Couvent des Carmes
Saint Jean de la Croix
J.M. + J.T
Fribourg Décembre 2013
Province des Carmes Avignon-Aquitaine
Très Chers Amis,
Une fois n’est pas coutume. L’image
laisse voir le visage des frères de la
communauté. Certes, on connaît les
limites de l’image : elle peut être tout à
la fois un reflet du réel et son voile.
Disons alors que notre image a une
valeur d’évocation.
L’image évoque la joie de la vie
fraternelle ; elle en voile les sacrifices
consentis.
Elle évoque la grâce de l’unité ; elle en
voile le combat.
Elle évoque l’amitié spirituelle ; elle en
voile ses nuits purificatrices.
Elle évoque la beauté de l’accueil
mutuel ; elle en voile les renoncements
sur soi.
On le voit, la douceur du paraître ne
saurait s’obtenir au prix de la falsification
de l’être.
Certainement, l’un des enjeux de nos
sociétés contemporaines consiste à
retrouver cette attention à l’être. Toutes
les dérives de l’âme viennent de ce que
nous ne sommes pas dans le présent, le
seul temps possible de la rencontre avec
le réel et donc avec Dieu, l’Être
Je
suis qui Je suis », Ex. 3, 14)
. Séparés de
l’Être, nous mourons d’asphyxie, nos
engagements perdent sens et nous
sombrons dans des comportements
barbares. Si Dieu n’existe pas, il n’y a
rien, ce qui est impensable ! Or, à la
plénitude des temps,
ce Dieu révèle
quelque chose de son être, le
manifeste :
« Au commencement était
le Verbe, et le Verbe était tourné vers
Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au
commencement tourné vers Dieu. Tout
est survenu par lui, et sans lui pas une
chose n’est survenue de ce qui a paru.
(…) ET LE VERBE EST DEVENU
CHAIR, ET IL A DRESSE SA TENTE
PARMI NOUS » (Jn 1, 1-3.14).
Depuis
lors,
«… l’attitude demandée au croyant,
s’il veut être tel, est de reconnaître et
d’accueillir dans sa vie cette centralité de
Jésus-Christ, dans ses pensées, dans ses
paroles et dans ses œuvres. Et ainsi nos
pensées seront des pensées chrétiennes,
des pensées du Christ. Nos œuvres
seront des œuvres chrétiennes, des
œuvres du Christ, nos paroles seront des
paroles chrétiennes, des paroles du
Christ.
Fr. François-Emmanuel, Fr. Fraois, Fr. Yves-Marie,
Fr. Emmanuel-Marie, Fr. Jean-Raphaël
(Lac de Gruyère)
Par contre, quand on perd ce centre,
parce qu’on le substitue avec quelque
chose d’autre, il n’en vient que des
dommages, pour l’environnement autour
de nous et pour l’homme lui-même »
(François, Homélie pour le dimanche du Christ
Roi, 24.11.2013).
Cette année nous a donné maints
exemples de dommages contre
l’homme. Je pense ici notamment à la
violence sociale qui secoue nos pays
d’Occident. En France, des lois ont été
votées qui manifestent très clairement
qu’elles sont conduites par le « Prince
de ce monde », le Satan, qui trouve dans
les gouvernements en place son plus sûr
auxiliaire.
Au XVI° siècle, en Espagne, une femme
se sent profondément blessée devant les
ravages causés par la Réforme de Luther
et qui menacent gravement la paix
religieuse et la paix sociale. Ecoutons- !
« En ce temps-là j’appris les malheurs de
la France, les ravages qu’avaient faits ces
luthériens, et combien se développait
cette malheureuse secte. J’en eus grand
chagrin, et comme si je pouvais quelque
chose, ou comme si j’eusse été quelque
chose, je pleurais devant le Seigneur et le
suppliais de remédier à tant de maux.
(…) J’ai donc décidé de faire le tout petit
peu qui était à ma portée, c’est-à-dire
suivre les conseils évangéliques aussi
parfaitement que possible… » (Sainte
Thérèse de Jésus, Camino I, 2).
