Les impasses du dialogue catholique

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Revue des sciences religieuses
86/1 | 2012
Varia
Les impasses du dialogue catholique-pentecôtiste
Gabriel Tchonang
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1616
DOI : 10.4000/rsr.1616
ISSN : 2259-0285
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2012
Pagination : 71-90
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Gabriel Tchonang, « Les impasses du dialogue catholique-pentecôtiste », Revue des sciences
religieuses [En ligne], 86/1 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 01 octobre 2016. URL :
http://rsr.revues.org/1616 ; DOI : 10.4000/rsr.1616
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© RSR
Revue des sciences religieuses 86 n° 1 (2012), p. 71-90.
LES IMPASSES DU DIALOGUE
CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
Le pentecôtisme dans son intuition originelle se voulait fondamentalement et foncièrement œcuménique. Son évolution et les aléas
liés à sa dynamique d'inculturation ont donné à ce courant la caractéristique foncièrement anti-œcuménique que nous lui connaissons
aujourd'hui. Le mouvement qui se voulait le ferment de l'unité des
chrétiens s'est subitement mué en pierre d'achoppement dans les
dialogues œcuméniques, et bien plus sur le terrain de la cohabitation
sociale entre les confessions chrétiennes dans différentes parties du
monde. Cette attitude postérieure à l'intuition primordiale trouve
aussi sa justification dans la méfiance et la réticence des Églises instituées vis à vis du nouveau courant. Ces Églises vont progressivement
se constituer en Églises autonomes au fur et à mesure des crises de
confiance à répétition avec les Églises instituées. En devenant des
Églises dites pentecôtistes, avec pour toile de fond doctrinale l'expérience pentecostale, elles ont constitué un système de pratiques liturgiques et doctrinales, engageant ainsi une concurrence, voire une
hostilité à l'égard des Églises plusieurs fois séculaires.
C'est progressivement et à pas lents qu'une vision œcuménique
du mouvement a resurgi au fur et à mesure que s'organisèrent les
communautés pentecôtistes, tant sur un plan national qu'international.
Certains pentecôtistes ont éprouvé le besoin de retrouver leurs racines
œcuméniques et à s'impliquer dans les dialogues bilatéraux tant avec
l'Église catholique romaine qu'avec les instances œcuméniques existantes. Le dialogue engagé avec l'Église catholique a eu des débuts
enthousiasmants, mais a présenté très vite de nombreuses limites qui
le laissent aujourd'hui au cœur de nombreuses impasses qui ne font
aucun doute sur son avenir incertain et sur son enjeu improbable dans
la marche vers l'unité. Après une brève histoire du dialogue catholique-pentecôtiste, ces impasses, pour les plus importantes d'entre
elles, seront mises à jour. Elles sont d'ordre structurel, engagent en
partie les méthodes en vigueur dans le dialogue, et se concentrent
essentiellement sur les questions d'ecclésiologie et de ministères.
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GABRIEL TCHONANG
I. BRÈVE HISTOIRE / QUELQUES POINTS DE REPÈRES HISTORIQUES
La résurgence de l'esprit œcuménique chez les pentecôtistes est
presqu'exclusivement l'œuvre d'un homme: David Duplessis1 et
aussi la conséquence de la percée du néo-pentecôtisme dans les
Églises instituées. David Duplessis reçut par le biais d'une démarche
spirituelle intérieure la mission d'engager un dialogue entre sa confession pentecôtiste et le conseil œcuménique des Églises. Il décide alors
de quitter sa «maison chaude pentecôtiste» pour s'ouvrir aux autres
dénominations chrétiennes. Une fois cette certitude intérieure établie,
il va se rendre au cours de l'année 1951 au bureau du Conseil œcuménique des Églises 2. En 1954, il est invité par le COE à participer à
l'assemblée d'Evanston, et rendit par la suite de nombreuses visites à
des instances œcuméniques, ainsi qu'aux universités catholiques et
protestantes aux USA qui donnaient des cours sur le mouvement
charismatique. En 1964, le cardinal Bea l'invite à prendre part à la
troisième session du concile Vatican II. Il luttera de toutes ses forces
contres les craintes pentecôtistes qui voyaient dans le COE une super
structure ecclésiale mondiale, en accomplissement d'une certaine
prophétie biblique qui prévoirait une structure similaire à l'approche
des derniers jours.
Le renouveau charismatique quant à lui fut l'un des ressorts déterminants du dialogue catholique-pentecôtiste. Suspecté à ses débuts
par les pentecôtistes classiques, le néo-pentecôtisme s'imposa
progressivement chez les pentecôtistes comme une œuvre de l'Esprit
Saint, du moment où les mêmes phénomènes charismatiques étaient
observés tant chez les catholiques, les pentecôtistes et les protestants.
Dès lors, l'idée d'une ascendance des communautés pentecôtistes sur
les autres était difficilement défendable. Le raidissement initial
commença par s'estomper et quelque chose de la vision primitive de
l'unité commença à prendre forme.
Lorsqu'en 1967, le renouveau charismatique fait son entrée officielle dans l'Église catholique, on assiste à un engouement frénétique
1. David Duplessis naît en République sud-africaine en 1905. Pasteur pentecô
tiste de F Apostolic Faith Mission d'Afrique du Sud en 1928, il servit jusqu'en 1948
comme secrétaire général de la même assemblée et fut élu en 1948 comme secrétaire
général de la conférence pentecôtiste mondiale jusqu'en 1958. En 1949, il émigre aux
USA où commence son ministère de prédicateur itinérant. Il jouera un rôle de premier
plan dans le rapprochement du pentecôtisme avec le conseil œcuménique des Églises,
et fut invité au concile Vatican II comme observateur. Cf. Spiritus ubi vult spirat.
Pneumatology in Roman catholic-Pentecostal dialogue (1972-1989), Helsinki,
Luther Agricola society, 1998. P. 68.
2. Lire désormais COE.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
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de nombreux évêques, prêtres, religieux et religieuses, fidèles laïcs
pour ce nouveau mouvement. Des congrès charismatiques se multiplient et de nombreuses communautés de cette inspiration voient le
jour. Pour les autorités ecclésiastiques, l'heure de l'indifférence était
désormais révolue3.
Le dialogue catholique-pentecôtiste commence avec la rencontre
de David Duplessis et du bénédictin Kilian Mc Donnell, lors de la
4ème assemblée du COE à Uppsala en 1968. De l'amitié entre les
deux hommes va naître l'idée d'un dialogue bilatéral entre l'Église
catholique et les groupes pentecôtistes avec qui il était en contact. En
1969, le pasteur pentecôtiste Ray Bringham, grand ami de Duplessis,
se rend à Rome et y rencontre le cardinal Willebrands, alors responsable du Secrétariat pour l'unité des chrétiens. L'idée d'un dialogue
bilatéral quittera alors le simple seuil de la probabilité.
