Trois Cultures Millénaires Nous Regardent “Il y a seulement deux lignages dans le monde, comme disait une de mes grands-mères, l’avoir et le non-avoir ”. (Cervantes) Manzanares Et son Parador M iguel de Cervantès fut et sera très probablement le meilleur ingénieur, inégalable : ce fut un voyageur insolite et onirique, un peintre (à la plume) de paysages et de géographies étrangers peut-être même pour lui. Mais il fut – pour alors il s’agissait d’une condition favorisée – belliqueux et aventurier. Ce fut aussi un fonctionnaire ayant pour mécène des monarchies et la grande noblesse de ces temps notoires bien plus lustrés qu’illustres. Pour les siècles des siècles La Manche accepta d’être une région étrangère, frontalière et tolérante, entre les frontières des envahisseurs romains, juifs, maures et chrétiens. Humble, elle permit la consolidation de vastes et rudes territoires… Au tout début de l’histoire, ses chemins, ses habitants, passèrent immédiatement de conquis à conquérants d’us et coutumes et de manières de vivre. Très vite ils furent les plus romains de l’empire ; puis ils surent être un fertile berceau pour les cultures arabes ; enfin, ils furent des conquérants récalcitrants sur des territoires gagnés à jamais par la chrétienté. Ils furent de pieux guerriers chevaliers de l’Ordre du Temple. Ce sera un prodige presque miraculeux rassemblé sous les auspices de Tolède, capitale des royaumes de ces Espagnes pendant de longs siècles qui permirent des cohabitations et des connivences politico-religieuses jusqu’au XVIe siècle ; mais il n’y a pas que cela : une osmose d’usages, de manières de vivre et de manières d’être se consolida. Ils voulurent et surent vivre ensemble calmement. Les différentes religions se respectaient entre elles. Les rites et les langages étaient particuliers, mais leurs cohabitations et leurs habitudes étaient communes, ou en tout cas tolérées. Il y avait bien sûr des frontières de voisinage : certaines religieuses, d’autres économiques, de classes sociales. Ou des métiers délimités ; des urbanismes – des quartiers – séparés mais communiquant entre eux. Des arts et des artisanats. Des langages, des gastronomies. Mais généralement dans une tolérance tacite. Tolède fut le phare de cultures et de pouvoirs. Ce n’est pas en vain que l’Ecole de Traducteurs de Tolède s’y installa. C’était un atelier intellectuel qui favorisera, gouvernera et inondera tous les arts et les savoirs péninsulaires sous les sages auspices du roi Alphonse X, dit « Le Sage » avec raison. Nous disposons aujourd’hui d’informations préhistoriques qui montrent et datent les débuts de ces cultures : des restes architectoniques et suffisamment de peintures rupestres illustrant les habitudes, les rites et les métiers. MANZANARES ET SON PARADOR 1 Tout ou beaucoup indique que les premiers habitants de ces parages surent s’alimenter de plantes sylvestres, de racines, de baies et d’autres nombreux aliments trouvés spontanément ; comme des fruits secs, des fruits et des oeufs. Non sans risque, après de nombreuses tentatives ils parvinrent à découvrir les valeurs alimentaires du miel ou encore le cresson, l’enfant des ruisseaux printaniers. Ou des champignons et autres créations de la terre que nous appelons aujourd’hui truffes. Sans oublier l’efficace présence juive, un peu cachée mais vraiment influente au plus haut du pouvoir : ils étaient percepteurs d’impôts, prêteurs et assesseurs des nobles et des rois… Dans l’entourage des Rois Catholiques et sur la pression du peuple, les maures et les juifs furent lamentablement expulsés de ces géographies : cela aura pour conséquence inévitable une crise économique dont la récupération sera lente et difficile… Des siècles durent s’écouler pour que ces premiers habitants découvrent les indispensables vertus d’un minéral aussi basique que