Envers qui les dirigeants sont-ils responsables ? To whom are top

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Envers qui les dirigeants sont-ils responsables ?
To whom are top managers responsible?
Marais Magalie, Professeur Assistant,
Groupe Sup de Co Montpellier Business School
Emmanuelle Reynaud, Professeur,
IAE Aix-en-Provence
Résumé :
La crise financière et les pressions sociétales auxquelles font face les entreprises interrogent
leur mission ainsi que le rôle de leurs dirigeants. Si le management responsable occupe le
devant de la scène, sa définition et ses enjeux pour le sommet stratégique restent mal connus.
Cet article théorique essaye ainsi de comprendre la responsabilité des dirigeants d’entreprises.
Nous mobilisons les théories de la gouvernance pour répondre aux questions suivantes : quel
est l’objectif de l’entreprise, quelles sont les responsabilités des dirigeants et comment
délimiter leur espace discrétionnaire? Quatre modèles de gouvernance sont identifiés et une
taxonomie des possibles logiques d’action des dirigeants est proposée.
Mots clefs :
Dirigeants, responsabilité, gouvernance, logique d’action, espace discrétionnaire.
Summary :
The financial crisis and the societal pressures that companies are facing question their mission
and their top managers’ role. If responsible management has become very popular, its
definition and stakes for top strategic makers remain confusing. This theoretical paper thus
tries to understand corporate top managers’ responsibility. We mobilize governance theories
to answer the following questions: What is corporate objective, what are top managers’
responsibilities and how to regulate their discretion? Four models of governance are identified
and a taxonomy of top managers’ possible logics of action is proposed.
Key words :
Top managers, responsibility, governance, logic of action, managerial discretion.
Classification JEL: M140
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1. Introduction
Si l’ensemble du fonctionnement du système économique mondial semble concerné dans sa
redéfinition par la cente crise financière, celle-ci vient plus particulièrement questionner la
mission de l’entreprise et de ses dirigeants. Les décideurs stratégiques des grandes entreprises
ont, en effet, été confrontés depuis la fin des années 1990 à des pressions croissantes à la fois
de la part des marchés financiers mais également de la part de diverses parties prenantes
internes et externes de plus en plus influentes (Johnson et Greening 1999). Ces exigences
contradictoires ont placé ces acteurs dans des positions délicates puisqu’il est désormais
demandé à ces derniers de proposer des orientations stratégiques permettant à l’entreprise de
prospérer et de survivre dans un environnement turbulent et complexe. Ils apparaissent ainsi
comme pressurés entre des groupes d’acteurs aux intérêts et attentes non nécessairement
convergents a priori. Notamment, leur rôle requiert l’attention du fait de son caractère risqué.
La sanction des dirigeants est tout d’abord envisageable par leur éviction en cas de non-
réponse aux attentes des apporteurs de capitaux. Mais elle est également susceptible d’émaner
d’autres parties prenantes de l’entreprise qui, en cas de scandale écologique et humain,
seraient susceptibles de malmener la légitimité des dirigeants en place, ce qui pourrait
également, dans certains cas, conduire à leur destitution. Nous pouvons notamment penser à
l’éviction de Didier Lombard, aux suites des scandales sociaux (les suicides), survenue en
2010 chez France Télécom. Au-delà des conséquences pour les dirigeants eux-mêmes, une
utilisation opportuniste par ceux-ci de leur espace discrétionnaire serait également susceptible
de conduire à léser une ou plusieurs parties prenantes (Martinet 2009).
L’objet de cet article sera de comprendre la responsabilité des dirigeants des entreprises. Pour
ce faire, il s’agira de définir quel est l’objectif de l’entreprise pour pouvoir identifier envers
qui les dirigeants sont-ils responsables et quelles logiques d’action ceux-ci pourraient-ils
adopter.
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Capturer l’essence des choix et des actions des dirigeants entre exigences multiples implique
ainsi, notamment par l’analyse des interactions entre les individus et leur contexte, de
questionner la marge de manœuvre de ces derniers. Dès 1932, Berle et Means insistaient déjà
sur la nécessité de questionner l’amplitude de l’espace discrétionnaire des hauts dirigeants
dans l’objectif de contrôler la responsabilifinancière et sociétale de ceux-ci. La marge de
manœuvre des dirigeants mérite ainsi d’être questionnée pour capturer les facteurs
susceptibles d’encadrer les choix et actions stratégiques et, in fine, la définition de la
responsabilité des dirigeants et de leurs organisations. Nous questionnerons, pour ce faire, les
évolutions de la gouvernance d’entreprise jouant un rôle central pour la finition de l’espace
discrétionnaire des décideurs et des conditions de leur légitimité (Charreaux 1997). Quatre
modèles de gouvernance principaux seront notamment proposés. Nous définirons, ensuite, les
logiques d’action susceptibles d’être endossées par les dirigeants pour la prise en compte de
différents types de parties prenantes. Nous discuterons de leurs implications au sein des
différents modèles de gouvernance présentés pour un management responsable des
entreprises.