Au cours de la session de 1959, le cardinal Willebrands émettait
l'ardent souhait d'amorcer un contact œcuménique avec les communautés ecclésiales non issues de la Réforme du 16e siècle, notamment
les Évangéliques et les pentecôtistes ainsi que les groupes et communautés indépendants considérés comme des sectes par les Églises
instituées. Il signifiait le caractère urgent du dialogue.
En 1970, commencent les premières rencontres. Elles avaient
essentiellement pour but de déterminer si un dialogue bilatéral international entre l'Église catholique et le pentecôtisme était possible, et
de s'apprivoiser mutuellement. En juin 1971 a lieu la seconde
rencontre au cours de laquelle on décide de constituer les délégations
pour chaque partie, ainsi que le nombre de sessions à organiser
pendant les trois années à venir. Ainsi fut constitué un comité restreint
en vue de sélectionner les thèmes des discussions et de mener les délibérations. C'est en octobre 1971 que ce projet est finalisé. Les deux
co-présidents sont désignés : Kilian Mc Donnell pour la partie catholique et David Duplessis pour la partie pentecôtiste. Le dialogue est
prévu de s'étendre sur plusieurs phases d'une durée de 5 ans chacune.
La partie pentecôtiste serait constituée des pentecôtistes classiques et
charismatiques des Églises protestantes historiques. Le comité
3. Le renouveau charismatique a par ailleurs favorisé l'expansion du pentecôtisme classique dans la mesure où beaucoup de fidèles d'Églises instituées ayant fait
l'expérience du «baptême dans l'Esprit» quittèrent en grand nombre leurs Églises et
se rallièrent aux assemblées pentecôtistes qui devenaient pour eux le cadre idéal de
leur croissance spirituelle. Ce phénomène, en plus du constat de l'enthousiasme
charismatique, décida le pentecôtisme à s'impliquer résolument dans le dialogue avec
l'Église catholique. Voir Mc DONNEL, «Improbable conversation: The international
classical pentecostal/ Roman Catholic dialogue», dans Pneuma 17 (1995).
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GABRIEL TCHONANG
restreint choisirait les thèmes à débattre par les deux parties lors des
sessions. A la fin de chaque session, il y aurait un compte rendu
commun, de même qu'un résumé des discussions.
Les théologiens catholiques, très souvent sympathisants du
mouvement pentecôtiste sont désignés par le secrétariat pour l'unité
des chrétiens. Le bénédictin américain Kilian Mc Donnell en fut le
responsable. Du côté pentecôtiste, peu de dénominations furent représentées au départ. Mais le nombre de communautés pentecôtistes ne
cessa de croître, de sorte qu'à la quatrième phase, plusieurs leaders
d'Églises pentecôtistes purent y prendre part. L'on put remarquer l'intervention des pasteurs de «l'Apostolic Faith Mission» d'Afrique du
Sud, de l'Église de Dieu (Cleverland, Tenesssee), de la «church of
God Prophecy» (USA), de «l'international Church of the Foursquare
Gospel», et de «l'international communion of the charismatic
churches » (USA). Les leaders sont généralement désignés par leurs
Églises et certains participent à titre individuel avec l'approbation de
leurs Églises4. Ce dialogue a en ce jour amorcé sa 6ème phase. Si la
constance dans les débats et la bonne volonté des parties ne font pas
défaut, il reste toujours vrai qu'un dialogue de cette nature ne va pas
sans poser des questions fondamentales pouvant déterminer son
avenir. Ces questions sont à mettre au compte des impasses d'un
dialogue qui au vu du contexte religieux mondial actuel aurait pu
avoir une incidence majeure sur la cohabitation pacifique des groupes
chrétiens. Ces impasses tiennent à la nature et à la spécificité du
dialogue, à la représentativité des participants, au déséquilibre dans
l'approche théologique et argumentative, aux dissensions profondes
sur les thèmes centraux du christianisme, ceci même si le salut en
Jésus-Christ reste préservé.
II. NATURE SPÉCIFIQUE DU DIALOGUE ET DISHARMONIE STRUCTURELLE
La difficulté première du dialogue catholique-pentecôtiste est
dans sa conscience affichée de son incapacité à penser une possibilité
d'unité structurelle. Plusieurs rapports de fin de quinquennat se
veulent assez explicites. Le premier rapport final est assez précis.
« Ce dialogue a un genre qui lui est propre. Les conversations bilatérales que l'Église catholique a engagées avec de nombreuses
communions internationales (la communion anglicane, la Fédération
4. Cf. le rapport final de la troisième phase du dialogue (1985-1989). Lire désormais RFI pour Rapport final 1ère phase (1972-1976), RFII pour la deuxième phase
(1978-1982), RFIII pour la troisième phase (1988-1989), RFIV pour la quatrième
phase (1990-1997), RFV pour la 5e phase (1998-2006).
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
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luthérienne mondiale, etc.) visent à prendre en considération des
questions concernant les structures ecclésiales et l'ecclésiologie, et
ont comme but l'unité organique ou du moins envisagent quelques
formes d'unité structurelle éventuelle. Ce n'est pas le cas du présent
dialogue. Avant qu'il commence, il fut précisé que son but immédiat
n'était pas d'avoir le souci des problèmes d'union structurelle immédiate, bien qu'il ait naturellement comme objet de rapprocher les chrétiens dans la prière et le témoignage commun. Son but a été que «la
prière, la vie spirituelle et la théologie constituent un souci partagé au
plan international par le moyen d'un dialogue entre le Secrétariat pour
l'unité des chrétiens de l'Église catholique et les dirigeants de
certaines Églises pentecôtistes ainsi que les membres de mouvements
charismatiques dans les Églises protestantes et anglicanes5». D'autres
textes abondent dans le même sens : «Il s'agit d'étudier la vie et l'expérience spirituelle des chrétiens et des Églises» et «d'élaborer
ensemble un témoignage unifié et indiquer de quelle manière le
partage de la vérité rend possible un progrès ensemble6».
Toute unité organique entre les deux ensembles est donc définitivement exclue, car il est particulièrement difficile de penser l'unité
d'un corps constitué et institutionnalisé avec ce qui ressemble plus à
un courant spirituel, que conditionnent de nombreuses adaptations.
Plus encore, l'émiettement en communautés disparates et autonomes
de ces courants spirituels ne permet point d'envisager une telle possibilité, sans compter que de nombreuses divergences doctrinales viennent rendre cette hypothèse simplement improbable. On préfère se
limiter ici à ce que «Unitatis redintegratio» appelle «l'œcuménisme
spirituel» déjà expérimenté dans le dialogue catholique-baptiste.
