonia a accueilli plus de 120.000 visiteurs en 2013), données développer des programmes d’étude et de conservation des environnementales à partir de satellite, la localisation et l’observation tortues marines et de leurs habitats. Kélonia et Ifremer gèrent la par satellite. La direction Océanographie spatiale travaille avec base de données TORSOOI (http//www.torsooi.com). - CLS, leader mondial pour la collecte de l’école doctorale des sciences de l’univers, de l’environnement et de l’espace de l’Université Paul Sabatier de Toulouse ; L’espèce concernée par COCALOCA est la tortue caouanne Caretta - Ifremer, qui contribue à la connaissance des océans et de leurs caretta, inscrite sur la Liste Rouge de l’UICN comme menacée et ressources, pour suivre l’évolution de l’environnement littoral sur la Liste Rouge Réunion comme "Data déficient". En effet, cette et marin, et favoriser un développement durable des activités espèce rare sur le littoral de La Réunion est cependant présente marines. Pour cela Ifremer conçoit et utilise des outils d’observation, dans les eaux territoriales, par lesquelles transitent des stades d’expérimentation et de suivi, et gère des bases de données pélagiques. Mais l’intérêt pour cette espèce est très récent à La océanographiques. A la Réunion, Ifremer étudie les tortues marines Réunion. depuis 1975 ; L’origine de ce programme revient aux palangriers de La Réunion qui ont contacté Ifremer et Kélonia pour connaître la conduite à tenir en cas de capture accidentelle de tortues marines. La tortue caouanne est une espèce carnivore et peut donc venir se nourrir sur les appâts des palangres. Le partenariat mis en place entre les professionnels et les organismes de recherche réunionnais permet de réduire l’impact de ces captures accidentelles, mais également d’accroître les connaissances sur cette espèce en vue de définir une stratégie de gestion et de préservation au niveau régional et local. Restait à trouver un financement pour donner de l’ampleur au projet. Figure 1. A gauche : Partenariat unique palangrier/scientifique pour la préservation des tortues caouannes. En haut à droite : L’hameçon est retiré sous anesthésie générale. En bas à droite : Chaque tortue relâchée en mer est parrainée par des scolaires. Le programme bénéficie d'un financement de l’Agence Française de Développement (AFD) dans le 2 Z’infos Marines n° 10 cadre de BEST de l’Union Européenne. L’UICN intervient pour le Grâce à COCALOCA, les enfants pourront suivre les déplacements compte de l’AFD pour la gestion administrative et financière du océaniques des tortues parrainées et ainsi découvrir la biologie de programme. cette espèce et l’environnement océanique régional. La première action du programme COCALOCA a été l’organisation Les premiers résultats des suivis Argos ont déjà montré que d’un atelier aux Açores en octobre 2013. L’objectif était de les tortues caouannes présentes dans les eaux réunionnaises rencontrer les équipes des régions ultrapériphériques Atlantiques poursuivaient leur migration selon deux patterns distincts. qui travaillent sur les tortues caouannes depuis de nombreuses Certaines tortues restent dans l’océan Indien austral et se déplacent années et de partager les expériences et les bonnes pratiques; le long des zones de convergence au sud de Madagascar et de 14 scientifiques de la Réunion, de métropole, des Canaries, des la Réunion. D’autres tortues traversent l’équateur en direction Açores, de Madère et des Etats Unis ont participé à cet atelier des côtes de la péninsule arabique et notamment d’Oman. accueilli par le Département Aussi, pour comprendre ces Océanographie et Pêches comportements à Horta sur l’île de Faial. COCALOCA prévoit d’établir Cela a permis de confirmer des la pertinence des actions équipes d’Afrique du Sud, prévues dans COCALOCA, du d’orienter protocoles Madagascar, mais également d’étude et de suivi afin de avec Oman, qui accueille sur bénéficier dernières son littoral les sites de ponte les des partenariats Mozambique différents, avec et les de acquises, de tortues caouannes les plus notamment concernant les importants au monde. Les isotopes stables, et d’établir échanges d’informations