Z`infos Marines

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Z’infos Marines
N° 10
Quatrième trimestre 2013
L’actualité environnementale
de la Réunion côté marin
Edito
Ce trimestre dans
Z’infos Marines
COCALOCA
Kélonia, Ifremer, CLS Argos - p. 2
Retour sur la mission CéTO : à la découverte
des eaux peu connues de la Réunion
Globice - p. 4
Rivages d'ailleurs : L’association
SPM Frag’îles de Saint-Pierre et Miquelon
SPM Frag'îles - p. 6
L’invité du trimestre
Interview de Romain Troublé - p. 8
La fin de l’année est une période propice aux "rétrospectives" et autres "best
of" de l’année. Cédant à cette mode, Z’infos Marines revient dans ce dernier
numéro de 2013 sur trois moment forts, trois actualités positives trop peu
médiatisées qui sont venues, discrètement, éclaircir ces douze derniers mois.
Commençons par février. Le 27, le pétrolier Shell annonçait la suspension
de ses activités de forages d'exploration dans les mers de Beaufort et des
Tchouktches, en Alaska. L’Arctique, ce nouvel eldorado de chercheurs d’or noir,
abrite également des richesses biologiques et écologiques incommensurables,
menacées par le développement des activités anthropiques, notamment
pétrolières. Voyons dans le retrait, malheureusement temporaire, de Shell, un
signe positif au niveau de la défense de ce territoire exceptionnel.
En mars, on assistait à une avancée majeure au niveau de la protection des
requins. La 16ème Conférence des Parties à la Convention sur le commerce
international des espèces menacées (Cites) a débouché sur la régulation du
commerce de quatre espèces prisées pour leurs ailerons. Un premier pas
notable en faveur de ces espèces largement surexploitées, et dont la disparition
s’avérerait dramatique pour l’ensemble des réseaux écologiques océaniques.
En septembre, ce n’est rien de moins qu’une "petite révolution juridique" qui
était proposée à Christiane Taubira, ministre de la Justice. Le rapport qui lui a
été remis le 17 par un groupe de travail présidé par Yves Jegouzo propose de
donner naissance au "préjudice écologique" : le code civil ne protègera plus
uniquement les personnes et le patrimoine, il sanctionnera aussi les atteintes à
l'environnement. 2014 nous dira si un projet de loi suit ces propositions. Si tel
était le cas, les défenseurs de l’environnement disposeront peut être bientôt
d’un nouvel allié de poids en la "personne" du Code Civil.
Et à la Réunion, que s’est-il passé en 2013 dans le monde de l’environnement
marin ? Kélonia a impulsé le programme Cocaloca, qui permettra de mieux
connaître la tortue caouanne. Globice a choisi de revenir sur le programme
CéTO, visant à prospecter les eaux peu connues de la Réunion, afin de découvrir
ce qui s’y cache. A leur échelle, deux moments forts pour ces structures. Pour
conclure cette année, nous vous offrons enfin un long voyage. Nous partons
en fin de numéro pour Saint Pierre et Miquelon, à la rencontre de l’association
Frag’îles.
Bonne année 2014 à tous !
La rédaction
1
COCALOCA
Le programme COCALOCA, sur la COnnectivité des populations de
- Kélonia, coordinateur du projet, est un établissement de
tortues CAouannes (Caretta caretta) dans l’ouest de l’océan Indien :
la Région Réunion dont les missions sont de sensibiliser à la
mise en place de mesures de gestion LOCAles et régionales, regroupe
préservation du patrimoine naturel et culturel associé aux tortues
3 instituts :
marines (Kélonia a accueilli plus de 120.000 visiteurs en 2013),
données
développer des programmes d’étude et de conservation des
environnementales à partir de satellite, la localisation et l’observation
tortues marines et de leurs habitats. Kélonia et Ifremer gèrent la
par satellite. La direction Océanographie spatiale travaille avec
base de données TORSOOI (http//www.torsooi.com).
-
CLS,
leader
mondial
pour
la
collecte
de
l’école doctorale des sciences de l’univers, de l’environnement et
de l’espace de l’Université Paul Sabatier de Toulouse ;
L’espèce concernée par COCALOCA est la tortue caouanne Caretta
- Ifremer, qui contribue à la connaissance des océans et de leurs
caretta, inscrite sur la Liste Rouge de l’UICN comme menacée et
ressources, pour suivre l’évolution de l’environnement littoral
sur la Liste Rouge Réunion comme "Data déficient". En effet, cette
et marin, et favoriser un développement durable des activités
espèce rare sur le littoral de La Réunion est cependant présente
marines. Pour cela Ifremer conçoit et utilise des outils d’observation,
dans les eaux territoriales, par lesquelles transitent des stades
d’expérimentation et de suivi, et gère des bases de données
pélagiques. Mais l’intérêt pour cette espèce est très récent à La
océanographiques. A la Réunion, Ifremer étudie les tortues marines
Réunion.
