Télérobotique et réalité virtuelle : l avenir de la chirurgie

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Télérobotique et réalité virtuelle :
l’avenir de la chirurgie hépatique
● J. Marescaux, B. Malassagne, L. Soler, J. Leroy*
ontrairement à l’imagerie médicale conventionnelle, la réalité virtuelle offre une vision 3D naturelle du malade, sous la forme d’une copie numérique. Cette représentation 3D permet de mieux percevoir les
objets en les rendant plus visibles et en permettant à l’observateur de s’immerger dans l’image, d’interagir avec elle et de naviguer dans son univers.
Ainsi, la réalité virtuelle est définie par trois bases fondamentales :
l’immersion, la navigation et l’interaction (figure 1). L’immersion
correspond à la sensation d’être “plongé” dans l’univers de l’image
3D. La navigation correspond au déplacement à l’intérieur de
l’image, c’est-à-dire à l’intérieur des objets. Enfin, l’interaction
consiste en la manipulation, la déformation et la transformation de
l’image 3D en temps réel, comme s’il s’agissait de matière.
Si la réalité virtuelle permet au chirurgien de mieux percevoir les
lésions que présente le malade, la robotique, elle, apporte une
aide physique. Cette aide consiste à faire appliquer la gestuelle
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chirurgicale à des outils télémanipulés dont l’évolution est contrôlée. Les buts de la robotique sont aujourd’hui de faciliter l’intervention, de la rendre moins agressive et d’en améliorer les techniques. Demain, la robotique intégrera toutes les données de la
planification préopératoire de l’intervention, ce qui permettra de
réaliser au bloc opératoire l’opération qui correspond le mieux à
la nature et à la localisation des lésions du malade.
ENJEUX
La réalité virtuelle s’applique tout particulièrement à la chirurgie
hépatique dont les principes reposent sur les rapports anatomiques
entre tumeurs et vaisseaux intrahépatiques. La résection hépatique
doit être suffisante pour obtenir de bonnes marges de sécurité
tumorale, sans être excessive pour ne pas entraîner d’insuffisance
hépatique postopératoire, surtout en cas d’hépatectomie majeure
sur foie pathologique. Une évaluation préopératoire précise de
l’étendue de l’hépatectomie et des volumes de foie restant après
exérèse est donc indispensable lors de la planification préopératoire. L’imagerie usuelle, scanner et IRM, n’offre que des reconstructions 3D complexes, incertaines, et surtout, elle ne permet
aucune interactivité. De plus, la visualisation des reconstructions
nécessite des machines et des stations graphiques lourdes et coûteuses. Ces contraintes techniques ne permettent pas de proposer
en routine au clinicien une imagerie hépatique 3D. Les reconstructions 3D ne peuvent être que mentales et à partir des images
2D. Ce n’est que lors de l’intervention chirurgicale que la reconstruction mentale 3D sera confrontée à la réalité.
RECONSTRUCTION 3D SEMI-AUTOMATIQUE
Figure 1. Les trois bases de la
réalité virtuelle : immersion,
navigation et interaction.
* IRCAD (Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif),
EITS (European Institute of Telesurgery), Strasbourg.
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Le premier système a été mis au point à partir des données bidimensionnelles du projet Visible Human (1, 2) provenant de la
National Library of Medicine (NLM, Washington/États-Unis) (1).
Il a permis une reconstruction semi-automatique 3D du foie. Un
modèle réaliste 3D de l’anatomie du foie a été créé en utilisant un
langage mathématique adapté à l’analyse d’images médicales
(3-5). Ce modèle permet aujourd’hui un apprentissage de l’anatomie hépatique et une initiation aux concepts de la réalité virtuelle.
Dans un second temps, des outils d’aide à la planification chirurgicale ont été mis au point avec ce premier système informatique en simulant une tumeur hépatique par l’ajout de lésions virtuelles. Le chirurgien peut ainsi délimiter interactivement
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structures internes, ce qui facilite
l’identification des arborescences vasculaires. L’organe peut être manipulé
en temps réel. Ainsi, l’ordinateur enregistre l’ordre, traite les informations
et recalcule quasi instantanément
l’image correspondant à la position
souhaitée par l’observateur. Toutes les
hépatectomies peuvent être réalisées
virtuellement. Il est possible d’analyser les marges de sécurité tumorale et
les volumes de foie restant pour
chaque hépatectomie réalisée virtuelFigure 2. Reconstruction 3D du foie et simulation d’une hépatectomie droite pour tumeur du foie droit.
lement. Cet outil informatique permet
une véritable planification préopératoire adaptée à la pratique clinique. L’opérateur n’a plus alors
qu’à se concentrer sur le geste technique opératoire qui
a été totalement élaboré et testé virtuellement avant
d’être pratiqué.
