Acte 1 - Les Comédiens des Hameaux du Soleil

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Claude Mercadié
Le prince et la catin
(partie 3 de la trilogie de la catin)
GENRE : Comédie en 3 actes
RÔLES MASCULINS : 3 et 3 personnages
RÔLES FEMININS : 2
DUREE :
DECOR :
EDITION : Créée en 2013 à Fontainebleau et en Avignon par la Compagnie Naphralytep
OU ? : s'adresser à l'auteur
SYNOPSIS : Suite très libre de « la Catin de Venise » dont on retrouve dans de nouvelles aventures
les principaux personnages : Morgaz toujours en quête du trône de Schlossburg, Sarah, l’ex-Catin, le
professeur Vicennes, sage et timoré et deux jeunes personnages nouveaux, Lorenzo et Charlotte
ACTE 1
Scène I
(La scène représente le bureau de Maitre Vicenne, recteur de l’Académie de Schlossburg. C’est la nuit. Vicenne trie
des documents et des livres d’une bibliothèque dans un certain désordre. Deux coffres déjà remplis sont ouverts
devant lui)
VICENNE : C’est quand même incroyable… Je suis sûr qu’il était là, entre Agrippa d’Aubigné et Avicenne ! Le
théologien de notre foi entre un calviniste et un musulman.. ! Le voisinage m’avait amusé… (Il appelle) Lorenzo… !
Lorenzo… ! (Entrée de Lorenzo)
LORENZO : Je suis là, Maitre Vicenne !
VICENNE : Je ne trouve pas l’ouvrage de Saint Augustin…
LORENZO : Lequel ?
VICENNE : « La cité de Dieu » !
LORENZO : On s’en est servi pour caler la grande bibliothèque dont un pied était cassé, Maitre.
VICENNE : « La cité de Dieu » pour caler la grande bibliothèque ! Mais c’est… c’est un sacrilège !
LORENZO : Un sacrilège, non, Maitre, une nécessité, une urgence… Sinon la grande bibliothèque se fut effondrée !
VICENNE : Mais… Saint Augustin… Pourquoi Saint Augustin ?
LORENZO : Le volume avait juste l’épaisseur voulue. A une page près…!
VICENNE : Mais… ne pouvait-on trouver autre soutien… Je ne sais moi… une buche, une pierre…
LORENZO : L’urgence, Maitre, l’urgence… Et puis n’est-ce pas hautement symbolique, Maitre, tous ces livres, tout
ce savoir reposant sur « la Cité de Dieu » !
VICENNE : Ces arguties sont hors de propos, Lorenzo. J’ai besoin de « la Cité de Dieu » pour des recherches en
cours que je compte poursuivre à Venise.
LORENZO : Enfin, Maitre, vous trouverez tout ce que vous voudrez dans les bibliothèques de Venise. Saint Augustin
plus que tout autre…
VICENNE (après une brève hésitation) : Ma foi, tu n’as pas tort…
LORENZO : Et puis, Maitre, est-il bien raisonnable d’encombrer nos bagages de volumes pesants quand les périls
nous pressent de quitter Schlossburg…
VICENNE : Oui… oui, bien sûr… Ce maudit Combraille rentre d’exil avec une troupe de soudards. Il nous fera pendre
s’il parvient à s’emparer du trône…
LORENZO : Pourquoi ce Combrailles vous haïrait-il ?
VICENNE : Ce serait trop long à t’expliquer. As-tu commandé la voiture ?
LORENZO : Oui, Maitre… Une quatre-chevaux, une berline bien suspendue, taillée pour les longues courses. Le
cocher est un ami. Il sera là dans quelques instants.
VICENNE : Bien… bien… Je m’en tiendrai à deux coffres pour les bagages… Pour le reste, tout est prêt. Nous
partirons vers minuit. As-tu bien prévenu madame Gertrud Von Chalk ?
LORENZO : Oui. Elle aura son propre équipage dans lequel elle voyagera avec son fils, sa femme de chambre et sa
nurse anglaise. Maitre Vicenne ?
VICENNE : Oui ?
LORENZO : Pourquoi madame Von Chalk doit-elle fuir avec nous ? N’était-elle pas la favorite du roi défunt.