depuis 1975 ;
L’origine de ce programme revient
aux palangriers de La Réunion qui
ont contacté Ifremer et Kélonia
pour connaître la conduite à tenir
en cas de capture accidentelle de
tortues marines. La tortue caouanne
est une espèce carnivore et peut
donc venir se nourrir sur les appâts
des palangres. Le partenariat mis
en place entre les professionnels
et les organismes de recherche
réunionnais
permet
de
réduire
l’impact de ces captures accidentelles,
mais
également
d’accroître
les
connaissances sur cette espèce
en vue de définir une stratégie
de gestion et de préservation au
niveau régional et local. Restait
à trouver un financement pour
donner de l’ampleur au projet.
Figure 1. A gauche : Partenariat unique palangrier/scientifique pour la préservation des tortues
caouannes. En haut à droite : L’hameçon est retiré sous anesthésie générale.
En bas à droite : Chaque tortue relâchée en mer est parrainée par des scolaires.
Le
programme
bénéficie
d'un
financement de l’Agence Française
de Développement (AFD) dans le
2
Z’infos Marines n° 10
cadre de BEST de l’Union Européenne. L’UICN intervient pour le
Grâce à COCALOCA, les enfants pourront suivre les déplacements
compte de l’AFD pour la gestion administrative et financière du
océaniques des tortues parrainées et ainsi découvrir la biologie de
programme.
cette espèce et l’environnement océanique régional.
La première action du programme COCALOCA a été l’organisation
Les premiers résultats des suivis Argos ont déjà montré que
d’un atelier aux Açores en octobre 2013. L’objectif était de
les tortues caouannes présentes dans les eaux réunionnaises
rencontrer les équipes des régions ultrapériphériques Atlantiques
poursuivaient leur migration selon deux patterns distincts.
qui travaillent sur les tortues caouannes depuis de nombreuses
Certaines tortues restent dans l’océan Indien austral et se déplacent
années et de partager les expériences et les bonnes pratiques;
le long des zones de convergence au sud de Madagascar et de
14 scientifiques de la Réunion, de métropole, des Canaries, des
la Réunion. D’autres tortues traversent l’équateur en direction
Açores, de Madère et des Etats Unis ont participé à cet atelier
des côtes de la péninsule arabique et notamment d’Oman.
accueilli par le Département
Aussi, pour comprendre ces
Océanographie et Pêches
comportements
à Horta sur l’île de Faial.
COCALOCA prévoit d’établir
Cela a permis de confirmer
des
la pertinence des actions
équipes d’Afrique du Sud,
prévues dans COCALOCA,
du
d’orienter
protocoles
Madagascar, mais également
d’étude et de suivi afin de
avec Oman, qui accueille sur
bénéficier
dernières
son littoral les sites de ponte
les
des
partenariats
Mozambique
différents,
avec
et
les
de
acquises,
de tortues caouannes les plus
notamment concernant les
importants au monde. Les
isotopes stables, et d’établir
échanges d’informations avec
de nouveaux contacts et
les équipes scientifiques de
partenariats.
ces pays doivent permettre,
connaissances
au terme du programme, de
le
reconstituer les déplacements
partenariat avec les pêcheurs
océaniques des populations de
et les organisations profes-
tortues caouannes de l’océan
sionnelles, COCALOCA doit
Indien et de contribuer à la
renforcer les actions afin
connaissance de cette espèce
de
à l’échelle régionale. Pour
En
s’appuyant
réduire
les
sur
menaces
au niveau local, grâce à la
prise en charge des tortues
Figure 2. Déplacement océanique des tortues caouannes capturées
accidentellement à La Réunion (Dalleau et al. 2013)
capturées accidentellement
cela, les données acquises
grâce à la génétique, l’étude
des isotopes stables et la
par le centre de soins de Kélonia. Les données acquises grâce
modélisation des dérives des juvéniles à partir des sites de ponte
aux tortues accueillies au centre de soins permettront d’identifier
seront croisées entre elles et analysées.
les principales menaces pesant sur les stades pélagiques des
tortues caouannes, mais également d’étudier le comportement
Enfin, le dernier volet de COCALOCA prévoit d’étudier la faisabilité
océanique des tortues caouannes présentes dans les eaux
de créer un centre de soins sur Mayotte en partenariat avec les
territoriales de La Réunion et Mayotte. Ce partenariat entre les
acteurs mahorais et notamment le Parc Marin de Mayotte et
palangriers et les scientifiques est unique au monde et aboutit
d’initier un partenariat avec la pêche palangrière de Mayotte qui
à la remise en mer de plus de 80% des tortues capturées après
sera amenée à se développer dans les années à venir.
une intervention chirurgicale pour retirer l’hameçon. Les tortues
relâchées en mer sont systématiquement parrainées par des
écoles de la Réunion, ce qui permet d’associer aux actions de
préservation des programmes de sensibilisation à la préservation
de l’environnement marin.
