L`architecture des mosquées en France : construire ou édifier ?

Revue des sciences religieuses
86/3 | 2012
Varia
L’architecture des mosquées en France : construire
ou édifier ?
Anne-Laure Zwilling
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1511
DOI : 10.4000/rsr.1511
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 15 juillet 2012
Pagination : 343-356
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Anne-Laure Zwilling, « L’architecture des mosquées en France : construire ou édier ? », Revue des
sciences religieuses [En ligne], 86/3 | 2012, mis en ligne le 15 juillet 2014, consulté le 30 septembre
2016. URL : http://rsr.revues.org/1511 ; DOI : 10.4000/rsr.1511
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© RSR
L’ARCHITECTURE DES MOSQUÉES
EN FRANCE : CONSTRUIRE OU ÉDIFIER?
Le sujet de ce travail, l’architecture des mosquées en France, a été
choisi pour la journée d’études doctorales de théologies 2009 à l’Uni-
versité de Strasbourg bien avant que la Suisse n’ouvre un débat social
sur la construction des mosquées, débat qui a enflammé une partie de
l’Europe. Loin de toute considération politique sur l’édification de
minarets en Europe, notre préoccupation était de s’intéresser aux
édifices destinés à l’exercice du culte musulman qui sont construits en
France. Dans le cadre du thème des “religions dans l’art” qui était
celui de cette journée, la dimension esthétique de l’architecture de ces
bâtiments était notre intérêt premier. Il s’agissait avant tout de
présenter un état des lieux des mosquées que l’on construit
aujourd’hui en France : de quels bâtiments, quel style, quelle architec-
ture s’agit-il? Les édifices étant une des expressions de la présence
des groupes religieux dans l’espace public, et par là partie de la
sémiotique sociale de la présence religieuse1, cet article sera aussi
l’occasion de quelques considérations sur la «religion visible2».
La plupart des lieux de culte musulmans en France ne peuvent pas
être appelés mosquée, si l’on entend par là un bâtiment exclusivement
ou principalement destiné à l’exercice du culte musulman. En majo-
rité, ce sont des salles dans un bâtiment affecté à un autre usage. En
2003, sur plus de 2150 lieux de culte musulmans, plus de 80% n’at-
teignaient pas les cinq cents mètres carrés de surface totale chacun3et
seuls 4% des lieux de culte avaient une surface totale supérieure à
Revue des sciences religieuses 86 n° 3 (2012), p. 343-363.
1. L. OBADIA, “L’habit fait-il le moine? Sémiotique sociale de “l’être boud-
dhiste” dans le contexte occidental”, Protée 39, 2, 2011, p.71-81.
2. En référence à un ouvrage publié récemment de Roland CAMPICHE, La religion
visible. Pratiques et croyances en Suisse, Lausanne, Presses polytechniques et univer-
sitaires romandes (Le savoir suisse), 2010.
3. F. FRÉGOSI (dir.) Les conditions d’exercice du culte musulman en France,
Contrat FASILD, 2003.
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mille mètres carrés4. Le ministère de l’Intérieur dénombrait 2 052
lieux de culte musulman en France métropolitaine en 2010; 60 % de
ces lieux de culte ne dépassent pas cent mètres carrés5. Enfin, une
vingtaine seulement de bâtiments possède un minaret6. À ce propos,
signalons que, bien que de nos jours les mosquées comportent le plus
souvent un ou plusieurs minarets qui en sont quasiment devenus un
élément constitutif, les premières mosquées ont été construites sans
minaret, l’appel à la prière se faisant depuis le toit de la mosquée.
Certains courants de l’islam estiment d’ailleurs, encore aujourd’hui,
que les minarets sont inutiles7. Très rapidement cependant, peut-être
à cause de l’influence des clochers, les Omeyyades ont ajouté un
minaret à leurs mosquées; il semblerait qu’un minaret ait déjà été
érigé en 665 sur la mosquée de Bassorah. Par souci de symétrie sans
doute, on est rapidement passé d’un minaret à deux, construits de part
et d’autre d’un portail. Il y en a parfois plus; ainsi, la mosquée bleue
d’Istanbul en comporte 68. La hauteur, le style et la forme de ces
minarets peuvent être très divers. Le plus haut minaret du monde est
celui de la Mosquée HassanII à Casablanca, avec une hauteur d’en-
viron deux cent dix mètres; mais la grande mosquée d’Alger vise
aujourd’hui à se doter d’un minaret encore plus haut, auquel on
entend ajouter un rayon laser indiquant la direction de La Mecque.
