16
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004
La prévalence des troubles génitaux au
cours du diabète est importante. Ils
concerneraient 50 % des hommes diabétiques
et 30 % des femmes. D’origine multifactorielle,
ils aggravent toujours le handicap psycholo-
gique et parfois social de cette maladie. Parmi
les facteurs incriminés (vasculaires, psycholo-
giques), l’origine neurologique prend une place
particulière en raison de la double atteinte pos-
sible, somatique et végétative. Parfois révéla-
teurs de la maladie, ils nécessitent le plus sou-
vent une prise en charge générale (contrôle de
l’équilibre glycémique) complétée par un traite-
ment spécifique dans lequel la thérapeutique
ne se résume pas à la prescription médicamen-
teuse (drogues vasoactives, injections intra-
caverneuses) en raison de l’importance du fac-
teur psychogène.
P
HYSIOPATHOLOGIE
DES TROUBLES GÉNITOSEXUELS DU DIABÉTIQUE
Sur le plan physiopathologique, de nombreux
facteurs peuvent être incriminés dans l’impuis-
sance du diabétique. Les facteurs psychogènes
sont très souvent présents, mais rarement seuls
en cause dans le déterminisme des troubles
(figure 1). Ils sont un cofacteur, parfois déclen-
chant ou pérennisant, une cause purement orga-
nique. Cependant, d’authentiques dysfonctions
sexuelles d’origine psychogène peuvent s’obser-
ver. Les étiologies endocriniennes (hypogona-
disme ou hyperprolactinémie) sont exception-
nelles. En revanche, des facteurs vasculaires,
artériels notamment, sont souvent tenus pour
responsables de certaines dysfonctions
sexuelles, au premier rang desquelles figurent
les troubles érectiles chez l’homme. Les fuites
veineuses sont plus rares que les facteurs iatro-
gènes, notamment les drogues à tropisme car-
diaque ou métabolique (dyslipidémie), fré-
quemment utilisées dans cette pathologie.
L’alcoolisme chronique est un cofacteur pos-
sible, mais pas plus fréquent que dans les
autres maladies. Un déséquilibre glycémique
peut entraîner une impuissance “fonction-
nelle”, passagère et réversible avec le retour à
un équilibre glycémique correct. Enfin, les causes
neurologiques sont sans conteste l’un des fac-
teurs principaux des dysfonctions sexuelles.
La neuropathie génitale
du diabétique
Sexual dysfunction
in diabetes mellitus
G. Amarenco*, P. Lacroix*, S. Lopez**
dossier
* Service de rééducation Neurologique
et d’explorations périnéales,
hôpital Rothschild, Paris.
** Département de médecine physique
et de réadaptation, centre hospitalier
universitaire Caremeau, Nîmes.
R
ÉSUMÉ
.
Les dysfonctions sexuelles sont parmi les symptômes les plus fréquents observés au cours
du diabète. Les causes en sont nombreuses, avec les lésions neurologiques somatiques périphé-
riques, l’atteinte du système nerveux végétatif, les causes vasculaires et psychologiques. Les tests
électrophysiologiques peuvent constituer un apport dans le diagnostic. Le traitement, outre les
médications orales et les injections intracaverneuses, devra toujours considérer l’aspect psycholo-
gique et l’équilibre du diabète.
MOTS-CLÉS :
Diabète – Impuissance – Tests électrophysiologiques.
A
BSTRACT
.
Sexual dysfunction is a very common symptom in diabetes mellitus. Aetiologies are
various, including peripheral somatic neuropathy, dysautonomic involvement, vascular lesions and
psychogenic troubles. Electrophysiologic testing may help the diagnosis. Therapeutic propositions
(oral medications, intracavernous injections) may always concern psychogenic aspects and glycemia
control.
KEYWORDS :
Diabetes mellitus – Erection disorder – Electrophysiologic testing.
Figure 1.
