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Mohammed Fadhel TROUDI
Docteur en Droit international, Enseignant-chercheur associé à
l’Académie de Géopolitique de Paris. Directeur du Pôle Méditerranée
(MENA) de l’Observatoire de la Mer noire, du Golfe et de la
Méditerranée - OBGMS.
cuBa - états-unis entre statu quo
etdifficile normalisation
Plus de 50 ans après l’élaboration de la politique américaine faite de blocage économique, de
tentatives de renversement du régime communiste, de soutien secret puis public de toute forme
d’opposition à Castro, cette politique est toujours en application en dépit de quelques signes
d’ouverture, et de nombreuses critiques tant internes qu’externes. Le constat est que cette poli-
tique est totalement improductive et ne fait que renforcer le pouvoir castriste, aiguise le sentiment
nationaliste et renforce la conance des cubains, qui refusent toute intervention américaine dans
les aaires internes de leur pays. Il y a comme un sentiment que les États-Unis ont tout essayé
depuis plus de cinquante ans sans aucun résultat.
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Rappel de quelques données historiques
Les États-Unis et Cuba, sont deux pays très proches géographiquement avec des
liens économiques et historiques très forts. Historiquement la Havane était sous
domination espagnole sur plus de 400 ans, présence coloniale qui a du faire face à la
volonté des cubains de s’émanciper, ce qui a donné lieu à de nombreuses luttes pour
recouvrir la souveraineté, qui ont atteint leur apogée avec la guerre dite de dixans
(1868-1878) et surtout la guerre de libération nationale cubaine (1895-1898). Face
aux horreurs commises par les Espagnols, certains journaux américains de l’époque,
particulièrement avides de sensations fortes, tel le New York Worla et le New York
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Journal, rent état de la barbarie espagnole, notamment de leur commandant en chef,
Weyler, surnommé «le boucher» et le traitement féroce inigé au peuple cubain.
Les espagnols représentés par la régente Marie Christine, étaient néanmoins prêts
à certaines concessions comme la signature d’une armistice avec les insurgés cubains,
de supprimer la politique de concentration, et d’accepter une médiation américaine
en vue de résoudre la question cubaine d’une manière pacique. Mais devant le
refus de l’Espagne d’accorder l’indépendance cubaine, le parti favorable à la guerre,
s’appuyant sur une opinion publique américaine, du reste inuencée par les comités
révolutionnaires cubains installés à New York réussit à renforcer sa pression sur le
président américain Cleveland. Ce dernier a tenté avec un peu de succès de résister à
la tentation d’intervention à Cuba face à une armée espagnole conquérante.
Son successeurMc McKinley, va s’eorcer à son tour de poursuivre la politique
de son prédécesseur, après que l’Espagne ait quelque peu adouci sa politique coloniale
en prenant certaines mesures considérées comme encourageantes par les États unis
comme le renvoi du « boucher Weyler », l’amorce d’une politique de réforme dans
l’île et la promesse d’une possible autonomie interne, ce qui semble satisfaire certains
milieux américains notamment les médias. Le 6 novembre 1897, le Washington Post
écrivait :« Pas de guerre avec l’Espagne. Tout porte à croire à la paix», mais une série
d’événements malheureux vont avoir raison d’une détérioration des relations entre
les États-Unis et l’Espagne avec pour point d’orgue l’explosion du cuirassé américain
l’USS Maine, coulé dans le port de la Havane, le 15 février 1898, la guerre était
devenue par conséquent inévitable.
Le président n’accepta l’idée d’une intervention qu’une fois il s’est assuré le sou-
tien des milieux d’aaires, aussi il ne pouvait pas rester hésitant devant la montée du
sentiment belliciste, comme il ne souhaitait pas provoquer une division au sein du
parti républicain et ruiner ses chances de réélection en 1900, ni laisser aux démo-
crates le privilège de défendre la souveraineté de Cuba. L’élément déclencheur sera la
perte de l’USS Maine dont les États-Unis accusaient l’Espagne de l’avoir coulé suite
à une opération de sabotage, ayant conduit à la mort de 266 militaires américains.
McKinley proposa au Congrès l’intervention américaine le 11 avril 1898 qui l’accep-
ta le 19 avril en autorisant l’usage de la force contre l’Espagne coupable d’atrocités
envers le peuple cubain.
