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LUNION EUROPÉENNE
ET LA RÉGLEMENTATION DU SYSTÈME
FINANCIER PARALLÈLE
JEAN-FRANÇOIS PONS*
Depuis la crise financière, l’Union européenne a adopté
plusieurs textes législatifs importants sur le secteur ban-
caire (notamment CRD21Capital Requirement Directive
n°2–etCRD32) et sur le fonctionnement des marchés (notamment
EMIR3European Market Regulation). Six autres textes structurants
sont en voie de finalisation dans les prochaines semaines ou les pro-
chains mois : CRD4, la création du mécanisme de supervision unique,
la directive sur la prévention et la résolution de crise, une nouvelle
modification des fonds de garantie des dépôts, la réforme de la directive
MiFID (Markets in Financial Instruments Directive) et la directive sur
le crédit immobilier.
En contraste avec cette longue liste de textes importants, la régle-
mentation du secteur financier parallèle (ou shadow banking) est
jusqu’à maintenant beaucoup plus limitée, puisque seule la directive sur
les fonds d’investissement alternatifs (AIFM4Alternative Investment
Fund Manager) s’y rattache. Mais la Commission européenne a mani-
festé son intention de poursuivre un effort de réglementation dans ce
domaine en soumettant à consultation en 2012 le « Livre vert sur le
système financier parallèle », s’inspirant des recommandations du G20.
Ce contraste entre l’avalanche de textes s’abattant sur le secteur déjà
régulé et la pincée d’initiatives sur le secteur non régulé fait irrésisti-
blement penser à l’histoire de cet homme qui a perdu ses clés la nuit
dans une rue sombre et qui les cherche sous un lampadaire ; son épouse
* Délégué aux Affaires européennes et internationales, Fédération bancaire française (FBF).
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lui demande:«Tuessûrqu’elles sont tombées là?»etilluirépond :
« Non, mais c’est le seul endroit éclairé ! » Heureusement, il semble que
la lumière commence aussi à se répandre sur le secteur financier
parallèle, ainsi que sur les efforts de régulation.
LA DIRECTIVE AIFM
Le premier texte de réglementation européenne sur le système
financier parallèle est la directive AIFM.
Une mise au point difficile
Proposée par la Commission européenne en avril 2009, cette direc-
tive a fait l’objet d’un long processus de décision entre le Conseil
européen et le Parlement européen, marqué par un lobbying intense de
la part des gérants de fonds, installés à Londres, appuyés par les
autorités britanniques.
Le rapporteur du projet au Parlement européen, Jean-Paul Gauzès
(PPE5– Parti populaire européen, France), se souvient d’avoir reçu
700 visites, dont 90 % venant de Londres, y compris le maire à deux
reprises. Ilyaeuvingt et une réunions en trilogue (réunions Conseil-
Parlement-Commission), ce qui constituait un record à l’époque pour
le secteur des services financiers, avant d’aboutir à un accord à la fin de
2010 pour une mise en œuvre en juillet 2013.
Objet de la directive
La directive AIFM a pour objectif de mettre en place une supervision
des gestionnaires de fonds alternatifs et de mieux protéger les investis-
seurs. Pour ce faire, elle prévoit l’encadrement des gestionnaires des
fonds d’investissement alternatifs qu’ils gèrent directement ou qu’ils
commercialisent juste ces fonds. Tous les fonds gérés au sein de l’Union
européenne et non assujettis à la directive portant sur les OPCVM
relèvent de la directive AIFM, indépendamment de leur domiciliation,
mais également les fonds vendus dans l’Union européenne même s’ils
sont gérés ou domiciliés en dehors de son territoire. Entrent dans le
champ de la directive tous les gestionnaires malgré leur grande hété-
rogénéité, y compris les hedge funds, mais aussi les fonds de capital-
investissement et les fonds immobiliers (qu’ils aient ou non un effet de
levier et qu’ils soient ou non ouverts).
Le passeport
Le principe de la directive AIFM est qu’elle repose sur un passeport
qui permet la commercialisation des fonds visés au sein de l’Union
européenne uniquement à destination des investisseurs professionnels
(classification reprise de la directive MiFID), ce qui exclut les inves-
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tisseurs particuliers qui sont alors redirigés vers les OPCVM. Ce
passeport sera effectif dès son entrée en vigueur en 2013. Par ailleurs,
il sera proposé à partir de 2015 aux gestionnaires et aux fonds domi-
ciliés en dehors de l’Union européenne afin que l’Autorité européenne
des marchés (ESMA – European Supervisory Market Authority) puisse
évaluer l’efficacité du fonctionnement de ce document à l’intérieur de
l’Union européenne et que la Commission européenne ait adopté l’acte
délégué nécessaire à sa mise en œuvre.
Conditions d’agrément des gestionnaires
Afin d’harmoniser les règles pesant sur les fonds d’investissement
alternatifs, la directive AIFM liste les différentes conditions d’agrément
des gestionnaires : elle définit un niveau minimal de fonds propres, des
compétences requises pour les dirigeants ; elle édicte des règles afin de
gérer les conflits d’intérêts, de déléguer des fonctions à des tiers, de
prévenir les risques du recours à l’effet de levier. Elle prévoit également
des contrôles auprès des gestionnaires et encadre leur rémunération et
leur évaluation.
Les pays tiers
Les fonds d’investissement alternatifs et les gestionnaires établis hors
de l’Union européenne resteront néanmoins régis par les régimes de
placement privé nationaux (enregistrement dans chaque État membre
où une commercialisation est envisagée) jusqu’à la date de mise en
service du système des passeports. La directive AIFM prévoit égale-
ment, dans un souci de continuité d’application du droit, que les
régimes de placement privé nationaux demeurent applicables y compris
lorsqu’il sera possible d’obtenir un passeport. Cette période de coexis-
tence des deux systèmes devrait durer environ trois ans. À l’issue de
cette période, la Commission européenne envisage d’adopter des actes
d’exécution afin que les gestionnaires se tournent définitivement vers le
principe du passeport.