17
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004
L’atteinte est souvent mixte, somatique et végé-
tative, mais c’est vraisemblablement ce dernier
aspect qui est prédominant dans le détermi-
nisme des troubles. Il faut bien noter que cette
dysautonomie est associée à une mortalité
accrue. La neuropathie autonome cardiaque
(NAC) mise en évidence sur des anomalies des
variations de fréquence cardiaque s’associe à
un taux de mortalité à 10 ans de 29 %, alors
que ce taux n’est que de 6 % chez les patients
indemnes de NAC (1). La neuropathie auto-
nome touche les petites fibres amyéliniques
des systèmes sympathique et parasympa-
thique. Quelques études nécropsiques effec-
tuées chez des diabétiques insulinodépen-
dants atteints d’une dysautonomie sévère ont
mis en évidence des lésions au sein des gan-
glions sympathiques, du pneumogastrique et
des troncs nerveux sympathiques (2), ce qui
confirme les résultats des nombreuses études
ultrastructurales faites chez l’animal (rats ren-
dus diabétiques par la streptozotocine). La
physiopathologie de la neuropathie autonome
diabétique est complexe. L’influence de l’équi-
libre métabolique est suggérée par l’apparition
d’un neuropathie précoce, le plus souvent
avant celle des autres complications du dia-
bète (3), et par l’effet favorable de l’équilibre
optimisé du diabète de type 1 (4). Des facteurs
immunologiques sont également incriminés
dans le diabète de type 1 (5). Les perturbations
des épreuves autonomes cardiaques dans l’his-
toire du diabète de type 2 sont aussi compa-
tibles avec le rôle joué par l’obésité chez ces
patients, puisque de telles perturbations sont
également rencontrées avec une grande fré-
quence chez l’obèse non diabétique.
L
ES SIGNES CLINIQUES
DES DYSFONCTIONS SEXUELLES DU DIABÉTIQUE
Chez la femme, l’interrogatoire peut retrouver
la notion d’une baisse des sécrétions vaginales
et/ou d’une hypo-, voire d’une anorgasmie.
Chez l’homme, il peut s’agir d’une éjaculation
rétrograde perçue par le patient ou décelée par
la mise en évidence de spermatozoïdes à l’exa-
men des premières urines émises après un rap-
port sexuel, et dont l’inconvénient essentiel ré-
side dans l’infécondité. Il s’agit en fait surtout
d’une baisse des capacités sexuelles avec
troubles de l’érection, qu’il s’agisse d’une alté-
ration en termes de durée et/ou de rigidité.
L’évaluation doit toujours comporter un inter-
rogatoire minutieux concernant l’équilibre géné-
ral du diabète, les autres complications pos-
sibles (rétiniennes, cardiovasculaires) et les
autres complications végétatives (élément de
neuropathie autonome cardiaque, hypotension,
anomalie pupillaire, gastroparésie, troubles
urinaires, anorectaux, sudoraux). L’examen
neurologique recherche une neuropathie soma-
tique (polynévrite, multinévrite, atteinte ple-
xique lombosacrée). Une analyse soigneuse des
vaisseaux (pouls périphériques, auscultation
des trajets vasculaires) est indispensable. La
recherche de médications iatrogènes et de fac-
teurs psychologiques intercurrents est fonda-
mentale. Des signes en faveur d’une insuffi-
sance gonadique primitive ou secondaire ou
d’une hyperprolactinémie doivent être éli-
minés.
L
E BILAN PARACLINIQUE
Le bilan d’une impuissance ne doit être entre-
pris que s’il s’agit d’une véritable impuissance
depuis au moins trois mois, si le patient est
demandeur et motivé, si l’équilibre du diabète
est satisfaisant (HbA1c ne dépassant pas 8 %)
et après avoir écarté un facteur iatrogène ou
alcoolique.
L’origine artérielle évoquée devant des signes
cliniques d’artériopathie sera confirmée par la
pratique d’un doppler ou d’un échodoppler.
L’origine dysautonomique soupçonnée lorsque
les troubles de l’érection s’associent à une
neurovessie de type vessie hypoactive (au bilan
urodynamique) peut être confirmée par la réali-
sation de tests cardiovasculaires spécifiques
(étude de la variabilité de l’espace RR, manœuvre
de Valsalva, cold pressor test, tilt test, respira-
tion ample dirigée, etc.), mais cette association
n’est pas constante.
En réalité, la première étape devant une véri-
table impuissance consiste à réaliser une fenêtre
thérapeutique vis-à-vis des médicaments sus-
pects, en particulier des antihypertenseurs,
des psychotropes, des fibrates, des anti-H2 et,
évidemment, des antiandrogènes et des estro-
gènes. L’arrêt de l’alcool en cas de surconsom-
mation est bien évidemment indispensable.