Auteurs : Stéphane CICCIONE (Kélonia), Jérôme BOURJEA (Ifremer)
Crédits photos : Kélonia
Pour en savoir plus : wwz.ifremer.fr/lareunion/Les-projets/TortuesMarines/COCA-LOCA-en-cours
3
Retour sur la mission CéTO :
à la découverte des eaux peu connues de la Réunion
En matière scientifique, les écosystèmes océaniques et les
Une première campagne CéTO a été mise en œuvre en 2009 et
espèces qu’ils abritent restent encore bien mal documentés. Près
2010. Les deux missions hauturières qui avaient alors été menées
d’un million d'espèces marines ont à ce jour été recensées, tandis
avaient permis d’identifier trois nouvelles espèces de cétacés à la
que les deux tiers d’entre elles resteraient encore à découvrir,
Réunion :
selon une récente étude parue dans la revue Current Biology. A la
- Le petit rorqual antarctique (Balenoptera bonaerensis), observé
Réunion aussi la vie marine reste bien mystérieuse, notamment en
à 10 miles nautiques au large de la côte Nord, dans des eaux de
ce qui concerne les cétacés.
2.200 m de profondeur ;
- Le cachalot nain (Kogia sima), qui avait jusqu’alors uniquement
Si, grâce notamment aux suivis menés par Globice depuis 2001,
été observé échoué à la Réunion ;
les eaux côtières de l’ouest commencent à être bien documentées
- La baleine à bec de Longman (Indopacetus pacificus), qui avait
(Dulau et al., 2008), il n’en va pas de même pour les eaux du
été rencontrée à 7,5 miles nautiques au large de la côte nord,
large, ou encore les secteurs sud et est. Ceux-ci sont en effet plus
dans des eaux de 1.600 m de fond.
exposés et offrent moins d’accès à la mer, ce qui rend compliquée
la mise en œuvre de prospections. Les données disponibles sur
2013 a vu la mise en œuvre d’une nouvelle campagne CéTO, dont
ces secteurs demeurent ainsi largement incomplètes en matière
la phase de terrain s’est achevée mi-décembre.
de cétacés, mais également en ce qui concerne les tortues et les
oiseaux.
Retour sur une mission d’exploration scientifique des eaux
méconnues de la Réunion.
Conformément au programme prévu, trois types de prospection
ont été mis en œuvre : une prospection marine côtière,
une prospection aérienne côtière en ULM et deux missions
hauturières. La mission aérienne visant plus spécifiquement les
tortues, revenons sur les missions maritimes et leurs objectifs en
ce qui concerne les cétacés : compléter l’inventaire des espèces
présentes à la Réunion, et à apporter des données sur celles
rarement observées.
Chaque mission suit le même rituel de préparation : constitution
Figure 1. L'équipage à l'affût des cétacés, tortues et oiseaux marins
des équipes, organisation de la logistique, révision des protocoles,
puis, surtout, attente d’une fenêtre météo favorable sur 4 jours
Le
mené
d’affilée (chose rare !). Quand tout est prêt et que vent et houles
conjointement par Kélonia, Globice et le laboratoire Ecomar
programme
CéTO
(Cétacés,
Tortues,
Oiseaux),
nous accordent quelques répits, les prospections peuvent
de l’Université de la Réunion, vise à améliorer le niveau de
commencer.
connaissance de ces eaux méconnues par la mise en œuvre
de prospections communes. Les études d'abondance et de
Au total, ce sont près de 1.000 km de prospection sur neuf jours
distribution de ces trois groupes se basent en effet sur les mêmes
qui ont été effectués. La mission côtière, menée les 1 et 2 juillet
méthodologies de terrain (technique du transect linéaire), rendant
2013, a consisté en un tour complet de l’île au départ de Ste Marie,
possible la mutualisation des moyens à la mer.
via une escale à St Pierre. Les deux missions hauturières, menées
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Z’infos Marines n° 10
entre le 25 et le 28 septembre pour la première et entre le 9 et le
avaient déjà été observées par le passé, elles restent très peu
12 décembre pour la seconde, visaient quant à elles à prospecter
communes à la Réunion.
les eaux “en étoile” jusqu’à 18 miles nautiques (32 km) des côtes.
A partir de St Gilles, les équipes ont rejoint jour après jour les
A noter également l’observation de grands dauphins de
ports de St Pierre, Ste Rose et Ste Marie, pour revenir à St Gilles.
l'Indo-Pacifique à St Benoît et Ste Rose, deux secteurs très peu
documentés. La collecte et l’analyse des photo-identifications
permettra de mieux comprendre les mouvements des individus
autour de l’île et de mieux caractériser leur habitat.