Aucune unité structurelle n'est donc à envisager à moyen ou à long
terme. Jerry L. Sandidge, observateur avisé et participant au dialogue,
décrit pertinemment cette disparité chronique entre les deux parties en
dialogue : «L'Église catholique romaine est gouvernée par le pape, la
curie, et de nombreuses congrégations et secrétariat en relation avec
les évêques. C'est une forme de gouvernement qui s'applique à l'ensemble du catholicisme romain. Le mouvement pentecôtiste d'un
autre côté, ne dispose pas d'une telle structure au niveau mondial.
Aucune personne, ni aucun groupe ne peut parler au nom du pentecôtisme classique. Ainsi, pour l'Église catholique romaine, le dialogue
est officiel parce qu'il bénéficie de l'approbation et de l'implication
du Vatican. Quoi qu'il en soit du côté pentecôtiste, il ne peut être
5. RFI, 4. Voir aussi RFIII, 5 ; RF IV, 2.
6. RFI, 5.
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GABRIEL TCHONANG
considéré que comme non officiel parce que le mouvement pentecôtiste est représenté par de centaines de grandes ou de petites dénominations à travers le monde, de même que plusieurs milliers de
communautés locales indépendantes». Après avoir pointé du doigt la
diversification des structures ecclésiales au sein du mouvement, qui
sont d'ordre épiscopal, congrégationaliste ou encore la synthèse des
deux, Sandige conclut: «Ainsi le dialogue représente un échange
théologique entre une Église et un mouvement. Cette différence dans
la structure de l'Église joue un rôle dans le dialogue quand vient le
problème de savoir qui des pentecôtistes doit être invité dans les
débats7».
Cette profonde disharmonie dans les structures de gouvernement
des deux parties en dialogue viendra en rejoindre une autre sur la
méthode et la procédure du dialogue.
III. CONFLIT DE MÉTHODES
Imprégnée d'une longue et solide tradition théologique et exégétique, l'Église catholique se trouvait méthodiquement mieux outillée
que la partie pentecôtiste. Celle-ci restant très suspicieuse et critique
vis-à-vis de la méthode historico-critique. Deux méthodes entrent ici
en confrontation: l'une discursive et scientifique, dans le sens d'une
quête rationnelle et d'un établissement objectif des faits, l'autre purement narrative, relevant du témoignage d'expériences vécues avec le
divin, par le biais des manifestations charismatiques surnaturelles,
sans agencement rigoureux et rationnel de faits. Cette méthode veut
trouver sa justification dans la structure même de la Parole de Dieu,
élaborée loin du souci de démonstration rationnelle de la vérité
révélée.
Cette théologie va parfois jusqu'à la revendication d'un caractère
non théorique. C'est en tout cas l'expérimentation d'une théologie
non théorique mise en place par un des grands penseurs du pentecôtisme : Walter Hollenweger. Cette méthode veut retourner à la tradition orale comme mode principal de communication, avec une
insistance particulière sur l'expérience concrète du croyant. Cette
méthode considère que « le Saint-Esprit est une expérience concrète et
non une théorie théologique8». L'argument principal étant que Jésus,
7. J.-L. SANDIDGE, Roman catholic/Pentecostal dialogue (1977-1982), T.1 p.
LXXXVI.
8. W. HOLLENWEGER, «Le pentecôtisme, avenir du pentecôtisme dans le tiersmonde?», dans Cahiers de l'IRP, 39 (Avril 2001), p. 3-19.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
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le fondateur du christianisme, n'était pas un représentant de la culture
occidentale, mais un guérisseur du Moyen Orient forgé par la culture
orale. L'expérience et l'action étaient pour lui primordiales. Il s'ensuit
que l'on ne devrait plus parler d'une théologie, mais d'une théopraxie.
Cette théologie qui fut celle du Christ ne se transmet pas «par le
concept, mais par le banquet, pas par la définition, mais par la description, pas par le traité systématique, mais par la danse et la narration,
pas par la cohérence de type logique, mais par une cohérence
exprimée par le témoignage vécu9».
Si la théologie pentecôtiste n'est point rompue à la spéculation et
reste fidèle à son orientation fondamentalement pratique et existentielle, c'est qu'elle a comme matrices épistémologiques : la primauté
de l'agir sur le concept, de la sotériologie et du fonctionnel sur l'ontologie, de la pratique sur le spéculatif, du «pour-nous» sur l' «ensoi». W. Hollenweger écrira sur un ton d'indignation: «Est-ce qu'il
faut devenir cartésien pour être théologien ? Quels arguments théologiques avons-nous pour ce colonialisme qui réduit la théologie à la
culture écrite occidentale ? Voici les questions fondamentales que le
mouvement pentecôtiste nous pose [..] 10».
La conséquence immédiate d'une telle approche est qu'au début
du dialogue, peu d'interlocuteurs pentecôtistes étaient théologiquement formés, du moins à la méthode universitaire classique. Ce
faisant, la profonde disparité méthodologique et l'incohérence doctrinale chez certains pentecôtistes qui en ont résulté, a fait dire à
quelques protagonistes du dialogue que les discussions étaient menées
de manière à favoriser les catholiques.
Le dialogue se déploie sur la base des exposés présentés par
chacune des parties. Ils sont suivis des débats et les conclusions sont
présentées dans un texte de rapport cosigné par les deux co-présidents. Les résultats des thèmes traités sont classés en 4 rubriques : Les
accords, les points de convergence, les désaccords, les points encore
en instance de discussion. C'est ici qu'apparaît plus que jamais, ce
que nous appelons les impasses d'un dialogue. Les points minimes
d'accord et de convergences sont vite submergés par de profonds
désaccords qui aujourd'hui constituent la toile de fond de ces
dialogues. Vérifions-le à partir de trois thèmes fondamentaux en
rapport avec le salut: Les ministères, l'Église, le sacrement de l'initiation chrétienne et le baptême d'eau.
9.Ibid., p. 4. 10.
Ibid., p. 6.
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GABRIEL TCHONANG
IV. LES IMPASSES DOCTRINALES
1. La place de l'Église dans le dessein de salut de Dieu
Ce thème est important au regard de ce qui précédemment a été
énoncée comme impasse structurelle. Deux parties aux statuts ecclésiologiques inégaux sont ici engagées dans le dialogue. D'une part,
une structure ecclésiale forte reposant sur plusieurs siècles de Tradition et forgée par les dogmes, de l'autre un mouvement récent, fait
d'intuitions et privilégiant l'expérience. On comprend dès lors le rôle
que jouera l'Église dans le salut, selon le statut ecclésiologique des
parties en présence. Compte tenu de la structuration du mouvement en
communautés d'Églises et sa tendance toujours plus prononcée à s'organiser, en communautés d'Églises, la question de la place de l'Église
fut abordée dans différentes phases, notamment au cours de la 2e, 3e,
4e phase.
