Les inhibiteurs de la pol-protéase du - iPubli

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SYNTHÈSE
médecine/sciences 1990 ; 6 : 552-61
Les inhibiteurs
de la pol -protéase du
HIV
La pol-protéase, au même titre que la transcriptase
Inverse, apparaît comme une cible privilégiée de
produits anti-HIV. En effet, en hydrolysant les poly­
protéines précurseurs en protéines structurales et enzy­
matiques, elle contrôle de fait leur maturation et donc
la production de particules infectieuses . Des inhibiteurs
spécifiques de cette protéase constitueront par consé­
quent de potentiels agents antiviraux de grande valeur.
Roger Guedj
Roger Condom
Ayicoué Isidore Ayi
Thanh Thu Tran
ADRESSE -----R. Guedj : professeur de chimie. R. Condom :
maître de coriférences. A . l . Ayi : maître de con­
férences. T.T. Tran : étudiant-chercheur. Uni­
versité de Nice-Sophia Antipolis, laboratoire
de chimie bio-organique, Parc Valrose,
06034 Nice Cedex, France .
552
a maturation complète du
virus HIV 1 dépend de la
formation des éléments du
virion, et en particulier, des
protéines p 17 et p24. . . du
core du virus. Inhiber la pol-protéase,
enzyme virale qui hydrolyse les pré­
curseurs polyprotéiques viraux en
protéines structurales et enzymati­
ques, revient à empêcher la produc­
tion de particules infectieuses. Une
étude, menée par Katoh et al. [ 1 ] sur
le virus de la leucémie murine
(MuLV), montre en effet qu'une for­
mation incomplète du core du virus
aboutit à des particules virales inof­
fensives. L'inhibition de la pol­
protéase apparaît donc comme une
stratégie de choix anti- HIV. La
recherche des inhibiteurs de la pol­
protéase est sous-tendue par la con­
naissance de sa structure spatiale, de
son mécanisme d'action-particulière­
ment étudiés actuellement, et de celle
concernant l'expression du provirus
HIV.
L
1
Expression
du pro virus HIV
Le provirus HIV ifigure 1) [2] com­
prend neuf gènes, dont huit sont
identifiés à ce jour, encadrés d' élé-
ments appelés longues répétitions ter­
minales (LTR) qui sont les séquen­
ces de contrôle de l'expression.
Le gène gag code pour les protéines
de structure du HIV, p 1 7 (matrice),
p24 (capside), p 1 5 (nucléocapside).
Le gène pol code pour les enzymes
qui interviennent dans le cycle répli­
catif : protéase p 1 2 , transcriptase
inverse p51-56 ( rt, reverse transcriptase)
et intégrase p 1 2 ; le gène env code
pour les glycoprotéines de surface gp
120 et transmembranaire gp4 1 . Les
gènes lat, rev et vif interviennent pro­
bablement dans le réveil et la dissé­
mination du virus HIV , tandis que
nef le maintiendrait à l'état latent ; le
gène vpu participe vraisemblablement
à la sortie et à la maturation du
virion [ 3 ] , alors que la fonction du
gène vpr n'est pas encore connue. La
première étape de l'expression du
HIV est la synthèse de l' ARN géno­
mique dont le niveau est contrôlé par
les protéines Nef (p27) qui inhibent
la transcription tandis que Tai p 1 4
stimule l ' expression d u H I V
ifigure 2). L'ARN primaire engendre,
après son passage dans le cytoplasme,
toute une série d' ARN messagers dits
« sous-génomiques
La traduction
de l ' ARN primaire permet la
synthèse de précurseurs protéiques
>>.
mis n ° 6 vol. 6, juin 90
Structure génétique du provirus HIV
REV
REV
VPR
D
TAT
TAT VPU
GAG
I· Nii= .I l'-----'----'
POL
LTR
-
rt
su
in
ENV
G
NEE
tm
J
-
PRO VIRUS
Figure 1 . Structure génétique du provirus HIV. Le provirus HIV comprend neuf gènes - le gène POL code pour
la protéase (pr), la transcriptase inverse (rt) et l 'intégrase (in). La protéase, après s 'être libérée, hydrolyse les protéi­
nes de structures (ma, ca, ne) et enzymatiques (pr, rt, in) codées respectivement par les gènes GAG et POL. Les
inhibiteurs de la pol -protéase ont pour fonction d'empêcher ces hydrolyses.
r: �
..t.�
) :
������
�
ARN messagers
VVVVV\/\/V'
/
�
''�""'
ARN
pr1ma1re
�
ARN primaire
VVVVV\/\/V'
j
P180 Gag-Pol
Maturation
par la
protéase P 1 2
VIF ?