VICENNE : Parce que, comme nous, elle aurait tout à craindre de Combraille si la couronne lui échoyait !
LORENZO : Lui échoyait ?
VICENNE : Oui. Du verbe « échoir », qui signifie « être dévolu par le sort » Qu’as-tu appris à l’école ?
LORENZO : A mentir, à tricher, à me battre. Quoi d’autre, Maitre ?
VICENNE : Tu es un impertinent. Va donc te vêtir pour le voyage…
LORENZO : J’y vais de ce pas… (Il sort)
Scène II
(Vicenne retire en marmonnant tous les livres qu’il avait déjà enfouis dans une des malles et les remplace par des
vêtements en attente)
VICENNE : Voyager… Voyager… Il y a cinq ans déjà j’ai connu les mêmes incommodités quand on m’a fait venir de
Venise à Schlossburg… Il me faut recommencer aujourd’hui en ce printemps de 1726 par le chemin inverse… Mes
amis vont se demander si je n’ai pas la bougeotte… La bougeotte ! Maintenant je suis contraint de fuir comme un
malfaiteur, moi, le professeur Vicenne, Recteur de la Faculté de Schlossburg, écrivain illustre, auteur de nombreux
traités de cosmologie religieuse et de sociologie appliqué… Misère ! Misère ! Des fois, je me demande où va ce
monde livré aux soudards… Misère ! Misère… !
(Tandis qu’il rumine ce monologue, une ombre est entrée dans la pièce, enveloppée dans un long manteau de voyage
et le chef couvert d’un large chapeau qui dissimule ses traits. Croyant qu’il s’agit de Lozenzo, Vicenne l’interpelle sans
se retourner)
VICENNE : Que veux-tu encore ? Je t’ai dis de te vêtir chaudement… (N’obtenant pas de réponse, il se retourne et
se lève effrayé en découvrant cette présence immobile) Qui… Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? (L’ombre s’avance
dans la lumière, retire son chapeau) Morgaz ! Le duc de Morgaz ! Monseigneur ! Vous ! Vous ici… Mais… je vous
croyais…
MORGAZ (d’une voix forte) : Mort ? Défunt ? Trépassé ? Pourrissant quelque part sous quatre pieds de terre !
(Pompeux) Je suis le Duc de Morgaz, maitre Vicenne, on ne dispose pas de moi si facilement…
VICENNE : On avait retrouvé votre carcasse, le visage écrasé…
MORGAZ : Ce n’était pas moi, comme vous le pouvez voir.
VICENNE : Mais il portait au doigt votre anneau ducal !
MORGAZ : Ah ! C’est moi qui le lui avais enfilé. Pour égarer les recherches.
VICENNE : Vous… vous aviez tué cet homme !?
MORGAZ : Vous m’agacez, Maitre Vicenne. Je pensais vous trouver radieux de me voir reparaitre et vous ne cessez
de me harceler de questions stupides. (Il avance en grondant vers Vicenne et l’accule dans un angle du bureau) Non
je n’ai pas occis cet homme. Il était déjà passé de je ne sais quelle malemort mais l’eussè-je trucidé moi-même que je
n’en aurais point de compte à vous rendre !
(A cet instant, apparition de Lorenzo en pans de chemise et brandissant un pistolet)
Scène III
LORENZO : Par Dieu, il m’avait bien semblé entendre quelque bruit. (Menaçant Morgaz) Les
mains en l’air, coquin, ou je te transforme en passoire !
MORGAZ (se retournant et marchant sur Lorenzo qui recule tandis que Vicenne lui adresse des
signes qu’il ne comprend pas) : Coquin ! Moi ! Le duc de Morgaz ! Et tu me menaces, vermisseau !
(Il arrache le pistolet de la main de Lorenzo) Tu ne sais même pas qu’il faut lever le chien de ton
arme avant de t’en servir ? Comme ça ! (Il arme le chien du pistolet) Après quoi, tu peux tirer ! (Il
vise le front de Lorenzo) Comme ça !
VICENNE (retrouvant la voix) : Monsieur le Duc : Non ! C’est mon neveu !