Si un accord relatif permet de reconnaître le rôle de l'Église ainsi
que son importance dans l'action salvifique de l'unique sauveur, et
qu'elle doit être considérée comme instrument du salut de Dieu, elle
ne saurait, pour le pentecôtisme se substituer à la foi que l'individu
porte au Christ. La communauté ecclésiale dans son ensemble n'est
pas plus douée dans l'annonce du salut que le chrétien pris individuellement.
La différence est encore plus marquée lorsqu'il est question d'envisager un quelconque rôle sacramentel à l'Église. Le concile
Vatican II affirme en effet que «l'Église est dans le Christ en quelque
sorte, le sacrement, c'est-à-dire le signe et l'instrument de l'union
intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain11 » et plus explicitement encore: «Dieu a convoqué l'assemblée de ceux qui regardent vers Jésus, auteur du salut et principe d'unité et de paix et en a
constitué l'Église pour qu'elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de toute unité salutaire12». Et plus loin «Le Christ a
envoyé à ses disciples son Esprit vivifiant et par lui a constitué son
corps qui est l'Église, comme un sacrement universel de salut13».
Chez les catholiques, l'Église comme sacrement tire son origine
du Christ. Elle est sortie du côté ouvert du Christ en croix. Elle est
donc en dépendance directe du Christ de qui elle tire son être et son
11. Lumen Gentium 1. Lire désormais «LG».
12.LG 2,9.
13. LG 7,48. Voir également Gaudium et Spes 4,45: «l'Église est le sacrement
universel du salut manifestant et actualisant à la fois le mystère d'amour de Dieu pour
les hommes » ; ou encore SC 1,5 : « Car c'est du côté du Christ endormi sur la croix
qu'est né l'admirable sacrement de l'Église tout entière».
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
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essence. Elle est de ce fait riche de biens invisibles, tournée vers
Dieu dans la contemplation étrangère au monde parce que n'étant pas
du monde, mais tout en étant l'épiphanie de l'achèvement historique
du dessein de salut de Dieu. Elle est de ce fait visible et déployée
dans la transformation du monde. Celui-ci lui fournit son cadre de vie
et attend d'elle les prémices du salut. À travers l'Église, ce qui était
invisible dans l'immuable dessein d'Amour de Dieu se rend visible
Elle ne saurait être une société purement humaine limitée dans l'espace et le temps. Elle a sa source et son prolongement en Dieu, de
sorte qu'en elle, ce qui est humain est ordonné et soumis au divin, ce
qui est visible à l'invisible, ce qui relève de l'action à la contemplation, et ce qui est présent à la société future que nous recherchons14».
Bien que pécheresse, l'Église dans la conception catholique reste
sainte. La commission théologique internationale se veut plus explicite encore: «l'Église est simultanément le sacrement de l'union
avec Dieu et de l'unité du genre humain, tandis qu'elle dit d'abord
demander pour ses membres la miséricorde de Dieu et l'unité de ses
enfants [...] dans l'attente de la venue du Christ à la fin des temps,
l'Église fait l'expérience du péché à travers ses membres et connaît
l'épreuve de la division. Les hommes et les femmes qui constituent
l'Église peuvent souvent faire obstacle à l'action du Saint Esprit. Les
pasteurs ne sont pas davantage à l'abri des erreurs du seul fait de la
légitimité de leur autorité15 ». Il est à noter que le péché est ici imputable uniquement aux seuls membres de l'Église et non à l'Église ellemême, dans son intuition divine et son déploiement mystérique.
L'Église comme sacrement du Christ reste sainte en vertu même de
cette sacramentalité.
Du fait de la radicale subordination de la réalité symbolique et
sociale de l'Église à sa réalité divine, l'Église, même constituée des
pécheurs reste toujours vraie Église du Christ. Autrement dit, le
catholique ne fera pas de distinction très marquée entre l'Église
visible apparente et la vraie qui est invisible, tout comme il dira difficilement que l'Église comme corps et épouse du Christ en elle-même
est pécheresse. Lorsque le concile déclare en LG 8 : «l'Église est en
même temps sainte et toujours à purifier (simul sancta et semper
purificanda)», c'est bien de cela qu'il s'agit. Elle est sainte en ellemême et toujours à purifier dans ses membres.
14. Sacrosanctum concilium, 2.
15. COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE, «Thèmes choisis d'ecclésiologie à l'occasion du 20e anniversaire de la clôture du concile Vatican II» dans Docu
mentation catholique, n° 1909 (1986) p. 57-73.
80
GABRIEL TCHONANG
Cette approche de l'Église largement développée dans le catholicisme est simplement irrecevable dans le pentecôtisme qui établit
dans le seul sujet croyant, le lieu de l'œuvre salvifique. Même si
l'Église peut constituer en un sens un signe de salut, elle ne saurait
l'être dans la même mesure que l'individu incorporé au Christ par la
conversion, la sanctification et l'expérience du baptême dans l'Esprit.
Seul l'individu atteint l'œuvre du salut par la foi. Le primat du sujet
est ici établi sur le collectif, et l'institution Église, dans sa sacramentalité, disparaît derrière l'œuvre de la grâce agissant dans l'âme du
croyant. On ne peut donc pas oser l'affirmation apparemment contradictoire qu'elle ne serait pas pécheresse en soi, mais uniquement dans
ses membres. Dieu sanctifie les fidèles pris individuellement et non
une entité, même si celle-ci, dans son implication dans l'histoire est
signe du salut de Dieu. L'Église ne peut donc en aucun cas être considérée comme «porteuse de la Révélation positive, de la vérité du
Christ et des moyens de grâces institués par lui». Les pentecôtistes
sont ici proches de la vision des Églises issues de la Réforme, pour
lesquelles le «simul sancta et semper purificanda» reste la conséquence d'une conception de l'Église au sens d'une communauté générique, dépassant les individus qui la composent. L'Église reste
pècheresse tant que ses membres sont pécheurs, l'Église n'étant rien
en dehors de ses membres. Dieu sanctifie les fidèles pris individuellement et non une entité. L'Église est au plus comprise comme une
communauté qui est « don et signe pour le monde » et permet dans une
certaine mesure de faire échec à l'individualisme et au formalisme
d'une vie spirituelle privée ou même institutionnelle16». La communauté des croyants demeure un instrument au service de la piété individuelle. L'Église se modèle donc sur la vie spirituelle privée des
croyants réunis et reste à son image. Elle n'est pas comme dans l'acception catholique, le lieu de la présence du Christ et le dépositaire
des moyens de salut comme les sacrements et les ministères.