Vpu ?
Protéines de
régulation
TAT, R EV, NEF
Pr env 1 60
1\
1
P55 Gag
Cli.ago pa. la p•oté�o P "
Enzymes :
Protéines de structure : P 17 ,P24 ,P 1 5
A T ( P51 -P66 ) - Transcriptase inverse
IN P32 - lntégrase
PR P12 - pol-protéase
Figure 2 . Formation des constituants principaux du virus : enzymes et protéines membranaires.
telles que la protéine 55 gag qui
engendre les protéines de structure
p 1 7 , p24, p 1 5 et la protéine enzyma­
tique Pr 180 gag-pol qui engendre la
protéase p 1 2 , la transcriptase inverse
p5 1 -p66 et l'intégrase p32.
Les ARN messagers sous-génomiques
codent d'une part pour les protéines
de régulation Tat p 1 4 , Rev p 1 2 , Nef
p27 et pour les protéines Vif et Vpu,
mis
n ° 6 vol. 6, juin 90
et d'autre part pour le précurseur
protéique Pr env 1 60 ; ce dernier,
grâce probablement à des protéases
cellulaires, est clivé en Gp 120 de
surface et Gp 41 transmembranaire.
L'encapsidation de l 'ARN génomi­
que, qui se fait au détriment de tout
autre ARN, est probablement sous le
contrôle de la protéine p15. L'assem­
blage des nouveaux virions s'effectue
dans la membrane cellulaire ; puis le
HIV bourgeonne vers l 'extérieur de
la cellule en emportant un fragment
de membrane cellulaire . Ainsi
constate-t-on que la pol-protéase spé­
cifique du HIV joue un rôle décisif
dans l 'expression du virus. En
hydrolysant respectivement la pro­
téine p55 en protéines de structure
p 1 7 , p24 et p 1 5 et la protéine 180 en
553
protéines enzymatiques - transcrip­
tase inverse , intégrase et pol­
protéase -, elle contrôle de fait la
maturation de ces protéines, justifiant
ainsi tout l'intérêt que l'on peut por­
ter à son inhibition sélective.
1
RÉFÉRENCES
-------
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5 54
Structure de
la pol -protéase
• Purification de l'enzyme
Deux méthodes ont été utilisées pour
obtenir de la pol-protéase suffisam­
ment pure pour autoriser des études
structurales :
- l'expression des gènes codant
pour cette enzyme, dans une bacté­
rie appropriée (en général E. Coli ou
B. Subtilis). Cette méthode est actuel­
lement la plus utilisée [ 4-8] ;
- la synthèse chimique, effectuée
par Schneider et Kent [9] , qui per­
met d'obtenir rapidement et en
quantité suffisante la protéase .
• Structure de la pal-protéase
La séquence nucléotidique du
génome viral [ 10, 1 1 ] montre un che­
vauchement entre les domaines gag et
pol. La pol-protéase tire son nom de
la situation en 5' du gène pol de la
séquence
qui en dirige l a
synthèse [ 1 2 - 1 4 ] . Cette séquence
codante est relativement courte, ce
qui conduit à une protéine de faible
poids moléculaire (10 kDa) formée de
99 acides aminés [9, 1 2 ] . . .
( PQI T L W QRP LVTI K I G G QL ­
KEALLDTGADDTV­
LEEMSLPGRWKPKM IGGIGG­
FIKVRQYDQILIEICGIIKAIGTV­
LVGPTPVNHGRNLL TQIGCPL­
NF).
Elle renferme 1 'enchaînement DTG
(acide aspartique, thréonine, glycine),
caractéristique des enzymes du
groupe aspartique.
