Expérience vécue et pensée politique chez Simone Weil

UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
ÉCOLE DOCTORALE DES HUMANITÉS
FACULTÉ DE PHILOSOPHIE
THÈSE
présentée par : Antoine NGUYỄN BÌNH
soutenue le : 28 novembre 2014
pour obtenir le grade de : Docteur de l’université de Strasbourg
Discipline/ Spécialité : Philosophie
Expérience vécue et pensée politique
chez Simone Weil
THÈSE dirigée par : M. Franck Fischbach, Professeur, Doyen de la
Faculté de Philosophie - Université de Strasbourg
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RAPPORTEURS :
M. Ghislain Waterlot, Professeur, Université de Genève, Suisse
M. Emmanuel Gabellieri, Professeur, Université catholique de Lyon
EXAMINATEUR :
M. Yannick Courtel, Professeur, Université de Strasbourg
REMERCIEMENTS
Ăn quả nh k trng cây
Pense à celui qui a planté l’arbre dont tu manges les fruits (proverbe vietnamien).
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Enraciné dans cet esprit de reconnaissance, toute ma profonde gratitude se porte à celles et
ceux qui m’ont encouragé et aidé dans la réalisation de cette étude, spécialement :
- Père Gabriel ESPIE (+), prêtre des Missions étrangères de Paris.
- Madame Nanine CHARBONNEL, ancien professeur de l’Université de Strasbourg.
- Monsieur André-A. DEVAUX, ancien professeur de l’Université de Paris-Sorbonne.
- Monsieur Franc FISCHBACH, professeur de l’Université de Strasbourg.
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Que soit vivement remerciés mes supérieurs ainsi que mes collègues de Nha Trang, qui m’ont
fait confiance et m’ont accompagné tout au long de ces années d’études en France.
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Ma reconnaissance se porte également à tous celles et ceux que j’ai rencontré sur la route de
l’amour pour la sagesse.
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EXPÉRIENCE VECUE ET PENSÉE POLITIQUE
CHEZ SIMONE WEIL
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Avant-propos
Il y a des vies courtes et pourtant très mouvementées et riches de contenu. Avec 34
ans de vie, Simone Weil (1909-1943) peut sembler une étoile filante et pourtant elle laisse
des traces inoubliables dans les esprits et les fait s’interroger sans cesse.
Il est, à l’évidence, difficile, voire impossible, de faire une esquisse résumée d’une
personnalité aussi polyvalente et aussi entière que celle de Simone Weil : une vie toujours
marquée par une faim de justice et une soif d’absolu. C’est la passion de la vérité sous ses
diverses facettes et nuances qui l’anime.
Nous interroger sur la place de l’expérience et de la politique dans sa philosophie
nous pousse à chercher les racines d’un tel itinéraire où sa vie et sa réflexion trouvent-elles
leur force et leur richesse1. Si Simone Weil peut être considérée comme un des rares
intellectuels à avoir interprété avec une telle pertinence la dramatique situation européenne
des années précédant la Seconde Guerre mondiale, n’est-ce pas, grâce à sa capacité d’une
analyse profondément consciente des conflits sociaux et des questions qui se posent en son
temps ? Elle réalise une synthèse entre l’expérience vécue et la rationalité critique, entre
1. Emmanuel Gabellieri dans Etre et Don. Simone Weil et la philosophie, Ed. Peeters, Louvain,
2003, rassemble pour la première fois de manière systématique l’intégralité des dimensions de la
pensée de Simone Weil selon un double axe chronologique et thématique. Son travail offre un
bilan de la réception française et international de S. Weil depuis 1949 dans le but de faire paraître
l’unité de l’être dans la pensée de la philosophe comme l’expression d’une métaphysique de la
médiation et du don visant à unir le plus haut et le plus bas du réel. Nous, nous voulons centrer
notre regard vers les champs de l’expérience et réflexion politique sans pour autant oublier la
question de l’être qui est aussi chère chez Simone Weil.