Chez le catholique, c'est en quelque sorte l'Église qui conduit
l'individu à la foi, tandis que pour le pentecôtiste, la foi personnelle
précède la constitution de la communauté ecclésiale. Les critères
d'appartenance à l'une ou l'autre dénomination font très clairement
ressortir cette vérité. Être membre d'une Église pentecôtiste stipule
que l'on ait fait l'expérience d'une foi personnelle en Jésus-Christ, et
seulement après, que l'on participe à la vie de l'Église, suive les directives de ses chefs et accepte des responsabilités, tandis que pour faire
partie de l'Église catholique, il faut recevoir le baptême et professer
16. RF IV, 26.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
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le credo dans une pleine communion avec la communauté locale, et le
successeur de Pierre17.
La problématique Église/structure-individu trouve un écho retentissant dans la dichotomie devenue fréquente entre institution et
charisme. La partie catholique va plus insister sur la visibilité structurelle de l'Église, de la hiérarchie, du ministère ordonné, de l'autorité
de l'Église et des sacrements, tandis que les pentecôtistes vont plus
insister sur l'effusion des charismes dans l'Église. Si un équilibre est
à chercher d'un côté comme de l'autre, le pentecôtisme reste tout de
même marqué par le refus explicite d'une institution semblable à celle
de l'Église catholique. En insistant sur les sacrements, la succession
apostolique et le ministère ordonné, l'Église catholique aux yeux du
pentecôtisme emprisonne l'Esprit Saint et l'empêche de se mouvoir
au sein de la communauté. C'est dans cet ordre d'idée que Michael
Harper, l'un des représentants du mouvement charismatique de
l'Église d'Angleterre s'exprimait en 1974 au cours de la première
phase du dialogue. Il invitait tout de même le pentecôtisme à se
constituer en une troisième voie entre le « rigidisme » structurel catholique et l'individualisme de la Réforme, ceci en privilégiant le rôle des
charismes et son déploiement dans l'individu et dans la communauté
rassemblée. Même si le pentecôtisme a été rattrapé par la nécessité
d'une structuration rendue inévitable par une insistance sur l'expérience individuelle qui virait à l'anarchie, il reste encore très critique
vis-à-vis du modèle catholique d'Église jugé monolithique, rigide,
sans fondement biblique, et constituant parfois un obstacle à l'œuvre
de l'Esprit 18. Il s'oppose au rôle prépondérant de l'évêque au niveau
de l'Église locale et à celui du pontife romain au niveau universel, de
même qu'à l'insistance catholique sur le ministère ordonné comme
condition de la célébration des sacrements. Le modèle congrégationaliste est pour lui celui qui exprime le mieux la réciprocité et la
communion et permet une plus grande participation des fidèles à la vie
de l'Église.
Le pentecôtisme insiste fortement sur l'eschatologie. Il prêche le
retour imminent du Christ, c'est la raison principale de son entrée
tardive dans les débats ecclésiologiques. Une attente frénétique du
retour du Christ réduit à sa portion congrue les débats sur l'Église.
Pour les chrétiens tournés vers l'avenir, le présent comptait peu et le
passé encore moins. La parousie devenait le point focal de toute la
communauté chrétienne. C'est l'une des raisons pour lesquelles,
explique M. Harper, l'ecclésiologie pentecôtiste (si elle existe)
17. RF II, 43.
18. Cf. RF III, 87.
82
GABRIEL TCHONANG
accentue la dimension charismatique de l'Église contre l'institution et
l'ordre ecclésial.
Si les pentecôtistes en dialogue prirent conscience de la nécessité
d'une structure ecclésiale, celle-ci ne peut et ne doit être que charismatique, privilégiant la base et se fondant sur une interaction entre les
membres, elle laissera la direction à l'Esprit Saint agissant en tous.
Ainsi, les structures seront compatibles avec la liberté et la souveraineté de l'Esprit. Les structures doivent être en adéquation avec le
souverain déploiement de l'Esprit Saint. Car pour eux, une ecclésiologie néotestamentaire est foncièrement incompatible avec une hiérarchie juridiquement structurée. «Si l'Église doit être gouvernée d'en
haut, affirment-ils, ses structures doivent surgir d'en-bas», car du fait
de la démocratisation qu'opère le Saint-Esprit en octroyant ses dons à
l'ensemble, personne ne peut prétendre monopoliser la direction de la
communauté. La conduite de l'Esprit Saint étant le privilège de tous
les membres, les structures d'une communauté charismatique doivent
surgir de l'interaction entre tous les membres. Elles doivent alors se
former sociologiquement selon les lois du groupe. Elles doivent être
le développement de la vie concrète de la communauté. Autrement,
elles auraient tendance à devenir indépendantes, à empêcher la vie du
groupe au lieu de la faire croître.
Les témoignages personnels restent déterminants dans cette
nouvelle structure. La vraie communion se réalise essentiellement
dans le partage de l'expérience de foi. Aussi proposent-ils aux catholiques de découvrir cette dimension et de l'intégrer dans leur pratique.
La place de l'Église dans le salut reste en définitive essentielle
pour le catholique, contrairement aux pentecôtistes qui font du sujet
croyant le centre de l'œuvre salvifique du Christ. Si le modèle congrégationaliste ou associatif devient peu à peu l'option pentecôtiste, il
n'est qu'une mise en commun des charismes individuels.
La divergence sur le rôle de l'Église dans le salut sera notoire
quand il s'agira de débattre de la nature de l'Église et du sens de
l'unité chrétienne.
2. La question de l'unité chrétienne
C'est la troisième phase du dialogue bilatéral qui traite de la question de l'unité chrétienne. Si catholiques et pentecôtistes reconnaissent l'existence d'une «Église sainte, catholique et apostolique»,
composée de croyants (cf. Ép. 4, 4-6)19. Ils restent en profond désac-
19. Cf. RF III, 34.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
83
cord sur la question de l'unicité de l'Église et la modalité de l'entrée
au sein de cette Église. La visibilité institutionnelle de l'Église est
importante pour la partie catholique, l'Église a pour elle un rôle déterminant dans l'Histoire du salut. Elle prépare et anticipe le royaume à
venir. C'est le lieu où «subsiste» l'unique Église du Christ 20. La
pluralité des confessions est donc une entorse grave à la volonté du
Christ qui dans sa prière a appelé à l'unité des chrétiens et qui dans
son dessein a désiré leur unité sous une structure visible. Les pentecôtistes quant à eux considèrent que les nombreuses confessions ne sont
que des épiphanies légitimes de l'unique Église universelle, du
moment où l'Écriture est appliquée et respectée. En définitive, la
question de la visibilité est centrale chez les catholiques, tandis que
pour le pentecôtiste, cette visibilité s'efface devant sa nature essentiellement spirituelle. Le caractère interindividuel de l'unité est donc
prioritaire sur sa dimension institutionnelle et structurelle.
