comme ses détracteurs. L’héritage des anciens était perçu tantôt
comme annonciateur de la Vérité, tantôt comme une connaissance
superflue et frivole qui invitait à être dépassée vers une fin plus noble,
la connaissance de Dieu lui-même. Une voie moyenne, développée
par saint Augustin dans le De doctrina christiana, admet l’utilité des
lettres profanes pour le savoir chrétien, une fois celles-ci dépouillées
des éléments nocifs et étrangers à la connaissance du bien suprême5.
La reductio artium ad Sacram Scripturam que la pensée augusti-
nienne entend prôner s’appuie sur une conviction qui synthétise la
vision chrétienne des lettres profanes : Omnis veritas a quocumque
dicatur a Spiritu sancto est6: la vérité, où qu’elle se trouve, est une
manifestation de la sagesse divine. Étudiés en vue de l’édification spi-
rituelle, les textes classiques cessent graduellement d’être perçus
comme simple propédeutique dans la compréhension du texte sacré.
On commence alors à leur accorder un enseignement moral qui, par
moyen d’une analyse allégorique, se révèle plus proche à l’enseigne-
ment chrétien. C’est ainsi que l’étude des sept arts libéraux devient le
premier échelon dans l’ascension de l’esprit vers Dieu et donc, curieu-
sement, un instrument privilégié de la mystique chrétienne. Curieuse-
ment, puisque ce lien entre culture classique et mystique préconise une
solide connaissance des lettres profanes là où on se l’attend moins, à
savoir parmi les représentants d’une théologie de type «affectif»,
notamment chez Bernard de Clairvaux, Bonaventure et Jean Gerson7.
Dans les trois cas, on a affaire à des auteurs souvent étiquetés de
conservateurs voire de réactionnaires. N’est-ce pas l’attitude qu’af-
fiche saint Bernard lorsqu’il critique la témérité doctrinale d’Abélard?
Bonaventure n’est-il pas le premier à décrier le pouvoir de séduction
de l’œuvre aristotélicienne chez les philosophes de persuasion aver-
roïste? Enfin, Gerson ne s’attaque-t-il pas avec véhémence au secta-
risme scolastique dans le but d’encourager une théologie de type
affectif œuvrant en faveur de l’édification morale? Et pourtant, la
méfiance des trois théologiens n’est pas sans faire preuve d’une
grande ouverture vis-à-vis du savoir classique8moyennant une
5. Deux passages bibliques illustrent le sentiment d’ambivalence qui accom-
pagne cette conquête : le pillage des Égyptiens par les Israelites (Exode, 3, 22) et la
«belle captive» du Deutéronome (21, 10-14) contiennent la même idée d’une appro-
priation justifiée du bien étranger pour le bénéfice d’un bien majeur. Voir le livreII
(40-42) du De doctrina christiana.
6. AUGUSTIN, De doctrina christiana, I, 2 ;II, 40.
7. Voir F.SIMONE, « La reductio artium ad Sacram Scripturam quale espressione
dell’umanesimo medievale fino al secoloXII », Convivium 6 (1949), p.887-927.
8. Une relecture de l’œuvre de saint Bernard dans ce sens a été poursuivie avec
cohérence et une grande érudition par des historiens comme Gilbert Dahan, Theo
ISABEL IRIBARREN406
MEP_RSR 2013,4_Intérieur 26/09/13 09:03 Page406