Revue des sciences religieuses
86/1 | 2012
Varia
Les impasses du dialogue catholique-pentecôtiste
Gabriel Tchonang
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1616
DOI : 10.4000/rsr.1616
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2012
Pagination : 71-90
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Gabriel Tchonang, « Les impasses du dialogue catholique-pentecôtiste », Revue des sciences
religieuses [En ligne], 86/1 | 2012, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 01 octobre 2016. URL :
http://rsr.revues.org/1616 ; DOI : 10.4000/rsr.1616
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© RSR
Revue des sciences religieuses 86 n° 1 (2012), p. 71-90.
LES IMPASSES DU DIALOGUE
CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE
Le pentecôtisme dans son intuition originelle se voulait fonda-
mentalement et foncièrement œcuménique. Son évolution et les aléas
liés à sa dynamique d'inculturation ont donné à ce courant la caracté-
ristique foncièrement anti-œcuménique que nous lui connaissons
aujourd'hui. Le mouvement qui se voulait le ferment de l'unité des
chrétiens s'est subitement mué en pierre d'achoppement dans les
dialogues œcuméniques, et bien plus sur le terrain de la cohabitation
sociale entre les confessions chrétiennes dans différentes parties du
monde. Cette attitude postérieure à l'intuition primordiale trouve
aussi sa justification dans la méfiance et la réticence des Églises insti-
tuées vis à vis du nouveau courant. Ces Églises vont progressivement
se constituer en Églises autonomes au fur et à mesure des crises de
confiance à répétition avec les Églises instituées. En devenant des
Églises dites pentecôtistes, avec pour toile de fond doctrinale l'expé-
rience pentecostale, elles ont constitué un système de pratiques litur-
giques et doctrinales, engageant ainsi une concurrence, voire une
hostilià l'égard des Églises plusieurs fois séculaires.
C'est progressivement et à pas lents qu'une vision œcuménique
du mouvement a resurgi au fur et à mesure que s'organisèrent les
communautés pentecôtistes, tant sur un plan national qu'international.
Certains pentecôtistes ont éprouvé le besoin de retrouver leurs racines
œcuniques et à s'impliquer dans les dialogues bilatéraux tant avec
l'Église catholique romaine qu'avec les instances œcuméniques exis-
tantes. Le dialogue engagé avec l'Église catholique a eu des débuts
enthousiasmants, mais a présenté très vite de nombreuses limites qui
le laissent aujourd'hui au cœur de nombreuses impasses qui ne font
aucun doute sur son avenir incertain et sur son enjeu improbable dans
la marche vers l'unité. Après une brève histoire du dialogue catho-
lique-pentecôtiste, ces impasses, pour les plus importantes d'entre
elles, seront mises à jour. Elles sont d'ordre structurel, engagent en
partie les méthodes en vigueur dans le dialogue, et se concentrent
essentiellement sur les questions d'ecclésiologie et de ministères.
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GABRIEL TCHONANG
I. BRÈVE HISTOIRE / QUELQUES POINTS DE REPÈRES HISTORIQUES
La résurgence de l'esprit œcuménique chez les pentecôtistes est
presqu'exclusivement l'œuvre d'un homme: David Duplessis1 et
aussi la conséquence de la percée du néo-pentecôtisme dans les
Églises instituées. David Duplessis reçut par le biais d'une démarche
spirituelle intérieure la mission d'engager un dialogue entre sa confes-
sion pentecôtiste et le conseil œcunique des Églises. Il décide alors
de quitter sa «maison chaude pentecôtiste» pour s'ouvrir aux autres
dénominations chrétiennes. Une fois cette certitude intérieure établie,
il va se rendre au cours de l'année 1951 au bureau du Conseil œcumé-
nique des Églises2. En 1954, il est invité par le COE à participer à
l'assemblée d'Evanston, et rendit par la suite de nombreuses visites à
des instances œcuméniques, ainsi qu'aux universités catholiques et
protestantes aux USA qui donnaient des cours sur le mouvement
charismatique. En 1964, le cardinal Bea l'invite à prendre part à la
troisième session du concile Vatican II. Il luttera de toutes ses forces
contres les craintes pentecôtistes qui voyaient dans le COE une super
structure ecclésiale mondiale, en accomplissement d'une certaine
prophétie biblique qui prévoirait une structure similaire à l'approche
des derniers jours.
