La réponse à ces questions est complexe et ne peut se faire qu’en mobilisant plusieurs types
d’explications. Une partie de la réponse réside dans le fonctionnement du marché des
dirigeants et dans l’existence de rentes de situation. Il convient également de faire référence à
la séparation de la propriété par rapport aux fonctions de direction au sein des entreprises de
grande taille (« managériales »), à l’inefficacité des systèmes de contrôle ou au rôle effacé
des Comités de rémunération. Une comparaison entre la France et les Etats-Unis suggère
l’existence d’un modèle américain de rémunération des grands patrons qui s’est imposé
malgré l’existence de normes de rémunération propres à chaque pays.
Cet article étudie les rémunérations des grands patrons au cours d’une année donnée (en
2009, derniers chiffres disponibles au moment où cette étude a été menée). Néanmoins des
données diachroniques sont utilisées pour mieux comprendre les particularités de la situation
actuelle. L’étude porte sur les patrons des entreprises du CAC 40, choix qui présente
plusieurs avantages :
- celui de la nouveauté (paradoxalement, nous ne disposons pas d’études récentes en
sciences de gestion qui porte sur ce groupe de patrons pourtant fortement médiatisé) ;
- celui d’une certaine homogénéité (les entreprises du CAC 40 sont toutes d’origine
française, elles sont toutes des sociétés par action cotées et elles représentent les plus
fortes capitalisations boursières de la place de Paris).
L’objectif de cet article est d’analyser les rémunérations des DG (niveau, dispersion,
variabilité) et d’expliciter les causes de l’envolée de ces rémunérations. Plusieurs questions
sont mises en avant : Pourquoi ces rémunérations sont devenues aussi élevées ? Ces
rémunérations sont-elles compatibles avec l’intérêt des actionnaires ? Ces rémunérations sont-
elles acceptées par l’opinion publique ?
En conséquence, ce papier est organisé selon la logique qui suit. La section 1 présente la
politique de rémunération des entreprises du CAC 40. La section 2 s’intéresse aux
explications mises en avant dans la littérature. La section 3 insiste sur la pertinence d’une
approche sociale. La section 4 décrit les différentes pistes de réforme.
1. NIVEAU, STRUCTURE DE LA REMUNERATION DES GRANDS PATRONS
En France, à la fin des années 1970, le rapport moyen entre le salaire ouvrier et la
rémunération des dirigeants des grandes entreprises (hors stock-options et attributions
gratuites d’actions) était de l’ordre de 1 à 40. Ce même rapport est aujourd’hui de l’ordre de 1
à 150.
Tableau 1
Les inégalités de revenu, comparaison France/Etats-Unis
Les écarts entre les plus hautes
rémunérations et celles des
ouvriers non qualifiés en France
et aux Etats-Unis
Rapport interdécile (D9/D1)
Sources : Census bureau, Observatoire des inégalités, magazine Fortune et Rapports d’activité.
Note : Pour les écarts, le calcul porte sur les DG français du CAC 40 et sur les 200 CEOs américains les mieux rémunérés. Il
n’intègre pas la perception des stock-options et les attributions gratuites d’actions.
Pour le cas américain, Bebchuk & Fried arrivait en 2004 à un rapport de 1/500 soit une estimation proche de celle qui est
présentée dans ce tableau.