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Nostra Aetate : le levain dans la pâte
Conférence du Jeudi 17 mars 2016
Au temple 4, rue Villars Aix-en-Provence
par Bernadette Avon pour l'AJC Aix-en-Provence
Introduction
Si tous les catholiques savent que leur Église a tenu un concile appelé Vatican II (11 octobre 1962 -
8 décembre 1965 en 4 sessions), voulu par le pape Jean XXIII, peu nombreux sont ceux qui savent
ce qu’ils lui doivent. Et encore plus rares sont ceux qui savent de quoi il retourne lorsqu’on évoque
le texte « Nostra Ætate », un des derniers documents à avoir été promulgué (28 octobre 1965).
- Les buts du concile 1
Selon le discours d’inauguration du concile par Jean XXIII, le 11 octobre 1962, il est d’abord affirmé
que « la doctrine de l’Église est immuable et doit être fidèlement respectée. » Toutefois la tâche du
concile est de la présenter « de la façon qui répond aux exigences de notre époque » (ea ratione
quam tempora postulant nostra).
Et, dans les exigences de l’époque, il y a un mouvement au XIXe siècle qui a pris de l’ampleur
après la seconde guerre mondiale : le mouvement œcuménique2. Le pape lui accorde une telle
importance que dès l’annonce du concile il émet le souhait de l’ouvrir à des observateurs des
autres confessions chrétiennes, chose qui ne s’était jamais faite. Et pour cela, dès 1960, il crée une
commission qui devient très vite un secrétariat pour l’Unité des chrétiens qu’il confie au cardinal
Bea en tant que président et au cardinal Willebrands comme secrétaire3. À peu près dans le même
temps, Jean XXIII va aussi se préoccuper des relations de l’Église avec le judaïsme.
Paul VI, qui succède à Jean XXIII, assigne quatre objectifs au concile dans son discours d’ouverture
de la seconde session :
- l’approfondissement de la doctrine de l’Église,
- le renouveau de l’Église à travers un retour à ses traditions les plus « authentiques et
fécondes »,
- la recomposition de l’unité entre tous les chrétiens,
- l’ouverture d’un dialogue avec le monde contemporain.
- Quelques précisions techniques sur les documents du concile
À partir de ces objectifs, on peut comprendre pourquoi le concile a promulgué 16 textes en 3
types de documents : 4 constitutions, 9 décrets et 3 clarations. Si on fait ces distinctions, ce
n’est pas tant à cause d’une différence de leur importance théologique, quoique ce sera sur cet
argument que leurs détracteurs s’appuieront, que par rapport au sujet traité et à la manière de le
traiter.
En effet s’agit-il d’affirmer l’immuabilité de la doctrine, on aura des constitutions, s’agit-il de
répondre aux exigences de l’époque, on aura des décrets. S’agit-il d’un domaine non encore
1 IIe concile œcuménique du Vatican, consultation Wikipédia consultation 25 janvier 2016
2 Origine de l’œcuménisme Wikipédia consultation 5 mars 2016. h oikoumenh = la terre habitée
3 Théo 1992, p. 585
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abordé par les différents conciles, on aura des déclarations4. On peut dire aussi à propos des
déclarations, qu’elles permettent un réel temps d’adaptation liée à la réflexion en tenant compte
de l’évolution de la pensée, de la prise de conscience des problèmes.
Mais si les constitutions et les décrets, dans un esprit de continuité, font toujours référence à la
Tradition, c’est-à-dire aux Pères de l’Église et aux différents conciles, ce n’est pas le cas des
déclarations parce qu’elles ont un aspect de nouveauté qui défie l’histoire.
Les 3 déclarations ont concerné5 : l’éducation, la liberté religieuse et les relations avec les religions
non chrétiennes. C’est celle-ci qui nous intéresse aujourd’hui et tout particulièrement le §4 qui
concerne les relations avec le judaïsme6.
Ajoutons que les déclarations ne sont pas venues ex nihilo, elles sont profondément liées à
l’expérience humaine qui a fait mûrir les choses, et spécialement l’expérience des guerres, la 2e
guerre mondiale en particulier, avec d’un côté la fraternité dans les situations de combat et de
résistance et, d’un autre côté, l’horreur de la Shoah. Pouvait-on continuer à se combattre, à
chercher à se convertir, à s’ignorer ?