Pearl et Taylor [ 14] , par analogie
avec une série de protéases du
groupe aspartique ou d'autres rétro­
virus, et à la suite de différents cal­
culs sur des angles de valence, des
longueurs de liaisons, etc . , ont pro­
posé un modèle tri-dimensionnel.
Selon ces auteurs, la protéine, de fai­
ble poids moléculaire, serait active
sous forme dimérique (figure 3). Plus
récemment, Kent et al. [ 1 5] ont con­
firmé, en y apportant quelques modi­
fications, la forme dimérique dont les
structures spatiale et secondaire sont
représentées dans les figures 4 et 5.
Les résidus thréonine de chaque
monomère peuvent se lier au subs­
trat, grâce à leurs groupements
hydroxyles, permettant le positionne­
ment des résidus acides aspartiques
avec leurs fonctions acides respecti­
ves qui semblent à l'origine de l'acti­
vité hydrolytique de l'enzyme [ 14,
1 6 ] , sur laquelle nous reviendrons.
Notons que McKeever et al. [ 1 7 ] sont
parvenus à cristalliser l'enzyme sous
forme d'une bipyramide trigonale ;
l'analyse aux rayons X qui en a été
effectuée ne contredit pas l'hypothèse
de la forme dimérique proposée par
Pearl et Taylor [ 1 4] et reprise par
Kent et al. [ 15]. Signalons par ailleurs
qu'une étude comparative [ 1 5 , 18]
avec la protéase du virus de Rous
montre que cette dernière se présente
aussi sous forme d'un dimère mais
avec des différences notables par rap­
port à la pol-protéase.
On dispose ainsi d'une molécule dont
l'analyse structurale suggère qu'elle
présente un tunnel formé entre les
deux monomères qui la constituenL
Cette structure permet d'imaginer
des inhibiteurs constitués de petits
peptides qui, en se glissant dans ce
tunnel, viendraient bloquer les sites
actifs situés à ce niveau.
Activité de la pal-protéase
• Appartenance
particulière au
groupe aspartique
L'activité enzymatique de la pol­
protéase est testée sur un substrat
synthétique comportant les sites de
clivage attendus, ou sur la protéine
p55 purifiée du virus [ 1 , 6, 1 2 ] . Rap­
pelons que cette activité est liée à la
séquence DTG qui fait que cette
enzyme appartient au groupe des
protéases à acide aspartique. Afin de
démontrer le rôle fondamental du
résidu acide aspartique, Seelmeir et
al. [ 1 9] ainsi que Loeb et al. [ 13] ont
remplacé ce résidu par l' asparigine
(forme non carboxylée) et constaté
que l'activité enzymatique était com­
plètement abolie. On peut aussi noter
le rôle important joué par le groupe­
ment OH de l ' acide carboxylique
puisque sa seule substitution par un
groupement NH2 inhibe l'activité de
la pol-protéase (figure 6). Tout natu­
rellement, pour renforcer l'idée de
1 ' appartenance de la pol-protéase au
groupe aspartique, ces auteurs [9, 13]
ont tenté d'inhiber la pol-protéase par
mis n ° 6 vol. 6, juin 90
Figure 3. Dimère de la pol -protéase. DTG (site actif). P
peptide substrat. On remarque la disposition favorable
des deux résidus aspartiques (notés 0) pour l'hydrolyse du substrat.
=
Figure 4. Une vue du squelette C du dimère de la pol -protéase du HIV- 1 dans une orientation qui accentue les
interactions à l'interface du dimère.
mis n ° 6 vol. 6, juin 90
555
RÉFÉRENCES
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MH, Farmerie WG, Swanstrom R. Muta­
tional analysis of human immunodeficiency
with aspartic proteina ses. ]. Viral 1 989 ; 63
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mode! for the retroviral proteases. Nature
1 987 ; 329 : 3 5 1 -4.
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et al. Conserved folding in retroviral pro­
tease : crystal structure of a synthetic HIV- 1
protease. Science 1 989 ; 245 : 6 16-2 1 .