avec de nouveaux contacts et les équipes scientifiques de partenariats. ces pays doivent permettre, connaissances au terme du programme, de le reconstituer les déplacements partenariat avec les pêcheurs océaniques des populations de et les organisations profes- tortues caouannes de l’océan sionnelles, COCALOCA doit Indien et de contribuer à la renforcer les actions afin connaissance de cette espèce de à l’échelle régionale. Pour En s’appuyant réduire les sur menaces au niveau local, grâce à la prise en charge des tortues Figure 2. Déplacement océanique des tortues caouannes capturées accidentellement à La Réunion (Dalleau et al. 2013) capturées accidentellement cela, les données acquises grâce à la génétique, l’étude des isotopes stables et la par le centre de soins de Kélonia. Les données acquises grâce modélisation des dérives des juvéniles à partir des sites de ponte aux tortues accueillies au centre de soins permettront d’identifier seront croisées entre elles et analysées. les principales menaces pesant sur les stades pélagiques des tortues caouannes, mais également d’étudier le comportement Enfin, le dernier volet de COCALOCA prévoit d’étudier la faisabilité océanique des tortues caouannes présentes dans les eaux de créer un centre de soins sur Mayotte en partenariat avec les territoriales de La Réunion et Mayotte. Ce partenariat entre les acteurs mahorais et notamment le Parc Marin de Mayotte et palangriers et les scientifiques est unique au monde et aboutit d’initier un partenariat avec la pêche palangrière de Mayotte qui à la remise en mer de plus de 80% des tortues capturées après sera amenée à se développer dans les années à venir. une intervention chirurgicale pour retirer l’hameçon. Les tortues relâchées en mer sont systématiquement parrainées par des écoles de la Réunion, ce qui permet d’associer aux actions de préservation des programmes de sensibilisation à la préservation de l’environnement marin. Auteurs : Stéphane CICCIONE (Kélonia), Jérôme BOURJEA (Ifremer) Crédits photos : Kélonia Pour en savoir plus : wwz.ifremer.fr/lareunion/Les-projets/TortuesMarines/COCA-LOCA-en-cours 3 Retour sur la mission CéTO : à la découverte des eaux peu connues de la Réunion En matière scientifique, les écosystèmes océaniques et les Une première campagne CéTO a été mise en œuvre en 2009 et espèces qu’ils abritent restent encore bien mal documentés. Près 2010. Les deux missions hauturières qui avaient alors été menées d’un million d'espèces marines ont à ce jour été recensées, tandis avaient permis d’identifier trois nouvelles espèces de cétacés à la que les deux tiers d’entre elles resteraient encore à découvrir, Réunion : selon une récente étude parue dans la revue Current Biology. A la - Le petit rorqual antarctique (Balenoptera bonaerensis), observé Réunion aussi la vie marine reste bien mystérieuse, notamment en à 10 miles nautiques au large de la côte Nord, dans des eaux de ce qui concerne les cétacés. 2.200 m de profondeur ; - Le cachalot nain (Kogia sima), qui avait jusqu’alors uniquement Si, grâce notamment aux suivis menés par Globice depuis 2001, été observé échoué à la Réunion ; les eaux côtières de l’ouest commencent à être bien documentées - La baleine à bec de Longman (Indopacetus pacificus), qui avait (Dulau et al., 2008), il n’en va pas de même pour les eaux du été rencontrée à 7,5 miles nautiques au large de la côte nord, large, ou encore les secteurs sud et est. Ceux-ci sont en effet plus dans des eaux de 1.600 m de fond. exposés et offrent moins d’accès à la mer, ce qui rend compliquée la mise en œuvre de prospections. Les données disponibles sur 2013 a vu la mise en œuvre d’une nouvelle campagne CéTO, dont ces secteurs demeurent ainsi largement incomplètes en matière la phase de terrain s’est achevée mi-décembre. de cétacés, mais également en ce qui concerne les tortues et les oiseaux. Retour sur une mission d’exploration scientifique des eaux méconnues de la Réunion. Conformément au programme prévu, trois types de prospection ont été mis en œuvre : une prospection marine côtière, une prospection aérienne côtière en ULM et deux missions hauturières. La mission aérienne visant plus spécifiquement