(Morgaz appuie sur la gâchette. Le chien retombe avec un bruit sec, tandis que Vicenne
s’évanouit)
MORGAZ (à Lorenzo) : Tu n’as pas eu peur ?
LORENZO : Non.
MORGAZ : Non monsieur le Duc !
LORENZO (répétant sans servilité) : Non monsieur le Duc. Je savais comme vous que l’arme
n’était point chargée.
MORGAZ (désignant Vicenne répandu dans son fauteuil) : Tu as plus de trempe que ton oncle.
LORENZO : C’est un homme d’église, monseigneur. L’image même des armes le fait frémir.
MORGAZ : Tu me connais ?
LORENZO : Maitre Vicenne m’a parlé de vous.
MORGAZ : Que disait-il ?
LORENZO : Que vous aviez l’âme d’un gentilhomme dans le corps d’un soudard.
MORGAZ (flatté) : Il disait ça ?
LORENZO : Oui.
MORGAZ : Et quoi encore ?
LORENZO : Rien.
MORGAZ : Rien ?
LORENZO : Rien.
MORGAZ : Ah ! (Contrarié, il revient vers Vicenne qu’il secoue sans ménagements)
VICENNE (émergeant) : Hein…? Quoi …?
MORGAZ (sévère) : Vous lui avez dit que j’étais un soudard ?
VICENNE : Mais non…
MORGAZ : Avec une âme de gentilhomme ?
VICENNE : Euh… oui !
MORGAZ : Oui ? Non ? Il faudrait savoir !
VICENNE : Lâchez-moi, Monseigneur. Il n’est pas convenable que vous portiez la main sur un
homme d’église !
MORGAZ (le relâchant) : Ce n’est pas convenable, en effet. Pas plus qu’il n’est convenable qu’un
homme dont j’ai fait la fortune m’accueille avec si peu d’enthousiasme.
VICENNE (dignement) : Monseigneur semble faire peu de cas de nos mésaventures !
LORENZO : Vos mésaventures, Maitre ?
MORGAZ (à Vicenne en désignant Lorenzo) : Ne lui avez-vous donc rien conté ?
VICENNE : Il ne me paraissait pas nécessaire qu’il les connût. Je l’ai fait quérir il y a peu chez mon frère à Venise. Il
est promis aux ordres. C’est une âme jeune et encore innocente.
LORENZO : Innocente ? Si l’âme d’un jeune vénitien était encore innocente à vingt ans, on l’eut exhibé dans les
foires, mon oncle !
MORGAZ (avec un gros rire) : Il me plait ce
jouvenceau. (A Vicenne) Contez-lui la vérité.
VICENNE : La vérité ?
MORGAZ : Oui : contez-lui notre histoire. Il pourra nous être utile.
VICENNE : Soit. Monsieur le Duc m’avait
chargé d’instruire à Venise une jeune fille très pauvre. Il rêvait pour elle d’un destin royal.
LORENZO (avec impertinence) : C’est un conte de fées que vous me narrez, Maitre ?
MORGAZ : Tu as raison, petit. La fille s’appelait Sarah. C’était une catin de la rue. Ton oncle devait en faire une
femme du monde. Je comptais lui faire épouser mon frère le roi et profiter du scandale pour prendre sa place sur le
trône !
LORENZO (admiratif) : C’était bien combiné ! Et ça n’a pas marché ?
MORGAZ : Non. Mon conseiller, Gilles, était un traitre à la solde de mon frère. Quand nous sommes arrivés à
Schlossburg, mon frère le roi m’a fait jeter en prison.
LORENZO : Non !?
LORENZO : Et les autres ?
MORGAZ : Si !
MORGAZ : Gilles est mort. Je l’ai empoisonné. J’ai innocenté ton oncle et la fille d’un complot qu’ils ignoraient.
Question d’honneur. Ton oncle est devenu Recteur de la Faculté. Il servira mes desseins. La fille, Sarah, a disparu. Je
ne sais pas ce qu’elle est devenue.
LORENZO (béat d’admiration) : Et vous vous êtes évadé !
MORGAZ : Oui. Et j’ai fait croire à ma mort.
