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S.
&
A.,
2009/1 - À
la table du rabbin ...
ciologie des religions portant sur les Juifs de Belgique sont quasi inexis-
tantes.
Nous pouvons estimer que la population juive de Belgique approche les
quarante mille personnes qui ont presque toutes choisi, à parts égales, de
s'installer à Bruxelles et Anvers'.
Ces deux villes abritent des communautés juives organisées sur base
d'un modèle identique, à savoir un réseau associatif encadrant des activi-
tés cultuelles, culturelles, sociales et pédagogiques. En dépit de cette ar-
chitecture communautaire similaire, les deux communautés présentent
deux visages diamétralement opposés. Le judaïsme bruxellois est forte-
ment sécularisé alors que celui d'Anvers est resté profondément ancré
dans la tradition religieuse',
Ces quelques considérations établissant un contraste en matière de pra-
tiques religieuses sont utiles pour mettre en perspective le terrain et
l'objet de recherche dont il sera question dans cet article. Il s'agira de dé-
crire et d'analyser les phénomènes repérés dans l'espace familial d'un
rabbin du mouvement hassidique Habad qui accueille à sa table, chaque
shabbat une dizaine de convives qui sont pour la plupart des Juifs sécula-
risés, peu ou prou engagés dans une trajectoire personnelle de "retour" à
la pratique religieuse'. Dans le cadre de notre recherche, nous fréquentons
assidument ces soirées depuis deux ans. Précisons qu'à notre connais-
sance ce type de repas initiatique n'existe pas à Anvers. Les repas de
shabbat y réunissent, du moins dans les différents mouvements hassidi-
ques, quasi exclusivement des pratiquants expérimentés. Les pages qui
suivent concernent uniquement la réalité bruxelloise.
Le rabbin hassid (la règle vaut pour ceux qui appartiennent au mouve-
ment Habad) tire en général sa légitimité de sa capacité à constituer une
communauté de disciples autour de sa personne. Cette obligation est pré-
sente parfois de manière explicite, mais le plus régulièrement sur un mode
suggestif et tacite dans l'immense littérature produite depuis plus de deux
siècles par les Rebbe, les guides spirituels des différents courants du has-
sidisme.
À
Bruxelles, le rabbin Habad est contraint de s'adapter à la réali-
té du judaïsme local et de puiser dans les seules ressources humaines dis-
1
Notre estimation s'appuie sur les travaux de Willy Bok (1965) et sur des entretiens menés avec des
dirigeants communautaires. Il en ressort que Bruxelles et Anvers comptent chacune probablement de
quinze à vingt mille Juifs. De plus petites communautés existent également à Liège (400 personnes),
Charleroi (200 personnes) et Gand (quelques dizaines de personnes). Les fichiers d'adresses des jour-
naux conununautaires juifs indiquent également la présence de quelques centaines de personnes domici-
liées dans des villes et villages ne disposant pas d'institutions communautaires.
2
Nous proposons à titre informatif quelques indicateurs récoltés sur le terrain: à Bruxelles, moins de
10% des plus de sept cents enfants qui fréquentent un mouvement de jeunesse juif sont inscrits dans le
mouvement religieux Bne Akiva. Ils sont 75% à Anvers. La capitale compte trois écoles juives, dont une
religieuse. Il n'existe pas d'école juive non religieuse à Anvers. La vingtaine de lieux de culte identifiés
à Bruxelles réunissent environ quatre cents fidèles pour l'office du shabbat, soit deux ou trois pour cent
de la population juive de la ville. Il ne nous a pas été possible de faire le compte dans le cas d'Anvers en
raison du nombre trop important de participants aux offices. Néanmoins, nous pouvons avancer, en fonc-
tion de vérifications aléatoires, que le nombre de fidèles y est au minimum dix fois supérieur.
JAu total, nous avons identifié en deux ans une trentaine de participants différents.