Figu re 5 . Structure secondaire de la protéase du H/V-1
: les liaisons hydro­
gène sont indiquées par des flèches ; le site actif (Asp- Thr-Giy) par des cer­
cles rouges (26, 2 7, 28) ; les cercles en pointillés correspondent aux résidus
à l'interface du dimère.
1 6 . Blundell T , Pearl L . A second front
against AIDS. Nature 1 989 ; 337 : 596-7 .
1 7 . McKeever BM, Na via MA, Fitzgerald
PMD, et al. Crystallization of the aspartyl­
protease from the human immunodeficiency
virus, HIV- 1 . J Biol Chem 1988 ; 264 (4) :
1 9 1 9-2 1 .
18. Miller M , Jaskolski M , Rao MJK, Leis
J, Wlodawer R. Crystal structure of a retro­
viral protease proves relationship to aspar­
tic protease family. Nature 1 989 ; 337 :
576-9.
19. Seelmeir S, Schmidt H . Turk V , von
der Helm K. Human immunodeficiency
virus has an aspartic-type protease that can
be inhibited by pepstatin A. Proc Nat! Acad
- Sei USA 1 988 ; 85 : 66 1 2-6.
556
la pepstatine A, considérée comme
l'inhibiteur spécifique de cette classe
de protéases (rénine, pepsine . . . ) ;
soulignons que la pol-protéase est
mise à la fois en présence de la pro­
téine précurseur p55 et de l 'inhibi­
teur dont on jugera l'efficacité par
rapport à l 'apparition des protéines
p 1 7 et p24 provenant de l 'hydrolyse
de p55.
Dans le même ordre d'idées, Katoh
et al. [ 1 ] ont comparé l'activité des
protéases du groupe aspartique et
celle des rétrovirus (RSV, HTLV-1 ,
HTL V-II . . . ) , tandis que des études
récentes similaires [4, 1 3 , 1 9 , 20] ont
été menées sur la pol-protéase.
Deux points importants émergent de
ces études :
- la pol-protéase est bien une
enzyme du groupe aspartique ;
- on ne peut assimiler la pol­
protéase à une simple enzyme de ce
groupe, puisque la concentration de
pepstatine A utilisée pour l' inhiber
est nettement supérieure à celle
employée pour bloquer les autres
protéases à acide aspartique.
mis
n ° 6 uo/. 6, juin 90
(Acide aspartique)
D
0
0
Il
. Il
T
G
0
Il
- NH - C - CH - NH - C - CH - NH - C - CH - NH -
1
1
1
CH2
CHOH
H
C
CH3
1
o
1
/ "'- oH
(Asparagine)
N
T
0
0
Il
Il
Il
G
0
- NH - C - CH - NH - C - CH - NH - C - CH - NH -
1
1
1
CH2
CHOH
H
C
CH3
1
0
Forme active
1
Forme Inactive
/ "\.. NH2
Figure 6. Le site D TG de la pol-protéase. La substitution de l'acide asparti­
que (0) par l'asparagine (N) abolit totalement l'activité de la pol -protéase.
• Mode de clivage du substrat
Les sites de coupures attribués à la
pol-protéase, largement étudiés [5, 8,
9, 21) et plus particulièrement par
Darke et al. [ 1 2) sont schématisés sur
la figure 7. On peut, sous une forme
plus explicite, faire apparaître les aci­
des aminés (figure 8). Quatre consta­
tations importantes peuvent être
formulées :
- Il semblerait que la pol-protéase
s'autocatalyse par hydrolyse et libère
par la même occasion le fragment
renfermant la transcriptase inverse.
On suppose que c'est la première
activité de la future protéase [ 2 1 ) . . .
- La reconnaissance du substrat par
l'enzyme implique un résidu acide
aminé praline dans le cas de la trans­
formation p55 en p 1 7 et p24. La pré­
sence de la praline à l 'extrémité N
terminale des peptides obtenus impli­
que que la protéase coupe avant cet
acide aminé [ 1 , 5 , 6, 9, 1 2 , 22).