Dans le cadre de cette enquête, pour délimiter le sujet, je me suis
essentiellement intéressée aux bâtiments construits en France à des
fins cultuelles; les transformations de bâtiments existants n’ont pas
été prises en compte. Ces édifices sont répartis inégalement sur le
territoire français, comme la présence musulmane, pour des raisons
historiques9. L’immigration suscitée par l’appel à la main-d’œuvre
4. 22 lieux de culte sur plus de 2000 ont une superficie supérieure à 2000 m²;
deux seulement, la Grande Mosquée de Paris et celle d’Evry-Courcouronnes, attei-
gnent les 7000 m². FRÉGOSI (dir.) Les conditions d’exercice du culte musulman en
France, Contrat FASILD, 2003, p.51.
5 J.-M.GUENOIS, “Les lieux de culte ont doublé en vingt ans”, Le Figaro 30-08-
2011, http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/08/30/01016-20110830ARTFIG
00587-les-lieux-de-culte-musulmans-ont-double-en-vingt-ans.php, dernier accès le
12/11/2011.
6. Parmi les mosquées incluant un minaret en métropole, on peut citer la Grande
Mosquée d’Evry, la mosquée Bellevue à Nantes, la mosquée Al Wiqaf de Mons-en-
Barœul, et les mosquées de Farebersviller, Mantes-la-Jolie, Cholet, Tarbes.
7. J.BLOOM, Minaret : Symbol of Islam, Oxford, Oxford University Press, 1989.
8 Ceci a obligé le sultan Ahmed à doter la mosquée de La Mecque d’un septième
minaret, pour qu’elle conserve son statut de mosquée au plus grand nombre de mina-
rets. 9. Le site http://masjids-map.com fournit une cartographie (pas toujours très
fiable) des lieux de culte.
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étrangère explique la présence plus forte de musulmans dans le Nord,
mais aussi dans le Haut-Rhin et le Territoire de Belfort (avec les
usines Peugeot), le Val-d’Oise, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne
ou bien encore le département de la Loire et ses industries, ainsi que
le grand bassin parisien. Le littoral méditerranéen, géographiquement
le plus proche du Maghreb, a aussi accueilli une part importante de
l’immigration d’où une forte représentation des personnes musul-
manes dans l’Hérault, le Gard ou bien encore les Bouches-du-Rhône.
La concentration de musulmans est également forte dans les régions
frontalières, dans les grands centres urbains et leurs banlieues, et dans
les anciens bassins industriels et miniers10. On comprend alors aisé-
ment pourquoi, parmi les douze mosquées dont la surface est supé-
rieure à trois mille mètres carrés, huit sont en Île-de-France.
I. LA CONSTRUCTION DES MOSQUÉES, DU DÉBUT DU XXeSIÈCLE À NOS
JOURS
La construction des mosquées en France est également répartie
très inégalement dans le temps. Il ne s’agit pas ici d’exposer l’histo-
rique de la position des pouvoirs publics en France, ni d’analyser l’op-
portunisme éventuel des stratégies politiques locales sur les
constructions de mosquées11. Comme le signale Marcel Maussen,
l’histoire de la construction de mosquées en France est loin de se
résumer à une lutte entre les institutions musulmanes cherchant à
établir un lieu de culte et les autres acteurs, associations locales et
pouvoirs publics, qui facilitent ou font obstacle au projet12. La dyna-
mique de ces conflits ayant déjà été fort bien décrite et analysée13, je
souhaite seulement ici m’intéresser au type de bâtiments qui ont été
construits.
10. Voir par exemple “Enquête sur l’implantation et l’évolution de l’islam en
France”, IFOP 2009, http://www.ifop.fr/media/pressdocument/48-1-document_
file.pdf (dernière visite le 22juillet 2011).