les tortues, revenons sur les missions maritimes et leurs objectifs en ce qui concerne les cétacés : compléter l’inventaire des espèces présentes à la Réunion, et à apporter des données sur celles rarement observées. Chaque mission suit le même rituel de préparation : constitution Figure 1. L'équipage à l'affût des cétacés, tortues et oiseaux marins des équipes, organisation de la logistique, révision des protocoles, puis, surtout, attente d’une fenêtre météo favorable sur 4 jours Le mené d’affilée (chose rare !). Quand tout est prêt et que vent et houles conjointement par Kélonia, Globice et le laboratoire Ecomar programme CéTO (Cétacés, Tortues, Oiseaux), nous accordent quelques répits, les prospections peuvent de l’Université de la Réunion, vise à améliorer le niveau de commencer. connaissance de ces eaux méconnues par la mise en œuvre de prospections communes. Les études d'abondance et de Au total, ce sont près de 1.000 km de prospection sur neuf jours distribution de ces trois groupes se basent en effet sur les mêmes qui ont été effectués. La mission côtière, menée les 1 et 2 juillet méthodologies de terrain (technique du transect linéaire), rendant 2013, a consisté en un tour complet de l’île au départ de Ste Marie, possible la mutualisation des moyens à la mer. via une escale à St Pierre. Les deux missions hauturières, menées 4 Z’infos Marines n° 10 entre le 25 et le 28 septembre pour la première et entre le 9 et le avaient déjà été observées par le passé, elles restent très peu 12 décembre pour la seconde, visaient quant à elles à prospecter communes à la Réunion. les eaux “en étoile” jusqu’à 18 miles nautiques (32 km) des côtes. A partir de St Gilles, les équipes ont rejoint jour après jour les A noter également l’observation de grands dauphins de ports de St Pierre, Ste Rose et Ste Marie, pour revenir à St Gilles. l'Indo-Pacifique à St Benoît et Ste Rose, deux secteurs très peu documentés. La collecte et l’analyse des photo-identifications permettra de mieux comprendre les mouvements des individus autour de l’île et de mieux caractériser leur habitat. Enfin, n’oublions pas les traditionnels grands dauphins communs, dauphin long bec et dauphins tachetés pantropicaux, habitués des rendez-vous hauturiers avec les équipes de Globice, rencontrés tout autour de l’île, ainsi que trois rencontres avec des baleines à bosse, à St Leu, au Cap Lahoussaye et à Langevin. Figure 2. Transects en étoile pour prospecter les eaux du large Ces campagnes hauturières offrent l’opportunité de contempler l’île à plus de 30 km au large, avec l’espoir de rencontrer des espèces rares, occupant ces eaux de plus de 2.000m de fond. Au large, les observations sont moins fréquentes, mais les observateurs ne baissent pas la garde, car les rencontres apportent souvent des moments uniques! Figure 4. Dauphin tacheté pantropical L’ensemble des données récoltées,outre la mise à jour du catalogue des espèces de la Réunion, permettront de mieux Des observations rares, voire inédites caractériser l’abondance des différentes espèces rencontrées et de mieux caractériser leur habitat. Cette nouvelle campagne a tenu ses promesses au niveau du recensement de nouvelles espèces à la Réunion ! La 1ère mission CéTO nous confirme bien que les richesses marines de la Réunion hauturière a permis l’observation de la 23ème espèce observée ne sont pas l’apanage de la côte ouest, notamment en ce qui autour de l’île : le dauphin de Risso (Grampus griseus). Ce concerne les cétacés ! dauphin est plutôt abondant en milieu tropical et tempéré, mais il fréquente préférentiellement les eaux profondes, ce qui rend son observation difficile. C’est au large de Ste Suzanne que les individus ont été observés, confirmant que les eaux de l’est nous réservent encore quelques surprises. Globice remercie SFR et le Fonds Biome, lesquels par leur soutien financier ont permis la réalisation du programme, ainsi que Bourbon Pêche Plaisance et Réunion Fishing Club pour leur soutien logistique. Figure 3. Dauphins de Risso, nouvelle espèce pour la Réunion Moins exceptionnelles, tout en restant très rares, les rencontres avec un cachalot, observé au large de St Gilles, ainsi que