Enfin, n’oublions pas les traditionnels grands dauphins communs,
dauphin long bec et dauphins tachetés pantropicaux, habitués des
rendez-vous hauturiers avec les équipes de Globice, rencontrés
tout autour de l’île, ainsi que trois rencontres avec des baleines à
bosse, à St Leu, au Cap Lahoussaye et à Langevin.
Figure 2. Transects en étoile pour prospecter les eaux du large
Ces campagnes hauturières offrent l’opportunité de contempler
l’île à plus de 30 km au large, avec l’espoir de rencontrer des espèces
rares, occupant ces eaux de plus de 2.000m de fond. Au large,
les observations sont moins fréquentes, mais les observateurs ne
baissent pas la garde, car les rencontres apportent souvent des
moments uniques!
Figure 4. Dauphin tacheté pantropical
L’ensemble des données récoltées,outre la mise à jour du
catalogue des espèces de la Réunion, permettront de mieux
Des observations rares, voire inédites
caractériser l’abondance des différentes espèces rencontrées et
de mieux caractériser leur habitat.
Cette nouvelle campagne a tenu ses promesses au niveau du
recensement de nouvelles espèces à la Réunion ! La 1ère mission
CéTO nous confirme bien que les richesses marines de la Réunion
hauturière a permis l’observation de la 23ème espèce observée
ne sont pas l’apanage de la côte ouest, notamment en ce qui
autour de l’île : le dauphin de Risso (Grampus griseus). Ce
concerne les cétacés !
dauphin est plutôt abondant en milieu tropical et tempéré, mais
il fréquente préférentiellement les eaux profondes, ce qui rend
son observation difficile. C’est au large de Ste Suzanne que les
individus ont été observés, confirmant que les eaux de l’est nous
réservent encore quelques surprises.
Globice remercie SFR et le Fonds Biome, lesquels par leur
soutien financier ont permis la réalisation du programme, ainsi
que Bourbon Pêche Plaisance et Réunion Fishing Club pour leur
soutien logistique.
Figure 3. Dauphins de Risso, nouvelle espèce pour la Réunion
Moins exceptionnelles, tout en restant très rares, les rencontres
avec un cachalot, observé au large de St Gilles, ainsi que trois
rorquals communs, vus au large de St André. Si ces espèces
Référence :
Dulau-Drouot, V., Boucaud, V. & Rota, B. (2008) Cetacean diversity off
La Réunion island (France). Journal of Marine Biology Association of UK,
88(6): 1263–1272.
Auteurs : Guillaume COTTAREL, Violaine DULAU,
Laurent MOUYSSET
Crédits photos : GLOBICE
Pour en savoir plus : www.globice.org
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Rivages d'ailleurs...
L’association SPM Frag’îles de Saint-Pierre et Miquelon
Situé à une vingtaine de km de la côte Sud de Terre-Neuve, sur
SPM Frag'iles est membre adhérent de l’association France nature
la côte Est du Canada, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon est
environnement et de l'UICN et travaille en étroit partenariat
baigné par les eaux froides du courant du Labrador. La faune
avec de nombreux partenaires associatifs et institutionnels.
marine profite de la grande richesse des eaux alentours.
SPM Frag'iles adhère également à la Stratégie Nationale pour
la Biodiversité. Les moyens matériels dont dispose l'association
On y trouve de nombreux oiseaux de mer, une grande diversité
sont restreints mais les bénévoles s'investissent avec leur propre
de
matériel. L'association est reconnue au titre de son expertise.
mammifères marins (15 espèces, figure 1) et des tortues
marines (2 espèces), mais la partie terrestre des îles recèle aussi
de spécificités dignes d'intérêt. C'est ainsi qu'on peut y trouver la
seule forêt boréale de France et un nombre important d'espèces
animales et végétales rares et uniques sur le territoire français.
Figure 2. Macareux (Fratercula arctica)
Les missions de l’association sont :
-Inventaires et suivis des populations de l'archipel,
-Suivi plus particulier des espèces exotiques envahissantes
terrestres et/ou marines,
-Interventions, conférences, expositions, ateliers d'expertise sur
la biodiversité de l'archipel.
L’archipel brille par une absence de moyens concernant la
recherche et des manques cruciaux en matière de connaissance au
sujet de sa biodiversité. Les adhérents de l’association participent
Figure 1. Espèces marines observées à Saint-Pierre et Miquelon
à une veille sur les espèces et les écosystèmes de l’archipel.
