Couvent des Carmes Saint Jean de la Croix J.M. + J.T Fribourg – Décembre 2013 Fr. François-Emmanuel, Fr. François, Fr. Yves-Marie, Fr. Emmanuel-Marie, Fr. Jean-Raphaël Province des Carmes Avignon-Aquitaine (Lac de Gruyère) Très Chers Amis, U ne fois n’est pas coutume. L’image laisse voir le visage des frères de la communauté. Certes, on connaît les limites de l’image : elle peut être tout à la fois un reflet du réel et son voile. Disons alors que notre image a une valeur d’évocation. L’image évoque la joie de la vie fraternelle ; elle en voile les sacrifices consentis. Elle évoque la grâce de l’unité ; elle en voile le combat. Elle évoque l’amitié spirituelle ; elle en voile ses nuits purificatrices. Elle évoque la beauté de l’accueil mutuel ; elle en voile les renoncements sur soi. On le voit, la douceur du paraître ne saurait s’obtenir au prix de la falsification de l’être. Certainement, l’un des enjeux de nos sociétés contemporaines consiste à retrouver cette attention à l’être. Toutes les dérives de l’âme viennent de ce que nous ne sommes pas dans le présent, le seul temps possible de la rencontre avec le réel et donc avec Dieu, l’Être (« Je suis qui Je suis », Ex. 3, 14). Séparés de l’Être, nous mourons d’asphyxie, nos engagements perdent sens et nous sombrons dans des comportements barbares. Si Dieu n’existe pas, il n’y a rien, ce qui est impensable ! Or, à la plénitude des temps, ce Dieu révèle quelque chose de son être, le manifeste : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout est survenu par lui, et sans lui pas une chose n’est survenue de ce qui a paru. (…) ET LE VERBE EST DEVENU CHAIR, ET IL A DRESSE SA TENTE PARMI NOUS » (Jn 1, 1-3.14). Depuis lors, «… l’attitude demandée au croyant, s’il veut être tel, est de reconnaître et d’accueillir dans sa vie cette centralité de Jésus-Christ, dans ses pensées, dans ses paroles et dans ses œuvres. Et ainsi nos pensées seront des pensées chrétiennes, des pensées du Christ. Nos œuvres seront des œuvres chrétiennes, des œuvres du Christ, nos paroles seront des paroles chrétiennes, des paroles du Christ. Par contre, quand on perd ce centre, parce qu’on le substitue avec quelque chose d’autre, il n’en vient que des dommages, pour l’environnement autour de nous et pour l’homme lui-même » (François, Homélie pour le dimanche du Christ Roi, 24.11.2013). Cette année nous a donné maints exemples de dommages contre l’homme. Je pense ici notamment à la violence sociale qui secoue nos pays d’Occident. En France, des lois ont été votées qui manifestent très clairement qu’elles sont conduites par le « Prince de ce monde », le Satan, qui trouve dans les gouvernements en place son plus sûr auxiliaire. * A u XVI° siècle, en Espagne, une femme se sent profondément blessée devant les ravages causés par la Réforme de Luther et qui menacent gravement la paix religieuse et la paix sociale. Ecoutons-là ! « En ce temps-là j’appris les malheurs de la France, les ravages qu’avaient faits ces luthériens, et combien se développait cette malheureuse secte. J’en eus grand chagrin, et comme si je pouvais quelque chose, ou comme si j’eusse été quelque chose, je pleurais devant le Seigneur et le suppliais de remédier à tant de maux. (…) J’ai donc décidé de faire le tout petit peu qui était à ma portée, c’est-à-dire suivre les conseils évangéliques aussi parfaitement que possible… » (Sainte Thérèse de Jésus, Camino I, 2). L’âme contemplative de Thérèse, loin de se désintéresser des « grands maux » de l’Eglise et de la société, y trouve un lieu où sa vie d’oraison prend une nouvelle dimension, résolument politique. De sa place et à sa mesure, elle prend conscience du rôle qu’elle et ses filles moniales peuvent avoir au service du bien commun et de la paix. Dans son zèle débordant, elle