3 parties
- une petite histoire de la rédaction d’un grand document
- les conséquences de la publication d’un tel document
- la situation actuelle
1 e
partie : petite histoire de la rédaction d’un grand document
- Les événements qui ont préparé Nostra Ætate
Plusieurs événements ont contribué à préparé Nostra Ætate. Je retiendrai essentiellement :
- La dénonciation par Jules Isaac de l’enseignement du mépris.
- La conférence interreligieuse de Seelisberg en Suisse, du 30 juillet au 5 août 1947 qui visait à
étudier les causes de l’antisémitisme chrétien7.
- La rencontre, le 13 juin 1960, entre Jean XXIII et l’historien Jules Isaac, fondateur avec Edmond
Fleg de l’Amitié judéo-chrétienne. À La fin de l’entretien Jules Isaac avait demandé à Jean XXIII :
« Pouvons-nous espérer une révision de l’attitude de l’Église vis-à-vis de notre peuple ? » Ce à quoi
4 - Une constitution a une valeur doctrinale ferme et permanente, elle s’impose d’emblée.
- Un décret est un ensemble de décisions ayant une portée pratique pastorale et disciplinaire pour notre
temps.
- Une déclaration se hasarde dans un chemin neuf et donne des orientations, c'est-à-dire des pistes de
réflexion et de comportement dans l'état actuel du monde et de la recherche.
5 Gravissimum educationis, sur l’éducation chrétienne promulguée le 28 octobre 2965
Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec les autres religions promulguée le 28 octobre 1965
Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse, promulguée le 7 décembre 1965
6 http://www.notredamedesion.org/fr/dialogue Deux pionniers : le pape Jean XXIII et le cardinal Bea.
7 70 personnalités de 17 pays
- 28 juifs dont Jules Isaac et le rabbin Jacob Kaplan
- 23 protestants
- 9 catholiques dont l’abbé Charles Journet, un des rédacteurs la constitution conciliaire
« Gaudium et Spes » (l’Eglise dans le monde de ce temps) et ami de Jacques Maritain et le P. Démann,
NDS, Cahiers Sioniens, ami de J. Isaac
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Jean XXIII avait répondu : « Vous avez droit à plus que de l’espoir. » Et le pape avait demandé à
l’historien de voir le cardinal Bea ; ce sera fait le 15 juin8.
- La genèse d’un « document sur les juifs »
Jean XXIII était depuis longtemps sensibilisé au judaïsme et à la question juive. Il ne pouvait
oublier l’horreur de la shoah et sa propre impuissance à procurer aux juifs plus qu'une aide
individuelle et restreinte, alors qu'il était Délégué apostolique à Istanbul (1935-1944). Comme
pape, il avait déjà donné l'ordre de supprimer le mot « perfide » dans la prière traditionnelle du
Vendredi Saint (1959). Mais lorsque la même année il demanda aux 2.594 évêques de lui
soumettre des suggestions pour des sujets à traiter au Concile, il ne reçut d'eux que fort peu
d'encouragements explicites quant à sa sollicitude pour les juifs9.
Dans les sept gros volumes de réponses, Thomas Stransky10 n’a trouvé qu'une seule référence
mais combien significative ! aux juifs. Un prélat d'Amérique Latine plaide pour la «
condamnation de toute persécution contre les juifs pour des raisons religieuses ou ethniques ».
Mais il ajoute : « le Concile ne doit pas oublier les faits du passé et les claires affirmations du
judaïsme international ; pendant des siècles les chefs de ce judaïsme ont méthodiquement conspiré
avec une haine sans répit contre le nom de catholique et ils préparent la destruction de l'ordre
catholique et la construction d'un Judaïsme impérialiste mondial. Devons-nous haïr ? Non ! Mais
vigilance, charité, combat systématique contre le combat systématique de cet 'Ennemi de
l'Homme' dont l'arme secrète est le ferment des pharisiens, c'est à dire l'hypocrisie. »
Par contre, les universités catholiques et les instituts supérieurs d'enseignement qui avaient aussi
reçu officiellement des demandes de suggestions vont donner d’autres réponses. Celle de l'Institut
Biblique Pontifical dont le P. Bea était ancien recteur (1930-1949), comprenait une section, « De
antisemitismo vitando » (pour se garder de l’antisémitisme), l'on donnait des raisons bibliques
positives pour rejeter la notion bien trop répandue de « malédiction », «réprobation », ou «
responsabilité collective » des juifs dans la mort de Jésus, ainsi que l'idée d'un châtiment divin qui
en serait la conséquence, les condamnant à une errance perpétuelle. Le P. Bea, devenu évêque et
bientôt cardinal est donc apparu comme celui qui était à même de s’occuper du problème.
