Ethique et audit
Christian PRAT dit HAURET
Maître de Conférences IAE de Bordeaux
Université Montesquieu Bordeaux IV
35 Place Pey Berland – 33076 Bordeaux cedex
05-56-00-45-67
Mots-clés : Ethique - Audit – Déontologie – Conséquentialisme – Développement moral
cognitif.
Résumé : L’objet de la recherche est d’explorer les rapports croisés de l’éthique et de l’audit à
travers différents courants théoriques de la philosophie morale et de présenter les résultats
empiriques issus de différentes recherches menées sur le thème de l’éthique appliquée au
champ de l’audit. Si la théorie du devoir d’inspiration Kantienne semble adaptée à la mission
de certification des comptes qui est contraire à toute interprétation de la règle, une vision
« conséquentialiste » de la révélation des faits délictueux semble plus réaliste et pertinente.
Concernant les résultats empiriques des recherches menées, le champ fécond de la théorie du
développement moral cognitif sera présenté.
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Les scandales financiers et comptables (Enron,Woldcom,Ahold,Parmalat) intervenus aussi
bien aux Etats-Unis qu’en Europe amènent à s’interroger sur l’efficacité des organes de
contrôle et notamment sur celle de l’auditeur légal, tiers – arbitral au sein de la gouvernance
des entreprises, chargés de donner une assurance sur la qualité des états financiers. La qualité
de l’audit des états financiers nécessite que deux conditions soient remplies : la compétence et
l’indépendance. Si la compétence des auditeurs légaux est positivement corrélée au
développement d’une meilleure expertise et de l’expérience accumulée au cours du temps,
l’indépendance ne peut exister que si l’auditeur légal est capable d’exprimer son opinion en
âme et conscience et de manière libre. Or, la liberté de jugement repose sur un niveau élevé de
sensibilité éthique complété par un véritable comportement éthique.
Comme le soulignent Fortin et Martel/1997, il est généralement admis que l’auditeur, dans sa
fonction d’attestation des états financiers, doit agir en fonction des intérêts, souvent
contradictoires, de divers groupes d’utilisateurs tels que les créanciers, les actionnaires ou les
agences de réglementation si bien qu’en rédigeant son rapport sur la fiabilité des résultats
publiés dans le rapport annuel d’une entreprise, l’auditeur assume une triple responsabilité. Il
doit veiller à ce que les investisseurs disposent d’une information suffisante pour apprécier le
risque et les perspectives de gain, porter un jugement sur la pertinence de l’information à
divulguer et tenir compte de l’intérêt du public. Tandis que la connaissance technique
s’acquiert au cours d’une formation accréditée, l’éthique repose sur la capacité et les aptitudes
à rendre des jugements moraux. La nécessité de tenir compte de l’intérêt du public et de celui
du client fait partie de la réalité quotidienne de l’auditeur et le place au cœur d’importants
conflits d’intérêt pour lesquels les codes de déontologie n’offrent pas de solutions simples.
Les auditeurs sont confrontés en mission à différentes questions du type : que dois-je faire ?,
qu’aurais-je dû faire ? quelles sont les limites de mes actions ? n’aurais-je pas mieux fait de ?.
Or, lorsque les finalités des actions ainsi que les moyens que nous avons de les réaliser
deviennent les objets de ce questionnement, lorsque la délibération suppose la capacité
psychologique de prendre une certaine distance par rapport à une situation donnée, d’adopter
un recul critique à l’égard des besoins et désirs les plus immédiats, le questionnement devient
moral ou éthique.
L’objet de la recherche est d’explorer les rapports croisés de l’éthique et de l’audit à travers
différents courants théoriques de la philosophie morale et de présenter les résultats empiriques
des recherches menées sur le thème de l’éthique appliqué au champ de l’audit à travers le
prisme de la théorie du développement moral cognitif.
