430 Revue Médicale Suisse
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www.revmed.ch
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20 février 2013
La multimorbidité et les maladies
chroniques exigent des médecins,
notamment des généralistes, qu’ils
mènent des réflexions complexes
relatives au diagnostic et au traite-
ment, lesquels restent à explorer. En rai-
son de ces recherches, l’approche diag-
nostique et thérapeutique se transfor-
mera et la prise en charge de patients
multimorbides deviendra le thème prin-
cipal des soins de santé dans le futur.
Les maladies chroniques et la multimor-
bidité constituent un thème central pour les
médecins de famille et les généralistes hos-
pitaliers. L’expérience personnelle issue de
la pratique quotidienne selon laquelle de
nombreux patients sont atteints de plusieurs
maladies a été confirmée par de nombreu-
ses études. Les patients, dont la première
maladie est traitée avec succès ou tenue
en échec, continuent à vivre et développent
ensuite éventuellement une deuxième ou
une troisième maladie. Les patients vieillis-
sent, c’est pourquoi cette tendance conti-
nuera à s’accentuer. De nos jours, il est
souvent attendu d’un traitement qu’il suive
les recommandations fondées sur les preu-
ves. Ces recommandations se fondent sur de
grandes études qui évaluent un groupe de
patients défini de la manière la plus claire
possible. Les patients inclus doivent, dans
la mesure du possible, ne présenter aucun
facteur susceptible de «fausser» un résul-
tat. Les études ne prennent en compte que
les pathologies isolées et, à la rigueur, les
comorbidités fréquentes. La manière dont
le traitement doit être modifié en présence
de deux maladies ou davantage ne fait pour
l’heure l’objet que de peu de recherches.
Dès lors, les médecins de famille et les gé-
néralistes hospitaliers doivent baser leurs
choix de traitement sur leur connaissance
de la pathologie isolée en question ainsi que
sur leur expérience et leur intuition.
Une nouvelle orientation est
impérative
La planification des ressources pour
les hôpitaux et la recherche devra être re-
pensée. La médecine de pointe a connu de
grands succès au sein de certaines disci-
plines. Toutefois, le traitement de vrais pa-
tients va au-delà de la maladie dont ils sont
actuellement atteints. Lors d’interventions
médicales ou chirurgicales chez des patients
multimorbides, la prise en charge en amont
et en aval est aujourd’hui souvent plus com-
plexe. Dans les établissements hospitaliers,
le généraliste hospitalier devient de ce fait
particulièrement important. Cependant, dans
le cadre des soins de santé primaires, les
médecins sont également sollicités. Patients
multimorbides et durées d’hospitalisation
diminuant sans cesse évoluent en parallèle.
Le traitement de ces patients multimorbides
complexes est ainsi partiellement transféré
dans le domaine ambulatoire. Cette évolu-
tion doit conduire à de nouveaux concepts
thérapeutiques pour les patients à titre indi-
viduel et se montre capitale concernant la
planification du système de santé. Elle rend
nécessaire un renforcement de la méde-
cine générale interne, de la médecine de
famille et de la médecine générale en éta-
blissement hospitalier ainsi qu’en ambula-
toire.
Une recherche optimisée
aboutit à davantage de clarté
et de sécurité
A l’avenir, la recherche devra également
s’intéresser plus activement à la concomi-
tance des pathologies isolées. Dans le cas
où un patient est atteint simultanément de
deux maladies, les lignes directrices peuvent
se contredire : anticoagulation en cas d’évé-
nement thrombotique survenant en même
temps qu’une hémorragie. Quelle est la
priorité ? Que faire en cas de traitement à la
fois indiqué et contre-indiqué, comme des
corticoïdes par exemple ? Existe-t-il un
algorithme de prise de décision ? Dans le
domaine de la recherche clinique, les ques-
tions sur les interactions entre les patholo-
gies sont au premier plan, notamment sur la
manière dont celles-ci s’influencent mutuel-
lement. Dans la pratique, les médecins sont
fréquemment confrontés à des situations
dans lesquelles, avec des lignes directrices
se contredisant, ils doivent prendre des dé-
cisions au sujet de différentes maladies,
sans qu’elles soient réellement satisfaisan-
tes. Selon les circonstances, le traitement
prescrit pour une pathologie peut en ag-
graver une autre. De telles réflexions sont
beaucoup plus fréquentes que les ques-
tions relatives aux interactions médicamen-
teuses.
L’établissement de nouveaux
objectifs requiert des approches
innovantes afin de trouver des
solutions
Dans différents domaines, la recherche
sur la multimorbidité s’accélère. L’épidémio-
logie doit dresser un portrait précis du pro-
blème même si, du fait de la structure mou-
vante de la population, les chiffres absolus
changent constamment. Définir le problème
est également inévitable pour la politique
de santé, comme l’allocation des ressources
destinées aux soins de santé doit être pré-
vue suffisamment tôt. Les résultats épidé-
miologiques mettent en évidence les mala-
dies qui surviennent en cluster, c’est-à-dire
généralement concomitamment, et celles
qui surviennent rarement ensemble. Que
des succès retentissants dans des domai-
nes très spécialisés nécessitent une réflexion
sur les fondamentaux n’est pas d’actualité
uniquement en médecine. La biologie a été
témoin d’une tendance similaire. Après des
années de spécialisation croissante, les
questions relatives aux interactions entre
des systèmes complexes gagnent en impor-
tance.
L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich
(EPFZ) a reconnu ces signes des temps.
Pour cette raison, elle s’est dotée d’une
chaire de biologie systémique il y a quelques
années, laquelle s’intéresse à ces questions
actuelles et brûlantes. Notre clinique (Klinik
und Poliklinik für Innere Medizin, USZ) axe
désormais ses recherches sur la multimor-
bidité et a fondé le réseau Multimorbidity
(www.multimorbidity.net). Il s’agit d’un réseau
scientifique interdisciplinaire ouvert de cher-
cheurs et d’experts en santé publique qui,
outre les unités de recherche des facultés
La multimorbidité et les
maladies chroniques
façonnent toujours plus le
quotidien des médecins
réunion annuelle de la SSMI
E. Battegay
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 430-1
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