le sel : une potion magique capable de conserver sur des périodes prolongées la salubrité des aliments de base cueillis ou chassés sur tout le territoire. Ils apprirent donc plus ou moins à conserver la viande et le poisson : les « tasajos » et les « cecinas » apparaissent, ces conserves de poisson et de viande séchée dans le sel. Avec le temps – peut-être par hasard – ils osèrent goûter le lait, qu’ils gardaient dans des récipients élémentaires bien tannés, comme des sacs en cuir. Très vite le fromage naît… On découvre le feu et ses vertus, une arme magique et mystérieuse, efficace et nécessaire pour la défense et les attaques contre un monde animal agressif ; mais aussi une poignée de techniques et de technologies pour modeler les métaux, pour inventer la vaisselle en céramique, pour chauffer les huttes…ou pour cuisiner les aliments. Surtout, la chaleur du foyer est à l’origine du miracle de la famille ; c’est-à-dire de la communication entre les membres du « clan ». Les langages les plus riches et les plus expressifs naissent ; simultanément on se transmet les expériences, les relations intertribales et les nouveaux modes de vie. Le pain apparaît enfin, élaboré pour alors à base de farine de glands moulus, comme l’écrit Strabon : « On faisait une sorte de pâte que l’on mettait dans un sac, puis on le couvrait de cendres, que l’on recouvrait à leur tour des braises nécessaires pour cuire la pâte… » (“Se hacía una especie de masa que depositaban en una bolsa, luego cubierta con cenizas, cubiertas a su vez por las brasas precisas capaces de cocer la masa...”). Des temps intenses passèrent, lentement : de presque toutes les Méditerranées d’excellents navigateurs arrivent sur ces côtes ibériques bigarrées ; entre autres des pirates prédateurs. Des chercheurs de richesses péninsulaires ; en particulier les abondants gisements de minerais (étain, or et argent), le butin le plus recherché pour alors. Mais aussi l’abondante pêche qui était très appréciée par presque tous les peuples hellènes, grecs et romains. Les envahisseurs laissèrent aussi sur cette péninsule ibérique des héritages et des habitudes qui seront le puits légal des comportements de ces peuples ibères. Les Romains imposèrent des normes, des lois et des codes civils, mais ils imposèrent aussi des techniques et des technologies : des voies de communication – des chemins, des chaussées nécessaires et efficaces pour communiquer entre elles les plus importantes villes péninsulaires. Et aussi d’importants travaux publics : des ponts, des viaducs, des barrages… Et des villes emmuraillées. L’invasion arabe de huit siècles offrit des habitudes, des idées, de l’art et de l’artisanat ; l’irrigation, les mathématiques, la géométrie, l’astronomie… et beaucoup de métiers d’un goût, d’une technique et d’une efficacité surprenante. Comme le mudéjar, la gravure sur plâtre et plein de filigranes. Le Parador: Noble Et Royale Spolation omme on le sait ou comme on le suppose les légendes ne sont jamais fausses ni faussaires, elles sont presque toujours le fruit de l’imagination de l’auditoire ou du très nombreux public lecteur. Presque partout il existe d’innombrables histoires et légendes porteuses de conseils, venant essentiellement du temps de la reconquête. Plus clairement : un jeune juif amoureux d’une maure infidèle ; ou un noble chrétien épris d’une jeune juive. C Les temps médiévaux idylliques entraînèrent en effet une certaine promiscuité amoureuse impossible à contrôler. Aucun gouvernant ne sut, ne put ou ne voulut casser les comportements communément acceptés et fréquents sur tous ces territoires. Ainsi, les Maures, les Juives et les Chrétiennes décidèrent – contre toutes les habitudes et les normes religieuses – de choisir leur partenaire. Les Cortes et les Couronnes gouvernantes étaient très tolérantes…valides