Revue des sciences religieuses
87/1 | 2013
Varia
La proliration des sectes en Côte d’Ivoire :
l’expression d’une réalité sociale
Raoul Germain B
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1313
DOI : 10.4000/rsr.1313
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2013
Pagination : 77-92
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Raoul Germain Blé, « La prolifération des sectes en Côte d’Ivoire : l’expression d’une réalité sociale »,
Revue des sciences religieuses [En ligne], 87/1 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 30
septembre 2016. URL : http://rsr.revues.org/1313 ; DOI : 10.4000/rsr.1313
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© RSR
LA PROLIFÉRATION DES SECTES
EN CÔTE D’IVOIRE :
L’EXPRESSION D’UNE RÉALITÉ SOCIALE
Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, le christianisme est une réalité
familière, marquée par la pluralité des communautés, catholiques,
protestantes, évangéliques ou autres. Partout, dans les villes de l’inté-
rieur et surtout dans les dix communes d’Abidjan, foisonnent les lieux
de culte. Dans la plupart des quartiers, des salles de cinéma sont trans-
formées en maisons de prière. On peut ainsi comprendre que pour bon
nombre de chrétiens, la prière justifie la vie en montrant le chemin à
suivre si bien que tout comportement qui s’éloigne de la parole de
Dieu est désormais inadmissible.
Certaines mutations à l’intérieur de la communauté catholique, à
laquelle nous appartenons, et la prolifération des sectes sur toute
l’étendue du territoire nous ont amené à nous interroger. Le nombre
grandissant de groupements religieux fait dire à Edouard H.Levy1:
«en Côte d’Ivoire, on note de façon générale trois grands groupes de
croyants. Il y a d’abord les adeptes des religions traditionnelles afri-
caines; ensuite nous relevons ceux de la foi islamique; enfin viennent
les chrétiens qui se composent de catholiques, de protestants et de
membres de nouveaux mouvements religieux. Il convient de signaler
ici que ces derniers sont issus dans leur majorité des églises catho-
liques et protestantes».
Ainsi, en dépit d’une multitude d’Églises reconnues et organisées,
les sectes continuent, chaque année, de se multiplier au nez et à la
barbe des révérends pasteurs et prêtres. Pour le croyant inséré dans
l’une ou l’autre des Églises traditionnelles comme pour le chercheur,
il importe d’examiner pourquoi des croyants décident de rompre avec
leur propre communauté confessionnelle pour adhérer à une nouvelle
structure. Pourquoi à l’intérieur d’une même Église se forme-t-il de
nouveaux mouvements? Par exemple, à côté des sectes, se sont
1. E.H.Lévy, cité par P.N’DRI (2000 : 24).
Revue des sciences religieuses 87 n° 1 (2013), p. 77-92.
MEP_RSR 2013,1_Intérieur 03/12/12 09:32 Page77
constitués, à l’intérieur même de l’Église catholique, des mouvements
comme le Renouveau charismatique, la Légion de Marie, le Rosaire,
etc., dont l’importance est notable et qui se manifestent efficacement
dans toutes les paroisses.
Il nous semble que les concepts de rigidité et de souplesse, tels
qu’on peut les appliquer aux réalités institutionnelles, peuvent être des
outils pertinents pour essayer de comprendre cette prolifération des
Églises ou des mouvements de prière. Nous posons par hypothèse que
la multitude de sectes est un phénomène qui interpelle en nous
renvoyant aux contraintes nées de l’augmentation de la pauvreté,
d’une part, et, d’autre part, aux réactions à des orientations ecclésiales
perçues comme trop exigeantes et peu ouvertes aux questions sociales
et aux pratiques de notre temps. C’est ce qui explique, dans certains
cas, l’éloignement de certains croyants, gagnés par le doute dans l’in-
terprétation et la pratique de la parole de Dieu que font les dignitaires
de leurs Églises. Le message de Jésus reconnu comme libérateur
devient alors à leurs yeux déformé et insaisissable par la faute des
seuls responsables religieux dont le sectarisme et le dogmatisme ne
permettent plus de vivre ouvertement la parole de Dieu. D’où la nais-
sance de tendances qui s’opposent, exactement comme dans les partis
politiques, à «l’idéologie dominante».
Pour notre recherche, nous avons rencontré des fidèles, des
pasteurs, des prêtres, des journalistes, des théologiens, des
«gourous», etc., tout en utilisant, d’autre part, la documentation
disponible sur ces questions. Enfin, bien que ce travail porte sur les
sectes, nous avons maintenu un regard sur les Églises protestantes et
catholique pour étayer notre réflexion.
I.UN ESSAI DE DÉFINITION DES MOTS-CLÉS
Il n’est pas question de se lancer dans une pesante définition des
termes et concepts utilisés dans ce travail. D’un point de vue étymo-
logique, on peut rappeler que le mot «secte» peut être rattaché à deux
termes latins, sequi, «suivre», et de secare, «couper». On voit là
deux caractéristiques essentielles de la création des sectes : soit elles
prennent forme par le charisme d’un leader regroupant et organisant
des adeptes sous sa coupe; soit elles se forment à la suite d’une
rupture avec un groupe existant.
On a pu parler de «sectes» dans l’histoire pour désigner une école
philosophique, comme dans la Grèce ancienne, par exemple les épicu-
riens, les stoïciens, les cyniques; des courants religieux, comme au
sein du judaïsme au temps de Jésus Christ (pharisiens, zélotes, etc.) et
enfin des courants dissidents au fil de l’évolution de l’Église.