LORENZO : Et maintenant, monseigneur, vous reparaissez pour revendiquer le trône qu’un certain Combraille
guignerait !
MORGAZ (à Vicenne) : Il a tout compris. Et vous voulez faire un cureton de ce jeune prodige !
VICENNE : C’est la volonté du Seigneur !
MORGAZ : Laissez donc le Seigneur en dehors de
vos cuisines, Maitre Vicenne. Je m’occuperai de l’avenir de ce garçon quand j’aurai conquis le trône.
LORENZO : C’est que, monseigneur…
MORGAZ : Quoi ?
LORENZO : Nous préparions notre fuite vers Venise, Monseigneur. Maitre Vicenne dit que ce Combrailles le ferait
pendre.
MORGAZ : Votre fuite ! Quand !?
LORENZO : Cette nuit même, Monseigneur. Les
bagages sont prêts. Une quatre chevaux vient nous quérir sous peu.
MORGAZ : Vous partiez !
VICENNE : La prudence, Monseigneur…
LORENZO : Ce Combraille fait peur à tout le monde,
Monseigneur. La maitresse du défunt roi, madame Von Chalk part avec nous pour mettre son fils à l’abri…
VICENNE (mécontent) : Va t’habiller au lieu de dire des sottises… (Comme Lorenzo hésite) Tout de suite ! (Lorenzo
sort en courant)
Scène 4
MORGAZ (menaçant, à Vicenne) : Ainsi donc, vous partiriez quand j’ai besoin de vous !
VICENNE : Monseigneur, j’ignorais…
MORGAZ : Mais vous savez, maintenant. Alors il
n’est plus question que vous m’abandonniez.
VICENNE : Nous attendons une voiture.
MORGAZ : Vous la renverrez.
MORGAZ : Vous les déferez.
MORGAZ : Vous les annulerez.
VICENNE : Nos bagages sont prêts…
VICENNE : J’ai pris mes dispositions…
VICENNE : J’ai laissé des consignes…
MORGAZ : Vous les brûlerez.
VICENNE : Je refuse d’être entrainé dans une
querelle de clochers, Monseigneur. Ma vie est trop précieuse. Le royaume de France m’offre une situation éminente !
MORGAZ : Je vous ferai recteur de l’Académie.
VICENNE : Je le suis déjà.
MORGAZ : Conseiller du trône.
VICENNE : Vous n’y êtes point encore installé.
MORGAZ : Ministre des Affaires étrangères.
VICENNE : Ah !
MORGAZ : C’est d’accord ?
VICENNE : Vous êtes le diable, Monseigneur. Vous me tentez ! MORGAZ (insistant) : C’est d’accord ?
VICENNE : Qui ne rêverait de…
MORGAZ (plus fort) : C’est d’accord ?
VICENNE : Manipuler les princes de ce monde… Et puis…
MORGAZ (hurlant) : C’est d’accord ?
VICENNE (sursautant) : Eh bien, mon Dieu, oui.
MORGAZ : Vous restez ?
les Ambassades.
VICENNE : Je reste. Je contacterai
(Retour de Lorenzo achevant de se vêtir à la hâte)
Scène V
LORENZO : J’ai raté quelque chose ?
VICENNE : Monseigneur le Duc de Morgaz m’a prié de devenir ministre des affaires étrangères dans son prochain
gouvernement.
LORENZO (achevant de rentrer sa chemise dans ses chausses) : Bravo ! Et moi ?
MORGAZ : J’ai une mission pour toi.
LORENZO : Déjà !
MORGAZ : Nous n’avons pas de temps à perdre. Combraille a pris de l’avance sur moi. J’ai besoin de connaître ses
projets.
LORENZO (enthousiaste) : Ministre plénipotentiaire ! Moi !
MORGAZ : Non : espion.
LORENZO (déçu) : Espion ? C’est dangereux, ça…!
VICENNE : C’est dangereux, Monseigneur ! Je ne saurais permettre à mon neveu, le fils de ma sœur…
MORGAZ : Silence, monsieur le Ministre. Où je vous destitue.
VICENNE : Déjà !?
MORGAZ : Le temps nous est compté, Maitre Vicenne.