et courtisanes, les népotismes et les favoritismes étaient plus que fréquents… Cependant, si le voyageur patient regarde en arrière il verra que les relations sociales n’étaient pas enviables, loin de là. Pour alors, à MANZANARES ET SON PARADOR 2 l’aube du XIe siècle, les relations de production s’établissaient sur la base d’une économie agricole pour une consommation immédiate. Les échanges mercantiles étaient rares. Les villes étaient petites et isolées. Les chemins et les routes insuffisants. Les propriétaires fonciers pompaient le peu d’excédent obtenu par les paysans. Ce processus d’expropriation permanent et rigoureux était mené avec délectation par les toutespuissantes forces de l’Église et la noblesse. Leurs relations étaient très hiérarchisées par le pouvoir économique et par d’indestructibles liens de vassalité. Les ordres religieux et leurs imposants monastères épuisaient systématiquement les agriculteurs qui obtenaient à peine de quoi vivre. Les paysans adscrits à la terre étaient soumis à de rigoureuses prestations et exactions en échange de la supposée protection du Seigneur, religieux ou civil. Ce statu quo était théologiquement avalisé par l’Église. Tel était le procédé pour ses bénéficiaires : tous les hommes naissent dans une situation sociale déterminée et ils doivent vivre et se comporter en accord avec cette situation. De cette manière les hommes contribuent au bien commun et sauvent leurs âmes pour entrer au Royaume des Cieux. L’insatisfaction sociale et tout signe de rébellion déchaîneraient la furie des maîtres, du Roi et jusqu’à Dieu Lui-même. Cet apocalyptique cercle vicieux s’adoucira lentement. De nouveaux moyens de production et de distribution surgiront, un commerce relativement solide naîtra et une étroite relation entre la marchandise et l’argent apparaîtra. C’était un monde plein de pauvres qui grossissaient les terres et les tripes de quelques riches. C’est le théâtre que connut Cervantès : même le Chevalier Hidalgo ne fut pas plus qu’un belle chimère enchanteresse. Des situations constellées de légendes, presque toujours entremêlées de conspirations courtisanes… Comme le prouvent certaines d’entre elles. La Source De La Maure N ous sommes en 1085, Tolède est à peine reconquise grâce à la Conquête du Cid Campeador. Le drapeau de Castille se pavane, superbe. En un torride après-midi d’été, un fougueux coursier se promène dans les bois, monté par un noble chevalier accompagné de nombreux rabatteurs et des indispensables chiens. Le chevalier veut devancer le cortège et part à la recherche d’une source capable d’apaiser sa soif. Soudain, le cheval se cabre : devant le chevalier, comme une apparition, se présente une jolie jeune fille, qui fuit à la vue du chevalier. C’est une jeune maure exagérément belle. Le cavalier lui dit : -Qui es-tu belle fleur ? -Mes parents sont juifs, seigneur ; mais je suis née sur des terres arabes. J’ai réussi à m’échapper et depuis je me cache dans ce bois. -Je jure devant Dieu – répondit le cavalier chrétien – que je te rendrai ta liberté si tu me donnes de l’eau : je meurs de soif… -Je connais bien ces parages et je n’ai jamais trouvé d’eau. Mais si votre Dieu faisait jaillir de l’eau, je me ferais chrétienne. Aussitôt dit aussitôt fait, la très belle juive est bien surprise… A cet instant jaillit une généreuse source. Miracle. Les habitants de ces Manzanares assistaient résignés aux avatars des Conquêtes et Reconquêtes ; ils étaient inévitablement tributaires des vainqueurs : les terres appartenaient à la noblesse ou aux ordres militaires – sur ces géographies impérieuses. Ou à des propriétaires terriens imperturbables… Les autres étaient journaliers ou propriétaires minuscules, dans une espèce de captivité. Ainsi vivait le peuple : à l’ombre – sous les murailles du château pour les siècles et des