- D'une manière plus générale, le
substrat, reconnu par l'enzyme, doit
comporter au minimum une
séquence de . quatre acides aminés X-Y-Pro-Z - ayant les caractéristi­
ques suivantes : X serait petit et
hydrophobe, Y grand, aromatique et
hydrophobe (Tyr, Phe) et Z, petit et
hydrophobe.
mis n ° 6 vol. 6, juin 90
- Outre cette coupure préférentielle
liée à la praline (N terminale secon­
daire), Seelmer [ 1 9) , Dark [ 1 2) et
Hansen [6) ont montré que la pol­
protéase était tout aussi capable
d'hydrolyser les résidus méthionine et
leucine (N terminale primaire).
En conclusion, l'activité enzymatique
de la pol-protéase s'exerce préféren­
tiellement sur la séquence X-Y-Pra­
z, mais aussi sur les résidus Met­
Met et Leu-Ala.
• Hypothèse sur le mécanisme de
clivage de la liaison peptidique du
substrat
Par analogie avec l'hypothèse géné­
ralement admise du mécanisme
p 17
p 24
catalytique des protéases aspartiques ;
proposé par L . H . Pearl [23) , il est
possible d'imaginer pour la pol­
protéase le même type de mécanisme
(figure 9). Le carbonyle de la liaison
peptidique est polarisé et forme une
liaison hydrogène avec un résidu
-NH, ce qui permet de positionner le
substrat et peut-être d'assimiler cette
scission à un mécanisme du type
hydrolyse acide. On assiste alors à
une attaque nucléophile de la molé­
cule d'eau , elle aussi positionnée
grâce à des liaisons hydrogène avec
deux carboxylates des groupes aspar­
tates (32 et 2 1 5 dans le cas de
l'endothiapepsine et probablement
avec chaque aspartate de chaque
monomère dans celui de la pol­
protéase) . Il se forme alors un com­
plexe de transition tétraédrique clas­
sique qui évolue tout naturellement
vers l'acide et 1' amine, résultats de
l'hydrolyse .
Sur la base de ces considérations ,
l'inhibiteur aura, entre autres, pour
p1 7 - p24 :
Vai-Ser-Gin-Asnp24 - p 1 5 :
Lys-Aia-Arg-ValPro-Aia-Asn-llep15 - PR :
Vai-Ser-Phe-AsnPR - RT :
Cys-Thr-Leu-Asn-
Tyr!Pro
-Ile-Val
Leu!Aia
Met!Met
-Giu-Aia
-Gin-Arg
Phe!Pro
-Gin-Ile
Phe!Pro
-lle-Ser
Phe!Pro
-lie-Val
RT - IN :
Phe-Phe-Aia-
Figure 8. · Les différentes liaisons
hydrolysées par la pol-protéase (voir
légende de la figure 7).
p 15
IN
PR
Tyr-Pro
Phe-Pro
Figure 7 . Schéma récapitulatif des différentes liaisons hydrolysées par
la pol-protéase. A noter, les hydrolyses des liaisons Met-Met et Leu-A/a au
niveau des protéines p24 et p 1 5.
557
RÉFÉRENCES
-------
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- 1 978 ; 7 (4) : 1 7 1 -6.
558
Figure 9 . Mécanisme d'hydrolyse des enzymes du groupe acide asparti­
que : {a) fixation d'une molécule d'eau ; {b) formation du complexe tétraé­
drique ; {c) hydrolyse de la liaison peptidique.
fonction de contribuer à perturber ou mieux
à empêcher cette hydrolyse.
1
Les inhibiteurs
de la pol -protéase
• Conc�pts sous-jacents à la mise
au point d' inhibiteurs
Toute approche sur la mise au point
d'inhibiteurs d'enzymes doit satisfaire
à une triple contrainte particulière­
ment sévère [30] :
- L'inhibiteur doit être aussi proche
que possible du substrat naturel ;
- la molécule doit être relativement
stable pour éviter les interactions non
spécifiques avec les bio-récepteurs ;
- l'inhibiteur doit contenir un
groupe latent susceptible d'inactiver
le site actif de 1 'enzyme.