RAOUL GERMAIN BLÉ78
MEP_RSR 2013,1_Intérieur 03/12/12 09:32 Page78
La première réflexion importante sur le concept de secte est
l’œuvre de Max Weber (1864-1920). Allemand de confession protes-
tante, il s’est très tôt intéressé aux différentes problématiques sociales
d’existence des groupes chrétiens, à leur mode d’évolution dans leur
environnement propre et à leurs rapports aux dimensions politique et
économique, etc. Les résultats de son analyse se sont soldés par la
mise au point d’une typologie comparative qui prend soin de distin-
guer la secte de l’Église. Il n’est pas vain de noter ici que son
approche fut reprise et enrichie par la contribution d’un autre Alle-
mand, théologien, Ernst Troeltsch (1865-1922), de culture également
protestante. On peut avancer que Weber et Troeltsch ont repris les
reproches formulés par les Réformateurs pour mieux appréhender la
nature de l’Église et montrer en quoi la secte en est différente. La
revue de la littérature sur la question montre clairement que les deux
auteurs définissent la secte par opposition à l’Église. Nous convo-
quons ici Xavier Ternisien2qui cite Max Weber et Ernst Troeltsch :
selon le premier, «l’Église est une institution de salut qui vise à
accroitre son influence, tandis que la secte est un groupe contractuel,
qui met l’accent sur l’intensité de la vie de ses membres». Quant au
second, il avance qu’«une Église est prête à passer des compromis
avec la société, tandis que la secte se situe en retrait par rapport au
reste de la société».
Nous retenons de ces deux auteurs que la secte est un groupe
volontaire de croyants auquel on adhère par une conversion voulue et
dont tous les membres sont en principe égaux. Y sont généralement
mis en avant l’élection divine, le refus du compromis, le charisme du
fondateur. L’enseignement y est de type doctrinaire, l’adhésion est
sélective et les lois des pays d’accueil ne sont pas toujours respectées.
C’est donc un groupe intransigeant, qui peut être en rupture avec la
société. Enfin, elle s’oppose aux Églises instituées, le plus souvent
communautés d’origine des adeptes, parce que, en quelque sorte, on
leur appartient d’office par la naissance; et si, habituellement, les
Églises comptent en leur sein des religieux et des laïcs- au clergé, il
revient d’observer une morale exigeante et aux autres une règle de vie
plus souple –, dans la secte, tous les membres sont tenus à une même
rigueur morale.
De nos jours, «secte» renvoie également à certains nouveaux
mouvements religieux (notion introduite par les sociologues) avec
une connotation négative pour attirer l’attention sur les dangers que
représentent ces organisations pour les individus et pour la société. En
2. X.TERNISIEN, 2007 – 88.
79LA PROLIFÉRATION DES SECTES EN CÔTE DIVOIRE
MEP_RSR 2013,1_Intérieur 03/12/12 09:32 Page79
Côte d’Ivoire, le terme de secte n’existe pas juridiquement en raison
du principe de laïcité, mentionné dans la constitution; cependant,
compte tenu des définitions et caractéristiques des sectes qu’on vient
de mentionner et au regard des pratiques de leurs adeptes, on constate
qu’elles y sont présentes. Mais, en l’absence de définition officielle,
l’État ivoirien continue aujourd’hui encore de signer des autorisations
pour la création de nouveaux mouvements confessionnels.
Les responsables de Moon, les pasteurs du Christianisme céleste
et des témoins de Jéhovah que nous avons rencontrés à Abidjan refu-
sent qu’on les traite de sectaires parce qu’ils ne dépendent ni de
l’Église catholique, ni des Églises protestantes. Ils trouvent celles-ci
«rigides» et dépassées face aux mutations de la société actuelle.
D’ailleurs, en apparence, il est difficile de les distinguer des religions
établies parce que ces dernières se placent sur le même terrain et
emploient sensiblement le même vocabulaire. On se rend ainsi
compte que les religions reconnues ne sont plus les seules à proposer
des messages ou des formes de société promettant aux croyants plus
d’épanouissement intérieur car «quasi-religions» et sectes de tous
ordres se multiplient.
On peut entendre par «quasi-religions» un groupe n’ayant rien de
religieux mais qui offre tout de même à ses adeptes un environnement
identique à celui des confessions reconnues : solidarité, amour fra-
ternel, rites d’initiation, pèlerinages, etc. Par exemple, les francs-
maçons, les rosicruciens, les partis politiques et les clubs sportifs peu-
vent constituer, entre autres, des «quasi-religions» pour bon nombre
de leurs membres : affirmation de l’excellence du groupe par rapport
aux autres, pensée pré-digérée, observations de rites et signes de recon-
naissance (bannières ou vêtements de cérémonie), etc. Il conviendrait
de mentionner également ici la distinction importante entre «religion»
(ou «quasi-religion», comme on vient de le dire) et vie spirituelle des
croyants/adeptes, celle-ci ayant un caractère plus personnel.
II.LA SITUATION JURIDIQUE EN CÔTE D’IVOIRE
Au niveau juridique, la Côte-d’Ivoire est un État laïc. Cependant
en son article 6, la constitution ivoirienne de 1960 garantit la liberté
religieuse ou le droit pour chaque individu de choisir entre l’in-
croyance et la croyance. Lors des évènements du 24décembre 1999,
suite au coup d’État de la junte militaire qui mit fin au pouvoir du
président Henri Konan Bédié et de son gouvernement, cette constitu-
tion fut suspendue, mais l’article sur la liberté religieuse a été recon-
duit par celle du 23 juillet 2000, en son article 30, alinéas 1 et 2 qui
affirment clairement :
RAOUL GERMAIN BLÉ80
MEP_RSR 2013,1_Intérieur 03/12/12 09:32 Page80
1 / 17 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !