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La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n° 3 - mai/juin 2002
THÉRAPEUTIQUE
Trois grands types de modifications chimiques peuvent être uti-
lisés : la création de liaisons intramoléculaires entre différentes
sous-unités (α-α, β-β, α-β), la polymérisation, la conjugaison
à des macromolécules. Le premier type de modification per-
met, sans modifier la masse moléculaire, de maintenir la struc-
ture tétramérique de l’Hb et de réduire son affinité pour l’oxy-
gène. Le pontage entre sous-unités s’effectue au moyen d’un
agent bifonctionnel de faible masse moléculaire, comme par
exemple le 3,5 dibromosalicyl bisfumarate (DBBF ou diaspi-
rine) dans le cas du DCLHbTM (diaspirin cross-linked hemo-
globin) ou HemeAssistTM (Baxter Healthcare Corporation,
Round Lake, IL, États-Unis). La P50 de la solution était de
29 torrs, sa demi-vie plasmatique chez l’homme variait de
2heures pour une dose de 50 mg/kg à 4 heures pour une dose
de 100 mg/kg. La polymérisation de l’Hb par liaisons inter-
moléculaires permet de former des polymères de 2 à 4 tétra-
mères. L’agent de pontage le plus utilisé est le glutaraldéhyde.
C’est le cas pour PolyHeme®(Northfield Laboratories, Evans-
ton, IL, États-Unis), solution d’Hb obtenue par polymérisation
de quatre molécules d’Hb d’origine humaine. La solution pos-
sède une P50 de 26 torrs et une demi-vie plasmatique de
24 heures chez l’homme pour une dose injectée de 30 g envi-
ron. L’HBOC-201 ou Hemopure®(Biopure Corporation, Bos-
ton, MA, États-Unis) utilise le même agent de pontage, mais
est préparée à partir d’Hb bovine ; la solution possède une P50
de 34 torrs chez l’homme et une demi-vie plasmatique de
20 heures pour une dose administrée de 45 g. HemoLink®
(Hemosol Inc., Etobicoke, Canada) est une solution d’Hb
humaine pontée et polymérisée en utilisant un agent polyfonc-
tionnel, le O-raffinose. La P50 de la solution est de 34 torrs,
sa demi-vie chez l’homme varie de 5 heures à la dose de
0,1 g/kg à 14,6 heures à la dose de 0,5 g/kg. La pression onco-
tique dépendant du nombre de macromolécules dans la solu-
tion, la polymérisation des molécules d’Hb permet de la réduire.
On obtient, en outre, des composés de masse moléculaire plus
élevée, et donc de demi-vie plasmatique plus longue. La conju-
gaison de l’Hb à des macromolécules consiste à lier à une molé-
cule d’Hb plusieurs molécules de macromolécules, dextrans ou
polyéthylène glycols (PEG). Le but principal est de prolonger
la demi-vie plasmatique de l’Hb en réduisant les phénomènes
d’extravasation et de fuite rénale. La compagnie japonaise Aji-
nomoto a développé une Hb dénommée PHP®(pyridoxalated
hemoglobin poloxy-ethylene), modifiée d’abord avec du phos-
phate de pyridoxal, pour abaisser son affinité pour l’oxygène.
Cinq molécules de PEG sont ensuite liées à chaque molécule
d’Hb. La PHP®possède une P50 de 20 torrs. Pour obtenir une
pression osmotique adéquate, la solution est constituée d’un
mélange de monomères et de dimères. Ce produit est actuelle-
ment développé par Apex Bioscience Inc. (Durham, NC, États-
Unis). Le PEG est également utilisé par Enzon (Piscataway, NJ,
États-Unis) pour la préparation d’un conjugué PEG-Hb d’ori-
gine bovine. Il possède une P50 de 26-28 torrs. Sangart (San
Diego, CA, États-Unis) étudie également un conjugué PEG-
Hb humaine, l’HemospanTM. Outre l’intérêt de l’augmentation
de la demi-vie circulatoire, les PEG, grâce à leur forte affinité
pour l’eau, protègent l’Hb vis-à-vis du système immunitaire,
et fournissent des solutions d’une viscosité comparable à celle
du sang.
Cependant, ces deux procédés, polymérisation et conjugaison,
augmentent la viscosité de la préparation, ce qui impose une
limite à la concentration en Hb de la solution.
Par des modifications appliquées au niveau génétique, il est
possible de faire synthétiser par différents hôtes, bactéries ou
levures, des Hb acellulaires présentant des propriétés fonc-
tionnelles proches de celles de l’Hb humaine. La société Soma-
togen Inc. (Boulder, États-Unis) a développé une Hb humaine
recombinante exprimée chez E. coli :la di-alpha Hb ou rHb1.1,
dont la préparation commerciale est l’OptroTM. Sa P50 est de
30-33 torrs. La production d’Hb humaine recombinante chez
des porcs transgéniques a été tentée par DNX Biotherapeutics
Inc. (Princeton, NJ, États-Unis), mais elle a été arrêtée en 1996.
Une étude détaillée de l’état d’avancement des études cliniques
des différents composés a été publiée par Vandegriff (12). Bax-
ter a mis fin au programme HemAssistTM en 1998, suite à une
étude clinique de phase III sur des traumatisés. Lors de cette
étude, la mortalité des patients sous HemAssistTM était de 46 %,
contre 17 % chez les patients recevant une solution saline. Les
essais cliniques concernant l’OptroTM ont été arrêtés après l’ac-
quisition de Somatogen par Baxter en mars 1998. PolyHemeTM,
Hemolink®et PHP®sont en phase III d’études cliniques.
HemospanTM est au stade des études précliniques. À ce jour,
seul l’HBOC-201 a terminé les essais d’études cliniques de
phase III.
Bien que le maintien de la molécule d’Hb sous forme de tétra-
mère ait supprimé tout phénomène de toxicité rénale, un cer-
tain nombre d’effets indésirables subsistent, les principaux étant
l’ictère, les douleurs intestinales et la vasoconstriction. L’ictère
associé à l’administration des solutions d’hémoglobine est tran-
sitoire et dépendant de la dose administrée. Seule une éléva-
tion du taux plasmatique de bilirubine, résultant de la métabo-
lisation de l’Hb, a été mise en évidence ; aucun effet secondaire
sur la fonction hépatique n’a été observé. Le phénomène de
vasoconstriction constitue le problème majeur : il a été observé
avec toutes les Hb, à l’exception de PolyHeme™. Les méca-
nismes de l’effet vasoconstricteur et de l’hypertension qui en
résulte ne sont pas parfaitement élucidés. Deux hypothèses ont
été proposées. L’une considère que la vasoconstriction est due
à la capture de l’oxyde nitrique (NO) par l’Hb libre : en fixant
l’un des régulateurs majeurs du tonus des artérioles microvas-
culaires, l’Hb agirait sur la résistance vasculaire systémique.
La fixation se ferait au niveau de l’hème et, à un degré moindre,
au niveau de la cystéine β93 (Cysβ93). Cette capture du NO se
produirait dans l’espace intravasculaire, mais également après
diffusion des molécules d’Hb libres à travers la paroi cellulaire
des vaisseaux, dans l’espace extravasculaire, là même où le NO
est produit. La polymérisation des molécules d’Hb ainsi que
leur conjugaison à des macromolécules supprimeraient cette
deuxième possibilité. L’autre hypothèse envisage un phéno-
mène d’autorégulation : la circulation chez les mammifères est
étroitement contrôlée pour adapter la fourniture d’O2à la
demande locale en O2. Ce mécanisme de contrôle met en jeu
une série de phénomènes complexes reliant débit sanguin et