Dans le cas de la pol-protéase et sur
la base des considérations précéden­
tes, on peut imaginer que les pepti­
des correctement modifiés représen-
teront une famille chimique adaptée
à ce type de recherche.
Deux méthodes sont possibles :
- soit substituer un ou plusieurs
acides aminés du substrat naturel,
par d'autres acides aminés ;
- soit modifier la liaison peptidique
en vue d'obtenir des pseudopeptides
qui auraient pour fonction de se
substituer au substrat naturel et
d'empêcher - éventuellement l 'hydrolyse (voir exemples figure 10).
Ces peptides pourraient servir de
modèle à l ' élaboration de médica­
ments qui exigeront alors que soient
résolus les problèmes de stabilité, de
biodisponibilité et de ciblage in vivo.
L'une des approches pourrait être de
les protéger par encapsulation
à l ' aide de membranes semi­
perméables.
• Résultats préliminaires
La pepstatine A, inhibiteur spécifique
du groupe des protéases aspartiques,
mis
n°
6 vol. 6, juin 90
a été tout naturellement testée
[ 1 , 5, 6, 9, 12, 19, 20, 22) sur la pol­
protéase.
Malheureusement, elle inhibe cette
enzyme à des concentrations trop éle­
vées, atteignant 1 mM in vivo, pour
parvenir à une inhibition totale (con­
centration de demi-inhibition, ou
IC50
2 , 5 1 0 - 4 M). Ce faible
pouvoir inhibiteur de la pepstatine A,
dont le IC50 est habituellement de
1 0 - 8 M, conforte les prédictions de
Katoh [ 1) sur les différences notables
existant entre les protéases des rétro­
virus et celles du groupe aspartique.
Dans le même ordre d'idées, l'anti­
païne et la leupeptine, inhibiteurs
respectifs des protéases du groupe
cystéine et sérine, ne montrent pas la
moindre activité inhibitrice [ 1 , 9 ) .
Dark et al. [ 12), e n étudiant l a vitesse
d'hydrolyse de la liaison p 1 7 -p24
(Tyr-Pro), ont mis l'accent sur un
point capital relatif à la longueur
minimale du peptide reconnu par la
pol-protéase. A savoir qu 'un hepta­
peptide suffit pour être reconnu par
l'enzyme. Cela fut confirmé par Bil­
lich et al. [20), dont les données expé­
rimentales sont reproduites dans le
Tableau !. On dispose là d'une don­
née essentielle pour l'élaboration
d'inhibiteurs de la pol-protéase, qui
bien évidemment a été exploitée par
Billich, et al. [20) qui ont décrit quel­
ques inhibiteurs, malheureusement
peu efficaces, obtenus par modifica­
tion de la liaison Phe-Pro (liaison
réduite ou substitution d'un acide
aminé par la statine*).
Il faut cependant remarquer que ces
substrats ont été mis en présence
d'une protéase purifiée et non
" naturelle "·
Kotler et al. [22) ont mené une étude
sur la protéase de l'ASLV (avian sar­
coma leucosis virus) qui possède la
même spécificité que la pol-protéase
vis-à-vis de la liaison Phe/Tyr-Pro
(Tableau II). On peut noter que la
substitution du résidu Tyr par Ile
dans le peptide 1 (Tableau II) a pour
effet de bloquer l ' activité enzymati­
que, tandis que le peptide II, qui
n'est pourtant qu'un hexapeptide,
• Staline :
acide (3S,
6-méthy/heptanoïque.
mi s
n ° 6 uol. 6, juin 90
4S)
4-amino
3-hydroxy
1
I
( Réduite)
Il
0
Il
I
b
H
1
1
s
7
(Hydroxyméthylène)
(Cétométhylène)
-C-N-C-
-C-C - N -
I
1
- C - C - CH 2 -
- C - C - CH 2 -
�
1
Il
0
( Inverse)
(Thiométhylène)
(Thiopeptide)
1
H
Fig u re 1 O. Quelques exemples de modifications possibles au niveau de
la liaison peptidique -CO-NH- : (a) réduction du C = O en CH2 : réduite ;
(b) substitution du N-H par CH2 : cétométhylène ; (c) réduction du C = 0 en
OH : h ydroxyméthylène ; (d) Substitution du C = 0 en C S : thiopeptide ;
(e) réduction du C = 0 en CH2 et NH remplacé par le soufre : thiométhylène :
(f) inversion de la liaison peptidique ; (g) remplacement de la liaison peptidi­
que CO-NH par le groupement CHrCH2 : carba.
=
Tableau 1
RELATION ENTRE LA LONGUEUR DU PEPTIDE ET LA V I T E S S E D ' H Y DROLY S E
L A VITESSE MAXIMALE D ' HYDROLYSE EST ATT E I N T E P A R U N OCTAPEPT I D E
Vitesse relative d ' hydrolyse
Séquence
H SSOVSONY -Pl VON 1
VSONY-PIV
SONY-PIVO
<
<
<
<
SONY-PlV
SONY-Pl
ONY-PIV
Acetyi-ONY -PlV
1 ,0
1 ,0
0, 9 5
0,90
0,05
0, 1 0
0, 1 0
Tableau I l
S UBSTRATS D E L A PROTÉ A S E D E L'ASLV
Peptides non modifiés
H-Thr-Phe-Giu-Aia-Tyr-Pro-Leu-Arg-Giu-Aia-OH
Peptides inhibiteurs I l l
Thr-Phe-Giu-Aia-lle-Pro-Leu-Arg-Giu
(Il)
Ac-Giu-Aia-Tyr-Pro-Leu-Arg- N H 2
559
possède des propriétés inhibitrices,
infirmant ainsi les observations de
Dark et Billich sur la longueur mini­
male à sept chaînons du peptide inhi­
biteur. La protéase de 1 'ASLV pour­
rait cependant ne pas constituer un
bon modèle de la pol-protéase HIV 1 .
Enfin, et plus récemment, dans un
remarquable travail sur la séquence
Ser-Gln-Asn-Tyr-Pro qui représente
la jonction p 1 7-p24, Moore et al. [24]
ont confirmé, en les renforçant,
l'ensemble des points précédemment
développés, à savoir :
- la pol-protéase, qui est une endo­
peptidase, appartient à la classe des
protéases acides du groupe acide
aspartique ;
- en allongeant progressivement la
chaîne à partir de la praline, la lon­
gueur optimale de reconnaissance est
associée
à
un
h e p t apeptide
(Tableau III) ;
- l'utilisation de substrat artificiel
type tyrosine ou phénylalanine rédui­
tes conduit à des inhibiteurs dont le
Ki est malheureusement relativement
élevé (figure 11).
1
-
560
Conclusion
La pol-protéase apparaît comme une
cible privilégiée anti-HIV.
De petits peptides modifiés de l'ordre
de sept acides aminés peuvent être
considérés comme de bons substrats ;
leur faible taille leur assure une cer­
taine flexibilité qui leur permet de
pénétrer dans le tunnel du dimère de
la pol-protéase. En s ' adaptant au site
actif de l'enzyme, il leur est possible
d'entrer en compétition avec les pro­
téines naturelles, p55 par exemple.
Les modifications apportées au
niveau des sites de coupure des liai­
sons Tyr/Phe-Pro, qui concernent
aussi bien les protéines p 1 7 -p24 que
la liaison entre la pol-protéase et la
transcriptase inverse, apparaissent
comme une stratégie de choix dans
la mise au point d'inhibiteurs de la
pol-protéase, préalable à toute con­
ception de médicaments orientés con­
tre cette enzyme.