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1. Ethique et déontologie professionnelle des auditeurs, des concepts à éclaircir :
La définition des termes de morale, d’éthique ou de déontologie n’est pas chose aisée. Selon
Canto-Sperber et Ogien/2004, la morale désigne le plus souvent l’héritage commun des
valeurs universelles qui s’appliquent aux actions des hommes ; par contraste, le terme
d’éthique est plus souvent employé pour désigner le domaine plus restreint des actions liées à
la vie humaine…quant au terme déontologie qui vient du grec déonta , les devoirs, ce qui est
dû ou requis, il désigne ce qu’il convient de faire dans une situation sociale donnée, en
particulier l’ensemble des devoirs liés à l’exercice d’une profession. Hirigoyen/1993 propose
la formulation suivante : « la définition de l’éthique- quand elle est donnée par les auteurs qui
font référence à ce concept- oscille entre l’expression d’une intention humaniste fondée sur la
notion du Bien et l’énoncé de règles normatives applicables par tous sous forme de
déontologies ». Elle est l’expression d’un besoin ou d’une quête de sens définie par
Ricoeur/1990 comme « le désir d’une vie accomplie, qui fonde l’estime de soi-même, avec et
pour les autres, dans le cadre d’institutions justes ». Ce même auteur nomme « visée éthique »
la « visée bonne avec et pour les autres dans des institutions justes » et associe trois
composantes à la problématique éthique : la composante subjective, correspondant à la vie
bonne pour soi ; la composante interpersonnelle concernant notre rapport à autrui et la
composante sociétale renvoyant aux institutions. Il souligne qu’il revient à l’idée de l’ethos
d’embrasser et d’articuler dans une unique formule, le souci de soi, le souci d’autrui et le
souci de l’institution. Puel/1989 définit l’éthique comme « l’agir humain en tant qu’il se
réfère à un sens…et positivement ; celui qu’inspire une éthique doit prendre conscience de
l’orientation et de la signification de ses actes et s’enracine dans une liberté à défaut de
laquelle il n’y aurait pas de responsabilité et par conséquent pas non plus de morale ». Définir
l’éthique comme une visée ou un chemin (Mousse/1990) revient à dire d’emblée que l’éthique
n’apporte pas de réponses mais correspond plus à l’interrogation de celui qui veut du bien. Par
contraste, la morale peut être entendue comme l’ensemble des croyances et des codes qui
contribue au bon déroulement de cette interrogation dans une société donnée. Plus
prosaïquement, la morale forme ainsi le domaine des obligations et des interdictions, chargée
ainsi de préciser le « tu dois » et le « tu ne dois pas » qui règlent la vie sociale. Quant à la
déontologie – étymologiquement « ce qu’il faut faire » -, elle coïncide avec la morale d’un
secteur ou d’une profession. L’éthique renvoie aux valeurs morales auxquelles se réfère
l’individu dans ses actes lorsque ceux-ci affectent ou risquent d’affecter les autres. Fortin et
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Martel/1997 précisent « qu’en tant que réflexion critique sur les comportements sociaux et
leurs normes effectives, l’éthique exerce essentiellement une fonction de clarification des
valeurs en cause, facilitant et accélérant la prise de décision. C’est dire que l’éthique ne se
réduit pas à une reconnaissance passive de ces valeurs et principes moraux mais suppose leur
prise en compte dans la conduite humaine et l’action ». Pour Mousse/1992, « celui qui inspire
une éthique doit au moins prendre conscience de ses actes. Il s’enracine dans une liberté à
défaut de laquelle il n’y aurait pas de responsabilité et par conséquent pas non plus de
morale ». C’est la liberté qui fonde l’éthique pour chacun. L’affirmation en va nullement de
soi car, pendant des millénaires, l’appartenance communautaire l’emportait généralement sur
la volonté et la possibilité d’être autonome. Aujourd’hui encore, pour de nombreux individus
et dans de nombreux pays, les comportements sont largement déterminés par les
appartenances sociales, des coutumes et des dogmes, des pressions de l’environnement et des
occasions nées des circonstances. Il n’en va plus de même depuis les Lumières, du moins
dans la sphère culturelle de l’Occident. La conscience d’être libre et de devoir décider par soi-
même y définit l’homme. Mais on ne détermine le sens d’une action qu’en fonction d’un
objectif, et sa signification qu’en fonction d’un contexte.
