THEO FORNOVILLE, C.SS.R.
THEISME
ET
ATHEISME.
LE
PROBLEME PHILOSOPHIQUE
1.
SUMMARIUM
Temporibus
nostri
s,
atheismus
tamquam
phaenomenon sociale uni-
versale
apparet.
Sane
cum
progressu
technico-scientifico
aetatis
nostrae
connectitur,
sed
universalitas
eius melius
explicatur
operariorum
eman-
cipatione, quae
contra
religionem
perfecta
fuit.
Altera
parte,
reflexio
philosophica
maximi
momenti
rationaliter
atheismum
iustificare
intendit:
propugnat
etenim
absolutam
autonomiam
hominis
in
terra
degentis,
et
rationem
humanam
tamquam
unicum
criterium
veritatum
quibus homines
accedere
possunt
considerato Negatio uniuscuiusque absoluti,
qua
vita
exprimitur,
est
unica
conditio possibilis
ad
humanitatem
constituendam
quae de
sorte
sua
causam
dicere queat.
Fideles
et
athei
coniunctim
in
societate
nostra
moderna
vivunt.
In
ordine
fidei
tamen
quasi necessario
adversantur.
Quomodo
autem
haec
oppositae
doctrinae
in
ordine
philosophico componi
possent?
Cum credentes
et
athei
eundem
situm
fundamentalem
existentia-
lem
habent,
firma
eorum
persuasio
aliquibus
existentiae
parti
bus conneeti
debent.
Inde
prosupponitur
quod
veritates
reflexae
numquam
tam
abso-
lutae
evadunt
quam
dicitur.
Revera, vel'itas philosophica
numquam
est
definitiva, sed
est
inquisitio
continua
de
re
quae
eam
semper
excedit.
Conclusiones
insuper
fundamentales
vitae
praxi
probari
debent. Unde
omnis
veritas
philosophica
relativa
est
et
ambigua.
Ex
hoc
concluditur
quod,
affirmatio Dei non
potest
esse conclu-
sio
meri
ratiocinii;
Deus
numquam
potest
esse
objectum
proprium
inquisitionis
philosophicae;
denique,
objeetum
verum
et
proprium
reflexionis philosophicae
est
existentia
nostra
quae de
sensu
totali
sui
esse
inquirit.
1
Cet
article
reproduit
le
texte
de
la
conférence
d'inauguratioil
de
1'année
académique
1965-1966 de 1'Academia
Alfonsiana.
Ceci
explique
deux
brèves
reprises
d'une
publication
antérieure,
comme
aussi
le
fait
que
plusieurs
problèmes,
qui
deman-
deraient
une
étudeplus
approfondie,
ne
sont
qu'effleurés.
270
In
tali
ordine
dialogus fidelem
inter
et
atheum
possibilis evadit.
In
hoc
ordine
etiam
philosophus
requisita
intellectus
invenire
potest
quae
rationem
entis
universalis
superant
et
in
agnitionem
Entis
Per-
sonalis, quod
est
unica cautio
metaphysica
valorum
personae
promanant.
Attamen
haec cognitio
ambiguitatem
conditionis
humanae
tollere non
valet.
Jusqu'au
siècle
dernier
il y
avait
lieu de
parler
d'une
«conna-
turalité
de
la
foi religieuse
au
psychisme
humain»
2.
De nos
jours,
au
contrai
re, l'athéisme lui aussi est-il
un
phénomène so-
eial universel.
Il
n'est
plus professé
par
la
seule
minorité
intel-
lectuelle qui se
croit
particulièrement
éc1airée, comme dans les deux
sièc1es précédents,
mais
par
une
grande
partie
de
la
population.
D'ores
et
déjà
il constitue une
«norme
commune de la société»
3;
«
d'aristocratique
et
intellectuell'athéisme
est
devenu démocratique
et
politique»
4.
L'athéisme
contemporain
est
caractérisé
principalement
par
le
refus conscient et moral de tout absolu.
Il
est
intimement
lié
au
progrès
technico-seientifique de
notre
eivilisation. Les sciences positives (sociologie, économie, psycholo-
gie, biologie, physique)
ont
éloigné ou détaché
l'esprit
humain
du
mystère
de l'au-delà;
la
domination scientifique
et
technique de
l'univers
entier
ouvre,
en
eifet, des perspectives si vastes que
tout
recours àquelque absolu
transcendant
semble, àbeaucoup d'es-
prits,
un
abandon des possibilités
proprement
humaines, une
extra-
polation de l'homme de
la
grande
réalité
de
l'univers
matériel
dont
il
fait
partie
intégrante.
