Sentiment de supériorité
Pour Daniel Sibony, cette culpabilité à l’égard de l’islam n’est qu’une autre forme
du sentiment de supériorité de l’Occident. «Quand vous dites “oui c’est de notre
faute”, vous arrachez le problème aux autres. Il n’y a plus de problème. C’est vous
qui allez le régler, car les autres n’en sont pas capables.» Or, les musulmans n’ont
pas besoin de ce déni, surtout à l’heure des révolutions arabes où, «pour la
première fois en terre musulmane, libéraux et intégristes se retrouvent face à
face».
Selon Daniel Sibony, cette culpabilité a des racines chez l’intellectuel américano-
palestinien Edward Saïd, qui a eu un succès fou dans les universités américaines en
disant aux Occidentaux qu’ils ne pouvaient rien comprendre à l’Orient. Il en voit
aussi les racines dans les propos du philosophe français Lévinas pour qui chacun de
nous est responsable de l’autre.
«On n’est pas responsable de l’autre, dit-il. On peut l’aider, mais on n’en est pas
responsable. Oui, il faut être ouvert à l’autre. Mais il faut l’aborder d’égal à égal
et le critiquer librement. Il ne faut pas d’avance faire preuve de cette supériorité
qui consiste à tout accepter parce que nos ancêtres ont fauté. Imposer une telle
chose, c’est créer de la haine.»
Cette culpabilité vient de la Shoah et de l’expérience de la colonisation, dit-il. «On
a oublié que le colonialisme turc a existé et qu’avant les croisades, il y a eu les
invasions arabes. Il y a dans cette culpabilité une attitude paternaliste à l’égard du
monde arabo-musulman. Elle sert à clouer le bec aux Québécois ou aux Français
et à leur interdire de parler.»
Ce déni prend les formes les plus diverses, dit-il. Il y a ceux qui se prétendent
libérés des religions et qui disent que ça ne les concerne pas. Il y a ceux qui
affirment que, dans le Coran, il y a tout et son contraire. «C’est faux. La violence
des premières sourates est manifeste à l’égard des Gens du Livre. Or, elles ont été
écrites à la fin de la vie de Mahomet et dressent en quelque sorte un bilan.» Daniel
Sibony en veut aussi à ces intellectuels qui, comme l’écrivain Tahar Ben Jelloun,
disent respecter la liberté d’expression, mais ajoutent que la publication des
caricatures de Mahomet était une provocation de trop qui jetait de l’huile sur le feu.
On pourrait parler d’Hérouxville, qui était aussi à sa manière une forme de
caricature…
«Donc, chaque fois qu’on parle de la violence fondatrice de l’islam, on jette de
l’huile sur le feu! Le résultat est toujours le même : l’interdiction d’en parler.
C’est honteux de mettre un voile sur un problème qui est un problème humain. Il
y a treize siècles, l’islam a eu besoin de se fonder sur cette violence. Aujourd’hui,
il faut la connaître pour la dépasser.»