L’association SPM FRAG’ILES a pour objet l’étude, la protection
En procédant à des comptages, des inventaires et des suivis,
et la valorisation du patrimoine naturel et du cadre de vie
l’association essaie d’apporter sa contribution à ce que devrait
dans l’archipel de Saint Pierre et Miquelon en améliorant les
être une recherche locale portant sur des espèces autres que
connaissances sur les milieux naturels, étudiant les problématiques
commerciales. C’est dans ce contexte que le travail d’observation
environnementales de l'archipel, donnant des avis objectifs et
et de recensement sur les mammifères marins peut se dérouler
proposant des solutions, accompagnant et soutenant des actions
grâce à la participation du Ministère de l’Environnement et de la
éducatives, informant et sensibilisant la population,
Collectivité Territoriale.
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Z’infos Marines n° 10
Figure 3. Rostre de baleine à bosse (Megaptera novaeangliae)
Figure 4. Groupe actif de baleines à bosse (Megaptera novaeangliae)
Pour les bénévoles, la saison d’observation des mammifères
Les crédits du Ministère de l’Environnement ont permis d’intensifier
marins débute dès que les conditions météorologiques le
les recherches en passant beaucoup plus de temps sur l’eau. C’est
permettent, du printemps à novembre. Trois embarcations de
pourquoi les observations ont explosé ces dernières années.
bénévoles sont mobilisées, deux de petite taille et un bateau
En 2013, pas moins de 332 baleines à bosse différentes ont été
permettant de prospecter beaucoup plus loin en mer et de rester
photographiées, auxquelles il faut ajouter les autres espèces
sur zone plusieurs nuits.
(rorquals commun, boréal, bleu, etc.). Par ailleurs, 78 "matchs" ont
été réalisés par Roger Etcheberry (Figure 5).
L’association réalise des biopsies en vue d’établir les cartes ADN
des baleines fréquentant les eaux de l’archipel. Les animaux sont
géolocalisés, identifiés au niveau de l’espèce puis photographiés
et enfin biopsiés. L’ensemble du travail est rattaché à des bases de
données spécialisées.
Les caudales des baleines à bosse photographiées sont
répertoriées dans une base de données qui compte 867 individus.
Elles sont ensuite comparées à celles des Caraïbes, de Terre Neuve
et Labrador, des Bermudes, des USA et du Québec.
Figure 5. Nombre d'observations de baleines à bosse (1983-2013)
Figure 6. Groupe d'orques (Orcinus orca) femelles et juvéniles.
Auteur : SPM FRAG'ÎLES
Crédits photos : Joël DETCHEVERRY-SPM FRAG'ÎLES
Pour en savoir plus : http://spmfragiles.wix.com/webspmfragiles
www.baleinesetcompagnie.com
http://danart.free.fr/naturespm/whalespm
7
Z’infos Marines
L’invité du trimestre
L’actualité environnementale
de la Réunion côté marin
Romain Troublé
Source : oceans.taraexpeditions.org
Je suis certainement la goélette la plus célèbre de France. J’ai exploré sous divers noms et avec à mon bord divers équipages
l’ensemble des océans de la planète. La Réunion a même eu le privilège de m’accueillir, c’était en avril 2010. Je suis ?
Tara ! bien sûr. Depuis 2003 et son acquisition par Etienne Bourgeois, Tara a dérivé dans les glaces de l’Arctique, arpenté tous
les océans du monde, exploré la péninsule antarctique… avec toujours le même but : mieux comprendre les écosystèmes
marins, pour mieux les protéger. Retour sur 10 ans d’expédition scientifique avec Romain Troublé, secrétaire général de Tara
Expéditions.
Propos recueillis par Guillaume COTTAREL
Z’infos Marines : Voici 10 ans que Tara sillonne la planète en quête
aux partenaires pédagogiques, aux mécènes et au public. Elle s’est
d’une meilleure compréhension des océans, de ses liens avec le
aussi fait une petite place dans la tête de nos enfants et dans le
réchauffement climatique. En guise d’introduction, pouvez-vous
paysage médiatique français.
nous présenter le projet de Tara Expéditions, ses objectifs, les
moyens et équipes mobilisées ?
Il ne s’agit pas ici de sauver le monde, mais de contribuer, grâce
aux scientifiques, à l’effort de recherche international et d’ouvrir
Romain Troublé : Il y a dix ans, sous l’impulsion d’Étienne
une nouvelle façon de développer la connaissance de notre
Bourgeois et le soutien d’agnès b., le projet Tara Expéditions
planète-océan. Elle permettra demain, il faut l’espérer, de remettre
naissait pour promouvoir la sauvegarde des océans et donc de la
cet océan au coeur de notre modèle de développement durable,
planète. L’idée originale était de se servir de l’aventure humaine
de le protéger en montrant tout son potentiel, notamment
vécue par les hommes et les femmes en expédition sur Tara pour
économique, n’ayons pas peur de le dire. C’est bien ce potentiel
intéresser le grand public et lui faire prendre conscience des
qui fera pencher la balance vers la durabilité de nos actions.
enjeux et des défis posés par notre mode de développement.