PERSPECTIVES
Figure 3. Simulateur d’intervention chirurgicale à retour d’effort
fonctionnant en temps réel.
plusieurs plans de coupe mimant différentes hépatectomies possibles pour une même tumeur et ainsi évaluer celle qui assure le
meilleur compromis entre sécurité carcinologique et maintien
d’une bonne fonction hépatique postopératoire (figure 2).
Ces premiers travaux représentent les bases
d’élaboration des nouveaux outils. Avec la
reconstruction 3D des lésions tumorales, on pourra réaliser un
suivi automatique au cours du temps du volume des tumeurs
(concept 4D = 3D + temps). Il sera ainsi possible d’évaluer objectivement les réponses aux traitements en faisant correspondre les
reconstructions 3D successives des lésions d’un même patient à
des temps différents (figure 4).
SIMULATEUR CHIRURGICAL
Un simulateur d’intervention chirurgicale a été élaboré en collaboration avec l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) dans le cadre du projet EPIDAURE.
Ce simulateur autorise la réalisation de résections en temps réel
d’un foie virtuel déformable, avec un rendu visuel réaliste et une
sensation tactile des gestes opératoires par le biais d’un système
à retour d’effort (figure 3). Ce simulateur permet aujourd’hui de
s’initier à la chirurgie laparoscopique hépatique et de développer les travaux de recherche au laboratoire de la téléchirurgie de
demain.
RÉALITÉ CLINIQUE
Afin d’être applicable en clinique, un système de reconstruction
3D automatique du malade, fonctionnant sur un ordinateur portable multimédia, équipé d’une carte 3D standard, a été développé.
La reconstruction automatique est fondée sur la traduction des
connaissances médicales sous la forme de contraintes topologiques
et géométriques (6, 7). L’ordinateur permet une observation réaliste des organes reconstruits et une vision par transparence des
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Figure 4. Suivi
automatique au
cours du temps
des volumes
tumoraux.
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Figure 5. Principe de superposition de la reconstruction 3D sur le
patient.
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Cette application informatique permettra d’accéder au monde de
la réalité augmentée, en offrant une visualisation en transparence
des arborescences internes de l’organe. Il sera alors possible de
superposer la reconstruction 3D sur l’organe réel (figure 5). Par
cette vue en transparence virtuelle, l’opérateur disposera en peropératoire de repères anatomiques et tumoraux identiques à ceux
utilisés au cours de la planification préopératoire.
À terme, par le couplage des systèmes de téléchirurgie à ceux de
la réalité augmentée, la disposition de ces repères anatomiques
en temps réel lors de l’intervention chirurgicale aboutira à l’automatisation de gestes répétitifs ou délicats (figure 6). Au cours
de l’intervention, le système de pilotage de l’instrumentation
intelligente bénéficiera d’une analyse navigationnelle de l’intervention afin de s’assurer de sa conformité avec celle simulée
avant l’intervention. De tels systèmes sont actuellement en cours
de développement en Europe et aux États-Unis (Da Vinci® Intuitive Surgical ; Zeus - Computer Motion Inc®).
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Mots clés. Télérobotique – Réalité virtuelle – Chirurgie
hépatique.
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1. Marescaux J, Clément JM, Tassetti V et al. Virtual reality applied to hepatic
Figure 6.
En haut, télémanipulation
par l’intermédiaire du robot
Zeus (Computer
Motion. Inc).
En bas, concept
d’automatisation par
le couplage
de la réalité
augmentée
et de la téléchirurgie.
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surgery simulation : the revolution of the next future. Ann Surg 1998 ; 228 :
627-34.
2. Ackerman MJ. The visible man project. Washington : National Library of
Medicine : http://www.nlm.nih.gov/research/visible/
3. Ayache N. Medical computer vision, virtual reality and robotics. Image
Vision Computing 1995 ; 13 : 295-13.
4. Delingette H. Simplex Meshes : a general representation for 3D shape
reconstruction. INRIA technical report 1994 ; 2214.
5. Montagnat J, Delingette H. Volumetric Medical Images Segmentation
using Shape Constrained Deformable Models. CVRMed-MRCAS, J. Troccaz,
E. Grimson, R. Mösges, éd. Springer Verlag Publisher LNCS 1997 ; 120 :
513-22.
6. Soler L, Clément JM, Koehl C et al. An Automatic Virtual Patient Reconstruction from CT-Scans for Hepatic Surgical Planning. Medical Meet on
Virtual Reality 2000, january 2000, Los Angeles (États-Unis).
7. Soler L, Delingette H, Malandain G et al. A Fully Automatic Anatomical,
Pathological and Fonctionnal Segmentation from CT-scans for Hepatic Surgery. Medical Imaging 2000, february 2000, San Diego (États-Unis).
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