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les droits du cœur et les instances de la raison, ce qui valorise l’initiative de la conscience
individuelle à l’encontre des intérêts de tout l’ordre social ou religieux bien établi. N’est-ce
pas là ce qui détermine l’axe de la pensée politique de Simone Weil et qui situe sa position
vis-à-vis du politique ? Le rapport entre l’intellectuel et le politique se révèle à Simone
Weil sous la forme du conflit. Car, dans les conditions de la société moderne, le politique
est le seul lieu public et collectif une société manifeste la réalité sociale, historique, et
idéologique qui est la sienne, l’intellectuel, qui cherche le sens véritable d’une justice
sociale, peut difficilement éviter le politique. L’engagement politique de l’intellectuel
signifie, en effet, que le politique entre nécessairement dans le champ de sa réflexion, en
tant qu’il est devenu le lieu principal de production historique de la vérité, pour la société
comme pour l’individu. De ce fait, il se noue des rapports complexes entre le pouvoir et
l’intellectuel : rapport d’assimilation, mais aussi rapport d’opposition, car le pouvoir
entend toujours stabiliser et maîtriser les valeurs d’une société, quand l’intellectuel les
cherche plus qu’il ne les possède. Telle est la raison pour laquelle Simone Weil réfute toute
conquête et exercice du pouvoir et, s’interdit d’entrer dans la structure dont c’est la
finalité : les partis politiques.
La politique a bien constitué, pour Simone Weil, un lieu essentiel de vérité qui a
motivé très tôt son engagement ; lieu d’engagement éthique par excellence, car il cumule
l’exigence de la justice, qui est d’abord exigence de vérité dans les rapports sociaux, avec
l’exigence de libération collective aussi bien qu’individuelle. La politique est aussi le lieu
se révèle le malheur, tel qu’il s’exprime dans l’oppression sociale, par les conditions
modernes du travail, ou dans l’oppression politique, qui se manifeste par l’asservissement
de l’individu à l’Etat par la bureaucratie et aux idéologies. Tout cela explique qu’il y ait,
chez Simone Weil, dans son expérience politique comme dans l’expression qu’elle en
donne, la prééminence de la question du sens : elle manifeste d’abord la volonté d’analyser
le désordre social avant même que de pouvoir éventuellement le combattre.
Comme la question de l’oppression sociale occupe une place centrale dans toute
l’expérience et la réflexion politique de Simone Weil, nous nous efforcerons, dans ce
travail, d’en comprendre le sens et la portée en ses modalités diverses.
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Cependant, nous approprier un tel esprit, marqué par un contexte historique bien
déterminé, nous oblige également à aller droit aux textes de l’auteur2, non pour faire une
analyse de ses analyses, mais essentiellement pour saisir le cœur de sa conception politique
et l’évolution de celle-ci, sans oublier pour autant son expérience religieuse. Car, si nous
avons cru qu’il y a une conception weilienne de la politique et aussi une évolution, c’est
faute de distinguer entre ce qu’il faut appeler, au sens le plus fort du mot, sa sympathie
pour les opprimés et l’étude des moyens pour faire cesser cette oppression et donner ainsi
un sens à la vie humaine. Et s’il y a un « principe » qui guide sa critique sociale et
politique, ce sera le respect à tout être humain quel qu’il soit. Cela nous permet sans
doute de comprendre le sens de son expérience spirituelle, son approche du Christianisme
et à partir de là, de dégager les convergences entre son expérience politique et son
expérience religieuse qui semblent poser tant de questions. Le tournant mystique de
Simone Weil est important pour comprendre le sens et l’ampleur de son expérience
politique.
Analyser le concept d’oppression est pour nous une démarche subtile mais
nécessaire. Il s’agit de se demander si la pensée politique de Simone Weil, notamment sa
réflexion sur la liberté et ses analyses de l’oppression sociale, peuvent encore nous aider à
jeter quelque lumière sur le fonctionnement de nos sociétés : le mal dont nous souffrons
reste celui de l’aliénation, soit sous la forme du travail industriel ou post- industriel soit
sous la forme d’une organisation des sociétés par la technocratie. Notre premier intérêt est
de poser, avec la philosophe, le problème d’une manière plus large et plus fondamentale :
d’où vient cette permanence de l’oppression ? Quelle est donc l’essence de ce
phénomène ?
Si la critique du marxisme a été un centre d’intérêt durant la vie de Simone Weil et,
comme elle-même le montre dans son œuvre, il nous semble important de montrer d’abord
les alternatives révolutionnaires qui ont marqué notre histoire, et notamment les théories de
Marx et leurs développements ultérieurs dans la philosophie politique et morale. La
2. Il nous semble difficile de comprendre comment on peut analyser un auteur dont on ne connaît
qu’imparfaitement l’œuvre. Par chance, nous avons aujourd’hui les œuvres complètes de Simone
Weil qui ne sont certes pas une exposition de son « système », car elle n’avait jamais pensé en
construire un, mais cela nous permet néanmoins de déchiffrer ses connexions organiques à
travers les nombreux et incontournables messages.
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