siècles… Les nobles, les riches et les religieux dirigeaient… Et il en serait ainsi pendant des siècles… Après des veilles récalcitrantes et prolongées, ces terres de la Manche connurent de timides changements une fois consolidées les larges frontières semi-désertiques, grâce aux conquêtes des armées chrétiennes. Le processus d’expansion démarra à partir de la conquête de Tolède par le roi Alphonse VI à la fin du XIe siècle. Les terres de la Manche furent réparties en fonction de l’aide offerte par les villages à la Couronne récemment agrandie par des conquêtes successives. Au nord-ouest Alcázar de San Juan et le Campo de Criptana se dressent et se fortifient comme des villes importantes sous la protection et les auspices de l’Ordre de Saint Jean, siégeant à Consuegra. Le Campo de Montiel, avec Montiel et Villanueva de los Infantes, était sous le patronage de l’Ordre de Saint Jacques (Santiago). Ce parador de tourisme situé stratégiquement sur la route de l’Andalousie, se vante avec raison d’être une excellente halte pour tous les amateurs de chasse. L’établissement vous facilitera les contacts avec les « cotos » de la région (les terrains de chasse réservée). Aux alentours, à côté du Sanctuaire d’Alarcos, près de Ciudad Real, eut lieu une bataille sanglante entre les troupes almohades et l’armée d’Alphonse VIII de Castille qui manquait de l’appui indispensable des autres rois chrétiens. La défaite chrétienne fut absolue ; cependant, la bataille historique des Navas de Tolosa fut décisive : les Musulmans abandonnèrent définitivement ces frontières. Une repopulation massive commença alors. La croissance démographique et économique qui suivit multiplia le pouvoir déjà énorme des ordres religieux. MANZANARES ET SON PARADOR 3 pour découvrir une des régions les plus méconnues, partageant d’insolites natures comme les Tablas de Daimiel ou les lagunes de Ruidera. Visite De La Ville De Manzanares Les « Calatravos » (les chevaliers de l’Ordre de Calatrava) déplacèrent le siège du grand « maestrazgo » à Almagro. Son pouvoir était tel que le roi Alphonse X le Sage créa une nouvelle ville, Ciudad Real (1255) et lui donna la « Carta Puebla » pour contre-arrêter les hautes fumées de la proche Almagro. Les démons de l’envie et de la rivalité se déchaînèrent, au point qu’Almagro deviendra la capitale éphémère de La Manche. La reine Isabelle de Castille montra beaucoup d’intérêt pour Ciudad Real. Elle voulut y situer le siège (1476) de la Santa Hermandad qui venait de renaître. Elle voulut aussi y établir le siège du tribunal de l’Inquisition. Il est clair que ni l’une ni l’autre ne connurent la sympathie du peuple. Par contre, la Chancellerie Royale créée en 1494 aura un prestige notable ; c’était la deuxième après Valladolid. Ce sera le tribunal le plus influent de Castille ; pendant quelques années Ciudad Real deviendra le centre juridique de l’Espagne. Au sud de la province, sur le Campo de Montiel, des villes conservent encore d’agréables souvenirs de splendeurs passées : Santa Cruz de Mudela et le Viso del Marqués montrent la trace de don Alvaro de Bazán, marquis de Santa Cruz. Villanueva de los Infantes est une ville remarquable. Son nom porte la reconnaissance éternelle envers les infants d’Aragon, particulièrement Don Enrique, Grand Maître de l’Ordre de Saint Jacques qui lui donna sa « Carta Puebla » (1421). Elle grandit très rapidement ; si bien qu’à peine un siècle et demi plus tard elle déroba à Montiel le statut de capitale du Campo. On dit que Montiel fut le témoin d’un assassinat royal : le roi Pierre Ier connu par certains comme « Le Cruel », et par d’autres comme « Le Justicier », mourut aux mains de son demi-frère, Henry de Trastamare. Le fait donnera lieu à la fameuse phrase du connétable français Bertrand Du Guesclin : « Je ne couronne ni ne découronne les