Untitled - Ensemble

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Les exposés de la rencontre interreligieuse étaient tous soumis à
la contrainte d’être limités à 10 minutes au maximum. C’est
pourquoi j’ai dû taire dans ma présentation ci-dessous tout ce qui
est en bleu et qui rend pourtant la compréhension du sujet plus
facile.
La féminité de DIEU et la place des femmes dans la vie
communautaire
Je voudrais vous parler d’un aspect particulier de la Miséricorde de
Dieu, à savoir SA Féminité et ses implications pour la place des
femmes dans la vie communautaire. En effet, si dans notre pays, des
femmes ne bénéficient pas de la même considération que les hommes,
c’est que cet aspect de la Miséricorde de Dieu dont j’aimerais parler, a
été et est toujours ignoré par beaucoup de nos contemporains…
pourquoi ?
L’idée de la Miséricorde en Occident depuis ses origines bibliques
Voici comment, en Occident, l’idée de la Miséricorde s’est formée
depuis ses origines bibliques : en hébreu, le mot pour "miséricorde"
est rah'amim, de la racine rehem : ‘matrice’, ‘utérus’, ‘ventre féminin’.
Il peut se traduire par ‘amour féminin’, ‘sollicitude maternelle’,
‘tendresse’, ‘compassion’ - par rapport à DIEU aussi [par exemple en
Jérémie 31,20 : « Éphraïm est-il donc pour moi un fils si cher,
un enfant tellement préféré, pour qu'après chacune de mes
menaces je doive toujours penser à lui, et que mes entrailles
s'émeuvent pour lui, que pour lui déborde ma tendresse ?
»]. Pourtant, dans la civilisation judéo-chrétienne, l’image dominante
n’est pas celle de l’amour masculin et féminin de DIEU, mais celle de
l’amour principalement masculin, conquérant, paternel. C’est cette
image qui a justifié la suprématie des hommes sur les femmes dans la
religion et dans toute la société. Mais quelque chose a commencé à
changer à partir du ministère public de Jésus de Nazareth. Par sa
façon originelle de réconcilier le féminin et le masculin, Jésus a
corrigé cette image unilatérale de Dieu pour donner aux femmes et
aux hommes une dignité nouvelle.
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Ce n’est donc pas un hasard si nous retrouvons, dans le Second
Testament, par rapport à la vie de Jésus, les équivalents grecs de
rehem-rah'amim ["splagchnon", littéralement les ‘entrailles’, et
"splagchnizomai", ‘être ému de compassion’. Ils sont employés
quand il est question de la relation de Jésus avec des personnes
souffrant moralement, des personnes malades ou endeuillées, par
exemple en Marc 6,34 : « Quand Jésus sortit de la barque, il vit
une grande foule, et fut ému de compassion pour eux
(littéralement : ‘il fut ému pour eux dans ses entrailles’,
splagchnizomai), parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont
point de berger…». Nous le retrouvons aussi dans des paraboles
aussi centrales que celles du Fils prodigue et du Bon Samaritain].
Compte tenu de ces données, il semble que Jésus ait intégré le
principe féminin de l’amour de DIEU dans sa vie affective. Car
principe féminin et principe masculin se trouvent chez lui en parfait
équilibre ! Cela explique le nombre de récit de guérison concernant
des femmes et leur participation à la vie itinérante de Jésus. Je cite le
chapitre 8 de l’Evangile de Luc : « Jésus faisait route à travers villes et
villages ; il proclamait et annonçait la bonne nouvelle du Règne de Dieu.
Les Douze étaient avec lui, 2et aussi des femmes qui avaient été guéries
d’esprits mauvais et de maladies : Marie, dite de Magdala… 3Jeanne,
femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et beaucoup d’autres
qui les aidaient de leurs biens . » Or, quelques unes d’entre elles
joueront un rôle de premier ordre dans les événements de la dernière
Pâque de Jésus à Jérusalem. Parmi ces femmes se trouve Marie de
Magdala qui la première fera l’expérience du Christ ressuscité d’après
les Evangiles de Jean et Matthieu, et qui la première en témoignera
aux autres disciples.
