
avec l’énergie requise les adeptes avoués ou souvent plus discrets des
idées modernistes2solennellement condamnées par l’autorité
romaine. Toutefois, dès cette époque, le sentiment d’une autorité
pontificale trop faible dans la répression est courant parmi les inté-
gristes de la Société saint Pie V (Sodalitium pianum) et ses divers
relais dans plusieurs pays. Mgr Benigni (1862-1934) surnomme ainsi
le secrétaire d’État, le cardinal Merry del Val, «la Peur». Le 1er juillet
1921, Mgr Baudrillart reçoit un Mgr Begnini déjà marginalisé sous le
règne de BenoîtXV et l’attitude de ce «revenant » évoque celle de
Mgr Lefebvre cinquante ans plus tard :
J’ai reçu la visite d’un revenant, Mgr Benigni, de passage à Paris,
retour de Vichy; il était accompagné de l’abbé Boulin (Roger Duguet).
Il est le type du disgracié et du mécontent; il se cache à demi. Il consi-
dère que Gasparri et BenoîtXV mènent l’Église aux abîmes; tout le
scandalise et l’irrite. (…) Il estime que le pape lâchera tout au gouver-
nement. Il pense que nous allons à pire qu’une révolution sociale et
religieuse;que pense-t-il? Une apostasie ? Un abandon de la vérité par
les chefs de l’Église? Mystère3!
Si on ne majore pas l’épisode tumultueux vécu par les catholiques
maurrassiens4lors de la crise de l’Action française sous PieXI entre
2. Cf. É. POULAT, Catholicisme, démocratie et socialisme. Le mouvement catho-
lique et Mgr Benigni de la naissance du socialisme à la victoire du fascisme, Paris,
Casterman, 1977; P. COLIN, L’Audace et le soupçon. La crise moderniste dans le
catholicisme français (1893-1914), Paris, Desclée de Brouwer, 1997; F.LAPLANCHE,
I. BIAGIOLI et C. LANGLOIS (dir.), Autour d’un petit livre. Alfred Loisy cent ans
après.Turnhout, Brepols, 2007. Il s’agit du «modernisme» au sens théologique
condamné par PieX par le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi Domini gregis
(1907). Le relativisme qu’introduisaient l’exégète A.Loisy et ses disciples sapait à la
fois l’autorité du dogme et celle de l’Église hiérarchique comme seule interprète
qualifiée des Écritures. Deux affirmations condamnées par le Décret en donnent une
idée : «LVIII.– La vérité n’est pas plus immuable que l’homme lui-même, car elle
évolue avec lui, en lui et par lui. LIX.– Le Christ n’a pas enseigné un corps déter-
miné de doctrine, applicable à tous les temps et à tous les hommes, mais il a plutôt
inauguré un certain mouvement religieux adapté ou qui doit être adapté à la diversité
des temps et des lieux». Un serment antimoderniste est exigé, hors Allemagne, de
tout prêtre entre 1910 et 1967; une profession de foi et serment de fidélité en reprend
la substance en 1989 mais ne concerne que les enseignants en théologie catholique.
3. P. CHRISTOPHE (éditeur), Les Carnets du cardinal Baudrillart (1919-1921),
Paris, Cerf, 2000, p.841.
4. F.MICHEL, avec d’autres comme Henri Tincq, est tenté par une réduction du
catholicisme intégriste au maurrassisme dans son étude «L’Action française et l’inté-
grisme catholique : les paradoxes d’un antiromanisme ultraromain» parue dans l’ou-
vrage cosigné avec B. SESBOUË, De Mgr Lefebvre à Mgr Williamson, Paris,
Lethielleux-DDB, 2009 et radicalise son point de vue dans sa postface à Ph.
BÉGUERIE, Vers Écône. Mgr Lefebvre et les Pères du Saint-Esprit, Paris, Desclée de
Brouwer, 2010 : « C’est refuser d’employer l’une des grilles les plus naturelles et
LUC PERRIN62
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