Autres citations, lecture semblable qui se prolonge par l'affirmation d'un rationalisme
expérimental JM Berthelot analyse ensuite en détail l'ouvrage de Durkheim sur Le Suicide
étude sociologique exemplaire.
« La sociologie n'a -pas à prendre parti entre les grandes hypothèses qui
divisent les métaphysiciens. Tout ce qu'elle demande qu'on lui accorde, c'est
que le principe de causalité s'applique aux phénomènes sociaux. Encore ce
principe est-il posé par elle, non comme une nécessité rationnelle mais
seulement comme une induction légitime. Puisque la loi de causalité a été
vérifiée dans les autre règnes de la nature, que progressivement elle a étendu
son empire au monde physico-chimique, de celui-ci au monde psychologique,
on est en droit d'admettre qu'elle est également vraie du monde social. »
Les Règles de la méthode sociologique réalisent un travail de fondation
épistémologique, consistant à étendre au champ des phénomènes sociaux, la loi
de la causalité à l'œuvre dans les autres domaines du réel. Cette extension
est-elle légitime ? les phénomènes sociaux peuvent-ils s'y soumettre ? selon
quelles modalités ? En répondant à ces diverses questions Durkheim met en
place ce que l'épistémologie contemporaine appellerait un «programme de
recherche», c'est-à-dire un ensemble cohérent et ouvert de postulats et de
procédures.
Le texte de Règles établit en premier lieu la spécificité et l’autonomie du
social comme domaine de connaissance : les phénomènes se réduisent pas à des
idées, des représentations, des sentiments. Ils sont extérieurs aux individus, et
s’imposent à eux, même lorsqu'ils semblent être aussi intimes que le sentiment
du respect ou de la piété. De tels phénomènes, bien loin de nous être
immédiatement connus, sont en réalité opaques. La familiarité qu’ils présentent
à nos yeux est source de prénotions et d’idées fausses. Aussi, « la première
règle et la plus fondamentale, est de considérer les faits sociaux comme des
choses »(chap.2).
Souvent mal comprise, cette règle, considérée comme l'acte de naissance
de l’objectivisme en sociologie, ne postule aucune nature particulière des faits
sociaux. Elle se contente de définir une approche, une posture de recherche. Le
sociologue doit être face aux phénomènes sociaux comme le physicien face à
ceux de la nature :
« Il nous faut donc considérer les phénomènes sociaux en eux mêmes,
détachés des sujets conscients qui se les représentent ; il faut les étudier du
dehors, comme des choses extérieures » (ibid.)
Ainsi construit, en dehors de toute spéculation, l'objet du so-
ciologue doit être soumis aux mêmes normes que celui des autres sciences : au
primat de l'analyse causale sur l'analyse fonctionnelle et à la construction
expérimentale des lois ; comme la sociologie ne peut procéder par
expérimentation directe -- les faits sociaux ne sont pas reproductibles en
laboratoire - elle doit procéder par « expérimentation indirecte », c'est-à-dire
par comparaison. Sur quoi doivent porter les comparaisons ? sur les variations
réciproques des divers facteurs étudiés : si un phénomène B (par exemple
l'accroissement du taux de divorce) varie comme un phénomène A (par
exemple la baisse du nombre des baptêmes) c’est qu’entre A et B existe un
rapport de causalité direct qu’il appartient au sociologue de mettre au jour. La
voie est ainsi tracée à l’élaboration de véritables lois sociologiques : « La
concomitance constante est donc, par elle-même une loi, quel que soit l’état des
phénomènes restés en dehors de la comparaison » (chap. 6).
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