Après 6 expéditions au Nord et au Sud du globe, Tara entreprend
Quoi de mieux que de donner la parole à la science, à celles et à
en 2006 l’expédition Tara Arctic. Prise dans les glaces, la goélette
ceux qui sont en prise directe avec les limites de notre connaissance
va dériver pendant 507 jours avec pour objectif de contribuer à
afin de questionner notre modèle de développement et tenter de
l’étude des changements climatiques en Arctique. Quels grands
mieux prévoir son évolution à moyen et à long terme ?
enseignements cette mission a-t-elle déjà apportés ?
Ces dix dernières années, de l’eau a coulé sous la coque ronde de
La dérive arctique de Tara, réalisée de 2006 à 2008, a déjà donné
Tara. Six campagnes de quelques mois ont été réalisées entre 2004
naissance à plus d’une vingtaine de publications scientifiques.
et 2006 avec artistes et scientifiques, du Groenland à l’Antarctique,
avant le lancement de trois grandes missions, Tara Arctic (2006-
Le premier résultat majeur de Tara Arctic fut le déroulement
2008), Tara Oceans (2009-2012) et Tara Oceans Polar Circle (2013)
même de l’expédition. La dérive, prévue au départ sur 1.000
consacrées au climat et à la biodiversité marine. L’écologie a
jours comme le Fram plus d’un siècle auparavant, a été bouclée
besoin de plus de science.
en seulement 500 jours, révélant ainsi l’accélération de la dérive
des glaces arctiques. Suite à ce premier constat majeur, de
Au-delà des contrées parcourues par la goélette, l’équipe Tara,
nombreuses publications se sont intéressées aux trois milieux
ou plutôt la famille Tara, a grandi au fil des ans. Elle s’est étoffée,
constituant le système arctique : l’océan, l’atmosphère et la glace.
elle a réussi à délivrer l’excellence requise, grâce aux scientifiques,
Tara a permis de mettre en évidence la formation de particules de
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Z’infos Marines n° 10
glace, appelées glace de Frasil, qui remontent vers la surface. Le
influencer le climat en modifiant l'absorption du carbone. Dans
phénomène était bien connu en Antarctique, mais nous avons pu
un contexte de changements physico-chimiques rapides, comme
montrer qu’il s’agit d’un phénomène majeur pour la formation de
l'acidification observée aujourd'hui dans les océans, il y a urgence
glace en Arctique. Du côté de l’atmosphère, les recherches menées
à prédire l’évolution de ce monde invisible et pourtant si vital.
à bord ont permis de mieux caractériser les basses couches de
cette atmosphère en contact avec la glace, primordiales pour
En 2013, quatre ans après le début de cette dernière expédition
les échanges entre les deux milieux. Nous n’avions que peu
(avec notamment le CNRS, le CEA et l’EMBL), huit publications
d’informations sur ces basses couches, que l’on étudie mal avec
scientifiques ont déjà vu le jour. Celles-ci permettent déjà
les satellites et les stations automatisées. L’intérêt de Tara Arctic,
d’entrevoir la multitude d’enseignements que nous pourrons tirer
c’était justement d’avoir des hommes à bord pour manipuler les
de Tara Oceans. Un de ces articles révèle ainsi les relations entre
appareils que l’on ne sait pas encore automatiser. Enfin, plusieurs
certains virus et d’autres organismes planctoniques.
publications se sont penchées sur les mouvements des plaques
Pour saisir l’ampleur des découvertes à venir, il faut savoir que cette
de glace, en y appliquant des techniques de sismologie.
étude portait sur 17 échantillons récoltés durant l’expédition...
Tara Oceans en a rapporté près de 28.000.
Toutes les découvertes qui découlent des données récoltées lors
Des premiers résultats prometteurs qui ne concernent qu’un des
de la dérive de Tara apportent une pierre à la compréhension
multiples domaines de recherche liés à Tara Oceans.
de ce complexe système arctique et permettent d’améliorer les
modèles de prévision. Ces systèmes informatiques, qui simulent
Une publication détaille par exemple une nouvelle méthode
le comportement de l’atmosphère, des océans et des glaces,
d’analyse de la diversité bactérienne des échantillons récoltés,
proposent des prévisions à courtes échéances, cartes des glaces
quand telle autre décrit une nouvelle espèce de corail découverte
ou prévisions météo, mais aussi des simulations à plus long terme
aux îles Gambier. Si ces articles parus ces derniers mois se limitent
de l’évolution de notre climat, capitales pour les recherches sur le
à des sujets bien précis, c’est que le travail d’analyse des données
changement climatique.
est loin d’être fini.
"Il existerait plus d’un million d’espèces de protistes (...), alors que les estimations,
avant Tara Oceans, tournaient autour de 100.000."