Le renouveau charismatique quant à lui fut l'un des ressorts déter-
minants du dialogue catholique-pentecôtiste. Suspecté à ses débuts
par les pentecôtistes classiques, le néo-pentecôtisme s'imposa
progressivement chez les pentecôtistes comme une œuvre de l'Esprit
Saint, du moment les mêmes phénomènes charismatiques étaient
observés tant chez les catholiques, les pentecôtistes et les protestants.
s lors, l'idée d'une ascendance des communautés pentecôtistes sur
les autres était difficilement défendable. Le raidissement initial
commença par s'estomper et quelque chose de la vision primitive de
l'unité commença à prendre forme.
Lorsqu'en 1967, le renouveau charismatique fait son entrée offi-
cielle dans l'Église catholique, on assiste à un engouement frénétique
1. David Duplessis naît en République sud-africaine en 1905. Pasteur pentecô
tiste de F Apostolic Faith Mission d'Afrique du Sud en 1928, il servit jusqu'en 1948
comme secrétaire général de la même assemblée et fut élu en 1948 comme secrétaire
général de la conférence pentecôtiste mondiale jusqu'en 1958. En 1949, il émigre aux
USA où commence son ministère de prédicateur itinérant. Il jouera un rôle de premier
plan dans le rapprochement du pentetisme avec le conseil œcuménique des Églises,
et fut invité au concile Vatican II comme observateur. Cf. Spiritus ubi vult spirat.
Pneumatology in Roman catholic-Pentecostal dialogue (1972-1989), Helsinki,
Luther Agricola society, 1998. P. 68.
2. Lire désormais COE.
LES IMPASSES DU DIALOGUE CATHOLIQUE-PENTECÔTISTE 73
de nombreux évêques, prêtres, religieux et religieuses, fidèles laïcs
pour ce nouveau mouvement. Des congrès charismatiques se multi-
plient et de nombreuses communautés de cette inspiration voient le
jour. Pour les autorités ecclésiastiques, l'heure de l'indifférence était
désormais révolue3.
Le dialogue catholique-pentecôtiste commence avec la rencontre
de David Duplessis et du bénédictin Kilian Mc Donnell, lors de la
4ème assemblée du COE à Uppsala en 1968. De l'amitentre les
deux hommes va naître l'idée d'un dialogue bilatéral entre l'Église
catholique et les groupes pentecôtistes avec qui il était en contact. En
1969, le pasteur pentecôtiste Ray Bringham, grand ami de Duplessis,
se rend à Rome et y rencontre le cardinal Willebrands, alors respon-
sable du Secrétariat pour l'unité des chrétiens. L'idée d'un dialogue
bilatéral quittera alors le simple seuil de la probabilité.
Au cours de la session de 1959, le cardinal Willebrands émettait
l'ardent souhait d'amorcer un contact œcuménique avec les commu-
nautés ecclésiales non issues de la Réforme du 16e siècle, notamment
les Évangéliques et les pentecôtistes ainsi que les groupes et commu-
nautés indépendants considérés comme des sectes par les Églises
instituées. Il signifiait le caractère urgent du dialogue.
En 1970, commencent les premières rencontres. Elles avaient
essentiellement pour but de déterminer si un dialogue bilatéral inter-
national entre l'Église catholique et le pentecôtisme était possible, et
de s'apprivoiser mutuellement. En juin 1971 a lieu la seconde
rencontre au cours de laquelle on décide de constituer les délégations
pour chaque partie, ainsi que le nombre de sessions à organiser
pendant les trois années à venir. Ainsi fut constitué un comité restreint
en vue de sélectionner les thèmes des discussions et de mener les li-
bérations. C'est en octobre 1971 que ce projet est finalisé. Les deux
co-présidents sont désignés : Kilian Mc Donnell pour la partie catho-
lique et David Duplessis pour la partie pentecôtiste. Le dialogue est
prévu de s'étendre sur plusieurs phases d'une durée de 5 ans chacune.