J’ai un plan. J’attends de vous un ferme soutien.
VICENNE (se drapant dans sa dignité) :
Sinon quoi ?
MORGAZ : Je fais savoir à Combraille que vous quittez le pays. Il vous rattrapera avant que
vous ne franchissiez la frontière.
VICENNE : Vous feriez ça !
MORGAZ : Sans la moindre hésitation. A vous de choisir : ministre ou pendu !
LORENZO : Ministre, mon oncle !
VICENNE : Cette pression m’est insupportable. Ma
dignité…
MORGAZ : Ne vous ai-je pas sauvé il y a cinq ans lorsque mon frère nous a fait arrêter à notre arrivée à
Schlossburg ?
VICENNE : Si fait, Monseigneur.
Sarah la catin ? VICENNE : Si.
MORGAZ : Ne vous ai-je pas innocenté ainsi que
MORGAZ : Ne me devez-vous pas, finalement, votre position à la tête de l’Université ?
VICENNE : Si.
bénéfices et prébendes ?
pays ! Vous savez que le reste ne m’importe guère.
MORGAZ : N’en avez-vous pas tiré honneurs,
VICENNE (glacial) : J’ai instruit la jeunesse de ce
MORGAZ : Vous l’avez déjà dit. Je suis le Duc de Morgaz, frère du Roi défunt. Le trône me revient. Ceux qui me
suivent ne le regretteront pas.
LORENZO : Bravo,
Monseigneur. Je ferai l’espion pour vous servir.
MORGAZ : Bien. (Il porte son attention sur le jeune homme) Tourne-toi.
LORENZO : Hein ?
MORGAZ : J’ai dit : Tourne-toi.
LORENZO (tournant sur lui-même) : Comme ça ?
MORGAZ : Mieux que ça ! (Voulant monter l’exemple, il tourne sur
lui même avec des grâces de lourdaud. La scène qui suit doit être
assez burlesque) Comme ça !
LORENZO (virevoltant avec légèreté) : Comme ça ?
MORGAZ (nouvelle démonstration maladroite) : Comme ça !
LORENZO (tournant avec grâce) : Alors comme ça ?
MORGAZ : Voilà : comme ça.
VICENNE : Mais…
MORGAZ (à Vicenne) : Taisez-vous. (à Lorenzo) Marche !
LORENZO (déambulant) : Comme ça ?
MORGAZ : Mais non ! (Il marche en se déhanchant de façon ridicule)
Comme ça !
LORENZO (avec des grâces féminines) : Comme ça ?
MORGAZ (épanoui) : Voilà : comme ça. (A Vicenne) Il est très bien, ce petit !
VICENNE (inquiet) : Que projetez-vous, Monseigneur…?
MORGAZ : Vous ne devinez point, monsieur mon Ministre ?
VICENNE : Je crains que si, Monseigneur.
MORGAZ : Vous connaissez les penchants de mon cousin Combraille ?
VICENNE : Oui !
LORENZO : Quels penchants ?
VICENNE : Le duc de Combrailles recherche la compagnie des jeunes
hommes…
MORGAZ : C’est un inverti, un homosexuel, un pédéraste… Il le
cache de son mieux mais il n’aime que les mignons de ton espèce… LORENZO : Ah ! Mais je
ne suis pas…
MORGAZ : Tu feras semblant. (Pour confirmer, il se déhanche de nouveau de façon ridicule)
LORENZO (se déplaçant avec grâce) : Comme ça ?
Combraille sait-il que ce garçon est votre neveu ?
MORGAZ (sérieux) : Voilà : Comme ça. (A Vicenne)
VICENNE : Nous n’avons jamais fait état de notre parenté.
MORGAZ : Parfait. Il rejoindra donc le camp de mon salopard de cousin. Il gagnera sa confiance en s’y comportant
comme un giton (nouvelle et courte démonstration) Il recueillera des informations sur ses intentions et reviendra me
rendre compte.
VICENNE : Mais c’est dangereux !
VICENNE : Si Combraille perce à jour son manège…
cette grosse brute de Combraille.
MORGAZ : Quoi ! Dangereux de faire la folle ?
