Les dons et l`appel de Dieu sont irrévocables

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Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables
Présentation et commentaire du texte de la Commission du Saint-Siège pour les
relations religieuses avec le judaïsme,
publié à l’occasion du 50e anniversaire de Nostra Aetate (novembre 2015)
Présentation
À l’occasion du 50e anniversaire de la déclaration conciliaire Nostra Aetate sur les
relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes, la Commission du
Saint-Siège pour les relations avec le judaïsme a publié un nouveau document intitulé
« Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (cf. Rm 11, 29).
Qu’est-ce que ce document ?
Une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs. Elle comprend 7
chapitres précédés d’une préface qui présente le propos : porter un regard plein de
gratitude sur ce qui s’est passé depuis la promulgation de NA et désirer de donner une
« nouvelle impulsion pour l’avenir ».
La préface énonce les principaux sujets qu’aborde le document sur le plan théologique :
- importance de la Révélation
- rapport entre ancienne et nouvelle Alliance
- rapport entre universalité du salut en Jésus et affirmation que l’Alliance de Dieu
avec Israël n’a jamais été révoquée
- mandat de l’Église d’évangéliser en relation avec le judaïsme.
Elle comporte aussi un avertissement au lecteur portant sur le statut de ce document,
son poids, il nous est dit qu’il ne s’agit :
- ni d’un document magistériel
- ni d’un enseignement doctrinal
- mais d’une réflexion de la Commission du Saint-Siège pour les relations avec le
judaïsme : « Un point de départ […] destiné à enrichir ou à intensifier la dimension
théologique du dialogue juif-catholique ».
Critique :
- on peut regretter le manque de poids puisque la tradition catholique aime les
positions dogmatiques
- on peut apprécier la liberté laissée à chaque lecteur / utilisateur d’en faire sa
propre analyse.
Qui présente ce document ?
- le cardinal Kurt KOCH, président de la Commission du Saint-Siège pour les
relations avec le judaïsme
- l’évêque Brian FARRELL, qui en est le vice-président
- le P. Norbert HOFMANN, SDB son secrétaire
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La réponse du judaïsme
Ce texte a suscité une réponse de la part du judaïsme avec un document intitulé « Entre
Jérusalem et Rome » avec en sous-titre : « le partage de l’universel et le respect du
particulier. Réflexions sur le cinquantième anniversaire de Nostra Aetate ». Ce document
a été adopté par la Conférence des Rabbins Européens le 10 février 2016 et a ensuite été
approuvé à l’unanimité moins deux abstentions le 8 mars 2016 par le Comité exécutif du
Conseil des Rabbins Américains.
Je ne vais pas faire ici une lecture littérale des deux documents, mais je me propose de
relever quelques points du document catholique qui m’ont paru plus particulièrement
intéressants en notant les réactions qu’on peut trouver dans le document juif.
Le chapitre 1 du document catholique commence par un rappel historique des
événements qui ont fait suite à la publication de Nostra Aetate 1.
Le texte fait en particulier référence aux documents romains qui ont vu le jour depuis :
- « Orientations et suggestions pour l’application de la déclaration conciliaire
NA » : 1er décembre 1974 / 3 janvier 1975. Le document fait des suggestions
concrètes en particulier en ce qui concerne l’annonce de la foi « dans le plus
rigoureux respect de la liberté religieuse telle qu’elle a été enseignée par le II e
concile du Vatican. »
- « Notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la
prédication et la catéchèse de l’Église catholique » : mai 1985. Le document
rappelle en particulier la pérennité d’Israël, les liens des juifs avec la terre d’Israël
et amorce en quelque sorte la reconnaissance de l’État d’Israël qui interviendra
en 1993.
- « Nous nous souvenons : une réflexion sur la shoah » : de mars 1998 avec pour
introduction une lettre du pape Jean-Paul II au cardinal Edward Idris Cassidy,
lequel cardinal est alors le président de la commission pour les rapports religieux
avec le judaïsme. Ici tout le document est sur la shoah.
L’autre élément à souligner dans ce chapitre est la question que s’est posée l’Église
catholique au vu des réactions favorables côté juif : avec qui dialoguer vu la diversité
des courants du judaïsme ?
Une suggestion faite par l’Église catholique a conduit à créer une unique organisation
pour ce dialogue : le comité juif international pour les consultations
interreligieuses l’IJCIC qui dialogue avec la commission du Saint-Siège pour les
relations religieuses avec le judaïsme. Début des travaux de l’IJCIC : 1970. 1e rencontre à
Paris en 1971.
L’évolution : « l’ancienne coexistence marquée par les tensions a cédé le pas à des
échanges réguliers et féconds » (§10)
Depuis une autre instance s’est mise en place : les conversations institutionnelles
avec le Grand Rabbinat d’Israël, tous les ans, tantôt à Rome, tantôt à Jérusalem (§11)
depuis juin 2002.