va jusqu’à en remonter aux rois : « Heureuse l’âme que le Seigneur guide vers la connaissance de la vérité. Oh ! quel état ce serait là pour les rois, comme il leur serait avantageux de le rechercher, de préférence à un grand empire ! Quelle droiture dans ce royaume ! Que de malheurs évités dans le présent comme au temps passé ! Ici, plus personne n’a peur de perdre la vie ni l’honneur pour l’amour de Dieu. Quel grand bien pour celui qui est obligé à considérer l’honneur du Seigneur plus que ne le font ses sujets, puisque les sujets doivent suivre les rois ! » (Vida XXI, 1). La paix sociale est impossible sans la paix religieuse. Son message est d’une actualité confondante. Aucune catégorie de personnes ne saurait se soustraire à ce que l’Eglise appelle le « devoir social de religion ». Certes, l’Eglise est transcendante ; son but, sa mission sont surnaturels, pour autant, cette transcendance ne signifie pas indifférence. Saint Thomas pensait que « chacun est tenu de manifester publiquement sa foi, soit pour instruire et encourager les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des adversaires » (S. Théol. IIa, IIae, q. III, a. 2, ad 2). Trop souvent, nous pouvons observer que, par un sens un peu étroit de la vie contemplative et du royaume de Dieu, des ministres de l’Eglise trouvent plus confortable et plus juste de se trouver réduits dans les limites d’un sanctuaire ou d’un couvent apostolique. Au contraire, à l’instar de sainte Thérèse de Jésus et de tant d’autres belles figures de sainteté qui n’ont pas craint de faire entendre leur voix dans la cité et de s’engager (Maurice, Gall, Nicolas de Flüe, Ch. Journet, Remy, Césaire, Germain, Bernard, Louis IX, Thomas More, François de Sales, Vincent de Paul, Josemaria Escriva de Balaguer, Jean-Paul II, le roi Baudouin…), c’est à plaisir que des clercs et des religieux se sont joints aux laïcs, pour le salut spirituel autant que matériel de la cité. * A ussi, apprenant « les malheurs de la France », humblement, mais avec détermination, les frères ont décidé « de faire le tout petit peu qui était à (leur) portée » : dans la prière et dans l’action, ils ont donné la main aux saints et tous ensemble, l’un par l’autre, l’un tirant l’autre, ils sont remontés jusqu’à Jésus (cf. Ch. Peguy, Un nouveau théologien). Oui ! Nous avons voulu manifester publiquement notre solidarité en même temps que notre foi à ce grand pays en souffrance afin de « favoriser et d’élever tout ce qui se trouve de vrai, de bon, de beau dans la communauté humaine », contribuant ainsi à « la paix entre les hommes pour la gloire de Dieu » (cf. Concile Vatican II, GS 76, 6). La neutralité ici, dans la pensée comme dans l’action est impossible, parce qu’il serait scandaleux qu’on puisse rester neutre quand il s’agit du salut éternel du genre humain et de la fin dernière de la vie. « Le monde entier n’est pas digne de la pensée de l’homme, elle n’est due qu’à Dieu. Ainsi toute pensée qui ne va pas à Dieu est un vol dont nous nous rendons coupables envers lui. » (S. Jean de la Croix, Opuscules Le calendrier des Saints déborde d’hommes et de femmes qui ont donné leur vie pour cette cause. 114) * T rès chers amis, « L’amour du Christ nous presse » disait saint Paul (II Co 5, 14). Tous nos désirs, toutes nos œuvres trouvent leur sens et leur raison d’être dans l’amour du Christ. C’est en lui seul que nous pouvons comprendre toute la profondeur du double commandement de l’amour de Dieu et du prochain qui veut aller jusqu’au bout. Cet amour du Christ, nous le méditons tout au long de ce temps de l’Avent. A Noël, nous le regarderons sous les traits d’un petit enfant. Un Amour qui se fait petit, qui nous devient accessible et qui veut embrasser la terre et tous ses habitants. Dieu, qui est Dieu par nature, cherche à faire de nous des dieux par participation dit saint Jean de la Croix, en commentant la deuxième épître de saint Pierre (1, 4). Ce que la liturgie de Noël traduit par ces mots admirables : « Par lui (le Christ) s’accomplit en ce jour l’échange merveilleux où nous sommes régénérés : lorsque ton Fils prend la condition de l’homme, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse ; il devient tellement l’un de nous que nous devenons éternels » (Préface de la Nativité, 3). Qu’oserait-on ajouter à cela ? Notre vocation est là ! Le bonheur de chacun est là ! La paix de nos maisons, de nos villages, de nos pays est là ! Il n’y a rien que cela, car tout n’a de raison d’être qu’ordonné à cela : notre vie personnelle d’abord, mais encore la vie sociale. vie paisible et tranquille, en toute piété et honnêteté. Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (I Tm 2, 2-4). L a vie d’oraison n’a pas d’autre fin que cette vie de sainteté dont l’unique désir est de voir beaucoup d’âmes riches des biens du ciel (cf. Sainte Thérèse, Camino VII, 1). L’oraison, c’est se faire petit enfant comme Dieu et avec Lui. Seuls les petits enfants sont capables de pénétrer le cœur du Père. Seul un cœur d’enfant peut travailler véritablement à la paix. Prions encore et toujours l’Enfant-Dieu pour qu’advienne la Paix du Ciel dans nos cités terrestres, dans nos familles, dans nos écoles et surtout peut-être dans l’âme de nos enfants. Ne nous lassons pas de prier pour ceux qui ont la redoutable tâche de gouverner les peuples, « afin que nous passions une « Ô Seigneur ! Tout notre mal vient de ce que nous ne gardons pas les yeux fixés sur Vous » s’exclame sainte Thérèse (Camino XVI, 11). Dans la grâce du Carmel, vos frères veulent vous entraîner dans la nouveauté de ce regard, ce regard qui est communion à celui du petit Enfant Jésus où l’image n’est plus seulement évocation mais ouverture vers la Lumière où se découvre l’Image derrière tout visage. *** La communauté n’a pas connu de changement cette année. Les frères, dans la grâce de leur vocation déjà ancienne et toujours nouvelle, s’adonnent généreusement aux diverses tâches du ministère. Le frère Jean-Raphaël a été ordonné diacre le 16 juillet dernier lors du pèlerinage à Notre Dame de Lourdes. La grâce de l’ordination transparaît non seulement par la qualité du service à l’autel mais aussi par la profondeur de ses homélies. En plus de son travail de master à l’Université, il est très investi dans l’Unité pastorale au service des jeunes. Le frère Yves-Marie a passé avec succès le De Universa. Libéré des contraintes de l’étudiant, il travaille à la cause de béatification d’Herman Cohen (1820 – 1871), devenu au Carmel frère AugustinMarie du Très Saint Sacrement et se dévoue sans compter aux multiples services de la vie conventuelle. Les frères François, Emmanuel-Marie et François-Emmanuel continuent de travailler simplement au jardin du Seigneur, essentiellement par le ministère de l’accompagnement spirituel et de la prédication. Trois ans se sont écoulés depuis la célébration du dernier Chapitre provincial. Le prochain aura lieu durant le temps pascal 2014. Vous savez combien c’est un événement important dans la vie des frères et de la Province. Puissions-nous connaître la joie de goûter au fruit de votre prière et de votre amitié, afin de bien accueillir la volonté du Seigneur sur chacun et les couvents de la Province. T rès Chers, avec mes frères, c’est dans la confiance que je dépose dans vos cœurs ces quelques mots. Qu’ils soient aussi le témoignage de notre reconnaissance pour les bienfaits que par votre intermédiaire le Seigneur nous comble. Très amicalement, avec la Reine des cieux et notre Mère, dans le Christ, Roi de l’univers, Fr. François-Emmanuel du Christ Roi, ocd