MORGAZ : Votre neveu est bien trop malin pour
VICENNE : Ma sœur me l’a confié pour en faire un homme d’Eglise…
MORGAZ : Eh bien… (Avec un gros rire
trivial) …il portera la robe s’il le faut ! Et puis, en voilà assez. Il vient avec moi. J’ai là une bande de partisans. Ce sont
des gaillards délurés. J’équiperai ce garçon pour le rendre vraisemblable.
VICENNE : Mais Monseigneur…
MORGAZ (aboyant) : Quoi encore ?
VICENNE : Tout cela est bien précipité ! Demain, le Conseil du Royaume…
MORGAZ : Je sais : le Conseil du Royaume doit désigner un successeur à mon défunt frère.
VICENNE : Mais… on vous croit mort !
MORGAZ : C’est pour ça que le
temps nous presse ! Je dois montrer que je suis là, moi, l’héritier légitime du trône, faire valoir mes
droits, rassembler mes partisans, écarter Combraille. Vous, ralliez moi l’Université et les
Ambassades. La couronne m’a échappée une fois. Elle ne m’échappera pas deux. (A Lorenzo)
Allez, tu vas t’équiper pour rencontrer les mignons de Combraille…(Ils vont vers la chambre de
Lorenzo)
VICENNE (avec inquiétude) : Lorenzo, mon petit, sois prudent…
LORENZO : Vous
inquiétez pas, mon oncle ! J’ai déjà joué ce genre de rôle !
VICENNE (tandis que Lorenzo suit Morgaz en se déhanchant de façon burlesque) : Où ça ?
LORENZO : Au petit séminaire ! Avec les soutanes… Vous inquiétez pas : c’était juste pour rire…
(Il sort derrière Morgaz)
Scène VI
VICENNE : Pourquoi ? Pourquoi ai-je accepté cette grossière aventure ? « Abyssus abyssum invoquât » : L’abime
appelle l’abime ! Si quelque chose arrive à cet enfant, ma sœur me maudira. L’ambition ! Ah l’ambition ! Je suis le
recteur de l’Université et cela ne me suffit pas ! On agite un grelot au dessus de ma tête et me voici comme un gamin
courant après les chimères… Ministre ! Ministre des affaires étrangères du royaume de Schlossburg ! Pénétrer les
arcanes des Cabinets secrets, décider de l’avenir des Nations et du sort des citoyens ! « Heureux celui qui peut
pénétrer les causes secrètes des choses » ! Je cède à la tentation de Virgile quand je me voudrais Diogène dans son
tonneau, Socrate avouant son ignorance universelle. Je risque ma précieuse existence au service d’un Prince un peu
fou contre un Prince pervers ! Le sage que je m’efforce d’être reste soumis aux ambitions de l’homme que je suis
encore ! (Levant les bras au ciel) Dieu… Dieu… toi qui m’écoute là-haut, réponds-moi !
(A ce moment, des coups puissants frappés à la porte côté cour le figent dans son exaltation)
VICENNE (effrayé) : Dieu !!! Dieu !!! Oh mon Dieu, est-ce vous !!!
(Une voix féminine répond à travers l’huis)
LA VOIX : C’est Sarah ! Ouvrez-moi, Maitre Vicenne ! (Vicenne revient sur terre)
VICENNE : Ah oui ! Sarah ! Oui-oui-oui, j’arrive… (Il ouvre la porte)
Scène VII
SARAH : Je suis quelque peu en avance…
VICENNE : Madame Gertrud Von Chalk, ma chère Sarah ! Toujours aussi ponctuelle !
SARAH : C’est une des vertus que vous m’avez inculquées, Maitre Vicenne … Mais le temps nous presse… Depuis
le décès de Sa Majesté je me sens entourée de menaces… Les gardes ont quitté ma résidence pour rejoindre le gros
des troupes royales… Combraille contrôle déjà la situation. Mon fils le Prince héritier reste son seul obstacle. Je
devine notre sort s’il découvre notre présence. Il sait tout de mon passé, Maitre Vicenne. Vous imaginez…
VICENNE : Je comprends vos alarmes, Sarah. Mais des évènements se sont produits qui semblent écarter quelque
peu les périls et pallier provisoirement à l’urgence de la situation…
SARAH : Des évènements ?