trois rorquals communs, vus au large de St André. Si ces espèces Référence : Dulau-Drouot, V., Boucaud, V. & Rota, B. (2008) Cetacean diversity off La Réunion island (France). Journal of Marine Biology Association of UK, 88(6): 1263–1272. Auteurs : Guillaume COTTAREL, Violaine DULAU, Laurent MOUYSSET Crédits photos : GLOBICE Pour en savoir plus : www.globice.org 5 Rivages d'ailleurs... L’association SPM Frag’îles de Saint-Pierre et Miquelon Situé à une vingtaine de km de la côte Sud de Terre-Neuve, sur SPM Frag'iles est membre adhérent de l’association France nature la côte Est du Canada, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon est environnement et de l'UICN et travaille en étroit partenariat baigné par les eaux froides du courant du Labrador. La faune avec de nombreux partenaires associatifs et institutionnels. marine profite de la grande richesse des eaux alentours. SPM Frag'iles adhère également à la Stratégie Nationale pour la Biodiversité. Les moyens matériels dont dispose l'association On y trouve de nombreux oiseaux de mer, une grande diversité sont restreints mais les bénévoles s'investissent avec leur propre de matériel. L'association est reconnue au titre de son expertise. mammifères marins (15 espèces, figure 1) et des tortues marines (2 espèces), mais la partie terrestre des îles recèle aussi de spécificités dignes d'intérêt. C'est ainsi qu'on peut y trouver la seule forêt boréale de France et un nombre important d'espèces animales et végétales rares et uniques sur le territoire français. Figure 2. Macareux (Fratercula arctica) Les missions de l’association sont : -Inventaires et suivis des populations de l'archipel, -Suivi plus particulier des espèces exotiques envahissantes terrestres et/ou marines, -Interventions, conférences, expositions, ateliers d'expertise sur la biodiversité de l'archipel. L’archipel brille par une absence de moyens concernant la recherche et des manques cruciaux en matière de connaissance au sujet de sa biodiversité. Les adhérents de l’association participent Figure 1. Espèces marines observées à Saint-Pierre et Miquelon à une veille sur les espèces et les écosystèmes de l’archipel. L’association SPM FRAG’ILES a pour objet l’étude, la protection En procédant à des comptages, des inventaires et des suivis, et la valorisation du patrimoine naturel et du cadre de vie l’association essaie d’apporter sa contribution à ce que devrait dans l’archipel de Saint Pierre et Miquelon en améliorant les être une recherche locale portant sur des espèces autres que connaissances sur les milieux naturels, étudiant les problématiques commerciales. C’est dans ce contexte que le travail d’observation environnementales de l'archipel, donnant des avis objectifs et et de recensement sur les mammifères marins peut se dérouler proposant des solutions, accompagnant et soutenant des actions grâce à la participation du Ministère de l’Environnement et de la éducatives, informant et sensibilisant la population, Collectivité Territoriale. 6 Z’infos Marines n° 10 Figure 3. Rostre de baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) Figure 4. Groupe actif de baleines à bosse (Megaptera novaeangliae) Pour les bénévoles, la saison d’observation des mammifères Les crédits du Ministère de l’Environnement ont permis d’intensifier marins débute dès que les conditions météorologiques le les recherches en passant beaucoup plus de temps sur l’eau. C’est permettent, du printemps à novembre. Trois embarcations de pourquoi les observations ont explosé ces dernières années. bénévoles sont mobilisées, deux de petite taille et un bateau En 2013, pas moins de 332 baleines à bosse différentes ont été permettant de prospecter beaucoup plus loin en mer et de rester photographiées, auxquelles il faut ajouter les autres espèces sur zone plusieurs nuits. (rorquals commun, boréal, bleu, etc.). Par ailleurs, 78 "matchs" ont été réalisés par Roger Etcheberry (Figure 5). L’association réalise des biopsies en vue d’établir les cartes ADN des baleines fréquentant les eaux de l’archipel. Les animaux sont géolocalisés, identifiés au niveau de l’espèce puis photographiés et enfin biopsiés. L’ensemble du travail est