Mais àcoté de cet élan de
la
technique moderne, il y a
un
phénomène sociologique qui explique
davantage
l'universalisation
démocratique de l'athéisme dans
notre
monde contemporain, à
savoir l'émancipation des
grandes
masses ouvrières. C'est
un
fait
incontestable que cette émancipation
s'est
réalisée, dans
la
se-
conde moitié du siècle passé, non seulement àcoté de la religion,
mais
plutot
contre elle. Les religions
s'étaient
compromises avec
2
LEPP,
1., Psychanalyse
de
l'athéism.e m.oderne,
Paris,
Bernard
Grasset,
(1961), 10.
3id., 15.
4LACROIX,
J.,
Le
sens de l'athéism.em.oderne,
Tournai,
Casterman,
1959, 14.
271
les pouvoirs politiques
conservateurs
et
avecle capitalisme bour-
geois qui,
en
tant
que
réalité
sociale concrète,
«est
étranger
aux
principes
de
justice
stricte»
5.
C'est
le
Marxisme
athée
qui arévélé
au
monde
ouvrier
du 1gesiècle les
valeurs
constitutives de
toute
société
terrestre,
la
justice
et
le bien-ètre
matériel
élémentaire
6.
Parallèlement
àces
facteurs
objectifs, une réflexion philoso-
phique de
première
importance
a
pris
àson compte
la
justification
rationnelle de
cet
athéisme
moraI. Elle
ne
prétend
pas
rej
eter
les
croyances
d'une
seule religion -bien que chez
la
plupart
de ces
philosophes
la
conviction
athée
s'enracine
dans
le
rejet
de
certaines
croyances,
surtout
celles
d'une
église institutionnelle politico-socia-
le
-,
mais
revendique l'autonomie inconditionnée
de
l'humanité
terrestre
et
la raison humaine (au sens
large
du
terme)
comme
seuI
critère
de
toute
vérité
accessible àl'homme. Meme si elle
prend
conscience de
la
relativité
indépassable
et
tragique
de
la
situation
humaine,
la
philosophie
athée
contemporaine
part
de
cette conviction que
la
négation
vécue de
tout
absolu
est
l'unique
condition possible
pour
construire
une
humanité
moralement
res-
ponsable de son destin réeI.
C'est
l'inspiration
fondamentale
des
deux
courants
athées
actuellement les plus
en
vogue: le
Marxisme
et
l'Existentialisme.
Il
est
vrai
que
la
doctrine de
Rarl
Marx
reconnait
une
cer-
taine
signification à
la
religion
et
tant
qu'elle
inclut
une
protesta-
tion de l'homme
contre
sa
misère
réelle. Car,
en
nous
promettant
un
salut
ultra-terrestre,
la
religion
prend
conscìence de
notre
mi-
sère
actuelle
tout
en
la
refusant.
Seulement, elle
reste
un
simple
«
soupir
», puisque
sa
fuite
dans
un
au-delà,
étranger
à
notre
mon-
de nous existons, con
sacre
en
dernière
analyse
notre
misère
réelle
sur
cette
terre.
Dans
ce sens
la
religion
est
immorale
parce
qu'inefficace; elle nous
endort
plus qu'elle nous éveille
aux
vrais
:l
BIGOT,
P.,
Marxisrne
et
Hurnanisrne. Int?'oduction à
l'muvre
éconornique de
Ka-r°l
Marx,
Paris,
P.D.F.,
3aéd. 1961, 198.
6
Pour
ce
qui
regarde
l'Eglise
catholique
officielle
cela
donne
à
penser
que
l'Encyclique
sociale de
LÉON
XIII,
Rerurn
N
ova?Ourn,
n'à
paru
que
45
ans
après
le
Manifeste
Cornrnuniste,
et
que
le
Concile
Vatican
I
n'a
su
répondre
àce
Manifeste,
selon
l'expression
d'un
Père
Conciliaire
du
Vatican
II,
«qu'avec
la
proclamation
du
dogme de
l'Infaillibilité
du
Pape~.
272
problèmes
pratiques
de
la
vie. Elle
est
doncbien
un
stupéfiant,
«l'opium du
peuple»
7.
La
religion dès lors doit
ètre
dépassée;
seule une
réforme
des
rapports
économico-sociaux de nos collecti-
vités
terrestres
sera
àmème
d'extirper
le mal réel de
notre
vie
actuelle.
La
science
et
la
technique nous
donnent
la
garanti
ede ce
succès révolutionnaire.
L'existentialisme de son coté professe
que:
«toute
Morale qui n'implique
pas
àson
origine
une
profession
d'athéisme,
sembleen
effet se
vouer
à
l'imposture,
puisqu'elle
invite
les hommes à
trahir
leur
humanité,
puisqu'elle
leur
désigne èomme
condition essentielle du
salut
le
reniement
initial
de
leur
existence
" 8
meme.»
.