2. Objectifs des entreprises et responsabilité des dirigeants: les apports des
théories de la gouvernance
Pour comprendre la responsabilité des hauts dirigeants, il est nécessaire de discuter de la
finalité des entreprises auxquelles ceux-ci appartiennent. Les théories de la gouvernance sont
utiles pour définir la nature de l’entreprise, les objectifs de celle-ci ainsi que les
responsabilités incombant à ses dirigeants. Ainsi, nous retraçons, dans cette première section,
les évolutions théoriques dans ce champ afin d’aboutir à quatre visions « type » de
l’entreprise caractérisées par des systèmes de gouvernance différenciés. Au sein de chacun
d’entre elles, nous définissons, également, les responsabilités des dirigeants ainsi que la
nature de l’espace discrétionnaire supposé les circonscrire.
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2.1. L’entreprise familiale
La plus ancienne forme de gouvernance a avoir été débattue au sein de la littérature
stratégique et financière fait référence à une économie domestique, fondée sur la famille et
consacrant de riches propriétaires (Gomez 2003). Les fondateurs de l’entreprise détenaient
alors un pouvoir de décision proche de l’absolu et affranchi de toute nécessité de justification
et de rendre-compte. L’ancrage territorial des entreprises, la proximité des centres de décision
ainsi que la reconnaissance de la légitimité de « l’entrepreneur » se situaient à la source d’un
pouvoir « suprême » des hauts dirigeants. Les choix stratégiques pour l’entreprise
dépendaient alors des valeurs et ambitions des décideurs. Des arbitrages pouvaient alors être
effectués entre leurs ambitions économiques et leurs considérations morales. Ces dernières
expliquaient ainsi l’importance accordée, ou non, à des objectifs sociaux/sociétaux par
l’entreprise (au côté d’autres objectifs productifs et/ou financiers). Le plus souvent, les
dirigeants sensibles à ces préoccupations manifestaient essentiellement leur engagement par le
développement d’un management paternaliste respectueux des Hommes et de
l’environnement (notamment par l’exercice de la philanthropie). Le management socialement
responsable des organisations était laissé à la seule appréciation du dirigeant. Ainsi, dès 1913,
Louis Delâge (production d’automobiles) accorde à ses ouvriers une semaine de congés payés
non obligatoire jusqu’en 1936.
La responsabilité des dirigeants se définissait, alors, par la suprématie des intérêts
économiques de l’entreprise ainsi que par un respect de l’environnement de production et des
conditions sociales à une échelle localisée et discrétionnaire. Ici, l’espace discrétionnaire des
dirigeants semble autorégulé par l’aspiration éthique de ceux-ci en complément des normes
juridiques encadrant les responsabilités de l’entreprise (Francis et Armstrong 2003). Les
dirigeants incarneraient les valeurs de l’entreprise et seraient naturellement enclins à faire le
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bien et à ne pas créer de dommages, notamment pour ne pas détériorer leur réputation au sein
de leur environnement (Robins 2008). La théorie du stewardship ( Donaldson et Davis 1991)
ou la théorie normative des parties prenantes (Bowen 1953) défendent, dans cette perspective,
les responsabilités morales des dirigeants envers une pluralité de parties prenantes sociétales.
Cette vision de la gouvernance assimile donc l’entreprise à la personne de son dirigeant. Elle
ne renseigne cependant en rien sur la manière dont les dirigeants prennent les décisions ou
gèrent les arbitrages entre parties prenantes (absence de la reconnaissance de conflits). La
responsabilité est principalement envisagée à un niveau individuel et l’entreprise en tant
qu’acteur collectif n’est pas définie.
2.2. L’entreprise actionnariale
Cette suprématie d’un modèle de gouvernance d’entreprise familial et paternaliste, même s’il
prévaut encore majoritairement au sein de petites entreprises, a progressivement été remise en
cause. Plusieurs raisons peuvent notamment expliquer ce recul comme la contestation sociale
progressive du pouvoir suprême des entrepreneurs, l’éclatement des lieux de productions, le
développement des droits de propriété ainsi que la séparation du statut de propriétaire et de
dirigeant (Gomez 2003). La marge de manœuvre des dirigeants devint alors non plus absolue
mais restreinte par le contrôle des apporteurs de capitaux. Une vision gative de l’homme
s’est alors développée consacrant un manager opportuniste et maximisateur aisément enclin à
s’affranchir des exigences des apporteurs de capitaux notamment du fait de la poursuite
d’objectifs personnels (Jensen et Meckling 1994). Toute considération des dirigeants autre
que celle de la maximisation du profit actionnarial apparaît, dans ce cadre, comme une
ambition subversive (Friedman 1970), seulement envisageable dans le cas d’une utili
stratégique avérée (Quinn et Jones 1995). Toute action non justifiée par des pressions
émanant de l’environnement et menaçant la maximisation du profit s’apparente à « un passe-
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