VICENNE : Je vous en parlerai. Mais nous devons d’abord retrouver notre calme pour en apprécier les risques et les
chances.
SARAH : Ma vie importe peu, Maitre Vicenne. Mais je suis comptable devant Dieu de celle de mon fils !
VICENNE : Imaginez-vous, Sarah, que je vous conseillerais d’attendre si cela devait entrainer pour vous le moindre
péril ?
SARAH : Pardonnez-moi d’oublier ce que je vous dois, Maitre Vicenne…
VICENNE : Vous ne me devez rien, Sarah ! Il y avait étrangement en vous toutes les vertus d’une grande dame.
Quand je me souviens de notre première leçon… (Il rit)
SARAH (récitant à toute vitesse) : « Vous êtes mon si sensible souci si séduisant que soyez de satisfaire si souvent
sur ce sein de si savoureux sévices… » Voilà pour les sifflantes. Voulez-vous entendre les dentales, Maitre
Vicenne ? « Doudou dis-donc d’où tu tiens de dédain décidé… »
VICENNE :
Assez, chère Sarah. Quelle mémoire est la vôtre !
SARAH : Comment pourrais-je oublier tout ce que je vous dois ! J’étais une catin des bas quartiers de Venise. Vous
m’avez sauvé, vous avez ouvert mon esprit à la connaissance, mon cœur à la gratitude, mon âme…
VICENNE (avec émotion) : Taisez-vous !
SARAH : Alors que le destin nous menace, je vous dois cet hommage, Maitre Vicenne !
VICENNE : J’aurais tant à dire moi-même !
SARAH (doucement) : Dîtes-le.
VICENNE (d’une voix basse et passionnée) : Je remercie Dieu chaque jour de vous avoir mise sur ma route. J’étais
arrogant. Je me grisais de mes misérables connaissances, imbu de ma propre personne, suffisant, grotesque de
suffisance ! Et je vous ai vue…
SARAH (elle pose sa main sur sa bouche pour l’empêcher de parler davantage) : Maître Vicenne !
VICENNE (prenant la main qu’il embrasse avec une passion contenue) : J’ai vu la chrysalide devenir papillon et j’avais
le sentiment de n’être rien, rien d’autre que l’instrument d’une volonté supérieure qui vous rendait justice…
SARAH (à son tour avec émotion) : Taisez-vous !
VICENNE : Vous m’avez enseigné la modestie !
SARAH (sur le même ton) : Vous m’avez enseigné la fierté !
VICENNE : Taisez-vous ! (Les deux personnages se contemple un instant avec émotion. Puis Sarah s’écarte
doucement)
SARAH (sur un ton indéfinissable) : Vous avez fait de moi une femme du monde, Maitre Vicenne…
VICENNE (avec un sourire) : Une parfaite femme du monde !
SARAH : … pour les tortueux
projets d’un Prince que j’aimais… !
VICENNE (après un bref silence) : Vous l’aimez toujours, ce Morgaz ?
SARAH : Je ne l’oublierai jamais.
VICENNE : Il faisait de vous le jouet de ses
ambitions…
SARAH : Il fut bon pour moi !
VICENNE : Asseyez-vous.
SARAH : Pourquoi ? Nous devons partir avant que ce Combraille ne me reconnaisse sous les traits de Gertrud von
Chalk !
VICENNE : Asseyez-vous. (Elle obéit. Un temps) Le duc de Morgaz n’est pas décédé !
SARAH (Elle se lève brusquement) : Quoi !
VICENNE : Morgaz n’est pas mort.
SARAH : Mais on a retrouvé son cadavre avec son anneau ducal… ! VICENNE : Ce n’était pas lui. C’est un de ses
tours. Vous le connaissez…! Il s’est évadé. Il avait besoin de se faire oublier.
SARAH (s’asseyant comme les jambes coupées) : Il n’est pas mort ! VICENNE : Il réclame la succession de son frère
le roi défunt ! Il est là…
SARAH (se relevant d’un bond) : Il est là !
servir, je renonce à cette fuite vers Venise.