La guerre est nalement déclarée le 25 avril 1898 par le Congrès par 42 voix pour
et 35 contre au Sénat et par 310 voix pour et 6 contre à la Chambre des représentants
(1), néanmoins un amendement précisa que les États-Unis n’annexeraient pas l’île et
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dès le 21 avril, l’US Navy établit le blocus de l’île. En dépit de la diérence de puis-
sance militaire, la guerre se termine par la défaite de l’Espagne et l’accession de Cuba
à l’indépendance en 1902. Mais contrairement à l’amendement voté par le Congrès
peu de temps avant l’intervention américaine, stipulant la non annexion de l’île, un
autre amendement dit «amendement Platt» (2) autorise le maintien de deux bases
militaires navales américaines dans l’île, il s’agit de la base Bahia Honda et surtout
de la base de Guantánamo qui suscite aujourd’hui beaucoup de critiques internatio-
nales, dont les États-Unis se servent comme lieu de détention illégale de beaucoup
d’étrangers accusés de terrorisme sans aucun procès et en violation de la constitution
américaine et du droit international.
Les États-Unis se présentaient comme les seuls garants de l’indépendance de Cuba
et de sa constitution avec un droit d’intervention dans les aaires internes du pays
en cas de blocage constitutionnel, tout en investissant massivement dans les secteurs
clés de l’économie cubaine notamment le sucre, le tabac et le tourisme. Une formule
employée par l’auteur américain Hakim Joy résume assez bien la nature des relations
entre les deux pays depuis l’indépendance de l’île :«la période qui va de 1899 à 1902
est une occupation militaire et celle de 1902 à 1958, une période néo coloniale»
Par la suite, les États-Unis ont soutenu la révolution cubaine, celle qui a ni par
chasser le dictateur Batista, ils ont reconnu le gouvernement issu de la révolution
celui de Manuel Urrutia le 7 janvier 1959 après la fuite de l’ancien homme fort de
la Havane Batista. Cependant les relations entre les deux pays vont rapidement se
dégrader avec la nomination de Fidel Castro en février 1959 au poste de Premier
ministre, les événements vont dès lors se succéder notamment le refus des États-Unis
de restituer plus de 400 millions de dollars détournés par l’entourage de Batista très
peu de temps avant sa fuite selon un rapport rendu public par la Banque centrale
cubaine en date du 6 février 1959.
Par ailleurs le refus du Conseil national de sécurité des États-Unis le 12 février
1959 d’un crédit demandé par la banque centrale cubaine pour soutenir la monnaie
nationale a été un élément aggravant des relations déjà diciles entre les deux pays.
Le point culminant de cette mauvaise relation qui se dessine désormais, était la loi
du 17 mai 1959, dite de réforme agraire, elle autorise la nationalisation de toute
propriété de plus de 420 hectares, avec pour objectif aché de les distribuer aux
paysans et aux sans-terre,. Une des conséquences directes de cette loi fut la perte de
nombreuses propriétés appartenant à des citoyens ou des sociétés américaines, ainsi
nationalisées sans aucune compensation.
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En eet, les hommes d’aaires américains, attirés par la proximité de Cuba et
la politique d’ouverture des diérentes administrations cubaines, s’étaient depuis
longtemps rendus acquéreurs de vastes plantations de sucre et de cacao, et de
sociétés minières, perdre de tels avantages, n’était pas du tout acceptable, ce qui a
poussé Washington à durcir sa position vis-à-vis de la Havane en refusant en bloc la
réforme agraire et sa mise en œuvre. Les États-Unis décident d’augmenter la pression
économique sur Fidel Castro avec pour la première fois la suppression de la quote-
part de sucre cubain d’abord pour les trois premiers mois de 1961 et puis l’embargo
total sera mis en place suivi de la rupture des relations diplomatiques entre les deux
pays, eective depuis le 3 janvier 1961.
Quelques mois plus tard, les États-Unis lancent une opération de déstabilisation
de Fidel Castro, la très célèbre opération appelée communément « le débarquement
de la baie des Cochons », engageant les membres de la Brigade 2506 (3) constituée de
près de 1400 exilés cubains recrutés et entraînés aux États-Unis par la CIA, l’objectif
étant le renversement du nouveau pouvoir cubain mis en place par Fidel Castro cou-
pable de mener une politique agressive contre les intérêts économiques, de se rappro-
cher de l’ennemi communiste en introduisant l’URSS, dans une région, considérée
par les États-Unis comme leur pré carré. L’opération fut un échec total pour les États-
Unis qui enregistrent avec des vives inquiétudes le rapprochement de Cuba avec
l’URSS suite à l’opération «Anadyr» (4). Cette opération qui est une humiliation
pour les États-Unis obligés d’accepter les conditions soviétiques d’abandonner toute
idée d’invasion de Cuba en échange du retrait des missiles soviétiques de la Havane.