D’ici quelques temps, les différents modèles numériques
Rien que le séquençage de tous les échantillons récoltés devrait
intégreront ainsi les enseignements tirés de Tara Arctic aux côtés
prendre deux à trois ans. En attendant, il faudra se "contenter "
d’autres travaux pour toujours en parfaire leur efficacité.
aujourd’hui des résultats préliminaires : il existerait plus d’un
million d’espèces de protistes (organisme uni-cellulaire mi-
Après l'Arctique, Tara Expéditions entreprend en 2009 la mission
plante-mi-animal), alors que les estimations, avant Tara Oceans,
Tara Oceans. Trois ans de navigation autour du monde dédiés à
tournaient autour de 100.000. Au niveau du séquençage effectué
l’étude du plancton marin. Pourquoi se focaliser sur le plancton ?
sur 28 des 153 stations de prélèvements, les échantillons de
protistes révèlent 85 % de séquences d’ADN inconnues.
Le plancton marin est une branche du vivant minuscule qui
comprend aussi bien des virus marins et des bactéries que
Le projet Oceanomics, lui, a déjà commencé. Ce projet s’appuie sur
des organismes plus gros comme les méduses et autres
les milliers d’échantillons et données récoltés lors de l’expédition
microprédateurs à la dérive dans l’océan. L’idée était de mieux
Tara Oceans et sur la collection de la Station Biologique de Roscoff.
connaître cet écosystème, en découvrant d'innombrables espèces
Données qui seront structurées puis utilisées pour comprendre
et en décryptant leurs interactions entre elles et avec le milieu.
la nature et le fonctionnement de la biodiversité planctonique
Le plancton marin est le seul écosystème qui soit vraiment
planétaire, et extraire à terme certains composés bioactifs
continu à la surface de la Terre. L'étudier, c'est prendre le pouls
planctoniques prometteurs dans les domaines d’application des
de notre planète. Les scientifiques ont découvert récemment
biocarburants ou de la pharmaceutique par exemple.
son importance pour le climat : non seulement la population
planctonique peut être affectée très rapidement par les variations
D’ici à la fin de l’année, les premières données seront mises en
climatiques dans sa taille et sa nature, mais elle peut à son tour
ligne à disposition de la communauté scientifique.
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Z’infos Marines n° 10
Tara a fait escale à la Réunion en avril 2010. Quel fait marquant
L’enjeu au pôle Sud est halieutique tant que le Traité de
l’équipage de Tara ramène-t-il de sa traversée de l’océan Indien?
l’Antarctique écartera l’exploration du sous-sol, tandis qu’au pôle
Quels éléments spécifiques ou particulièrement intéressants le
Nord il est aussi et surtout énergétique. Là, c’est un tout autre
passage dans l’océan Indien a-t-il apporté ?
niveau de débat, il en va de la sécurité énergétique et économique
de ses riverains, ce qui rend les choses bien plus complexes.
Au cours de cette mission Tara Oceans, je dois dire que nous
avons été surpris par la température de la surface de l’Indien entre
En Arctique, la dernière mission de Tara améliorera l’état des
les Maldives et la Réunion. L’eau de mer a atteint les 33°C sous
connaissances sur le fonctionnement de l’écosystème responsable
la coque de Tara. En dehors du fait que cela pose un problème
de la production primaire si efficace au Nord. Nous nourrissons
non négligeable pour le refroidissement des machines et de
l’espoir d’apporter des éléments nouveaux sur l’efficacité de
l’équipage, ce phénomène favorise la stratification de l’océan.
l’océan Arctique à absorber le carbone que l’on émet. Et si on
L’eau de surface chaude a tendance à ne plus couler, limitant ainsi
apprenait que cette pompe à carbone ne fonctionnera plus
le brassage vertical et les échanges essentiels entre des masses
aussi bien demain ? Voilà peut-être un nouvel argument capable
d’eau de profondeur riches en nutriments et les masses d’eau de
d’encourager une refonte de nos ambitions de développement
surface riches en oxygène et autres gaz.
global et plus particulièrement en Arctique.
"Au nord de l’Indien , (...) nous avons constaté l’absence totale d’oxygène entre la
surface et 800 m de profondeur. Seules quelques bactéries subsistent."
Cette stratification est un phénomène observé dans chaque
L’autre dimension importante de cette mission fut d’attirer
océan, notamment au centre de leur grand gyre, et s’accompagne
l’attention des jeunes et du grand public sur ces coins reculés de
le plus souvent d’une disparition de la vie faute d’oxygène. Ainsi,
la planète, certes de façon moins fracassante que Greenpeace,
au nord de l’Indien, lors de plusieurs stations nous avons constaté
mais sur du long terme avec la recherche et l’éducation pour
l’absence totale d’oxygène entre la surface et 800 m de profondeur.
convaincre. En Arctique, c’est encore une page blanche, tout
Seules quelques bactéries subsistent.
reste à faire, peut-être est-il intéressant de plaider pour un axe de
Caractériser cette zone est important pour mieux anticiper le
développement intermédiaire entre un eldorado énergétique et
futur, tant il est envisagé que ces déserts marins s’accroissent avec
un sanctuaire marin ?
le réchauffement global. C’est plutôt inquiétant je dois dire, car
nous sommes biens impuissants à court terme.