Le rôle particulier de Marie de Magdala dans les Evangiles
apocryphes
Ce rôle particulier de Marie de Magdala est encore davantage mis en
valeur dans les Evangiles apocryphes ! Par exemple dans l’Évangile
qui porte son nom, le Christ ressuscité apparaît à ses disciples et
répond à leurs questions. Jésus les quitte et les disciples sont affligés
de son départ. C’est alors que Marie de Magdala intervient et, se
référant à l’enseignement qu’elle a reçu de Jésus, les encourage. La
réponse de Marie suscite une réaction assez violente de la part de
Pierre. Je cite la page 17 : «Est-il possible que le Maître se soit
entretenu ainsi, avec une femme, sur des secrets que nous, nous
ignorons ? Devons-nous changer nos habitudes, écouter tous cette
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femme ? L’a-t-Il vraiment choisie et préférée à nous ? » Alors Marie
pleura […]. Lévi prit la parole et dit : “Pierre, tu as toujours été un
emporté ; je te vois maintenant t’acharner contre la femme, comme font
nos adversaires. Pourtant si le Maître l’a rendue digne, qui es-tu pour la
rejeter ? Assurément le Maître la connaît très bien, il l’a aimée plus que
nous.” »
Ce qui est écrit ici, est révélateur des tensions qui existaient entre les
communautés chrétiennes à cette époque : Pierre et Marie
représentent en effet deux traditions ecclésiales différentes : la
première, incarnée par Pierre, est la tradition judéo-chrétienne
majoritaire et patriarcale. Cette tradition dénigre l’autorité des paroles
de Marie de Magdala et interdira aux femmes toute participation
active à l’organisation de l’Église.
L’autre tradition ecclésiale, minoritaire et progressiste, est très
marquée par la philosophie grecque. Sa figure de proue n’est pas
Pierre mais Marie de Magdala légitimée par la relation de compassion
qu’avait Jésus avec les femmes et par des révélations secrètes dont
Marie de Magdala auraient bénéficiées. En fait, ces enseignements
sont considérés comme secrets parce qu’ils portent sur des éléments
symboliques qui risquent d’être mal compris.
L’enseignement ésotérique de Jésus : le baiser de Jésus
C’est le cas notamment des "baisers" de Jésus à Marie de Magdala
mentionnés dans l’Évangile de Philippe [Sentence 44b]. Mais il faut
savoir qu’à cette époque, dans l’espace judéo-chrétien, le "baiser" est
un symbole. Il représente la communication du souffle divin qui a
pour fonction de faire naître en chacun la vie spirituelle. Il faut penser
au Souffle par lequel Dieu crée l’être humain en Genèse 2,7 et au
Souffle par lequel le Christ ressuscité communique à ses disciples le
Saint Esprit en Jean 20,22 ! Aussi est-il écrit dans l’Évangile de
Philippe, sentence 25[b] : « L’homme accompli devient fécond par un
baiser et c’est par un baiser qu’il fait naître [d’autres à la vie]. Et c’est
pourquoi nous nous embrassons les uns les autres et nous nous
donnons mutuellement naissance par l’amour qui est en nous. »
Marie de Magdala comme « compagne » de Jésus
A cette sentence succède la sentence 26 qui présente Marie de
Magdala comme la « compagne » de Jésus [κοινωνη] – autre terme
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ambigu. Pour le comprendre, il nous faut nous familiariser un peu
avec la mythologie de la philosophie grecque.
En effet, l’Évangile de Philippe comprend Marie de Magdala comme
une incarnation de la Sophia, la Sagesse. Celle-ci est considérée
comme une émanation féminine de DIEU. Elle descend dans le monde
et tombe dans le piège que lui tendent les forces du Mal qui cherchent
à lui prendre la portion de lumière qui est en elle. Elle est enfermée
dans la chair humaine et elle y migre pendant des siècles, d’un corps
féminin à un autre. Pour l’Évangile de Philippe la Sagesse s’est
incarnée en Marie de Magdala. Pour la sauver, DIEU lui vient au
secours par l’intermédiaire d’un homme, Jésus de Nazareth. Jésus
participe en sa qualité de Sauveur au retour de la Sophia auprès de
CELUI qui l’a créée.
[Dans le livre apocryphe de la Pistis Sophia, il est écrit que
« Marie-Madeleine, au contact de l’enseignement de Jésus
(l’Évangile de Philippe pourrait dire « grâce aux baisers de
Jésus ») « sent grandir en elle l’Anthropos, l’être humain
intègre et, s’identifiant à lui, elle comprend le Tout (cf. ch. 87) ».