Qui est le cardinal Bea ?
- Le cardinal Bea
C’est un jésuite, bibliste, dont la passion pour l’Écriture s’est éveillée en même temps que son
intérêt pour la destinée du peuple juif, lorsqu’il est chargé d’enseigner l’Ancien Testament au
théologat de Valkenburg (1917-1921). Dès 1924, il est appelé à Rome pour enseigner la théologie
biblique à l’université pontificale grégorienne, puis il devient recteur de l’institut biblique et inspire
largement l’encyclique de Pie XII11 « Divino afflante Spiritu » de 1943 qui traite de l’étude moderne
des Écritures saintes12.
8 Sources n° 2
9 Sources n° 2
10 Sources n° 2
11 Bea a été le confesseur de Pie XII.
12 Le cardinal Bea, wikipédia consultation du 28 janvier 2016
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Et c’est à lui13 que Jean XXIII confie la tâche de travailler et de présenter le texte sur les relations
avec le judaïsme, qui deviendra la 4e partie de la déclaration Nostra Ætate. Le cardinal Bea dira
plus tard que la question des relations avec les juifs lui tenait particulièrement à cœur. C’était pour
lui un problème personnel et spirituel. Et comme il était déjà chargé du secrétariat pour l’unité des
chrétiens, c’est tout naturellement que les relations avec le judaïsme vont se trouver intégrées à
ce secrétariat, et sont toujours liées à lui. Depuis on a argumenté sur le fait que le christianisme
étant du judaïsme, les relations avec le judaïsme sont des relations « ad intra », internes à
l’Église elle-même.
Mais il n’était pas le seul à porter ce souci majeur. En France, les sœurs de Notre Dame de Sion le
partageaient déjà largement…
- La congrégation NDS
Notre-Dame de Sion, couramment abrégé en NDS, est une congrégation religieuse catholique
fondée en 1843 par Théodore et Alphonse Ratisbonne, deux juifs convertis au catholicisme.
L'histoire de la congrégation se confond avec celle des relations entre judaïsme et christianisme.
En effet, la spiritualité de la congrégation se caractérise par une conscience de l’enracinement de
la foi chrétienne dans le peuple juif. D'après son texte fondateur : « La Congrégation a été fondée
pour témoigner, dans l’Église et dans le monde, de la fidélité de Dieu à son amour pour le peuple
juif et pour travailler à l’accomplissement des promesses bibliques, révélées aux patriarches et aux
prophètes d’Israël pour toute l’humanité » (Const. 2).
Mais, la congrégation a d'abord été fondée dans un esprit missionnaire : convertir les juifs au
christianisme, les choses ne commencent à changer qu’à partir de l’expérience de la Seconde
Guerre mondiale nombre des membres de la congrégation vont secourir des familles juives.
Mais le drame de l’affaire Finaly entache encore pendant plusieurs années les orientations de la
congrégation. Le changement d’optique, c’est-à-dire désormais le refus de tout prosélytisme ou
tentative de conversion envers le peuple juif, est total à partir du concile. Et la congrégation
devient alors, dans le monde catholique l'un des principaux acteurs du dialogue avec le judaïsme,
dans le respect de cette religion.
- La naissance d’un document
- Dès l’automne 1960, donc après la visite de Jules Isaac au pape, la presse avait fait état d’une
possible invitation d’observateurs juifs au Concile. L’atmosphère autour de la question n’a pas
tardé à devenir orageuse. Les milieux religieux juifs se divisent, les milieux politiques israéliens
s’intéressent, les milieux arabes s’inquiètent, décelant dans la démarche conciliaire un pas vers
une future reconnaissance officielle de l’État d’Israël. Alors que pour les autorités du Concile, la
question est purement religieuse, elle devient vite une affaire politique. Les patriarches des Églises
orientales s’inquiètent des conséquences pour leurs communautés. Les rumeurs se multiplient,
surgissent les menaces…14
13 Jean XXIII le crée cardinal en décembre 1959, pour lui donner le poids nécessaire pour contacter les Églises et
communautés chrétiennes non catholiques et créer un réseau d’observateurs qui participeront au concile. C’est
la première fois qu’une telle initiative est prise. Pour ces Églises et ces communautés, tout est neuf, et leur
méfiance séculaire vis-à-vis de l’Église catholique doit être surmontée. Bea sera vraiment la cheville ouvrière des
contacts œcuméniques avant et durant le concile Vatican II. Ensuite il sera le premier président du Conseil
pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens. Grand architecte de l’amélioration des rapports de l'Église
catholique avec les autres confessions chrétiennes.
