Livre premier — Les événements politiques de 1226 à 1285
Chapitre I — La minorité de Louis IX
I. BLANCHE DE CASTILLE, SON ENTOURAGE ET SES ADVERSAIRES
LA mort subite, suspecte, de Louis VIII ouvrit en France une crise. L’héritage de haines que
Philippe Auguste et Louis VIII avaient accumulé pendant trente années de conquêtes fut
dévolu, en novembre 1226, à un enfant de douze ans ; et, par là, la France et la
monarchie, si prospères au commencement du XIII
e
siècle, semblèrent, du jour au
lendemain, en péril.
Louis VIII, à son lit de mort, avait déclaré que son successeur, avec le royaume, et ses
autres enfants mineurs devaient être, jusqu’à leur majorité, sous le « bail » (en la garde)
de la reine Blanche, sa veuve.
L’archevêque de Sens, les évêques de Chartres et de
Beauvais l’affirmèrent par écrit. Cette désignation in extremis, faite au détriment des
princes du sang, ne fut pas sérieusement discutée. Le droit public de la monarchie était
encore souple, informe. Les ennemis de la reine Blanche, qui l’ont accablée d’injures, ne se
sont jamais unis pour l’accuser d’avoir usurpé la régence ou de prolonger illégalement la
minorité de son fils. Les barons de France acceptèrent, en fait, sans poser la question de
droit, que la reine fût préposée, de par la volonté du roi défunt, au gouvernement du
royaume. C’est ainsi que la défense des traditions capétiennes fut remise, en des
circonstances difficiles, à une femme étrangère.
LA REINE BLANCHE DE CASTILLE.
La reine Blanche était la fille d’Aliénor d’Angleterre et d’Alphonse le Noble de Castille, la
sœur de Bérengère de Léon, cette princesse virile qui sut se débrouiller au milieu des
intrigues violentes de la noblesse castillane, et qui fit de Ferdinand III, son fils, un roi et un
saint. Amenée en France à douze ans, en 1200, elle n’était jamais, depuis, sortie du
royaume ; mais elle n’avait pas oublié l’Espagne : il y eut toujours des dames et des
serviteurs espagnols dans sa maison ; elle recevait souvent de là-bas, et elle y envoyait
des messages et des cadeaux. Femme du prince Louis, elle avait été une épouse féconde,
fidèle, active ; lorsque Louis, appelé en Angleterre par les ennemis du roi Jean, avait vu ses
affaires compromises, Blanche avait organisé à Calais une flotte de secours. Un conteur
populaire du XIIIe siècle, le Ménestrel de Reims, rapporte à ce sujet une anecdote, qui,
vraie ou fausse, peint le caractère attribué par les contemporains à la bru de Philippe
Auguste. Le prince Louis, à bout de ressources, serré de près par les Anglais, avait en vain
demandé de l’argent à son père. « Quand madame Blanche le sut, elle vint au roi et lui dit
: Laisserez-vous ainsi mourir mon seigneur, votre fils, en pays étranger ? Sire, pour Dieu, il
doit régner après vous, envoyez-lui ce qu’il lui faut, et d’abord les revenus de son
patrimoine. Certes, dit le roi, Blanche, je n’en ferai rien. Non, sire ? Non vraiment, dit le
roi. Par le nom de Dieu, dit madame Blanche, je sais, moi, ce que je ferai : j’ai de beaux
enfants de mon seigneur ; je les mettrai en gage, et je trouverai bien quelqu’un qui me
prêtera sur eux. Et elle s’en alla
comme folle ; mais le roi la fit rappeler et lui dit : Blanche,
je vous donnerai de mon trésor autant comme vous voudrez ; faites-en ce que vous
voudrez ; mais sachez, en vérité, que je ne lui enverrai rien. Sire, répondit madame
Blanche, vous dites bien. Et alors un grand trésor lui fut délivré, qu’elle envoya à son
seigneur. » Voilà tout ce que l’on sait d’elle avant le moment où la mort de son mari lui
imposa de grandes responsabilités.
SES CONSEILLERS.
Autour d’elle, pour l’assister, il y avait des hommes d’expérience, vieillis à la cour de
Philippe Auguste. Frère Guérin, chevalier de l’Hôpital, un des héros de Bouvines, devenu
évêque de Senlis et chancelier de France, que l’on considérait en novembre 1226 comme «