Une anomalie hormonale peut être éliminée
par les dosages plasmatiques de la testosté-
rone, de l’estradiol, de la FSH, de la LH et de la
prolactine.
Complications périnéales du diabète
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Ziegler D. Diabetic cardiovascular
autonomic neuropathy. Prognosis,
Diagnosis and Treatment. Diab Metab
Rev 1994;10:339-83.
2. Duchen LW, Anjorin A, Watkins PJ,
Mackay JD. Pathology of autonomic
neuropathy in diabetes mellitus. Ann
Intern Med 1980;92(part 2):301-3.
3. The DCCT Research Group. Factors
in development of diabetic neuropathy:
baseline analysis of neuropathy in the
feasibility phase of diabetes control and
complications trial (DCCT). Diabetes
1988;37:476-81.
4. Fedele D, Bellavere F, Cardone C,
Ferri M, Crepaldi G. Short and long
term continuous insulin infusion sys-
tem treatment in patients with auto-
nomic diabetic neuropathy. Horm
Metab Res 1985;17:410-3.
5. Brown FM, Brink SJ, Freeman R,
Rabinowe SL. Antisympathetic nervous
system autoantibodies. Diminished cate-
cholamines with orthostasis. Diabetes
1989;38:938-41.
6. Bemelmans BLH, Meuleman EJH,
Doesburg WH, Notermans SLH,
Debruyne FMJ. Erectile dysfunction
in diabetic men: the neurological factor
revisited. J Urol 1994;151:884-9.
7. Amarenco G, Kerdraon J. Apport des
investigations électrophysiologiques
périnéales dans les dysfonctions érec-
tiles. Ann Med Int 1993;144: 383-8.
18
Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 3, vol. IV - juillet/août/septembre 2004
Une prise en charge multidisciplinaire est sou-
vent nécessaire, incluant le concours de diabé-
tologues, de psychologues, de sexologues et
d’un laboratoire d’explorations fonctionnelles.
Certains tests sont discutés. La pléthysmogra-
phie pénienne nocturne est réalisée au minimum
deux nuits consécutives, parfois sous stimula-
tion sexuelle visuelle.
La présence d’érections normales en nombre,
durée et qualité permet d’éliminer toute orga-
nicité. La moindre anomalie orienterait forte-
ment vers un mécanisme au moins partiellement
organique.
La recherche d’une origine dysautonomique
peut conduire à des explorations plus ou moins
invasives. L’exploration urodynamique permet
de mettre en évidence des anomalies en faveur
d’une neurovessie périphérique (altération de
la débitmétrie, hypoactivité détrusorienne en
cystomanométrie). Les explorations neurophysio-
logiques périnéales peuvent compléter le bilan.
L’électromyogramme des corps caverneux et la
détermination des seuils de sensibilité ther-
mique et vibratoire sur le dos de la verge (6, 7)
sont quasiment abandonnés. La mise en évi-
dence d’une dénervation dans les muscles du
plancher périnéal (figure 2) ainsi que d’une alté-
ration des latences sacrées (figure 3), de la
vitesse de conduction sensitive du nerf dorsal
de la verge, voire des potentiels évoqués corti-
caux sont autant d’arguments pour une atteinte
somatique. Mais, bien souvent, l’atteinte est
végétative et la sensibilité des explorations
électrophysiologiques est bien faible (poten-
tiels évoqués cutanés sympathiques) (figure 4).
Le bilan artériel par écho-doppler, qui explore
la circulation aorto-iliaque et hypogastrique et
mesure les vitesses circulatoires des artères
caverneuses, est un complément utile. Parfois
une étude plétysmographique est pratiquée
(figures 5 et 6).
L
A PRISE EN CHARGE
L’amélioration de l’équilibre glycémique est
indispensable. Cette démarche permet parfois
une régression des troubles. Après cette étape,
un traitement oral par drogues vasoactives
peut être proposé. Les inhibiteurs de phospho-
diestérase (sildénafil, tadalafil, vardénafil), par
leur efficacité, leur facilité d’emploi et leur bonne
tolérance, ont révolutionné le traitement symp-
tomatique des dysfonctions érectiles (figure 7).