Cecil M. Robeck définit ainsi l'œcuménisme pentecôtiste, citant
Donald Gee, (un des grands leaders pentecôtistes mondial) qui déclarait en 1950:
[...] Nous ne devons jamais oublier que l'unité est une affaire personnelle. Quand Notre Seigneur pria « afin qu'ils soient un », il pensait aux
disciples pris individuellement. Les exhortations apostoliques à l'unité
s'adressent aux personnes individuelles. Mon unité finale est avec mon
frère, indépendamment des appartenances ecclésiales. Nous ne
sommes pas venus ensemble «faire» l'unité, car elle existe déjà par la
grâce de Dieu. Elle demande simplement d'être entretenue. Son critère
est l'acceptation mutuelle de la Seigneurie de Jésus-Christ. Son énergie
est le seul baptême dans le Saint-Esprit qu'il confère. Son but est que
le monde croie, son secret suprême est la participation à ce que Notre
Seigneur appelle la gloire21.
Le désintérêt du pentecôtisme pour les questions œcuméniques a
sa source dans cette vision essentiellement spirituelle et invisible de
l'unité. Les schismes et divisions sont de moindre importance et
entrent même dans le cours normal des choses. Ils sont même perçus
comme des marques de progrès, du fait que des groupes schismatiques sont très souvent mus par une quête spirituelle plus soutenue
20 . LG 8. «Le Christ, unique médiateur, a établi et soutient sans cesse ici-bas sa
sainte Église qui est une communauté de foi, d'espérance et de charité, comme un
organisme visible par lequel il répand sur tous la vérité et la grâce [...] Telle est
l'unique Église du Christ que nous reconnaissons dans le symbole comme une, sainte,
catholique et apostolique. [...] Cette Église, constituée et organisée en ce monde
subsiste dans l'Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques
en communion avec lui.[...]».
21. D. GEE, «Possible pentecostal unity», Pentecost 13 (1950), p. 17.
84
GABRIEL TCHONANG
que dans la structure précédente. Par ailleurs on a noté chez les pente côtistes, la phobie d'une superstructure d'Église mondiale22 contraire
aux vues du Christ dans le Nouveau Testament.
Pour l'Église catholique au contraire, la multiplication d'Églises
va contre l'unité que le Christ a voulue pour tous les chrétiens 23, ce
qui repose avec acuité la question d'une structure unique qui jouerait
un rôle déterminant de ferment de l'unité. Le cas du renouveau charismatique fut cité en exemple dans le dialogue24. Selon la vision catholique, il n'est pas dans l'intention du Saint-Esprit de créer de
nouvelles Églises.
La position pentecôtiste va évoluer du fait, d'une part de l'inévitable structuration qu'impose la formation d'un corps social, et de
l'autre, de la difficulté réelle à définir avec précision le modèle d'unité
contenu dans la prière du Christ.
Les options ecclésiologiques des deux partenaires en dialogue les
dissuadent de tout optimisme quant à l'unité future, même s'ils reconnaissent malgré tout le principe paulinien de l'unité dans la diversité
et s'accordent sur le fait que l'unité n'est pas uniformité. Le principe
de cette unité étant reconnu dans la seule autorité du Christ25.
22. Nous avons souligné que le COE était, de par son envergure mondiale, consi
déré par certains pentecôtistes comme la superstructure qui précéderait la venue de
P anti-Christ.
23. UR, 3: «[...] Cependant, nos frères séparés, soit en particulier soit réunis
dans leurs Églises ne jouissent pas de cette unité que Jésus-Christ a voulu dispenser
à tous ceux qu'il a générés et vivifiés pour former un seul corps en vue d'une vie
nouvelle et qui est attestée par l'Écriture Sainte et la véritable Tradition de l'Église».
24. RF I, 31 : «Le dialogue a considéré que dans le cadre du renouveau charis
matique dans les Églises historiques, on pouvait justifier la création de groupes
nouveaux et de communautés nouvelles au sein des Églises. Bien que légitimes, leur
intention ultime est de fortifier l'Église et de participer en plénitude à sa vie. C'est
pourquoi le renouveau charismatique ne rivalise pas avec les Églises et il n'en est pas
isolé. Aussi doit-il reconnaître les autorités ecclésiales. En un mot, le renouveau
charismatique est un renouveau dans le corps du Christ, l'Église, et il est donc dans
et de l'Église».
25. RF III, 36: «L'unité essentielle de l'Église n'implique ni n'exige l'unifor
mité. «En effet, le corps est un et pourtant il y a plusieurs membres. Mais tous les
membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps. Il en est de
même du Christ (1Co 12,12). La diversité est voulue par l'Esprit. Il y a diversité des
dons, mais c'est le même Esprit, diversité de ministères, mais c'est le même Seigneur,
divers modes d'action, mais c'est le même Dieu qui produit tout en tous» (1Co 12,
4-7). L'unité forgée par le Christ resplendit dans la diversité. La base de cette unité
est l'autorité de Jésus-Christ. Personne ne peut confesser cette autorité sinon par l'Es
prit Saint (1 Co 12, 3). L'unité que l'Esprit donne ne doit pas être simplement consi
dérée comme une unanimité de vue, une compatibilité sociologique ou le besoin
fortement ressenti d'être ensemble».
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
85
Les catholiques en définitive insisteront sur la nécessité d'une
structuration visible de l'Église et son impact sur le salut individuel,
tandis que les pentecôtistes vont persister dans l'affirmation d'un salut
individuel sans la médiation nécessaire d'une structure ecclésiale. Par
conséquent, ils manifestent peu d'enthousiasme à l'idée d'une Église
au centre du processus du salut, de même que vers une unité chrétienne dans sa dimension structurelle sous une autorité humaine. Ils
plaident pour une ecclésiologie pneumatologique qui prendrait radicalement en compte le rôle du Saint-Esprit. La pneumatologie paraît
pour le pentecôtisme le seul axe sur lequel les confessions chrétiennes
pourraient construire une ecclésiologie de l'unité, puisque toutes les
traditions reconnaissent le rôle de l'Esprit Saint dans le rapprochement des chrétiens et le renouvellement des structures ecclésiales.
3. Les ministères
Les débats sur la question des ministères eurent lieu lors de la
seconde et partiellement dans la troisième phase du dialogue. La question principale était de savoir comment les ministères dans l'Église
prolongeaient le ministère des apôtres, ce qui a rendu inévitable la
question de la succession apostolique et de l'apostolicité de l'Église.
Le dialogue a finalement tourné autour des éléments constitutifs du
ministère dans l'Église des activités permanentes et irremplaçables
qui la structurent26, et non au sens d'un ministère charismatique
donné.
Les deux parties reconnaissent la nécessité d'un ordre et d'une
structure dans l'exercice du ministère27. Elles reconnaissent mutuellement l'action de Dieu dans les ministères respectifs de chacune. Mais
elles sont encore bien loin de la reconnaissance mutuelle des ministères. Pour cela, elles devraient résoudre les grands désaccords ecclésiologiques qui subsistent28.