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Notons que, pour certains, la déclaration avait été décevante parce qu’elle ne mentionnait ni la shoah, ni
l’État d’Israël, tandis que pour d’autres, au vu de l’état des relations entre le catholicisme et le judaïsme,
elle apparaissait comme une grande avancée.
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Lors de ces conversations, « les thèmes abordés évitent soigneusement les questions liées
aux principes doctrinaux fondamentaux et abordent plutôt un large spectre de défis
scientifiques et sociaux contemporains »2 : la sainteté de la vie, le statut de la famille, la
place des Saintes Écritures dans la vie en société, la liberté religieuse, les fondements
éthiques du comportement humain, la sauvegarde de l’environnement, les rapports
entre les autorités civiles et religieuses, les qualités essentielles du leadership religieux
dans les sociétés laïques (§11).
« Catholiques et Juifs reconnaissons les uns comme les autres que notre fraternité ne
saurait faire disparaître d’un coup de balai nos différences doctrinales ; elle renforce
cependant une authentique bienveillance mutuelle envers les valeurs essentielles que nous
partageons et qui, si elles ne s’y limitent pas, englobent la vénération de la Bible
hébraïque »3
Tout cela aboutit à la publication de déclarations conjointes.
La conclusion de ce premier chapitre du document catholique (§13) est à souligner : « Le
dialogue n’est pas seulement un choix, mais un devoir. » Et malgré les difficultés certaines
liées aux convictions chrétiennes (annonce de Jésus comme Seigneur et Messie), on peut
reconnaître qu’il y a une « riche complémentarité qui nous permet de lire ensemble les
textes de la Bible hébraïque. »
Les deux chapitres suivants abordent justement les difficultés doctrinales, la différence
fondamentale entre judaïsme et christianisme. Alors que le message central de Jésus sur
le règne de Dieu est en accord avec un courant de pensée juive de son temps, c’est dans
la représentation de la personne de Jésus qu’en a fait la foi chrétienne que la différence
est fondamentale. Le document juif « Entre Jérusalem et Rome » insiste sur cette
différence qu’il qualifie de « séparation irréductible ».
Mais le chapitre 2 du document catholique rappelle aussi que, pour que les Chrétiens
comprennent ce qu’ils sont, ils doivent nécessairement se confronter au judaïsme (§14).
Et du coup peut-on vraiment qualifier ce dialogue « d’interreligieux » ? (§15).
L’expression relève de l’analogie car on n’a pas affaire à deux religions
fondamentalement différentes, sans influence réciproque. Ici, l’une est née de l’autre. Et
même plus précisément « le judaïsme du temps de Jésus est le terreau qui a nourri aussi
bien les juifs que les chrétiens ». Les juifs d’après la destruction du second temple n’ont
plus de culte, mais se recentrent sur la prière et l’interprétation de l’Écriture. « Juifs et
chrétiens sont donc nés de la même mère et peuvent être considérés comme appartenant à
la même fratrie ».
Après une réflexion assez longue sur la séparation qui rappelle notamment les propos
des Pères de l’Église, la théologie de la substitution, l’interprétation de la lettre aux
Hébreux… Le document (§19) montre à quel point le rapport entre judaïsme et
christianisme est différent des rapports entre le christianisme et les autres religions,
mais leur a servi de « catalyseur ». Et donc plutôt que de parler de dialogue
interreligieux, il propose de parler de dialogue « intra-religieux » ou « intra-familial ». Ce
qui renvoie à la terminologie de Jean-Paul II : « nos frères préférés », « nos frères aînés ».
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« Entre Jérusalem et Rome, Réflexions sur le 50e anniversaire de Nostra Aetate », document des Rabbins
européens du 10 février 2016.
3
cf. note précédente
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Le chapitre 3 rappelle le choix que Dieu fait d’Israël, la fidélité de l’engagement divin
(§22), puis pose l’affirmation chrétienne de l’Église appelée « nouveau peuple de Dieu »
sans que pour autant le peuple d’Israël ne soit plus le peuple de Dieu. Là, n’est-on pas en
pleine contradiction ? L’interprétation se veut tout à fait respectueuse de la continuité
des promesses divines. Mais la formulation est ambiguë (§23).
Le paragraphe (§24) semble permettre de sortir de l’ambiguïté en reprenant les paroles
même du pape François : « Les Confessions chrétiennes trouvent leur unité dans le Christ,
le judaïsme trouve son unité dans la Torah… ». Idée complétée par le paragraphe suivant
(§25) : « Le judaïsme et la foi chrétienne […] sont deux modalités par lesquelles le peuple
de Dieu fait siennes les Écritures sacrées d’Israël. » La volonté de salut de Dieu est
universelle.
Mais la conclusion qui est tirée de cela : « il n’y a pas deux voies de salut » mais une seule
me paraît bien retomber dans l’ambiguïté peut-être à nouveau sauvée par la dernière
proposition : « la Parole de Dieu est une réalité une et indivisible qui prend une forme
concrète dans chaque contexte historique particulier. »
Quant au dernier paragraphe (§26) du chapitre qui compare la Torah et le Christ, il
apparaît comme particulièrement difficile à entendre dans un contexte non chrétien.