Jésus lui dit : « Tu seras la plénitude de toutes les plénitudes, et
la perfection de toutes les perfections (ch. 19). »
Marie-Madeleine est qualifiée en ces termes parce qu’elle
représente en tant que pécheresse convertie et guérie de ses
démons par le Christ une incarnation de la Sophia, la Sagesse.
Par son acceptation de la connaissance que lui apporte Jésus,
elle se métamorphose. Elle quitte l’absurdité de la matière et
atteint la connaissance et le salut. Le baiser de Jésus à MarieMadeleine représente le baiser rédempteur du Sauveur à
la Sophia.]
Voilà pourquoi Marie de Magdala est tellement appréciée dans les
écrits apocryphes au point qu’elle est appelée la « compagne » de
Jésus.
Le « Fils de l’homme » dans les Evangiles apocryphes
Pour encore mieux comprendre la nature de la relation de Jésus avec
Marie de Magdala et avec les femmes en général, il faut insister sur
un autre point. Jésus est considéré par l’Évangile de Philippe comme
le « Fils de l’homme » dans un sens bien particulier.
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Il faut remonter au récit biblique d’Adam et Ève. Sous l’influence de la
philosophie grecque, les Evangiles apocryphes [et certains courants
du judaïsme tardif, par exemple Philon d’Alexandrie] comprennent
Genèse 1, 2 et 3 de la façon suivante : le premier être humain appelé
Anthropos est androgyne, à la fois masculin et féminin – selon qu’il est
écrit en Genèse 1, 27 : « Et Dieu créa l’être humain à son image ; il les
créa mâle et femelle. » Ce premier être humain est en fait antérieur à
la division de l’humanité en deux sexes. Ce n’est qu’au moment de la
chute en Genèse 2 et 3 que s’opère la différenciation sexuelle entre le
masculin et le féminin, puisque Ève est créée par séparation d’avec
Adam. L’Évangile de Philippe soutient en effet que les maux de
l’humanité sont la conséquence de la différenciation sexuelle et
psychique de l’Anthropos originel. Sentence 59 : « Lorsque Ève faisait
encore partie d’Adam, la mort n’existait pas. Quand Ève a été séparée
d’Adam, la mort s’est mise à exister. Si Adam devient à nouveau
complet et retrouve sa forme ancienne, la mort cessera d’exister ».
[Il s’agit là d’une compréhension issue d’un mythe de Platon dans
Le Banquet (189c-193a). Selon ce mythe, le premier être humain
(Anthropos) était céleste et à l’image de Dieu, à la fois mâle et
femelle - ou, pour parler avec Carl-Gustave JUNG : Animus et
Anima en parfaite harmonie. Mais séparé en un homme et une
femme par la chute, il est devenu terrestre. La chute dans le
monde et l’immersion dans le péché sont identifiés à la
différenciation sexuelle et psychique de l’Anthropos. Le salut,
pour les êtres sexués est de reconstituer l’unité primordiale de
l’être humain d’avant la chute.]
C’est là qu’intervient la compréhension de Jésus comme « Fils de
l’homme ». En effet, Jésus est considéré comme la manifestation de
l’Anthropos d’avant la chute. Il est cet Anthropos lui-même ou du
moins son « fils », c’est-à-dire sa manifestation. Et c’est à ce titre qu’il
vient sauver les hommes et les femmes après la chute en les aidants à
retrouver l’Anthropos androgyne d’avant la chute. Il le fera en leur
enseignant à reconstruire en eux et entre eux, l’unité originelle entre
masculin et féminin.
[Ainsi, pour redevenir l’être humain originel, il faut intégrer le
principe psychique du sexe opposé : le masculin chez la femme et
le féminin chez l’homme – une conception éminemment moderne
de la personne humaine, comme nous l’a enseigné. Carl-Gustave
JUNG : cf. sa notion d’Anima et Animus.]
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[La chambre nuptiale
Or, pour parler de l’unité originelle du masculin et du féminin,
l’Évangile de Philippe utilise l’image symbolique de la « chambre
nuptiale céleste » - encore un autre terme ambigu dont le sens ne
peut être saisi que par une compréhension symbolique.
La « chambre nuptiale céleste » est une notion absolument
centrale dans l’Evangile de Philippe où elle revient 26 fois. Voici
deux citations à titre d’exemple.