La cristallisation de la pol­
protéase [25] et la résolution de sa
structure spatiale [26] - qui permet­
tent de préciser la configuration et la
géométrie du site actif, la détermination du site antigénique ainsi que la
Tableau I l l
PARAM ÈTRES C I N ÉTIQUES DE D I V ERS S U BSTRATS
D E LA POL-PROTÉASE
K ma
Peptide
1 Ac-Ser-Gin-Asn-Tyr-Pro-NH 2
neg
2 Ac-Ser-Gin-Asn-Tyr-Pro-Vai-NH2
3 Ac-Ser-Gin-Asn- Tyr-Pro- Val- Vai-NH2
4 Ac-Ser-Gin-Asn-Phe-Pro-Va i-Vai-NH2
5 Ac-Ser-Gin-Asn-Tyr-Pro-Val-Val-
Gln-Asn- N H 2
6 Ac-Arg-Aia-Ser-G in-Asn-Ty r-Pro-NH2
7 Ac-Arg-Aia-Ser-Gi n-Asn-Tyr-Pro-Val-
Vai-NH2,
Vmax 1K mc
vmaxb
4, 9 ± 0. 7
7, 5 ± 1 , 3
1 48 ± 2 5
2,3 ± 0,6
7, 5 ± 1 , 0
1 , 2 ± 0, 1 3
28 ± 3
0,24 ± 0,03
20
± 1
3,8
± 0,4
7,5 ± 1 ,2
3,3
± 0,5
1 60 ± 4
29
± 2
neg
5 , 5 ± 0,3
Km : constante d'affinité ; Vmax : vitesse maximale d'hydrolyse.
•mM ; bnmol.min- 7 .pg - 7 ; c (nmol. min - 7.pg- 1 . mM- 7) x 1 0-3.
Para mètres cinétiques d'in hibiteurs de la pol-protéase
K; (mM)
Séquence
Peptide
11
Ac-Ser-Gin-Asn-(3RS, 4S)AHPA-Vai-Vai - N H 2
12
Ac-Ser-Gin-Asn-Tyr(R)Pro- Val- Vai - N H 2
13 ± 1
13
Ac-Ser-Gin-As n - P h e ( R ) Pro-Vai-Vai- N H 2
14
a
39 ± 6
±2
a mélange de diastéréoisomères
Figure 1 1 . Paramètres cinétiques des inhibiteurs de la pol-protéase
: quel­
ques peptides inhibiteurs avec la configuration absolue des résidus tyrosine
et phénylalanine. Tyr (R) et Phe (R)
Tyr et Phe réduites.
=
structure tridimensionnelle de la pro­
téine p24 - sont autant de résultats
encourageants en vue de la prépara­
tion d'inhibiteurs plus spécifiques.
Ces concepts viennent de trouver leur
confirmation dans les travaux récents
et remarquables de mise au point
d 'inhibiteurs peptidiques spécifiques
ayant une activité antivirale
effective [27 -29] •
Remerciements
Notre travail sur les inhibiteurs de la pol­
protéase poursuivi au laboratoire bénéficie du
soutien financier de l'Agence nationale de
recherches sur le SIDA et des contacts fruc­
tueux établis au cours des réunions scientifi­
ques organisées par son président, le profes­
seur J . -P. Lévy. Nos remerciements s'adressent
aussi au Conseil Général des Alpes Maritimes
ainsi qu'au Conseil Régional financier PACA
pour leur soutien financier.
mis
n°
6 vol. 6, juin 90
Su rn mary
The inhibitors of the HIV - 1
pol-protease
I n hibition of retroviral proteases
su ch as HIV -1 protease may pro­
vide
a
novel
and
poten t i al l y
powerful therapeutic approach for
the treatment of AIDS and rela­
ted diseases. Small modi fied pep­
t ides
of
seven
aminoacids
for
example could be considered as
good substrates ; their small size
gives sorne flexibility which allows
them to enter into the t u n ne l of
the dimer of the pol-protease . Fit­
t ing the active site of the enzyme,
they could competitively inhibit it.
The modifications on the cleavage
sites of Tyr/Phe-Pro bond s , which
concern the proteins p 1 7 -p24, and
on the other hand the l inkage bet­
ween
the
pol-protease
and
the
reverse transcriptase, appear to be
a good strategy in the research of
inhibitors of the pol-protease , the
first
step
in
the
conception
drugs against this enzym e .
of
The
cristallization of the pol-protease ,
the knowl edge of i t s spatial struc­
ture which give good i ndications
about the active site, the determi­
nation of antigenic site and the
three-dimensional structure of p24
protein are the hopeful results to
prepare more specifie i n hibitors.
TIRÉS A PART
R.
mis
------•
Guedj .
n ° 6 vol. 6, juin 90
561
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