Le chapitre 4 est consacré au rapport entre Ancien et Nouveau Testament. Il rappelle
d’abord l’élection liée à l’alliance antérieure (ou aux alliances antérieures), la nécessité
de sa (leur) pérennité et le rejet du marcionisme.
Au paragraphe (§30) alors que les chrétiens pourraient considérer que le Nouveau
Testament est l’accomplissement de l’Ancien Testament et donc que ce dernier n’est que
l’annonce du Nouveau Testament, le document souligne que les juifs ont eux aussi dû
revoir l’interprétation de l’Écriture à la suite de la destruction du temple.
Résultat (§31) : deux types de réponses à cette situation, l’exégèse christologique et
l’exégèse rabbinique. Mais comme cela s’est fait en parallèle, quels liens pouvait-il
encore exister entre les deux ?
C’est le rôle de la rencontre de découvrir ce lien : faire dialoguer les deux façons de lire
les Écritures. Reconnaître une riche complémentarité et nous aider à approfondir les
richesses de la Parole4.
Le discours de Paul, mis en relief en conclusion du chapitre, rappelant que l’ancienne
alliance est toujours en vigueur, mais que sur la racine judaïque ont été greffés des
rameaux qui n’en viennent pas, d’où « une nouvelle réalité et une nouvelle dimension de
l’œuvre salvifique de Dieu » me semble pouvoir être entendu comme une explication du
mot « accomplissement » qui revient régulièrement dans le discours chrétien.
Le chapitre 5 revient sur la question théologique abordée en 2 et 3.
Puisque « les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » il ne peut y avoir deux voies de
salut, mais alors comment comprendre l’universalité du salut en cas de non
reconnaissance de l’unique médiateur que proclame le christianisme en Jésus
Christ ?
4
Cf. Document de la Commission biblique de 2001 : que les chrétiens admettent la lecture juive de la Bible
comme valable et pas question de réduire les deux lectures l’une à l’autre.
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La réponse « c’est un mystère divin insondable ». Et le document conclut sur une citation
de Bernard de Clairvaux disant que pour les juifs « un point déterminé dans le temps a été
fixé et ne peut pas être anticipé ».
Pirouette ?
Peut-être, mais qui ouvre à la réflexion du chapitre 6 sur la notion de mission aux
juifs
Pas question d’une évangélisation comme celle pratiquée vis-à-vis des tenants d’autres
religions. Encore que, me semble-t-il, il y aurait aussi des choses à dire là-dessus. Mais
vis-à-vis des juifs, la proposition est de « rendre témoignage avec humilité et délicatesse »
en gardant à l’esprit que « les juifs sont dépositaires de la Parole de Dieu et en gardant
toujours présente à l’esprit l’immense tragédie de la shoah ».
Il me semble qu’on pourrait s’inspirer là de ce que dit François d’Assise lorsque, revenu
de sa rencontre avec le sultan Al Malik al Kamil, il recommande ceci à ses frères : « 6Les
frères qui s’en vont ainsi (ceux qui ont reçu l’inspiration que c’était là leur mission et avec
l’autorisation de leur ministre et serviteur) peuvent envisager leur rôle spirituel de deux
manières 7ou bien ne faire ni procès ni disputes, être soumis à toute créature humaine à
cause de Dieu et confesser simplement qu’il sont chrétiens. 8Ou bien, s’ils voient que telle est
la volonté de Dieu annoncer la Parole de Dieu » etc…5.
Le chapitre 7 qui est aussi la conclusion du document concerne les objectifs du dialogue
avec le judaïsme :
- approfondir la connaissance mutuelle
- ne pas réserver le dialogue aux spécialistes
- s’engager en commun pour la justice et la paix dans le monde, la préservation de
la création et la réconciliation
- s’engager en commun en s’opposant à toutes les manifestations de
discrimination raciale contre les juifs et toutes formes d’antisémitisme
- manifester la justice et la paix de manière tangible : témoigner de l’amour et de
la sollicitude de Dieu.
Quant au document « Entre Jérusalem et Rome », à la suite des deux premiers
documents publiés dans la foulée du 50e anniversaire de Nostra Aetate :
- déclaration pour le jubilé à venir
- déclaration du rabbinat orthodoxe
il reconnaît formellement les changements de comportement et d’enseignement de
l’Église catholique, reconnaît, en connaissance de cause, les dangers qui menacent les
Chrétiens du Moyen Orient et d’ailleurs, encourage les autres confessions chrétiennes à
suivre l’exemple de l’Église catholique et promeut comme elle l’engagement commun
pour « permettre d’améliorer le monde ».
vivre vraiment le « tikoun olam » la réparation du monde !
Bernadette Avon, AJC Aix 9 mars 2017
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1e Règle des frères mineurs § 16 : ceux qui vont chez les sarrasins et autres infidèles
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