rois, j’aide mon seigneur… » (« ni quito ni pongo rey, pero ayudo a mi señor… »). Des Bijoux Sacrés Et Laïcs V oici, entre autres, des composants de ce riche répertoire des plus beaux monuments et sites d’intérêt : -La porte de Tolède. Monument national, c’est l’emblème de la ville. Alphonse XI en ordonna la construction. C’est un bel exemple du mudéjar militaire. -Le couvent des carmélites : de style renaissance, avec quelques touches baroques. Construit au XVIIe siècle. -La basilique cathédrale des ordres militaires définitivement achevée au XVIe siècle. Le retable renaissance de l’autel principal, de Giraldo de Merlo attire particulièrement l’attention. Mais il y a bien plus. Cet établissement est un point de départ stratégique “On dit que la variation Fait de la nature Le comble du goût et de la beauté Et on a bien raison” (Cervantès) Manzanares n’est pas une ville très grande ou très importante. Mais elle peut se vanter de remarquables monuments comme : -L’église de Notre Dame de l’Ascension (Nuestra Señora de la Asunción), à façade plateresque du XVIe siècle. -Le couvent des Conceptionnistes, de facture baroque. -La fabrique de Sato : grande maison typique aux balcons en bois et au patio surprenant. -Le château sur la place San Blas. Il conserve encore les restes du donjon et la cour des armes. Ce fut un réduit militaire de l’Ordre de Calatrava. -Et le Casino, au tracé ecclésiastique du début du siècle passé. Manger Et Apprécier “La santé de tout le corps commence au bureau de l’estomac” (Cervantes) L ’Ingénieux Hidalgo ne voulut pas faire honneur – peut-être que ça n’allait pas avec sa figure animique et anémique – à la cuisine de ces terres. Ce sont des tables de plats simples mais pas précisément spirituels ou pauvres, comme ils pourraient le sembler. Leur origine est millénaire et paysanne – l’envahisseur romain apporta ses habitudes et ses recettes – avec des rites sages et de savoureuses traditions musulmanes et juives, dans un réalisme pastoral obligé (« de ce que l’on trouve » ; « de lo que hay »). Le résultat est une cuisine juteuse, solide ; le plus souvent capable de mettre à l’épreuve les palais et surtout les estomacs les plus généreux. Les casseroles et les plats à l’élaboration variée n’ont jamais manqué et ne manquent jamais par ici ; ils sont nés bien souvent des viandes d’agneau et de mouton et d’autres dérivés du porc, de volaille encore bien souvent de basse-cour. Et de gibier quand il y en a. Quelques poissons de rivières ne manquent pas non plus, même s’ils ne sont pas très abondants : des truites, des perches, des barbeaux et des « bogas », et de la morue en salaison, support indispensable au jeûne du Carême. Et d’excellents exemples de fromages de la Manche et des vins de la région épais et courageux de plus en plus domestiqués. MANZANARES ET SON PARADOR 4 Surprenantes Saveurs Musulmanes N De tels ingrédients donnent lieu à un répertoire de plats des plus variés et dont on devrait en principe se méfier raisonnablement : avec les « pistos » (ratatouilles) et les « gachas » au cachet universel de la Manche, des plats et des marmites comme le « guisote », du porc lentement grillé et cuit dans une sauce faite de persil, de pignons, d’oeuf dur, de tomates et d’olives. Et ce que l’on appelle le « tojunto » (tout ensemble), parce qu’il peut se composer de viande de porc ou de n’importe lequel de ses congénères, de pommes de terre, d’huile et de vin. Et le « asadillo », une simple friture de tomates, de poivrons et d’ail. Et de nombreuses surprises que le voyageur trouvera sans avoir besoin de les chercher. Dans les parages de ces préhistoires la nourriture était seulement un aliment pour nourrir, c’est-à-dire une nécessité, un besoin. Et c’est ainsi qu’un cannibalisme généralisé entre les hominidés était fréquent : la faim était parallèle à la