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Elle était née à Linz, en Autriche. Son père était
médecin et sa mère enseignait le piano au Conservatoire de
la ville. Sa sœur cadette était morte d’une leucémie
lorsqu’elle avait dix ans. Depuis cette perte irréparable, son
père n’avait plus jamais été le même.
Sa mère, pianiste infatigable, s’acharnait sur Liszt et
Mendelssohn, mais elle parlait de moins en moins.
Après l’Anschluss, tout le monde avait essayé de
continuer comme avant : elle à l’Université pour ses études
de littérature et de philologie, sa mère avec ses élèves
toujours plus nombreux, et son père avec ses patients dont
le nombre en revanche s’amenuisait chaque jour davantage.
A la fin de 1938, les Juifs n’avaient pas bonne presse en
Autriche, et hormis ses anciens malades, le pauvre docteur
était inoccupé les trois quarts du temps.
C’est ainsi qu’un beau jour Franz, le gentil jeune
homme, le joli jeune homme si bien élevé qu’elle connaissait
depuis son enfance, Franz, le presque fiancé, Franz, que tout
le monde considérait comme le fils de la maison, Franz avait
cessé de venir.
Elle l’avait revu un jour, lors d’une parade nazie, en
grand uniforme noir, parmi les sbires de Seyss-Inquart, sur
la Lindenstrasse.
Il regardait droit devant lui, il ne l’avait pas vue, ou avait
fait semblant de ne pas la voir.
A partir de ce jour-là, les choses allèrent très vite, les
premières lois raciales furent promulguées, interdisant aux
Juifs d’exercer la médecine, entre autres professions. Freud
lui-même ne put quitter Vienne que sur l’intervention de
Mussolini auprès d’Hitler.
Son père se décida a quitter l’Autriche le jour où en
rentrant de son cabinet, il assista involontairement au