L’embargo par ailleurs très controversé, décrit par le terme espagnol «el bloqueo»
ou blocus à la fois économique, commercial et nancier mis en place en 1962 à la
suite d’une politique de nationalisation expropriant de fait des compagnies et des
citoyens américains, va produire des eets contraires et nira par renforcer le régime
de Fidel Castro. Ce dernier fort du soutien soviétique notamment économique par
l’augmentation des aides à Cuba, sera le premier responsable politique sud américain
à avoir mis en place un régime d’inspiration social-communiste dans une région
d’une importance capitale pour la sécurité nationale des États-Unis. C’est le début
d’une longue guerre froide qui va durer plus de quarante ans dans laquelle Cuba
prendra une part importante en acceptant d’être satellisé par l’ex URSS.
Les relations américano-cubaines pendant la guerre froide
Rares sont les événements, du milieu du XX
e
siècle, qui avaient eu autant de
retentissements et de bouleversements régionaux et internationaux que la révolution
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cubaine de 1959 en ce sens qu’elle a eu des conséquences sociales, politiques, éco-
nomiques et géostratégiques sans précédent dans l’histoire contemporaine de l’Amé-
rique latine et ce pour plusieurs raisons aussi pertinentes les unes que les autres.
D’abord cette révolution s’est produite dans une région considérée par les États-Unis
comme un pré-carré inviolable, Cuba étant à moins de 150 km des côtes améri-
caines, ce qui a ouvert le champ à la première implantation de l’Union soviétique
en Amérique latine à la faveur de la guerre froide. L’autre raison fut la certitude à
l’époque que la portée de la révolution castriste avait réellement échappée aux autori-
tés américaines en dépit d’une action forte économique et militaire en vue de juguler
les retombées de cette révolution sans y parvenir. Il faut rappeler que la riposte amé-
ricaine a été d’une extrême dureté, allant jusqu’à demander et obtenir l’exclusion de
Cuba de l’OEA (Organisation des États américains) le 25janvier 1962 à l’issu d’un
vote par 14 voix contre 6 (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Équateur, Mexique), ce
qui a eu pour conséquence immédiate la rupture de toutes les relations commer-
ciales, diplomatiques et aériennes entre l’île et le reste du continent, isolant quasi
totalement Cuba mais qui voit arriver l’aide de l’allié soviétique. La troisième raison
fut bien évidemment l’inuence importante que cette révolution avait exercée sur les
États issus de ce que l’on appelait communément le Tiers-monde.
Plus tard, l’embargo américain a été renforcé le 23 octobre 1992 par la loi
«Torricelli» ou Cuban Democracy Act, adoptée par le Congrès sous la présidence de
Georges Bush, elle interdisait toute forme de commerce avec l’île, exception faite des
livraisons que peuvent justier la situation humanitaire et alimentaire désastreuse.
Cette loi a été sévèrement critiquée notamment par l’Union européenne considérant
qu’elle entravait le commerce entre les États, qu’elle constitue une violation agrante
du droit international sur le libre commerce et le libre transit et elle est contraire aux
principes de la déclaration transatlantique associant les États-Unis à la CEE, actuelle
Union européenne. Outre son caractère illégal, cette loi si néfaste pour la liberté
du commerce, voulant isoler davantage Cuba, n’a pas fait l’objet d’une décision de
l’ONU et a donné un eet contraire à celui recherché, en ce sens qu’elle a permis de
légitimer l’action de Castro qui en a proté pour durcir sa politique à la fois envers
les États-unis mais également sur le plan intérieur de Cuba.
Maintenant sa pression sur Castro, le Congrès américain vote une autre loi dite
Helms Burton ou (Cuban Liberty and Democratic Solidarity Act) datant du 12mars
1996, pendant le mandat présidentiel de Clinton. Comme la loi Torricelli, Helms
Burton, renforce le schéma de confrontation entre les deux pays et isole un peu plus
la Havane en interdisant notamment l’entrée du territoire américain aux hommes
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