Enfin, la directive AIFM prévoit des accords de coopération entre
l’Union européenne et les pays tiers afin d’encadrer certaines situations.
Ces négociations seront organisées par l’ESMA suivant des lignes
directrices établies par son conseil. Elles interviendraient pour des
situations diverses telles que les gestionnaires implantés dans l’Union
européenne, mais qui géreraient et commercialiseraient des fonds d’in-
vestissement alternatifs en dehors de l’Union européenne, les gestion-
naires implantés ou non dans l’Union européenne, mais aussi pour
réglementer la situation des gestionnaires implantés dans l’Union
européenne qui commercialisent (avec ou non un passeport) des fonds
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implantés dans des pays tiers ou encore celle des gestionnaires de pays
tiers gérant dans l’Union européenne des fonds domiciliés dans l’Union
européenne.
Mise en œuvre de la directive
Actuellement, les pays membres sont à la fin du délai pour la
transposition du texte dans leur législation nationale.
Le 19 décembre 2012, la Commission européenne a adopté un
règlement délégué complétant la directive en ce qui concerne les
dérogations, les conditions générales d’exercice, les dépositaires, l’effet
de levier, la transparence et la surveillance. Il porte sur les conditions et
la procédure permettant de définir un gestionnaire de fonds alternatifs
et régissant son agrément, les conditions d’exercice des gestionnaires,
notamment les règles en matière de rémunérations, de conflits d’inté-
rêts, de gestion des risques, de gestion de liquidité, d’investissement
dans des positions de titrisation, d’organisation et d’évaluation, les
conditions de la délégation des fonctions de gestionnaire, les règles
relatives aux dépositaires, notamment les tâches et les responsabilités de
ces derniers, les obligations d’information et le calcul du levier, et les
règles en matière d’accords de coopération6. Ce règlement délégué fait
l’objet d’un droit de regard du Parlement européen et du Conseil
européen pendant trois mois. Il entrera en vigueur, en l’absence de
toute objection des deux colégislateurs, à l’issue de cette période, le jour
qui suivra sa publication au Journal officiel.
Parallèlement, l’ESMA a publié deux consultations, qui ont pris fin
le 1er février 2013, pour préciser le champ d’application de la directive.
D’une part, une consultation portant sur les standards techniques
prévus par l’article 4 qui définit les types de fonds d’investissement
alternatifs. D’autre part, un projet d’orientation sur les critères quali-
fiants et disqualifiants permettant de définir la notion de fonds d’in-
vestissement alternatif. L’ESMA a aussi publié des standards techniques
qui doivent clarifier le champ d’application de la directive, la politique
de rémunération et le contenu des accords de coopération avec les pays
tiers. Le 11 février 2013, l’ESMA a déjà présenté une première série de
recommandations sur la rémunération des gérants de fonds (article 13
et annexe II de la directive) qui prévoient le différé de paiement pour
40 % de la rémunération variable, le paiement en parts de fonds d’au
moins 50 % de la rémunération, une évaluation pluriannuelle des
gérants et la mise en place d’un comité de rémunération. À la suite de
ces consultations, la Commission européenne élaborera un règlement
délégué d’application.
Plus tard, en janvier 2015, l’ESMA rédigera un rapport établissant
un bilan sur le fonctionnement du système de passeport pour les fonds
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d’investissement alternatifs établis dans l’Union européenne. À la
suite de cela, en avril de la même année, la Commission européenne
adoptera un acte délégué afin de définir la date à laquelle les passeports
entreront en vigueur pour les fonds établis à l’extérieur de l’Union
européenne.
Enfin, en 2018, elle adoptera un autre acte délégué afin de fixer la
date du terme des régimes de placement privé nationaux.
LELIVRE VERT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
En mars 2012, conformément aux recommandations du CSF
(Conseil de stabilité financière), la Commission européenne a publié
un « Livre vert sur le système bancaire parallèle ». Son objectif était de
clarifier la définition même du shadow banking malgré son caractère
évolutif et cyclique, et de tracer des orientations prioritaires pour le
réguler.
Définition et évaluation des risques
du système financier parallèle
Le Livre vert retient que le système financier parallèle comprend :
les entités financières qui sont actives dans l’intermédiation ou la
distribution de crédits, mais qui n’acceptent pas de dépôts et ne sont
pas régulées comme le secteur bancaire classique ;
les fonds qui investissent dans des produits de crédit (y compris les
fonds cotés en Bourse) ;
les fonds monétaires et leurs équivalents ;
les assureurs qui fournissent des garanties de crédits ;
les véhicules d’investissement ou de financement spécifiques.
Le Livre vert essaie également de déterminer les risques créés par le
système financier parallèle, tout en reconnaissant que celui-ci est né-
cessaire au bon financement de l’économie réelle, et les solutions qui
pourraient y remédier.
En premier lieu, il explique que, au même titre que le secteur
bancaire classique, le secteur bancaire parallèle peut être victime de
fuites soudaines des fonds (runs)via le désengagement massif des
investisseurs, créant ainsi des problèmes de liquidité ou de maturité des
liquidités pouvant être dommageables. L’accumulation d’effets de
levier importants et invisibles est également pointée du doigt par la
Commission européenne comme source potentielle de risque systémi-
que.
Le contournement des règles et de l’arbitrage réglementaire souvent
utilisé par le système bancaire parallèle pour échapper aux cadres
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