L’âme
contemplative de Thérèse, loin de se
désintéresser des
« grands maux »
de
l’Eglise et de la société, y trouve un lieu
sa vie d’oraison prend une nouvelle
dimension, résolument politique. De sa
place et à sa mesure, elle prend
conscience du rôle qu’elle et ses filles
moniales peuvent avoir au service du
bien commun et de la paix. Dans son
zèle débordant, elle va jusqu’à en
remonter aux rois :
« Heureuse l’âme
que le Seigneur guide vers la
connaissance de la vérité. Oh ! quel état
ce serait pour les rois, comme il leur
serait avantageux de le rechercher, de
préférence à un grand empire ! Quelle
droiture dans ce royaume ! Que de
malheurs évités dans le présent comme
au temps passé ! Ici, plus personne n’a
peur de perdre la vie ni l’honneur pour
l’amour de Dieu. Quel grand bien pour
celui qui est obligé à considérer
l’honneur du Seigneur plus que ne le
font ses sujets, puisque les sujets doivent
suivre les rois ! » (Vida XXI, 1).
La paix
sociale est impossible sans la paix
religieuse. Son message est d’une
actualité confondante.
Aucune catégorie de personnes ne
saurait se soustraire à ce que l’Eglise
appelle le
« devoir social de religion »
.
Certes, l’Eglise est transcendante ; son
but, sa mission sont surnaturels, pour
autant, cette transcendance ne signifie
pas indifférence. Saint Thomas pensait
que
« chacun est tenu de manifester
publiquement sa foi, soit pour instruire
et encourager les autres fidèles, soit pour
repousser les attaques des adversaires »
(S. Théol. IIa, IIae, q. III, a. 2, ad 2)
. Trop
souvent, nous pouvons observer que, par
un sens un peu étroit de la vie
contemplative et du royaume de Dieu,
des ministres de l’Eglise trouvent plus
confortable et plus juste de se trouver
réduits dans les limites d’un sanctuaire
ou d’un couvent apostolique.
*
Au contraire, à l’instar de sainte Thérèse
de Jésus et de tant d’autres belles figures
de sainteté qui n’ont pas craint de faire
entendre leur voix dans la cité et de
s’engager (Maurice, Gall, Nicolas de Flüe, Ch.
Journet, Remy, Césaire, Germain, Bernard, Louis
IX, Thomas More, François de Sales, Vincent de
Paul, Josemaria Escriva de Balaguer, Jean-Paul II,
le roi Baudouin…), c’est à plaisir que des
clercs et des religieux se sont joints
aux laïcs, pour le salut spirituel autant
que matériel de la cité.
Aussi, apprenant
« les malheurs de la
France »,
humblement, mais avec
détermination, les frères ont décidé «
de
faire le tout petit peu qui était à (leur)
portée
» : dans la prière et dans l’action,
ils ont donné la main aux saints et
tous
ensemble, l’un par l’autre, l’un tirant
l’autre, ils sont remontés jusqu’à
Jésus (cf. Ch. Peguy, Un nouveau théologien).
Oui ! Nous avons voulu manifester
publiquement notre solidarité en même
temps que notre foi à ce grand pays en
souffrance afin de
« favoriser et d’élever
tout ce qui se trouve de vrai, de bon, de
beau dans la communauté humaine »
,
contribuant ainsi à
« la paix entre les
hommes pour la gloire de Dieu » (cf.
Concile Vatican II, GS 76, 6).
La neutralité ici,
dans la pensée comme dans l’action est
impossible, parce qu’il serait scandaleux
qu’on puisse rester neutre quand il s’agit
du salut éternel du genre humain et de la
fin dernière de la vie.
« Le monde entier
n’est pas digne de la pensée de l’homme,
elle n’est due qu’à Dieu. Ainsi toute
pensée qui ne va pas à Dieu est un vol
dont nous nous rendons coupables
envers lui. » (S. Jean de la Croix, Opuscules
114)
Le calendrier des Saints déborde
d’hommes et de femmes qui ont donné
leur vie pour cette cause.
Très chers amis,
« L’amour du Christ
nous presse » disait saint Paul (II Co 5,
14).
Tous nos désirs, toutes nos œuvres
trouvent leur sens et leur raison d’être
dans l’amour du Christ. C’est en lui seul
que nous pouvons comprendre toute la
profondeur du double commandement
de l’amour de Dieu et du prochain qui
veut aller jusqu’au bout. Cet amour du
Christ, nous le méditons tout au long de
ce temps de l’Avent. A Noël, nous le
regarderons sous les traits d’un petit
enfant. Un Amour qui se fait petit, qui
nous devient accessible et qui veut
embrasser la terre et tous ses habitants.