Les catholiques tiennent en haute estime les ministères ordonnés,
ceux des évêques, prêtres, diacres, et y accordent une importance
particulièrement grande. Les pentecôtistes eux, discernent dans toute
action pouvant convertir les âmes, un ministère apostolique. Si les
26. RF II, 78. «Pris dans ce sens, le ministère relève de la prédication et de la
proclamation de la Parole de Dieu sur laquelle se fondent les Églises et tout ce
qu'exige l'édification de l'Église dans le Christ».
27. RF III, 80.
28. RF II, 92. «Chaque groupe participant au dialogue reconnaît que Dieu est à
l'œuvre à travers le ministère que l'autre exerce et que par ce ministère se construit
le corps du Christ (Cf. Décret sur l'œcuménisme, § 3 et 22) ... ».
86
GABRIEL TCHONANG
titres de fonction sont donnés aux auteurs de ces actions, ils n'ont pas
toujours le même sens que pour les catholiques29.
Les trois ministères d'évêque, de prêtre et de diacre, entrent pour
le catholique dans le plan de Dieu pour structurer l'Église et pour la
faire vivre30. Les pentecôtistes veulent quant à eux structurer plus
librement les ministères, mais reconnaissent néanmoins leur importance dans la vie de l'Église. Ces derniers veulent trouver dans le
Nouveau Testament un modèle de ministère, ou du moins une ligne de
conduite pour l'exercice des fonctions ministérielles. La préférence
fondamentale reste le sacerdoce universel de tous les croyants, qui du
fait de leur appartenance au Christ, sont capables d'opérer en son nom
des actions de salut31.
La question de l'autonomie des Églises locales a incité le concile
à insister sur les trois ministères d'évêque, de prêtre, et de diacre, d'où
l'autonomie des ministères. L'évêque assure l'unité de l'Église locale
et est assisté de prêtres et de diacres. Les ministères catholiques sont
donc aussi liés à une structuration ecclésiale déterminée. Les pentecôtistes en ce domaine manquent d'une vraie théologie. Une variété de
termes est utilisée pour désigner les ministères. L'ancien, l'évêque, le
pasteur ont des ministères difficiles à distinguer les uns des autres, et
n'ont pas toujours les mêmes orientations que les ministères catholiques32.
L'institutionnalisation des ministères est importante pour les
catholiques, car ils font partie du plan de Dieu sur l'Église. Ceci ne
veut pas dire qu'ils déconsidèrent le sacerdoce commun des fidèles
qui doit être soutenu par les ministères ordonnés. Ce faisant, la partie
catholique attire l'attention de la partie pentecôtiste sur une juste
reconnaissance de l'aspect visible de l'Église et sur la nécessaire institutionnalisation qu'il engendre.
Les pentecôtistes n'auront de cesse de rappeler aux catholiques le
risque d'une institutionnalisation à outrance des ministères, qui ne
29. RF II, 79. «Pour les catholiques, tous les ministères contribuent à la réalisa
tion de ces fins, mais on attache une importance particulière au ministère des évêques
et à celui des prêtres et des diacres qui sont leurs collaborateurs. Les pentecôtistes
voient l'exercice du ministère apostolique partout où, par la prédication de la Parole
de Dieu, une Église se fonde, des personnes et des communautés se convertissent à
Jésus et où les manifestations de l'Esprit Saint sont évidentes. Dans les diverses
formes de gouvernement que l'on retrouve dans les milieux pentecôtistes, on utilise
des termes bibliques comme ceux d'ancien, de diacre, d'évêque et de pasteur, pour
désigner toutes sortes de fonctions et de ministères sans qu'on leur donne toujours le
même sens».
30. Cf. RF II, 82.
31. Cf. RF II, 83 et 84.
32. Cf. RF II, 83.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
87
ferait pas place à la réciprocité dans la construction de l'Église33. Ils
dénoncent également le rôle minime accordé aux femmes dans la
marche de l'Église, comme le stipule bien un terme d'accord: «Les
catholiques romains doivent souvent avouer un manque de réciprocité
aux niveaux local et universel, même si cette réciprocité est reconnue
comme étant un critère pour les fidèles. Les difficultés à propos de la
participation des laïcs dans le processus de décision et le manque
d'engagement suffisant des femmes au niveau de l'autorité sont des
exemples cités par les participants à ce dialogue [...] 34 ».
Il va sans dire que la place accordée au sacerdoce commun au sein
de l'Église catholique a été lente et progressive. L'accent mis par la
Réforme sur les ministères laïcs, a conduit les catholiques à rejeter
purement et simplement l'expression «ministère laïc», puisque, selon
une certaine compréhension catholique, elle avait été utilisée par les
Réformateurs dans une acception antihiérarchique.
Le concile de Trente a explicitement rejeté la thèse développée par
les Réformateurs, selon laquelle tous les chrétiens sont de la même
manière prêtres de la nouvelle alliance, ou que tous sont investis sans
différences des mêmes pouvoirs spirituels 35. Le Catechismus romanus
de Trente a parlé du sacerdoce de tous les fidèles dans la seule optique
de désigner les services rendus par les fidèles en Église. C'est avec
l'encyclique Mediator Dei de Pie XII en 1947 que l'expression
«ministère laïc» prend du relief, et une attention particulière est
accordée au sacerdoce des fidèles. L'on précise dans la foulée qu'elle
ne doit pas s'élever contre ou en concurrence avec le ministère hiérarchique36. Le concile apportera des précisions théologiques et pastorales à cette expression, lorsqu'il définit l'Église comme temple de
l'Esprit Saint et corps du Christ. Ce faisant, il reconnaît à chaque
membre de l'Église une part active dans la construction de l'unique
corps, par l'action du Saint-Esprit, à travers des dons charismatiques :
«l'Esprit Saint habite dans l'Église et dans les cœurs des fidèles
comme dans un temple, affirme Lumen Gentium, il prie et rend témoignage de leur adoption comme fils. L'Église qu'il introduit dans la
vérité tout entière, qu'il introduit dans la communion et le service, il
la pourvoit de dons divers, hiérarchiques et charismatiques, la dirige
grâce à ces dons et l'orne de ses fruits37». L'unité dans la mission
entre les ministères hiérarchiques et les ministères laïcs sera mise en
33. Cf. RF II, 84 et 85.
34. RF III, 74.
35. Cf. DS. 1767.
36. Cf. DS. 3849-3853.
37.LG 4.
88
GABRIEL TCHONANG
exergue par le décret sur l'apostolat des laïcs. Ce décret parle d'une
unité de mission dans une diversité de ministères. Les tâches de sanctification, d'enseignement et de gouvernement ont été dévolues aux
apôtres par le Christ. La participation des laïcs à ces ministères les
ouvre au monde38. Les ministères laïcs dérivent donc des ministères
ordonnés. Le pentecôtisme ne fait pas, quant à lui, de distinction entre
les ministères laïcs et les ministères ordonnés.
