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les droits du cœur et les instances de la raison, ce qui valorise l’initiative de la conscience
individuelle à l’encontre des intérêts de tout l’ordre social ou religieux bien établi. N’est-ce
pas là ce qui détermine l’axe de la pensée politique de Simone Weil et qui situe sa position
vis-à-vis du politique ? Le rapport entre l’intellectuel et le politique se révèle à Simone
Weil sous la forme du conflit. Car, dans les conditions de la société moderne, le politique
est le seul lieu public et collectif où une société manifeste la réalité sociale, historique, et
idéologique qui est la sienne, l’intellectuel, qui cherche le sens véritable d’une justice
sociale, peut difficilement éviter le politique. L’engagement politique de l’intellectuel
signifie, en effet, que le politique entre nécessairement dans le champ de sa réflexion, en
tant qu’il est devenu le lieu principal de production historique de la vérité, pour la société
comme pour l’individu. De ce fait, il se noue des rapports complexes entre le pouvoir et
l’intellectuel : rapport d’assimilation, mais aussi rapport d’opposition, car le pouvoir
entend toujours stabiliser et maîtriser les valeurs d’une société, quand l’intellectuel les
cherche plus qu’il ne les possède. Telle est la raison pour laquelle Simone Weil réfute toute
conquête et exercice du pouvoir et, s’interdit d’entrer dans la structure dont c’est la
finalité : les partis politiques.
La politique a bien constitué, pour Simone Weil, un lieu essentiel de vérité qui a
motivé très tôt son engagement ; lieu d’engagement éthique par excellence, car il cumule
l’exigence de la justice, qui est d’abord exigence de vérité dans les rapports sociaux, avec
l’exigence de libération collective aussi bien qu’individuelle. La politique est aussi le lieu
où se révèle le malheur, tel qu’il s’exprime dans l’oppression sociale, par les conditions
modernes du travail, ou dans l’oppression politique, qui se manifeste par l’asservissement
de l’individu à l’Etat par la bureaucratie et aux idéologies. Tout cela explique qu’il y ait,
chez Simone Weil, dans son expérience politique comme dans l’expression qu’elle en
donne, la prééminence de la question du sens : elle manifeste d’abord la volonté d’analyser
le désordre social avant même que de pouvoir éventuellement le combattre.
Comme la question de l’oppression sociale occupe une place centrale dans toute
l’expérience et la réflexion politique de Simone Weil, nous nous efforcerons, dans ce
travail, d’en comprendre le sens et la portée en ses modalités diverses.