Dieu, qui est Dieu par nature, cherche à
faire de nous des dieux par participation
dit saint Jean de la Croix, en
commentant la deuxième épître de saint
Pierre (1, 4). Ce que la liturgie de Noël
traduit par ces mots admirables :
« Par
lui (le Christ) s’accomplit en ce jour
l’échange merveilleux nous sommes
régénérés : lorsque ton Fils prend la
condition de l’homme, la nature
humaine en reçoit une incomparable
noblesse ; il devient tellement l’un de
nous que nous devenons éternels »
(Préface de la Nativité, 3).
Qu’oserait-on ajouter à cela ? Notre
vocation est ! Le bonheur de chacun
est ! La paix de nos maisons, de nos
villages, de nos pays est ! Il n’y a rien
que cela, car tout n’a de raison d’être
qu’ordonné à cela : notre vie personnelle
d’abord, mais encore la vie sociale.
*
*
La vie d’oraison n’a pas d’autre fin que
cette vie de sainteté dont l’unique désir
est de voir beaucoup d’âmes riches des
biens du ciel
(cf. Sainte Thérèse, Camino VII, 1).
L’oraison, c’est se faire petit enfant
comme Dieu et avec Lui. Seuls les petits
enfants sont capables de pénétrer le
cœur du Père. Seul un cœur d’enfant
peut travailler véritablement à la paix.
Prions encore et toujours l’Enfant-Dieu
pour qu’advienne la Paix du Ciel dans
nos cités terrestres, dans nos familles,
dans nos écoles et surtout peut-être dans
l’âme de nos enfants. Ne nous lassons
pas de prier pour ceux qui ont la
redoutable tâche de gouverner les
peuples,
« afin que nous passions une
vie paisible et tranquille, en toute piété et
honnêteté. Cela est bon et agréable aux
yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut
que tous les hommes soient sauvés et
parviennent à la connaissance de la
vérité » (I Tm 2, 2-4).
« Ô Seigneur ! Tout notre mal vient de
ce que nous ne gardons pas les yeux
fixés sur Vous »
s’exclame sainte
Thérèse (Camino XVI, 11).
Dans la grâce du Carmel, vos frères
veulent vous entraîner dans la nouveauté
de ce regard, ce regard qui est
communion à celui du petit Enfant Jésus
l’image n’est plus seulement
évocation mais ouverture vers la
Lumière où se découvre l’Image derrière
tout visage.
***
La communauté n’a pas connu de changement cette année. Les frères,
dans la grâce de leur vocation déjà ancienne et toujours nouvelle,
s’adonnent généreusement aux diverses tâches du ministère. Le frère
Jean-Raphaël a été ordonné diacre le 16 juillet dernier lors du
pèlerinage à Notre Dame de Lourdes. La grâce de l’ordination
transparaît non seulement par la qualité du service à l’autel mais aussi
par la profondeur de ses homélies. En plus de son travail de master à
l’Université, il est très investi dans l’Unité pastorale au service des
jeunes. Le frère Yves-Marie a passé avec succès le
De Universa
. Libéré
des contraintes de l’étudiant, il travaille à la cause de béatification
d’Herman Cohen (1820 1871), devenu au Carmel frère Augustin-
Marie du Très Saint Sacrement et se dévoue sans compter aux multiples
services de la vie conventuelle. Les frères François, Emmanuel-Marie et
François-Emmanuel continuent de travailler simplement au jardin du
Seigneur, essentiellement par le ministère de l’accompagnement
spirituel et de la prédication.
Trois ans se sont écoulés depuis la célébration du dernier Chapitre provincial. Le prochain aura lieu durant le
temps pascal 2014. Vous savez combien c’est un événement important dans la vie des frères et de la Province.
Puissions-nous connaître la joie de goûter au fruit de votre prière et de votre amitié, afin de bien accueillir la
volonté du Seigneur sur chacun et les couvents de la Province.
Très Chers, avec mes frères, c’est dans la confiance que je dépose dans vos cœurs ces quelques mots. Qu’ils
soient aussi le témoignage de notre reconnaissance pour les bienfaits que par votre intermédiaire le Seigneur
nous comble.
Très amicalement, avec la Reine des cieux et notre Mère, dans le Christ, Roi de l’univers,
Fr. François-Emmanuel du Christ Roi, ocd
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