survie. C’était une question de survie. Il y a beaucoup de preuves de cela, des données qui avalisent ces comportements primitifs. Au bout du compte, des protéines sont des protéines quand on en a besoin. Mais bien vite ces premiers habitants apprirent à choisir et à sélectionner les plantes et les animaux pour leur indispensable nourriture. Des herbes, des poissons, des oiseaux, et d’autres animaux innombrables : des lapins, des lièvres, des couleuvres, des grenouilles. Et des herbes : une multitude de plantes à grande valeur nutritive : des champignons, des racines… Sur ces terres et d’autres la nature a toujours offert de prodigieux produits : des truites et des tanches des rivières et ruisseaux… Et des champignons et des herbes qui deviendront des mélanges aujourd’hui absolument essentiels pour les actuelles cuisines modernes. Les cuisines de ces Manzanares profitent de remarquables privilèges et de recettes particulières : en voici seulement quelques unes : « Pour connaître l’art culinaire il suffit de rendre visite aux pasteurs des terres d’Espagne” (“Para conocer el arte culinario no hay mas que visitar los pastores de las tierras de España”) (Kaisering), anthropologue. Strabon le laissera aussi écrit, en parlant du Tage il dit : “Poissons et huîtres y sont extraordinairement abondants, et sur les rives, de bonnes plantations d’oliviers et de vignes, peut-être impulsées par des navigateurs phéniciens. » (“En él abundan extraordinariamente, peces y ostras y que en sus márgenes existen buenas plantaciones de olivos y vides, tal vez impulsadas por navegantes fenicios.) Pline le dit aussi : “Les meilleurs cumins étaient les plus appréciés de Rome” (“Los mejores cominos eran los mas apreciados por Roma”)... Pour alors, sur ces terres ibériques, si l’on en croit ces impériaux conquérants, on élevait nombre de ruminants, de taureaux, de porcs, de chèvres et de chevaux dans ces cabanes. Avec les invasions impériales l’agriculture ibérique s’enrichit : par des technologies, des techniques et des plantations pas encore connues en ce temps-là sur ces terres et sur d’autres, sans oublier l’invasion bénéfique, pour ces étranges et méconnues hispanies, d’une culture gastronomique. ous sommes tous les enfants des mêmes dieux et des mêmes prophètes. Le Christ et Allah l’ont dit : “Le paradis de l’éternité n’est nulle part ailleurs que dans votre patrie Si je devais choisir, Je prendrais celui-ci Ne craignez pas l’entrée De l’enfer : On ne punit pas par le malheur Ceux qui vivent déjà au paradis. » Ibn Jatayá de Alcira Finalement, nos habitudes culinaires furent, pour leur bien, contaminées et superbement envahies par ces envahisseurs arabes. Cela donna un riche héritage des peuples et des cultures mozarabes et des goûts sépharades… Très vite la péninsule est envahie par la culture culinaire des épices, venues des plus extrêmes géographies orientales. Des cumins et autres innombrables herbes et épices inconnues en Europe à l’époque… Le Mouton : Un Met De Chevalier “A LA CHASSE” La grande chasse était l’habitude des riches et des pauvres : les uns avec des pièges humbles mais efficaces, les autres, nobles à la chasse rutilante accompagnés d’une inséparable sauvegarde de rabatteurs et d’autant de traqueurs préparant les bêtes pour les seigneurs, des maîtres et amis ou des parvenus invités par les maîtres. En ce temps-là – sous le règne d’Alphonse X le Sage – on verra que : (“les éleveurs et les chasseurs ne doivent être le clergé d’aucun ordre et ne doivent avoir aucun autour ou faucon pour chasser, car c’est sottise que de réveiller avec cela ce que l’on a crainte de donner aux pauvres…”) ( “...venadores nin cazadores no deven ser los clérigos de cualquier orden que quiera que sean ni deven tener azores, ni halcones para cazar, que desaguisada cosa es despertar en esto lo que son temidos de dar a los pobres...”). MANZANARES ET SON PARADOR 5 LES RECETTES SECRÈTES PERDRIX À LA MANIÈRE DE TOLÈDE La volaille est à la cuisine ce que la toile est au peintre. Le sage gastronome Enrique de Villena, auteur de « Arte Cisorio », nous offre une singulière recette du XVe siècle pour préparer la perdrix : Badigeonnées de jus de citron, d’orange ou de grenade, ou bien cuites avec un chaperon. Et l’archiprêtre de Hita lui-même prévient : « On mangeait souvent des poules chaperonnées… » (« Gallinas con capirota comían a menudo… ») A propos des perdrix, l’archiprêtre insiste, gourmand et glouton : on mange les plus petites perdrix… Des perdrix et du vin rouge. “A l’aube, la perdrix chanta, elle aurait mieux fait de dormir… “ (“…cantó al alba la perdiz, mas le valiera dormir…”). Et encore bien d’autres dictons : « la viande à plume ôte les rides du visage » (« carne de pluma quita del rostro las arrugas » « La soupe a sept vertus : elle chasse la faim, elle ne donne pas très soif, elle fait dormir et digérer, elle ne provoque jamais la colère, elle plaît toujours et elle donne des couleurs aux joues ». (“...Siete virtudes tiene la sopa: quitan el hambre, dan sed poca, hacen dormir y digerir, nunca enfadan, siempre agradan y crían la cara colorada.”). Routes Touristiques es surprenantes géographies – parfois inhospitalières, parfois plaisantes, capricieusement changeantes – embrassant les provinces d’Albacete, de Cuenca, de Ciudad Real et de Tolède, ont été le berceau et l’aliment éternel des utopies aventurières d’Alonso Quijano, l’Ingénieux Hidalgo. Un sage et savoureux mélange de drôles d’idées, et des sentences, sûr et ferme diagnostique de la tortueuse et contradictoire société de l’époque. Le Chevalier à la Triste Figure a parcouru toutes ces régions et plus encore. C Consuegra est une ville galante et énigmatique, aux ancêtres romains orgueilleux ; croisée cruciale d’une histoire longue et orageuse. Les montagnes, le château et ses moulins immortels profitent des baptêmes ou des saveurs et des tracas cervantesques : Vista Alegre, Rucio, Caballero del Verde Gabán, Alcancía, Clavileño, Cardeño, Chispas. Le village conserve l’ermitage du Christ, celui de Saint Jean (San Juan) ; le palais du grand peintre (Palacio del gran pintor), les Carmélites, le couvent de franciscains (convento de franciscanos) et le sépulcre de Diego, le fils du Cid Campeador. C’est à Puerto Lápice, croit-on, que don Quichotte fut armé chevalier. Cet endroit résume les airs et les saveurs de la Manche. Il garde encore quelques unes de ses « ventas » (auberges) historiques, des maisons rigoureusement blanchies à la chaux, des places géométriques et des grilles remarquables. Alcázar de San Juan est l’amant jaloux des arts et des cultures. On y montre des moulins, des maisons anciennes, des « quinterías ». On y voit de belles églises : Santa María, Santa Quiteria et San Francisco. Des mosaïques romaines aussi. moulins. Cela vaut la peine de visiter le « Caserón del Pósito Real » (le grenier royal), le couvent du Carmen, l’église de l’Assomption. Toutes les rues et les patios et certains de ses dix moulins qui soufflent encore un air quichotesque. Le Toboso montre l’ancienne maison de Dulcinée, une église du XVIe siècle et un très intéressant Centre Cervantin. Encore des moulins à Mota del Cuervo, village typique de la Manche aux vieilles et honorables maisons aux portes généreuses et aux fenêtres à panneaux. Il faut voir l’église paroissiale du XIIIe siècle. Belmonte, berceau de Fray Luis de León, est un impressionnant ensemble monumental aux portes et aux balcons constellés d’emblèmes et d’écussons. Il faut voir le château où l’on peut imaginer le duel de don Quichotte et du Chevalier de la Forêt. Prodigieuse Almagro lmagro est un autre prodige de la Manche. La ville est