Selon Mercier/2000, l’éthique d’une entreprise regroupe un ensemble de principes, de valeurs
et de croyances qui dirigent la conduite des individus, elle est une recherche identitaire et a
pour ambition de distinguer par une réflexion personnelle, la bonne ou la mauvaise volonté
d’agir. Pour Pesqueux/2000, « traiter de l’éthique, c’est prendre position sur la trilogie :
éthique, morale et déontologie. On parle de morale dans un univers de réflexion transcendant
et universel. Les références sont alors par exemple Platon et Kant. Parler d’éthique convient à
se placer dans un champ de réflexion contingent et les références en sont par exemple,
Aristote et les stoïciens. Le terme de déontologie et la perspective qui y est associée, bien que
d’origine ancienne, sont maintenant d’utilisation strictement française et la déontologie peut
être vue comme une éthique appliquée à un domaine professionnel spécifique. On parle ainsi
de déontologie médicale et de déontologie comptable ».
Toujours selon le même auteur (Pesqueux/2002), « la déontologie est un ensemble de règles
normées appliquées à un domaine professionnel, le périmètre en est corporatif,
communautaire et ces règles sont construites sur des valeurs non forcément explicites
(l’implicite de la profession) ; la déontologie se révèle être de l’ordre du libéralisme
communautarien et fonde ainsi la légitimité du lobby ». La déontologie, du grec déon-tos (ce
qu’il faut faire), est une déclinaison de la morale et peut se définir comme un ensemble de
règles qui régissent une profession et la conduite de ceux qui l’exercent».
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Soucieuse de la déontologie de ses membres, la Compagnie Nationale des Commissaires aux
Comptes s’est dotée d’un code de déontologie professionnelle complété de textes
d’application (CNCC/2002). La première partie du code de déontologie professionnelle
reprend les six principes fondamentaux de comportement à savoir l’intégrité, l’objectivité, la
compétence, l’indépendance, le secret professionnel et le respect des règles professionnelles.
En vertu du principe d’intégrité (article 1), le commissaire aux comptes doit faire preuve
d’honnêteté intellectuelle et de droiture dans la conduite de ses missions et s’abstenir de tous
agissements contraires à la probité et à l’honneur. Selon le principe d’objectivité (article 2), le
commissaire aux comptes veille tout au long de sa mission à conserver une attitude impartiale
caractérisée par l’absence de tous préjugés, parti - pris, influences extérieures ou conflits
d’intérêts, et par la conduite d’une démarche professionnelle permettant d’aboutir à des
conclusions objectives. Le commissaire aux comptes doit veiller à maintenir un degré élevé
de compétence (article 3) qui requiert un niveau de connaissances théoriques et pratiques et
leur mise en œuvre appropriée à chaque mission. L’indépendance (article 4) se manifeste,
quant à elle, non seulement par une attitude d’esprit qui s’exprime dans l’intégrité,
l’objectivité, la compétence mais aussi dans le fait d’éviter toute situation qui par son
apparence pourrait conduire les tiers à la remettre en cause. Selon l’article 5, le secret
professionnel est opposable à toute personne s’il n’en est autrement décidé par la loi. Enfin,
en vertu de l’article 6, le commissaire aux comptes doit effectuer ses missions dans le respect
des règles professionnelles émanant du Conseil national des commissaires aux comptes ou du
Haut Conseil au Commissariat aux Comptes.
2. Théorie du devoir et conséquentialisme au service de la compréhension de la prise de
décision de l’auditeur :
2.1. Théorie du devoir et mission de certification des comptes :
Les auditeurs légaux ont une triple mission : certifier la régularité, la sincérité et l’image
fidèle des comptes annuels ; garantir la qualité des informations données par le dirigeants
dans le rapport où ces derniers rendent compte de leur gestion ( par exemple, les informations
sociales et environnementales imposées par la loi sur les Nouvelles Régulations
Economiques) et jouer un rôle de protection des parties prenantes à la vie de l’entreprise
(clients, fournisseurs, banquiers, Etat, organismes sociaux) lors du lancement de la procédure
d’alerte en cas de remise en cause de la continuité de l’exploitation ou lors de la révélation de
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