Leur action va empêcher la dégradation du
GMPc et, partant, maintenir la mobilisation du
calcium intracellulaire et la relaxation des
fibres musculaires lisses. Ils doivent être pris,
selon les molécules, entre 15 minutes et une
heure avant l’acte sexuel. Leur durée d’action
varie entre 3 et 15 heures et leur efficacité est
soumise à l’existence d’une stimulation sexuelle.
Leur emploi impose le strict respect des contre-
indications cardiaques (angor instable ou insuf-
fisance cardiaque grave), ce qui peut poser
quelques problèmes avec le diabétique, chez
lequel on connaît la fréquence de ce type d’altéra-
tion et les facteurs de risque. L’apomorphine est
un agoniste dopaminergique qui stimule des
noyaux de l’hypothalamus antérieur (aire mé-
diane préoptique et noyau paraventriculaire).
Partant, elle inhibe le centre orthosympathique
(D10-L1) et stimule les centres sacrés respon-
sables de l’érection réflexe. Deux produits sont
disponibles : Ixense®et Uprima®avec, pour cha-
cun, des formes à 2 et 3 mg. L’angor instable et
l’insuffisance cardiaque restent des contre-
indications. Un traitement alphabloquant per
os apporte souvent une aide. Les injections
intracaverneuses sont souvent utilisées en cas
dossier
Figure 2. Figure 3.
Figure 4. Figure 5.
Figure 6.
Figure 7.
d’échec du traitement par voie orale. C’est
l’injection de prostaglandine E1 (alprostadil,
Edex®, 10 et 20 µg/ml) qui est la plus utilisée
(figure 8). Elle exerce un effet de relaxation de
la fibre musculaire lisse qui entoure les corps
caverneux et permet un afflux de sang à leur
niveau. Son efficacité dans les atteintes neuro-
logiques varie de 70 % à 80 %. Compte tenu
du risque de priapisme, la posologie doit être
prudente et progressivement croissante. Ce
traitement vasoactif intracaverneux peut être
proposé à titre de “starter” pour lever une
angoisse d’échec, mais aussi être utilisé sur le
moyen et le long terme. Il est remboursé au titre
de médicament d’exception chez le patient neu-
rologique, et donc chez le diabétique, chez qui
l’on soupçonne une dysérection par neuropathie.
Son action est indépendante de l’excitation
sexuelle. Très utilisé dans les pays anglo-saxons,
le vacuum demande cependant des manipula-
tions contraignantes et n’est pas toujours bien
accepté par le patient diabétique. La rééduca-
tion par un kinésithérapeute qualifié est par-
fois utilisée en cas d’hypotonie périnéale. Elle
permet de retrouver un fonctionnement périnéal
correct, notamment des bulbocaverneux. Elle
utilise l’électrostimulation et le biofeedback. La
pose d’une prothèse pénienne (semi-rigide ou
gonflable) reste exceptionnelle (figure 9). Elle
ne se conçoit qu’après l’échec de toutes les
autres formes de traitement, ce qui est rare, et
lorsque la motivation du patient et de sa parte-
naire est suffisante.
En ce qui concerne l’anéjaculation ou l’éjacula-
tion rétrograde, on peut essayer les α-sympa-
thicomimétiques, notamment le chlorhydrate
de minodrine (à dose croissante, de 5 à 15 mg)
2 heures avant un rapport sexuel, mais les résul-
tats sont très aléatoires.
Dans tous les cas, l’aide d’un psychologue sen-
sibilisé aux troubles sexuels est essentielle,
afin de repérer un facteur psychogène et d’en
préciser le mécanisme, sans omettre la patho-
logie du couple.
Chez la femme se plaignant de sécheresse
vaginale et d’anorgasmie, l’application locale
d’une crème estrogénique peut être proposée.
La rééducation périnéale peut également être
indiquée, ainsi qu’une prise en charge sexo-
logique.
C
ONCLUSION
La prise en charge des troubles sexuels chez
les diabétiques reste très délicate, sur les
plans diagnostique et thérapeutique. Il faut
insister sur la nécessité d’obtenir la motivation
des patients pour un meilleur équilibre glycé-
mique et s’appuyer sur la prise en charge du
couple.
Complications périnéales du diabète
Figure 8.
Figure 9.
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !