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Nous sommes à un moment de l’histoire de la profession où il nous sem-
ble important de construire un savoir spécifiquement orthophonique. Ce savoir
justifiera la réforme des études en cours. On pourrait d’ailleurs ajouter que
mieux maîtriser un savoir est aussi une attitude éthique. Pour construire ce
savoir, de multiples pistes sont à suivre. La piste particulière mais essentielle
qu’ouvre ce numéro de la revue tient en une question: comment définir notre
posture de sujet thérapeute du langage et de la communication face à un sujet à
qui il faut permettre de retrouver ou d’affirmer son identité à travers le langage ?
Le sujet thérapeute est là, lui aussi avec son histoire, ses références culturelles et
sociales. C’est le sujet thérapeute qui devra, du fait de son savoir sur les troubles
du langage, sur la langue, prendre des décisions de thérapie. Mais en pratique
orthophonique, spécifiquement, c’est une véritable construction dialogique qui
élabore la thérapie. Nous ne pouvons appliquer uniquement des protocoles de
traitement. Nous élaborons pour le sujet-patient et avec lui, en communiquant et
en parlant, une thérapie du langage et de la communication. Ce dialogue met en
présence deux sujets: l’orthophoniste et le patient, chacun avec son histoire, son
contexte. Pourquoi, alors, évacuer les sentiments, ce qui fait l’humanité de cha-
cun ? Comme le montre Francine Rosenbaum, c’est par la rencontre des cultu-
res, que nous pourrons comprendre et démêler les signes pathologiques ou non,
et aider le sujet venant d’une autre partie du monde à se réapproprier son iden-
tité. Sa contribution souligne l’importance de la langue, la langue maternelle, et
donc de la diversité culturelle des situations dites pathologiques. Mais c’est
aussi le propos d’Agnès Witko que de nous interpeler sur les difficultés de poser
un diagnostic, pris que nous sommes entre le besoin de catégoriser les signes,
les troubles, et de répondre au patient-sujet. Poser un diagnostic n’est pas sim-
ple, il vient après le récit de l’anamnèse, véritable dialogue thérapeutique, puis
la passation d’épreuves linguistiques et cognitives (et notre responsabilité sera
engagée là aussi dans le choix des protocoles d’évaluation). Notre vigilance
éthique va nous permettre de poursuivre notre questionnement, le dialogue avec
les résultats aux épreuves, pour annoncer de façon personnalisée le diagnostic.
C’est un cheminement tumultueux (le tumulte éthique) qui nécessite d’être,
comme dans l’anamnèse, dans une posture thérapeutique et dialogique. C’est
aussi en ne niant pas le lien entre la raison et la psyché, que la rééducation cog-
nitive de chaque sujet sera spécifique. Lisa Ouss analyse, de ce point de vue, les
notions en usage dans les sciences cognitives. En dépit de l’assurance scientifi-
que qu’elles semblent manifester, les sciences cognitives elles-mêmes s’interro-
gent et ne répondent pas à toutes les situations: les normes, montre l’auteure, ne
peuvent pas s’appliquer, à certains champs: développement, vulnérabilité et
résilience, inconscient.
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