
4
dans des nuances si fines que p. e. en disant que je m'instruis dans quelque science,
un seul pronom ajouté ou omis indique si je veux dire que je suis mon propre
instituteur (ni-no-ne machtia) ou si je ne veux point exprimer cette circonstance, et puis
bien aussi en avoir un autre (ni-no-machtia). (Humboldt 1812 : 310-311)
En aval, Humboldt évoque sa communication de 1823 dans sa Lettre à M. Abel-
Rémusat (1827 : 76) dans ces termes :
“J’ai lu, il y a quelques années, à l’académie de Berlin, un mémoire qui n’a pas été
imprimé, dans lequel j’ai comparé la plupart des langues américaines entre elles, sous
l’unique rapport de la manière dont elles expriment le verbe, comme liaison du sujet
avec l’attribut dans la proposition, et je les ai rangées, sous ce point de vue, en
différentes classes. Comme cette circonstance prouve jusqu’à quel point une langue
possède des formes grammaticales, elle décide de la grammaire entière d’une langue
(…) Presque toutes ces langues, pour alléguer une autre circonstance également
importante, ont des pronoms affixes à côté de pronoms isolés. Cette distinction prouve
que les premiers accompagnent habituellement les noms et le verbe ; car si ces
affixes ne sont que les pronoms abrégés, cela même montre qu’on en fait un usage
extrêmement fréquent, et si ce sont des pronoms différens, on voit par là que ceux qui
parlent, regardent l’idée pronominale d’un autre point de vue, lorsqu’elle est placée
isolément, et lorsqu’elle est jointe au verbe ou au substantif.”
Enfin, Humboldt consacre un assez long développement au processus de
l’incorporation verbale en ‘mexicain’ dans son œuvre majeure, l’Introduction à
l’œuvre sur le kavi (1836 :162-171). Il y développe un raisonnement généalogique et
organiciste qui laisse supposer qu’après avoir reconnu, sous l’influence de Fr.
Schlegel, un seul type de perfection morphologique, le FLEXIONNEL représenté par le
sanscrit, et avoir admis sous celle d’Abel-Rémusat un second type de perfection,
l’ISOLANT représenté par le chinois, il identifie désormais un troisième type de
perfection, l’INCORPORANT, représenté par le ‘mexicain’, les autres langues
américaines typologiquement apparentées et en Europe la langue basque.
On notera la précision des termes : “à l‘origine” les éléments affixés au verbe
dans les futures langues incorporantes entrent avec lui dans une Zusammenfügung
(combinaison de constituants autonomes), mais dans l’état de développement atteint
par le ‘mexicain’ ils forment avec lui une Zusammenbildung (combinaison de
constituants indissociables) in eine Worteinheit (le résultat est une unité lexicale). Si,
dans ce passé imaginé, la morphologie de la langue est comparable à un bourgeon
encore fermé, le développement de la morphologie mexicaine est en revanche
assimilé à l’épanouissement du bourgeon. À l’époque primitive de la
Zusammenfügung, les pronoms et les substantifs qui entrent dans le matériau
morphologique du verbe sont censés s’agglutiner sous leur forme autonome ; à celle
de la Zusammenbildung, ils présentent deux formes distinctes, l’une pour l’usage
autonome, l’autre pour l’usage incorporé, donc la langue a réalisé son type propre de
perfection : la création d’une unité lexicale composée de constituants qui ne gardent
plus que le souvenir de leur autonomie passée, ce qui revient par une autre voie à la
perfection du sanscrit où les pronoms deviennent des marques flexionnelles que seul
le philologue est encore capable d’associer à leur forme autonome.
“Ces affixations au verbe se sont construites d’une manière déjà harmonieuse et à un
degré comparable à celui de la fusion en une unité lexicale et à celui des flexions du
verbe lui-même. Ce qui diffère réside seulement dans le fait que ce qui dans la phrase
primitive ne constitue en quelque sorte que le bourgeon encore fermé en voie
d’épanouissement se présente dans la langue mexicaine comme un tout fusionné,
complet et indivisible, là où le chinois laisse à l’auditeur tout le soin de reconnaître
l’agglutination à peine évoquée par les sons, et où le sanscrit plus vivant et plus