Sans
doute
l'attitude
athée
exige-t-elle de
tout
homme
un
grand
courage moraI. Car, en fin de compte, chacun
est
renvoyé à
sa
seule liberté, qu'il ne
peut
sauver
de son échec ontologique que
dans
un
engagement
collectif
d'humanisation
de
la
société.
Et
cet
engagement
moral
n'a
d'autre
repère
et
d'autre
fondement que
sa
situation
toujours
relative
et
passagère
dans ce
lTIonde
terrestre,
àtelÌe enseigne que -comme
l'exprime
catégoriquement
M.
Mer-
leau-Ponty -
«la
conscience métaphysique
et
morale
meurt
au
contact
de l'absolu »9.
Dans
notre
monde contemporain nous nous
trouvons
donc
devant
ce
grand
clivage sociologique de
l'humanité.
D'un
coté
un
athéisme vécu
par
des masses humaines
pour
qui
la
croyance
et
la
pratique
religieuses
ne
sont
qu'une super-
structure
anthropomorphique, une
«mystification»
de
notre
exis-
tence
terrestreauthentique.
Et
il
faut
bien
reconnaìtre
que beau-
coup
d'entre
eux
ne
font
pas
mauvaise figure morale dans
notre
civilisation chrétienne.
De
l'autre
coté une foi-croyance vécue
par
d'innombrables
hommes
et
femmes qui ne
sont
pourtant
ni
des névrosés
ni
des
laches.
Et
parmi
eux 1'0n
trouve
aussi des milliers d'hommes
7
MARX,
K., Critique de la philosophie
d~t
Droit
de Hegel.
Cité
dans
RUBEL,
IV1.,
Pages
choisies
pour
une
éthique
socialiste,
Paris,
Marcel
Rivière
et
Cie, 1948, 29.
8
JEANSON,
FR.,
Sartre
par
lui-méme,
Pari
s,
Ed.
du
Seuil,
180.
9
MERLEAU-PONTY,
M.,
Sens
et
Non-sens,
Paris,
Ed.
-Nagel, (1948), 191.
273
«supérieurement
lntelligents
et
formés àtoutes les disciplines
scientifiques modernes»
10.
Cette foi religieuse, débouchant
sur
le
Transcendant, constitue
pour
eux
la
racine de
toute
réalité
et
le
fondement de 1'existence
terrestre
dans toutes ses manifestations.
Ainsi croyants
et
incroyants se cotoient dans
notre
monde
actue1. Ils vivent ensemble
au
seindes memes groupements poli-
tiques, sociaux, économiques,
sportifs
et
mème familiaux.
Et
les
différences d'opinions, concernant les multiples problèmes de
notre
vie commune, ne peuvent
etre
attribuées
directement à
la
diversité des convictions religieuses. Il y a des progressistes
et
des
conformistes de
part
et
d'autre.
Et
ce
n'est
certainement pas
pour
des motifs
proprement
religieux que se
forment
les gouts
artisti-
ques, les préférences sportives
et
tant
d'autres
aspects de
la
vie
sociale
et
individuelle.
Pourtant
c'est
un
autre
fait
incontestable: chaque fois que
l'athée
et
le
croyant
se
rencontrent
sur
le pIan de
la
foi elle-
mème, ils se
heurtent
àune incompréhension quasi invincible.
Le
croyant
se
sent
généralement troublé
en
fa
ce de
la
con-
viction athée,
devant
cette attitude vitale
d'ètres
humains
qui trou-
vent
tout
naturel
que
leur
existence personnelle se dissoudra
un
jour
dans l'anéantissement completo
Jusqu'à
quel
point
ce
malaise
peut
exaspérer
certains croyants,
un
texte
du
P.
Daniélou,
paru
dans les
Etudes
de 1964, nous le
montre
à
souhait:
«Ceci
est
pour
moi fondamental,
antérieurement
à
toute
révélation
et
à
toute
théologie:
un
homme
sans
Dieu
est
pour
mai
quelque
chose de
monstrueux,
comme
un
estropié
ou un aveugle. Je
ne
peux
réagir
autrement.
L'athéisme
me
fait
physiquement
horreur.
Il
m'ap-
paralt
si
inhumain,
si
superficiel, que
je
m'étonne
toujours
quand
je
le
rencontre
»
11.
J'avoue
que,
pour
ma
part,
je
me sens humilié
par
une réaction
si élTIotionnel1e d'un de mes coreligionnaires.
Mais aussi de 1'autre coté, on se
heurte
souvent à
la
meme
incompréhension.
L'athée
adu mal àcomprendre que des hommes
intelligents
et
cultivés
puissent
embrasser
un système de vérités
dogmatiques qui lui semble ,etre
un
défi
au
bon sens, que
la
foi se
10
LEPP,
L,
o.c.,
ll.
11
La
.mauvaise foi
d'unincroyant,
in
Etudes,
320(1964),
520.
18.
1 / 14 100%