11. M.TELHINE, L’Islam et les musulmans en France : une histoire de mosquées,
Paris, L’Harmattan, 2009.
12. M.MAUSSEN, “Making Muslim Presence Meaningful. Studies on Islam and
Mosques in Western Europe”, ASSR working papers series 2005, p.24.
13 Voir notamment F. FRÉGOSI, “Les problèmes d’organisation de l’islam en
France”, Esprit 239, 1998, p. 109-136; M. MAUSSEN, “Mosques and Muslims in
Marseilles”, ISIM Review 16, 2005, p.54-55; A.BATTEGAY, “Mosquée de Lyon, la
construction d’un symbole”, Hommes et Migrations 1186, avril 1995, p.26-30
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A.1900-1930 : les « mosquées historiques »
Les deux plus anciennes mosquées de France se trouvent dans les
Territoires d’outre-mer : celle de St Denis de La Réunion (mosquée
dite la Moufia ou Noor el islam), construite en 1905; et celle de St
Pierre de la Réunion Attyab-ul Madariss, construite en 1920.
En 1926, la première mosquée de France métropolitaine voit le jour :
c’est la Grande mosquée de Paris14. Il s’agit de la plus grande mosquée
de France. De style hispano-mauresque avec un minaret de 33 mètres
de haut, elle a été construite pour rendre hommage aux musulmans morts
pour la France pendant la Première Guerre mondiale15. Quelques an-
nées plus tard, se construit la Mosquée Missiri de Fréjus, dans le camp
militaire de Caïs. Construite pourles troupes coloniales en 1930, son
architecture imite celle d’une mosquée africaine : elle est la réplique de
la grande mosquée de Djenné (Mali), et est classée monument historique
depuis 1987. Ces quatre mosquées constituent, en quelque sorte, le pa-
trimoine historique des mosquées de France.
B.1980-1990 : la reprise et les mosquées «cathédrales»
Il n’y aura ensuite aucune construction de mosquée sur le terri-
toire européen de la France jusqu’en 198116. Cette année-là, on inau-
gure la mosquée de Mantes-la-Jolie, dont la première pierre avait été
posée en 1981. Délibérément de style traditionnel arabo-musulman,
l’édifice comporte un minaret de dix-huit mètres de haut et une
coupole; le patio est décoré de mosaïques de couleurs. Les années
1990, à la suite de l’entrée de l’islam français dans ce que Jocelyne
Césari a appelé “l’âge de la citoyenneté”17, inaugurent ensuite une
14. La mosquée de Langon, qui date probablement du XIXesiècle, n’a jamais été
destinée à être un lieu de culte et a sans doute été construite par goût pour l’orienta-
lisme.
15 Cette mosquée s’inscrit également dans la politique musulmane de la France
et a peut-être constitué une réaction à la mosquée construite par les Allemands à
Zossen.
16. D’autres projets de mosquées “coloniales” ont existé, à Marseille, Lille ou
Bordeaux, mais n’ont pas été finalisés. F.BERGEAUD, “La gestion coloniale de l’islam
à Bordeaux. Enquête sur une mosquée oubliée”, Hommes et Migrations 1228, 2000,
p.29-43; MAUSSEN, “Making Muslim Presence Meaningful. Studies on Islam and
Mosques in Western Europe”, ASSR working papers series 2005, p.1-43; Marcel
MAUSSEN, “Mosques and Muslims in Marseilles”, ISIM Review 16, 2005, p.54-55.
17. J.CESARI, “Musulmans français et intégration sociopolitique”, dans Religion
et action dans l’espace public (P.BRECHON, B.DURIEZ et J.ION éd.), Paris, L’Har-
mattan (Logiques politiques) 2000, p.59-73; voir aussi F.FRÉGOSI “‘Droit de cité’ de
l’islam et politiques municipales : analyse comparée entre Strasbourg et Mulhouse”,
dans Le religieux dans la Commune. Régulations locales du pluralisme religieux
français (J.-P.WILLAIME et F.FRÉGOSI éd.), Genève, Labor et Fides 2001, p.92-137.
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