La partie pentecôtiste serait constituée des pentecôtistes classiques et
charismatiques des Églises protestantes historiques. Le comité
3. Le renouveau charismatique a par ailleurs favorisé l'expansion du pentecô-
tisme classique dans la mesure où beaucoup de fidèles d'Églises instituées ayant fait
l'expérience du «baptême dans l'Esprit» quittèrent en grand nombre leurs Églises et
se rallièrent aux assemblées pentecôtistes qui devenaient pour eux le cadre idéal de
leur croissance spirituelle. Ce phénomène, en plus du constat de l'enthousiasme
charismatique, décida le pentecôtisme à s'impliquer résolument dans le dialogue avec
l'Église catholique. Voir Mc DONNEL, «Improbable conversation: The international
classical pentecostal/ Roman Catholic dialogue», dans Pneuma 17 (1995).
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GABRIEL TCHONANG
restreint choisirait les thèmes à débattre par les deux parties lors des
sessions. A la fin de chaque session, il y aurait un compte rendu
commun, de même qu'un résumé des discussions.
Les théologiens catholiques, très souvent sympathisants du
mouvement pentecôtiste sont désignés par le secrétariat pour l'unité
des chrétiens. Le bénédictin aricain Kilian Mc Donnell en fut le
responsable. Du côté pentecôtiste, peu de dénominations furent repré-
sentées au départ. Mais le nombre de communautés pentecôtistes ne
cessa de croître, de sorte qula quatrième phase, plusieurs leaders
d'Églises pentecôtistes purent y prendre part. L'on put remarquer l'in-
tervention des pasteurs de «l'Apostolic Faith Mission» d'Afrique du
Sud, de l'Église de Dieu (Cleverland, Tenesssee), de la «church of
God Prophecy» (USA), de «l'international Church of the Foursquare
Gospel», et de «l'international communion of the charismatic
churches » (USA). Les leaders sont généralement désignés par leurs
Églises et certains participent à titre individuel avec l'approbation de
leurs Églises4. Ce dialogue a en ce jour amorcé sa 6ème phase. Si la
constance dans les bats et la bonne volonté des parties ne font pas
défaut, il reste toujours vrai qu'un dialogue de cette nature ne va pas
sans poser des questions fondamentales pouvant déterminer son
avenir. Ces questions sont à mettre au compte des impasses d'un
dialogue qui au vu du contexte religieux mondial actuel aurait pu
avoir une incidence majeure sur la cohabitation pacifique des groupes
chrétiens. Ces impasses tiennent à la nature et à la spécificité du
dialogue, à la représentativité des participants, au séquilibre dans
l'approche théologique et argumentative, aux dissensions profondes
sur les thèmes centraux du christianisme, ceci même si le salut en
Jésus-Christ reste préservé.
II. NATURE SPÉCIFIQUE DU DIALOGUE ET DISHARMONIE STRUCTURELLE
La difficulté première du dialogue catholique-pentecôtiste est
dans sa conscience affichée de son incapacià penser une possibilité
d'unité structurelle. Plusieurs rapports de fin de quinquennat se
veulent assez explicites. Le premier rapport final est assez précis.
« Ce dialogue a un genre qui lui est propre. Les conversations bila-
rales que l'Église catholique a engagées avec de nombreuses
communions internationales (la communion anglicane, la Fédération
4. Cf. le rapport final de la troisième phase du dialogue (1985-1989). Lire désor-
mais RFI pour Rapport final 1ère phase (1972-1976), RFII pour la deuxième phase
(1978-1982), RFIII pour la troisième phase (1988-1989), RFIV pour la quatrième
phase (1990-1997), RFV pour la 5e phase (1998-2006).
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