Ecartons-nous un instant de Tara Expéditions pour en venir plus
précisément à vous, Romain Troublé. Nous ouvrions l’édito du 8ème
Arraisonnement et mise en détention par les autorités russes de
numéro de Z’infos Marines sur l’appel de Paris pour la Haute Mer,
l’équipage du navire de Greenpeace l'Arctic Sunrise, véto de cette
que vous avez-vous-même porté. Pouvez-vous nous en dire plus
même Russie et de la Chine à la création d’un sanctuaire marin en
sur cette démarche, ses fondements et objectifs ?
mer de Ross (Antarctique), l’actualité de ces dernières semaines
montre que les enjeux environnementaux que présentent les
J’ai en effet porté cette démarche avec Catherine Chabaud, mais
pôles ne pèsent bien souvent pas très lourd face aux intérêts
au nom de Tara Expéditions et du CESE. L'objectif à moyen et long
économiques des Etats. Face à eux, quel peut être le rôle d’une
terme de cette initiative de la société civile dans son ensemble, est
initiative comme Tara Expéditions, notamment via la dernière
de peser sur les négociations des Nations Unies devant aboutir en
expédition, Tara Oceans Polar Circle ?
2015 à un accord pour la gestion de la biodiversité en Haute Mer.
La "Haute Mer" qui comprend, en droit international, les espaces
C’est effectivement regrettable de n’avoir pas réussi à s’entendre
maritimes qui ne sont placés sous l'autorité d'aucun Etat, joue un
sur ce sanctuaire marin en mer de Ross, et plus largement sur les
rôle essentiel dans notre climat, notre alimentation, les produits et
zones de pêche entourant l’Antarctique. Peut-être aurait-il fallu
énergies que nous consommons, notre économie, notre sécurité
proposer non pas un sanctuaire mais une zone de gestion resserrée
et même l’air que nous respirons. Il est urgent de combler le vide
pour déjà faire la moitié du chemin, encore que n’ayant participé à
juridique qui y flotte si je puis dire ; tout y est permis aujourd’hui
ces négociations, je me garderai bien de tout commentaire.
ou plutôt rien n’y est interdit. C’est tout le sens de l’Appel à la
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Z’infos Marines n° 10
mobilisation dévoilé lors de la conférence au CESE le 11 avril 2013
Cette mission sera l’occasion pour Tara Expéditions de mettre
qui est relayé sur le site : www.lahautemer.org.
les nombreux enjeux environnementaux en Méditerranée sur le
devant de la scène aux côtés d’associations locales et régionales.
Cette conférence proposait d'éclairer les enjeux de la gestion de
Il s’agit aussi pour Tara Expéditions pendant ces cinq mois de
la Haute mer lors d'une journée entière de présentations et de
partager les premiers résultats obtenus de l’expédition Tara
débats, rassemblant des acteurs de la société civile française et
Oceans (2009-2012). Un programme de recherche sur les micro-
internationale comme l’UNESCO et la Banque Mondiale, dans une
plastiques en mer est en cours de construction.
vision positive et réaliste du sujet. Tout reste à faire encore en
2015-2016 est encore loin, mais Tara partira sans doute dans le
terme de mobilisation et nous allons nous y employer en 2014
Pacifique et en Asie pour une étude de quelques récifs coralliens.
et 2015.
Après, je pense que l’appel des pôles se fera sentir…
Après 10 ans, Tara ne semble toujours pas prête de rentrer au
Pour plus d'informations :
port. En guise de conclusion, pouvez-vous nous dire quelques
- www.taraexpeditions.org
mots sur les prochaines missions de la goélette ?
- http://oceans.taraexpeditions.org/fr/ni-eldorado-ni-sanctuairevers-une-gestion-durable-de-l-arctique.php?id_page=1492 )
Après plus de quatre ans à naviguer autour de la planète et
- www.lahautemer.org
en Arctique, Tara travaille à la préparation d'une mission de
sensibilisation pour la Méditerranée de mai à octobre prochains.
Z’infos Marines
L’actualité environnementale
de la Réunion côté marin
Globice remercie les différents partenaires de ce numéro :
CLS Argos, Ifremer, Kélonia, SPM Frag'Îles
Coordination, mise en page et conception graphique :
Zoë GLENARD & Guillaume COTTAREL
Globice remercie également la DEAL et le Conseil Régional
Contact : [email protected]
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