Point chaud
Un psychanalyste au chevet du Coran
Ou comment la culpabilité occidentale alimente le déni
qu’entretient l’islam sur la violence de son texte fondateur
Le Devoir, le 3 février 2014
(Christian Rioux)
Le 12 novembre dernier, le fondateur de l’ADQ, Jean Allaire, s’était laissé aller à
dire que le Coran était un texte violent. Mal lui en prit. Aussitôt, le chef de son
parti, François Legault, répliqua qu’on n’avait pas à parler de ces choses-là.
Comme de fait, deux mois plus tard, on n’en sait guère plus. L’injonction de se
taire a été rigoureusement suivie.
L’exemple aurait pu figurer en introduction du livre de Daniel Sibony, Islam,
phobie, culpabilité (Odile Jacob). Né juif dans la médina de Marrakech, où il a
appris l’arabe avant l’hébreu et le français, Daniel Sibony est conscient que
l’identité des peuples a toujours des fondements religieux. Que l’on croie ou pas
n’y change rien.
Pour ce psychanalyste auteur de plusieurs livres de référence sur les trois religions
monothéistes, la violence du Coran à l’égard des chrétiens et des juifs est une
évidence qui n’est plus à démontrer. Son livre en fournit de nombreux exemples
irréfutables.
Mais ce n’est pas pour dénoncer cette violence, qui a des causes historiques, que
Daniel Sibony a pris la plume. Ce qu’il veut d’abord, c’est montrer comment
l’Occident, par son silence, se fait complice d’un tel déni dont de nombreux
musulmans tentent tant bien que mal de sortir. Le psychanalyste met le doigt sur
cette culpabilité malsaine qui ne fait qu’aggraver le problème sans aider les
musulmans à prendre la distance nécessaire à l’égard de leur texte fondateur.
«Mon objectif était d’abord de tracer une voie qui permette un discours sur les
rapports entre l’islam et l’Occident qui ne soit pas dans le déni, comme celui de
ceux qui crient au racisme à la moindre critique, dit-il. Si vous avez un ami dont le
texte fondateur dit que vous êtes maudit par dieu et qu’il y croit, il est
probablement aussi gêné que vous. Or, l’Occident a développé une culpabilité
perverse qui consiste à traiter ce problème comme une tare dont on n’a pas le droit
de parler. Je trouve honteux de se cacher ce problème alors qu’on n’est pas plus
responsable d’un texte fondateur que de ses parents. Oui, il y a de la violence dans
le Coran, mais encore faut-il avoir le courage d’affronter le problème.»
Sentiment de supériori
Pour Daniel Sibony, cette culpabilité à l’égard de l’islam n’est qu’une autre forme
du sentiment de supériorité de l’Occident. «Quand vous dites “oui c’est de notre
faute”, vous arrachez le problème aux autres. Il n’y a plus de problème. C’est vous
qui allez le régler, car les autres n’en sont pas capables.» Or, les musulmans n’ont
pas besoin de ce déni, surtout à l’heure des révolutions arabes où, «pour la
première fois en terre musulmane, libéraux et intégristes se retrouvent face à
face».
Selon Daniel Sibony, cette culpabilité a des racines chez l’intellectuel américano-
palestinien Edward Saïd, qui a eu un succès fou dans les universités américaines en
disant aux Occidentaux qu’ils ne pouvaient rien comprendre à l’Orient. Il en voit
aussi les racines dans les propos du philosophe français Lévinas pour qui chacun de
nous est responsable de l’autre.
«On n’est pas responsable de l’autre, dit-il. On peut l’aider, mais on n’en est pas
responsable. Oui, il faut être ouvert à l’autre. Mais il faut l’aborder d’égal à égal
et le critiquer librement. Il ne faut pas d’avance faire preuve de cette supériorité
qui consiste à tout accepter parce que nos ancêtres ont fauté. Imposer une telle
chose, c’est créer de la haine.»
Cette culpabilité vient de la Shoah et de l’expérience de la colonisation, dit-il. «On
a oublié que le colonialisme turc a existé et qu’avant les croisades, il y a eu les
invasions arabes. Il y a dans cette culpabilité une attitude paternaliste à l’égard du
monde arabo-musulman. Elle sert à clouer le bec aux Québécois ou aux Français
et à leur interdire de parler.»
Ce déni prend les formes les plus diverses, dit-il. Il y a ceux qui se prétendent
libérés des religions et qui disent que ça ne les concerne pas. Il y a ceux qui
affirment que, dans le Coran, il y a tout et son contraire. «C’est faux. La violence
des premières sourates est manifeste à l’égard des Gens du Livre. Or, elles ont é
écrites à la fin de la vie de Mahomet et dressent en quelque sorte un bilan.» Daniel
Sibony en veut aussi à ces intellectuels qui, comme l’écrivain Tahar Ben Jelloun,
disent respecter la liberté d’expression, mais ajoutent que la publication des
caricatures de Mahomet était une provocation de trop qui jetait de lhuile sur le feu.
On pourrait parler d’Hérouxville, qui était aussi à sa manière une forme de
caricature…
«Donc, chaque fois qu’on parle de la violence fondatrice de l’islam, on jette de
l’huile sur le feu! Le résultat est toujours le même : l’interdiction d’en parler.
C’est honteux de mettre un voile sur un problème qui est un problème humain. Il
y a treize siècles, l’islam a eu besoin de se fonder sur cette violence. Aujourd’hui,
il faut la connaître pour la dépasser.»
Le culte des minorités
Cette culpabilité narcissique, Daniel Sibony la discerne dans nombre de ces
discours qui prétendent «défendre l’autre plus que l’autre lui-même». Il suffit, dit-
il, qu’une minorité exige quelque chose pour qu’on refasse nos lois. Selon cette
culpabilité envahissante, il ne suffirait plus de respecter les droits des musulmans,
des homosexuels ou des minorités ethniques, il faudrait aussi les aimer.
«Il est ridicule d’être contre l’islam. L’islam représente un milliard et demi
d’individus. On ne peut pas être contre une telle réalité. Mais on a parfaitement le
droit de ne pas être preneur, de ne pas aimer certains aspects de cette religion et
de le dire. Il est normal que les identités se frottent les unes aux autres et qu’on ne
soit pas toujours d’accord.»
«Une nation qui barre sa propre altérité au nom du respect de l’autre, écrit-il,
exprime surtout une vanité, une affirmation de soi, d’un soi de plus en plus creux,
et l’autre lui accorde moins de valeur.» Selon lui, cet antiracisme exacerbé qui
traite d’islamophobe celui qui ose parler est à l’origine de la montée de l’extrême
droite. «Les gens veulent indiquer par un signe fort qu’ils ne sont pas d’accord
avec la façon dont on nie le problème. Le déni ne fait de bien à personne, surtout
pas aux musulmans qui, ainsi, ne pourront jamais être vraiment acceptés.»
* * * * * * * * * * *
Daniel Sibony en cinq dates
22 août 1942 : Naissance à Marrakech dans une famille juive habitant la médina.
Sa langue maternelle est l’arabe dialectal marocain. L’hébreu est ce qu’il nomme sa « langue
culturelle ».
À cinq ans, il apprend le français.
1955: S’installe à Paris avec sa famille.
1974: Devient psychanalyste après avoir suivi une formation avec Jacques Lacan.
1985:Est reçu docteur en philosophie. Emmanuel Lévinas était membre de son jury.
1992: Publie Les trois monothéismes, juifs, chrétiens, musulmans entre leurs sources et leurs
destins (Seuil).
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