l’héritière splendide d’anciennes civilisations qui choisirent de s’installer dans les parages… Les Romains, les Wisigoths et les Musulmans traversèrent ces chemins et travaillèrent ces terres. A Même si l’on ne connaît pas ses origines avec précision, ce serait après la bataille des Navas de Tolosa que la domination militaire musulmane aurait disparu, mais en aucun cas la trace du passage et du séjours des arabes ne fut perdue ou oubliée ; leurs coutumes, leurs usages et leurs manières sont encore présents, vivants et vivifiants. En art, en artisanat et dans leur particulière idiosyncrasie. Même le langage envahit gourmandement la gastronomie. La ville fut repeuplée à l’aube du XIIIe siècle, peut-être en 1214, par l’évêque de Tolède Jiménez de Rada, qui apporta beaucoup à l’offensive victorieuse d’Alphonse VIII contre les armées almohades. A partir de là Almagro fleurit comme la mousse à la chaleur, en grande partie parce qu’elle devint le siège du tout-puissant Ordre de Calatrava, aux pouvoirs, aux influences et à la domination s’étendant sur presque toute la Manche. A ses meilleurs moments, l’Ordre dominait 74 villes, 56 « encomiendas » et 16 priorats. C’est précisément dans cette ville que furent convoquées les Cortes de 1263 par Alphonse X le Sage, certainement pour réduire le tout-pouvoir des « calatravos ». Une très forte rivalité se produisit alors entre les deux villes qui en vinrent même parfois aux affrontements armés. Finalement la péninsule en termina avec le voisinage musulman après la prise de Grenade et les ordres militaires disparurent. Cela n’empêcha pas la grande splendeur de la renaissance d’Almagro, encouragée par l’arrivée de puissants personnages comme les Fugger ou Fucares et autres banquiers royaux qui amassèrent d’immenses fortunes avec l’exploitation des mines d’Almadén. L’empereur Charles Quint lui-même octroya la licence royale pour la création de l’Université d’Almagro, de même rang que celle d’Alcalá. Campo de Criptana est un village blanc et soigné encadré par les MANZANARES ET SON PARADOR 6 Le « Corral de Comedias », monument national, conserve la structure originale des théâtres du XVIIe siècle. Ancienne auberge, c’est aujourd’hui le rendez-vous ponctuel et obligé des festivals de théâtre classique. Le parador de tourisme est en plus un bâtiment monumental à la valeur et au confort singulier. La ville peut avec fierté se vanter de posséder un précieux exemple de bâtiments monumentaux pour l’admiration et le plaisir de l’étranger : le quartier noble, la singulière plaza mayor, le monastère des Dominicaines… LAS TABLAS DE DAIMIEL Las Tablas de Daimiel, de 1800 hectares, sont une des réserves écologiques dont la valeur a été soulignée par don Juan Manuel dans son « Libro de la Caza » (livre de la chasse), au XIVe siècle. On les appelle « tablas » à cause des débordements naturels presque permanents de leurs fleuves, le Ciguela et le Guadiana dans le cas de Daimiel. Entre les « tablas » et les îles : celle de Moreno, celle de Zancos, celle d’Amos et celle de Pan, la plus grande. Le « palustre » et le « mariegal » constituent la végétation dominante. Sa faune (des espèces menacées d’extinction) accueille des brochets, des barbeaux, des carpes, des grenouilles, des salamandres, des tortues, des putois, des renards, des loutres, des lièvres, des sangliers, des aiglons… Personne ne peut dire combien de temps durera la promenade, qui sera obligatoirement lente. Parador de Manzanares Autovía Andalucía, km. 174. 13200 Manzanares (Ciudad Real) Tel.: 926 61 04 00 - Fax: 926 61 09 35 e-mail: [email protected] Centrale de Reservations Requena, 3. 28013 Madrid (España) Tel.: 902 54 79 79 - Fax: 902 52 54 32 www.parador.es / e-mail: [email protected] Textos: Juan G. D’Atri y Miguel García Sánchez Dibujos: Fernando Aznar MANZANARES ET SON PARADOR 7