rattaché à des bases de données spécialisées. Les caudales des baleines à bosse photographiées sont répertoriées dans une base de données qui compte 867 individus. Elles sont ensuite comparées à celles des Caraïbes, de Terre Neuve et Labrador, des Bermudes, des USA et du Québec. Figure 5. Nombre d'observations de baleines à bosse (1983-2013) Figure 6. Groupe d'orques (Orcinus orca) femelles et juvéniles. Auteur : SPM FRAG'ÎLES Crédits photos : Joël DETCHEVERRY-SPM FRAG'ÎLES Pour en savoir plus : http://spmfragiles.wix.com/webspmfragiles www.baleinesetcompagnie.com http://danart.free.fr/naturespm/whalespm 7 Z’infos Marines L’invité du trimestre L’actualité environnementale de la Réunion côté marin Romain Troublé Source : oceans.taraexpeditions.org Je suis certainement la goélette la plus célèbre de France. J’ai exploré sous divers noms et avec à mon bord divers équipages l’ensemble des océans de la planète. La Réunion a même eu le privilège de m’accueillir, c’était en avril 2010. Je suis ? Tara ! bien sûr. Depuis 2003 et son acquisition par Etienne Bourgeois, Tara a dérivé dans les glaces de l’Arctique, arpenté tous les océans du monde, exploré la péninsule antarctique… avec toujours le même but : mieux comprendre les écosystèmes marins, pour mieux les protéger. Retour sur 10 ans d’expédition scientifique avec Romain Troublé, secrétaire général de Tara Expéditions. Propos recueillis par Guillaume COTTAREL Z’infos Marines : Voici 10 ans que Tara sillonne la planète en quête aux partenaires pédagogiques, aux mécènes et au public. Elle s’est d’une meilleure compréhension des océans, de ses liens avec le aussi fait une petite place dans la tête de nos enfants et dans le réchauffement climatique. En guise d’introduction, pouvez-vous paysage médiatique français. nous présenter le projet de Tara Expéditions, ses objectifs, les moyens et équipes mobilisées ? Il ne s’agit pas ici de sauver le monde, mais de contribuer, grâce aux scientifiques, à l’effort de recherche international et d’ouvrir Romain Troublé : Il y a dix ans, sous l’impulsion d’Étienne une nouvelle façon de développer la connaissance de notre Bourgeois et le soutien d’agnès b., le projet Tara Expéditions planète-océan. Elle permettra demain, il faut l’espérer, de remettre naissait pour promouvoir la sauvegarde des océans et donc de la cet océan au coeur de notre modèle de développement durable, planète. L’idée originale était de se servir de l’aventure humaine de le protéger en montrant tout son potentiel, notamment vécue par les hommes et les femmes en expédition sur Tara pour économique, n’ayons pas peur de le dire. C’est bien ce potentiel intéresser le grand public et lui faire prendre conscience des qui fera pencher la balance vers la durabilité de nos actions. enjeux et des défis posés par notre mode de développement. Après 6 expéditions au Nord et au Sud du globe, Tara entreprend Quoi de mieux que de donner la parole à la science, à celles et à en 2006 l’expédition Tara Arctic. Prise dans les glaces, la goélette ceux qui sont en prise directe avec les limites de notre connaissance va dériver pendant 507 jours avec pour objectif de contribuer à afin de questionner notre modèle de développement et tenter de l’étude des changements climatiques en Arctique. Quels grands mieux prévoir son évolution à moyen et à long terme ? enseignements cette mission a-t-elle déjà apportés ? Ces dix dernières années, de l’eau a coulé sous la coque ronde de La dérive arctique de Tara, réalisée de 2006 à 2008, a déjà donné Tara. Six campagnes de quelques mois ont été réalisées entre 2004 naissance à plus d’une vingtaine de publications scientifiques. et 2006 avec artistes et scientifiques, du Groenland à l’Antarctique, avant le lancement de trois grandes missions, Tara Arctic (2006- Le premier résultat majeur de Tara Arctic fut le déroulement 2008), Tara Oceans (2009-2012) et Tara Oceans Polar Circle (2013) même de l’expédition. La dérive, prévue au départ sur 1.000 consacrées au climat et à la biodiversité marine. L’écologie a jours comme le Fram plus d’un siècle auparavant, a été bouclée besoin de plus de science. en seulement 500 jours, révélant ainsi l’accélération de la