Sentence 64a : « Si la femme n’avait pas été séparée de l’homme,
elle ne serait pas morte avec l’homme. Sa séparation a été à
l’origine de la mort. C’est pourquoi Christ est venu remédier à
cette séparation, qui existe depuis le commencement, réunir les
deux, redonner la vie à ceux qui étaient morts dans la
séparation et les unir. Or la femme s’unit à l’homme dans la
chambre nuptiale. En vérité ceux qui se sont unis dans la
chambre nuptiale ne seront plus jamais séparés. Ainsi Eve s’est
séparée d’Adam parce qu’elle ne s’était pas unie à lui dans la
chambre nuptiale. »
127 : « Tous ceux qui entreront dans la chambre nuptiale feront
briller la lumière car ils ne sont pas comme les mariages qui se
font dans la nuit, dont le feu s’allume seulement dans la nuit
puis s’éteint. Mais les mystères de ce mariage s’accomplissent
dans le jour et la lumière, ce jour et cette lumière qui ne
s’éteignent pas. » - ce qui veut dire que l’union entre le principe
féminin et le principe masculin est une tâche permanente que
nous avons à accomplir tous les jours.
Cette compréhension symbolique de Marie-Madeleine et de
l’œuvre salvatrice de Jésus implique encore une autre
particularité théologique des écrits apocryphes : l’androgynie de
Dieu, c'est-à-dire l’idée selon laquelle Dieu est à la fois masculin
et féminin, puisqu’il est la source même du principe masculin et
du principe féminin.]
La place des femmes dans l’histoire religieuse de l’Occident
Or, quand nous étudions l’histoire du christianisme, force est de
constater que l’union entre l’Eglise et les pouvoirs publics à partir du
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4ème siècle a anéanti le modèle ecclésial d’une égalité possible entre
hommes et femmes. Dans une Eglise patriarcale devenue religion
d’Etat, les écrits apocryphes et leurs Eglises correspondantes ont été
combattus et détruites, tout au moins à la surface. Mais vous savez :
on peut tuer une personne – on ne peut pas tuer ses idées ! L’idée
d’une société plus égalitaire a survécu, [notamment dans la
philosophie alchimique du Moyen-âge, comme l’a démontré CarlGustave JUNG dans son livre « Psychologie et Alchimie »]. Mais
pendant presque deux mille ans, la femme n’a pratiquement pas joué
de rôle officiel dans la vie publique des religions monothéistes. En
France, il a fallu attendre le 20ème siècle pour voir la première femme
pasteur ordonnée en 1930 dans l’Église réformée d’Alsace et de
Lorraine
(Berthe
Bertsch),
dans l’Eglise
luthérienne
de
Montbéliard en 1937 (Geneviève Jonte) ; dans l’ERF en 1958
(Elisabeth Schmidt à Sète). Aujourd’hui, environ 30 % des pasteurs
de notre Eglise en France sont des femmes. Dans le judaïsme, la
première femme rabbin est ordonnée en 1935 en Allemagne (Regina
Jonas ; en France : la première femme rabbin est ordonnée en
1990 Pauline Bebe). A partir de 2008, l’Eglise anglicane a également
commencé à autoriser l’ordination de femmes. –
Thomas Mentzel
L’Isle-sur-Sorgue, le 27.04.2016
Sources :
1. Marie-Madeleine était-elle la compagne de Jésus-Christ ? Alain
Houziaux, publié dans : Études théologiques et religieuses
2006/2 (Tome 81)
2. http://remacle.org/bloodwolf/apocryphes/table.htm
Pistis Sophia, Encyclopédie théologique, tome 1, éditeur : J.-P.
Migne, Paris 1856
3. http://Infologisme.com :
A. Évangile selon Thomas, Manuscrits de Nag Hammadi Guillaumont, H.-C. Puech et al., (Paris, 1959)
B. Évangile de Marie, Manuscrits de Nag Hammadi - Traduction par
Anne Pasquier
C. Évangile selon Philippe, Manuscrits de Nag Hammadi Infologisme.com
4. Carl-Gustave JUNG : Anima et Animus → « Dialectique du moi et
de l'inconscient », Gallimard, 1973, p. 179 et 181 ;
→ « Psychologie et Alchimie », Buchet et Chastel, 2014
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