14 Sources 3
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- En 1961, le Secrétariat pour l’unité des chrétiens rédige un projet de décret ‘Sur les Juifs’. Le
cardinal Bea en donne les raisons et fute toute contre-indication, la question juive au Concile
étant exclusivement religieuse, sans la moindre implication politique. Le sujet pourrait être
présenté en schéma indépendant ou intégré dans un autre schéma idoine14.
- Mais au vu des réactions, en juin 1962, donc avant la 1e session du concile, il est décidé de retirer
le document ‘sur les Juifs’.
- Du côté de NDS14, on avait reçu une note conclusive de la rencontre de Jules Isaac avec Jean XXIII
(du 13 juin 1960). D’après cette note, Jules Isaac avait fait au pape une suggestion : ne pourrait-on
penser à une « sous-commission » conciliaire chargée spécialement d’étudier la grave question de
l’enseignement chrétien concernant le peuple de l’Ancien Testament, le « Vieil Israël » ? « Nous
sommes, disait-il, j’en ai la conviction, nombreux à former d’un cœur fervent et plein d’espoir, le
vœu que le Saint Père non seulement envisage et adopte l’idée de cette création, mais encore, pour
lui donner plus de résonance - qu’il veuille l’annoncer sous telle ou telle forme qu’il lui plaira et qu’il
en montre à tous les fidèles la très haute signification. » Et la note se terminait ainsi : « Présentant
de telles requêtes, j’ai pleinement conscience de mon audace, mais j’ai aussi conscience de parler
au nom des martyrs de tous les temps. Mes épreuves, mes deuils, les recommandations suprêmes
que j’ai reçues, m’ont confirmé que c’était vraiment une mission sacrée. J’ai survécu pour
l’accomplir. » Suivaient deux références à l’Écriture : l’une tirée de Luc (1, 46-50) : « Il a secouru
Israël, se souvenant de sa miséricorde, comme il l’avait promis à nos Pères, envers Abraham et sa
semence pour toujours ». Et l’autre tirée de l’Épître aux Romains (11, 32) : « Les dons et l’appel de
Dieu sont sans repentance, car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire
miséricorde à tous ».
- En juillet 1962, les sœurs apprennent qu’une action devait être menée par les évêques au Concile
et que pour la 1e fois, la « question juive » serait officiellement abordée. Mais on a vu que le
document a été retiré avant même la 1e session.
- C’est seulement quelques semaines avant la 2e session qu’un petit groupe des sœurs de NDS qui
s’est nommé lui-même « Centre pour Israël » va mener une certaine action. Il s’agissait d’obtenir,
dans un texte conciliaire une définition du peuple juif qui rende à ce peuple sa juste place dans
une vision chrétienne du Salut. Et il fallait joindre les évêques les plus susceptibles de s’intéresser
au projet14.
- Les sœurs contactent d’abord Mgr Villot qui les prévient que la question d’Israël n’a pas encore
« affleuré » à la conscience de l’ensemble des Pères conciliaires. Il conseille d’atteindre d’autres
évêques pour « climatiser » l’assemblée à travers des contacts. En France ce sera Mgr Martin à
Rouen qui est coordinateur des initiatives conciliaires, le cardinal Bea à Rome qui a toute la
confiance de Jean XXIII et a obtenu de lui, le 13 décembre 1962, la réinsertion du schéma sur les
juifs au programme du concile, en Belgique le cardinal Suenens.
- Le 9 septembre 1963, sœur Marie Bénédicte rencontre Mgr Martin qui suggère deux idées :
trouver des théologiens et relancer en France d’autres évêques dont Mgr Veuillot qui prend en
compte la proposition des sœurs sur la théologie de l’œcuménisme avec le peuple juif. Il les envoie
au P. Congar qui leur demande de présenter leurs idées dans une suite logique et de faire une
conclusion. Elles vont alors rencontrer le P. Hruby qui était d’origine juive et qui demande la
participation d’un protestant ce sera le Pasteur Richard-Mollard. Et les sœurs présentent les 4
propositions qu’elles ont rédigées :
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