dérive des glaces arctiques. Suite à ce premier constat majeur, de Au-delà des contrées parcourues par la goélette, l’équipe Tara, nombreuses publications se sont intéressées aux trois milieux ou plutôt la famille Tara, a grandi au fil des ans. Elle s’est étoffée, constituant le système arctique : l’océan, l’atmosphère et la glace. elle a réussi à délivrer l’excellence requise, grâce aux scientifiques, Tara a permis de mettre en évidence la formation de particules de 8 Z’infos Marines n° 10 glace, appelées glace de Frasil, qui remontent vers la surface. Le influencer le climat en modifiant l'absorption du carbone. Dans phénomène était bien connu en Antarctique, mais nous avons pu un contexte de changements physico-chimiques rapides, comme montrer qu’il s’agit d’un phénomène majeur pour la formation de l'acidification observée aujourd'hui dans les océans, il y a urgence glace en Arctique. Du côté de l’atmosphère, les recherches menées à prédire l’évolution de ce monde invisible et pourtant si vital. à bord ont permis de mieux caractériser les basses couches de cette atmosphère en contact avec la glace, primordiales pour En 2013, quatre ans après le début de cette dernière expédition les échanges entre les deux milieux. Nous n’avions que peu (avec notamment le CNRS, le CEA et l’EMBL), huit publications d’informations sur ces basses couches, que l’on étudie mal avec scientifiques ont déjà vu le jour. Celles-ci permettent déjà les satellites et les stations automatisées. L’intérêt de Tara Arctic, d’entrevoir la multitude d’enseignements que nous pourrons tirer c’était justement d’avoir des hommes à bord pour manipuler les de Tara Oceans. Un de ces articles révèle ainsi les relations entre appareils que l’on ne sait pas encore automatiser. Enfin, plusieurs certains virus et d’autres organismes planctoniques. publications se sont penchées sur les mouvements des plaques Pour saisir l’ampleur des découvertes à venir, il faut savoir que cette de glace, en y appliquant des techniques de sismologie. étude portait sur 17 échantillons récoltés durant l’expédition... Tara Oceans en a rapporté près de 28.000. Toutes les découvertes qui découlent des données récoltées lors Des premiers résultats prometteurs qui ne concernent qu’un des de la dérive de Tara apportent une pierre à la compréhension multiples domaines de recherche liés à Tara Oceans. de ce complexe système arctique et permettent d’améliorer les modèles de prévision. Ces systèmes informatiques, qui simulent Une publication détaille par exemple une nouvelle méthode le comportement de l’atmosphère, des océans et des glaces, d’analyse de la diversité bactérienne des échantillons récoltés, proposent des prévisions à courtes échéances, cartes des glaces quand telle autre décrit une nouvelle espèce de corail découverte ou prévisions météo, mais aussi des simulations à plus long terme aux îles Gambier. Si ces articles parus ces derniers mois se limitent de l’évolution de notre climat, capitales pour les recherches sur le à des sujets bien précis, c’est que le travail d’analyse des données changement climatique. est loin d’être fini. "Il existerait plus d’un million d’espèces de protistes (...), alors que les estimations, avant Tara Oceans, tournaient autour de 100.000." D’ici quelques temps, les différents modèles numériques Rien que le séquençage de tous les échantillons récoltés devrait intégreront ainsi les enseignements tirés de Tara Arctic aux côtés prendre deux à trois ans. En attendant, il faudra se "contenter " d’autres travaux pour toujours en parfaire leur efficacité. aujourd’hui des résultats préliminaires : il existerait plus d’un million d’espèces de protistes (organisme uni-cellulaire mi- Après l'Arctique, Tara Expéditions entreprend en 2009 la mission plante-mi-animal), alors que les estimations, avant Tara Oceans, Tara Oceans. Trois ans de navigation autour du monde dédiés à tournaient autour de 100.000. Au niveau du séquençage effectué l’étude du plancton marin. Pourquoi se focaliser sur le plancton ? sur 28 des 153 stations de prélèvements, les échantillons de protistes révèlent 85 % de séquences d’ADN inconnues. Le plancton marin est une branche du vivant