Le concile Vatican II soulignera tout de même la différence fondamentale avec le ministère ordonné qui est de l'ordre de l'essence et
non de degré. L'ordination confère au prêtre une «potestas» le rendant
ontologiquement différent du fidèle laïc39. Le pentecôtisme classique
s'érige contre cette différence essentielle. Pour lui, un chrétien exerçant un don charismatique et contribuant à l'édification de l'Église,
accomplit un ministère plein et entier, qu'il soit simple fidèle ou responsable d'une communauté. Les pentecôtistes finissent par douter du
rôle véritable que joue le laïc dans l'Église catholique. Certains pentecôtistes vont relever que les catholiques s'inspirent plus largement des
épîtres pastorales qui accentuent les ministères hiérarchiques, contrairement à leur approche qui s'inspire essentiellement des épîtres aux
Corinthiens, lesquels mettent plus en valeur les dons et les charismes40.
En concevant l'Eucharistie comme l'œuvre du corps mystique tout
entier, le concile a accordé une place plus grande aux laïcs, puisque
ceux-ci font partie du corps comme membres à part entière. La liturgie
implique donc une participation générale de la tête comme des membres. Ceci marque une évolution par rapport à l'idée que la liturgie est
réalisée uniquement par le ministre ordonné, sans la participation
active des fidèles. Ceux-ci participent désormais au sacrifice du Christ
d'une manière qui leur est propre et font ainsi croître le corps. Mais la
différence essentielle entre les ministres ordonnés et les laïcs reste
sauve. Les pentecôtistes dénoncent une institutionnalisation démesurée, qui va à contre courant de la logique imprévisible du SaintEsprit, qui souffle où il veut sans que l'on sache d'où il vient ni où il va
(Jn 3, 8). L'Esprit Saint habilite celui qui reçoit ses dons à exercer les
ministères correspondants, en évitant toute hiérarchisation des fonctions. Ainsi, «l'Esprit ne constitue pas l'Église exclusivement à travers
38.Cf. AA,2.
39. LG 10. «Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou
hiérarchique, tout en étant différent entre eux selon leur essence et non pas seulement
selon leur degré, sont cependant ordonnés l'un à l'autre, l'un et l'autre, en effet parti
cipent chacun selon son mode propre, de l'unique sacerdoce du Christ».
40. Cf. M. M. GARIJ O-GUEMBE, Communion of the saints. Foundation, Nature
and structure of the church, Minnesota, Collegeville, the liturgical press, 1994,
p. 144.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
89
ceux qui ont un office, mais à travers tous les membres qui servent les
autres avec les dons qu'ils ont reçus41». Pour le pentecôtisme, une
insistance sur les ministères ordonnés crée une bipolarité entre «l'office» et l'activité de la communauté. L'activité spirituelle et sa réceptivité ne sont pas divisées entre deux groupes de personnes, mais représentent deux activités de base de chaque individu. Chaque membre de
la communauté opère en la personne du Christ, en quelque sorte «in
persona Christi», et chacun est en même temps le bénéficiaire de cette
action. Ce point de vue est difficilement réconciliable avec la théologie
catholique des ministères, qui sans ambages, établit la distinction
essentielle entre le ministère ordonné et le ministère laïc.
Chaque ministère étant accompagné d'un charisme, les pentecôtistes insistent sur la nécessité de mettre en évidence le charisme qui
engendre le ministère, pour que disparaisse la distinction ministre
ordonné-ministre laïc et pour que soit confié à chacun un ministère
correspondant au charisme qu'il a reçu, ce qui évitera en même temps
toute tentative de hiérarchisation. Les charismes doivent donc
informer les ministères, ce qui n'exclut pas la prise en compte des
dispositions humaines et des qualités naturelles dans l'attribution des
ministères. Mais ces dispositions devront être subordonnées à un
charisme fondamental qui les régule et les oriente vers le bien communautaire. C'est en spécifiant les ministères particuliers que l'appel au
sacerdoce universel prend tout son sens. Exercer un ministère signifie
donc que l'on soit doté d'un charisme particulier. Ainsi, une communauté chrétienne vivante impliquera la participation de tous, puisque
tous ont été dotés des charismes du Saint-Esprit par leur baptême.
En outre, selon le pentecôtisme, la souveraineté de l'Esprit Saint
dans la distribution de ses dons justifie difficilement toute tentative
d'exclusion d'un membre de la communauté d'un ministère particulier. En recevant un don spécifique, chacun exerce un ministère particulier dans la seule souveraineté de l'Esprit Saint, sans une décision
communautaire ou un rite qui l'instituerait et qui le rendrait plus apte
à ce ministère qu'à un autre. L'Esprit Saint est le seul qui crée et coordonne les ministères. Les catholiques quant à eux insistent sur un
ordre, tant dans le ministère que dans le culte public. La célébration
eucharistique qui prend la forme du culte public, laisse peu de place
aux manifestations charismatiques spontanées. Le rituel eucharistique
vécu avec foi par l'ensemble de la communauté devient le canal
souverain de l'action de l'Esprit.
41. M. VOLF, «A protestant Response (We are the church: New congregationalism)», Concilium 3 (1996) p. 37.
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GABRIEL TCHONANG
*
*
La place qu'occupe aujourd'hui le pentecôtisme dans le paysage
religieux mondial, sa détermination à conquérir les terrains laissés en
friche par les Églises instituées, sa capacité de mobilisation ainsi que
son désir avoué d'absorber et de réguler le christianisme traditionnel
dans ses rites et sa doctrine, ont imposé à la conscience des Églises
traditionnelles un devoir de dialogue. Le pentecôtisme ne peut plus
simplement être rangé au nombre des avatars du christianisme, sans
incidence sur son évolution. Si l'Église catholique a mieux et vite
perçu l'enjeu et l'impératif du dialogue, elle est aujourd'hui, dans le
dialogue engagé depuis quelques années avec une frange du pentecôtisme, empêtrée dans de nombreuses impasses qui sont d'ordre structurel et surtout doctrinal. Les analyses des textes des dialogues ont
montré de nombreuses et profondes dissymétries et divergences sur
des aspects cruciaux de l'ecclésiologie et de la théologie des ministères, aspects incontournables dans une réflexion sur la question de
l'unité des chrétiens. Ces impasses compromettent inéluctablement
les chances d'une hypothétique unité, et repoussent au loin la possibilité d'accomplissement de la prière du Christ: «Afin qu'ils soient un,
comme nous sommes un» (Jn 17, 21). Reste en définitive la question
sociale qui, loin des querelles théologiques et ecclésiologiques semble
à même de fédérer les consciences et d'engager les deux parties dans
une même œuvre de promotion humaine, à défaut d'une unité visiblement utopique.
Gabriel TCHONANG
Faculté de Théologie Catholique
Université de Strasbourg
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