minuscule qui comprend aussi bien des virus marins et des bactéries que Le projet Oceanomics, lui, a déjà commencé. Ce projet s’appuie sur des organismes plus gros comme les méduses et autres les milliers d’échantillons et données récoltés lors de l’expédition microprédateurs à la dérive dans l’océan. L’idée était de mieux Tara Oceans et sur la collection de la Station Biologique de Roscoff. connaître cet écosystème, en découvrant d'innombrables espèces Données qui seront structurées puis utilisées pour comprendre et en décryptant leurs interactions entre elles et avec le milieu. la nature et le fonctionnement de la biodiversité planctonique Le plancton marin est le seul écosystème qui soit vraiment planétaire, et extraire à terme certains composés bioactifs continu à la surface de la Terre. L'étudier, c'est prendre le pouls planctoniques prometteurs dans les domaines d’application des de notre planète. Les scientifiques ont découvert récemment biocarburants ou de la pharmaceutique par exemple. son importance pour le climat : non seulement la population planctonique peut être affectée très rapidement par les variations D’ici à la fin de l’année, les premières données seront mises en climatiques dans sa taille et sa nature, mais elle peut à son tour ligne à disposition de la communauté scientifique. 9 Z’infos Marines n° 10 Tara a fait escale à la Réunion en avril 2010. Quel fait marquant L’enjeu au pôle Sud est halieutique tant que le Traité de l’équipage de Tara ramène-t-il de sa traversée de l’océan Indien? l’Antarctique écartera l’exploration du sous-sol, tandis qu’au pôle Quels éléments spécifiques ou particulièrement intéressants le Nord il est aussi et surtout énergétique. Là, c’est un tout autre passage dans l’océan Indien a-t-il apporté ? niveau de débat, il en va de la sécurité énergétique et économique de ses riverains, ce qui rend les choses bien plus complexes. Au cours de cette mission Tara Oceans, je dois dire que nous avons été surpris par la température de la surface de l’Indien entre En Arctique, la dernière mission de Tara améliorera l’état des les Maldives et la Réunion. L’eau de mer a atteint les 33°C sous connaissances sur le fonctionnement de l’écosystème responsable la coque de Tara. En dehors du fait que cela pose un problème de la production primaire si efficace au Nord. Nous nourrissons non négligeable pour le refroidissement des machines et de l’espoir d’apporter des éléments nouveaux sur l’efficacité de l’équipage, ce phénomène favorise la stratification de l’océan. l’océan Arctique à absorber le carbone que l’on émet. Et si on L’eau de surface chaude a tendance à ne plus couler, limitant ainsi apprenait que cette pompe à carbone ne fonctionnera plus le brassage vertical et les échanges essentiels entre des masses aussi bien demain ? Voilà peut-être un nouvel argument capable d’eau de profondeur riches en nutriments et les masses d’eau de d’encourager une refonte de nos ambitions de développement surface riches en oxygène et autres gaz. global et plus particulièrement en Arctique. "Au nord de l’Indien , (...) nous avons constaté l’absence totale d’oxygène entre la surface et 800 m de profondeur. Seules quelques bactéries subsistent." Cette stratification est un phénomène observé dans chaque L’autre dimension importante de cette mission fut d’attirer océan, notamment au centre de leur grand gyre, et s’accompagne l’attention des jeunes et du grand public sur ces coins reculés de le plus souvent d’une disparition de la vie faute d’oxygène. Ainsi, la planète, certes de façon moins fracassante que Greenpeace, au nord de l’Indien, lors de plusieurs stations nous avons constaté mais sur du long terme avec la recherche et l’éducation pour l’absence totale d’oxygène entre la surface et 800 m de profondeur. convaincre. En Arctique, c’est encore une page blanche, tout Seules quelques bactéries subsistent. reste à faire, peut-être est-il intéressant de plaider pour un axe de Caractériser cette zone est important pour mieux anticiper le développement intermédiaire entre un eldorado énergétique et futur, tant il est envisagé que ces déserts marins s’accroissent avec un sanctuaire marin ? le réchauffement global. C’est plutôt inquiétant je dois dire, car nous sommes biens impuissants à court terme. Ecartons-nous un instant de Tara Expéditions pour en venir plus précisément à vous, Romain Troublé. Nous ouvrions l’édito du 8ème Arraisonnement et mise en détention par les autorités russes de numéro de Z’infos Marines sur l’appel de Paris pour la Haute Mer, l’équipage du navire de Greenpeace l'Arctic Sunrise, véto de cette que vous avez-vous-même porté. Pouvez-vous nous en dire plus même Russie et de la Chine à la création d’un sanctuaire marin en sur cette démarche, ses fondements et objectifs ? mer de Ross (Antarctique), l’actualité de ces dernières semaines montre que les enjeux environnementaux que présentent les J’ai en effet porté cette démarche avec Catherine Chabaud, mais pôles ne pèsent bien souvent pas très lourd face aux intérêts au nom de Tara Expéditions et du CESE. L'objectif à moyen et long économiques des Etats. Face à eux, quel peut être le rôle d’une terme de cette initiative de la société civile dans son ensemble, est initiative comme Tara Expéditions, notamment via la dernière de peser sur les négociations des Nations Unies devant aboutir en expédition, Tara Oceans Polar Circle ? 2015 à un accord pour la gestion de la biodiversité en Haute Mer. La "Haute Mer" qui comprend, en droit international, les espaces C’est effectivement regrettable de n’avoir pas réussi à s’entendre maritimes qui ne sont placés sous l'autorité d'aucun Etat, joue un sur ce sanctuaire marin en mer de Ross, et plus largement sur les rôle essentiel dans notre climat, notre alimentation, les produits et zones de pêche entourant l’Antarctique. Peut-être aurait-il fallu énergies que nous consommons, notre économie, notre sécurité proposer non pas un sanctuaire mais une zone de gestion resserrée et même l’air que nous respirons. Il est urgent de combler le vide pour déjà faire la moitié du chemin, encore que n’ayant participé à juridique qui y flotte si je puis dire ; tout y est permis aujourd’hui ces négociations, je me garderai bien de tout commentaire. ou plutôt rien n’y est interdit. C’est tout le sens de l’Appel à la 10 Z’infos Marines n° 10 mobilisation dévoilé lors de la conférence au CESE le 11 avril 2013 Cette mission sera l’occasion pour Tara Expéditions de mettre qui est relayé sur le site : www.lahautemer.org. les nombreux enjeux environnementaux en Méditerranée sur le devant de la scène aux côtés d’associations locales et régionales. Cette conférence proposait d'éclairer les enjeux de la gestion de Il s’agit aussi pour Tara Expéditions pendant ces cinq mois de la Haute mer lors d'une journée entière de présentations et de partager les premiers résultats obtenus de l’expédition Tara débats, rassemblant des acteurs de la société civile française et Oceans (2009-2012). Un programme de recherche sur les micro- internationale comme l’UNESCO et la Banque Mondiale, dans une plastiques en mer est en cours de construction. vision positive et réaliste du sujet. Tout reste à faire encore en 2015-2016 est encore loin, mais Tara partira sans doute dans le terme de mobilisation et nous allons nous y employer en 2014 Pacifique et en Asie pour une étude de quelques récifs coralliens. et 2015. Après, je pense que l’appel des pôles se fera sentir… Après 10 ans, Tara ne semble toujours pas prête de rentrer au Pour plus d'informations : port. En guise de conclusion, pouvez-vous nous dire quelques - www.taraexpeditions.org mots sur les prochaines missions de la goélette ? - http://oceans.taraexpeditions.org/fr/ni-eldorado-ni-sanctuairevers-une-gestion-durable-de-l-arctique.php?id_page=1492 ) Après plus de quatre ans à naviguer autour de la planète et - www.lahautemer.org en Arctique, Tara travaille à la préparation d'une mission de sensibilisation pour la Méditerranée de mai à octobre prochains. Z’infos Marines L’actualité environnementale de la Réunion côté marin Globice remercie les différents partenaires de ce numéro : CLS Argos, Ifremer, Kélonia, SPM Frag'Îles Coordination, mise en page et conception graphique : Zoë GLENARD & Guillaume COTTAREL Globice remercie également la DEAL et le Conseil Régional Contact : [email protected] 11