SARAH : Vous ne partez plus !
gentilhomme. Son panache nous a sauvés.
VICENNE : Oui, ma chère Sarah. Il est là. Et pour le
VICENNE : Non. Il est peut-être brutal, mais c’est un
SARAH (décidée) : Vous avez raison. S’il est là, je reste aussi.
VICENNE : Mais c’est dangereux !
SARAH : Je reste.
VICENNE : C’est d’une grande imprudence !
SARAH : Je reste.
VICENNE : Combraille vous hait ! S’il reconnaît en vous celle qui fut catin à Venise, il est vous fera
jeter dans un bordel à soldats !
SARAH : Je
m’en fiche. Monseigneur est revenu. Je reste.
VICENNE : Et votre fils !
SARAH : Sa nurse et une femme de chambre veillent sur lui, dans la voiture. Je vais leur dire de
continuer sur Venise où elles solliciteront la protection du Doge.
VICENNE : Rester à Schlossburg est un bien grand risque, Sarah !
SARAH : Vous savez ce que je dois à Monseigneur.
VICENNE : La loyauté est une rare vertu dans ce monde grossier
SARAH : Le roi défunt ne m’a pas laissée sans ressources. Je les
mettrais à la disposition de Monseigneur ! Il n’est pas mort ! Oh il est
vivant ! Je vais le voir ! Comment est-il ?
VICENNE : Egal à lui-même. Tonitruant, susceptible, impatient, généreux…
SARAH : Quel bonheur !
(Elle sort. La porte de la chambre de Lorenzo s’ouvre brutalement. Morgaz entre suivi de celui-ci,
vêtu comme un mignon avec une fraise autour du cou)
Scène VIII
MORGAZ : Je vous laisse quelques hommes à moi, Maitre Vicenne. Ils veilleront sur vous. Ils veilleront aussi à ce que
vous ne déguerpissiez point…
VICENNE : Monseigneur…
MORGAZ (sans l’écouter) : La nuit est bruissante de complots…
VICENNE : Monseigneur…
position aux portes de la ville…
MORGAZ : Les mercenaires de Combraille prennent
VICENNE : Oh mon Dieu…
MORGAZ : Lorenzo va s’infiltrer dans leurs rangs pour découvrir leurs projets. Moi je vais rassembler mes fidèles.
Quant à vous, ameutez les étudiants qui ont votre confiance…
VICENNE : Mais, Monseigneur, c’est la nuit !
VICENNE : Ils ne seront pas contents…
d’Etat. Ils ne demanderont qu’à en découdre.
MORGAZ : Réveillez-les.
MORGAZ : Dites-leur que Combraille prépare un coup
VICENNE : Mais Monseigneur…
hommes les encadreront.
MORGAZ : Ils ont des armes, épées, pistolets. Mes
VICENNE : Monseigneur …
MORGAZ (brutal) : Quoi encore ?
VICENNE (dignement) : D’abord je ne suis pas sûr que les étudiants m’obéissent…
MORGAZ : C’est votre problème.
VICENNE : Et puis…
(Retour de Sarah par la porte de l’extérieur. Elle tombe nez à nez avec Morgaz. Les deux personnages restent un
instant stupéfaits)
Scène IX
MORGAZ (dans un cri) : Sarah !!!
SARAH (faisant la
révérence) : Monseigneur !!!
MORGAZ : D’où sors-tu ? Je te croyais morte !
SARAH : Je viens d’apprendre que vous ne l’étiez point !
MORGAZ : Tu doutais de moi !
SARAH : On avait retrouvé votre cadavre ! Je priais chaque jour pour le repos de votre âme !
MORGAZ : J’attendais mon heure chez nos voisins Saxons.
m’avez-vous pas fait prévenir ? Je vous aurais rejoint.
SARAH : Pourquoi ne
MORGAZ (sèchement, pour chasser l’émotion qui le gagne) : J’avais bien d’autres choses à
penser. Et puis, toi-même, où étais-tu ?
SARAH : A Schlossburg, Monseigneur. Je n’ai
jamais quitté le royaume.
MORGAZ : On t’y
gardait prisonnière ? (Sarah et Vicenne échangent des regards gênés)
SARAH : Non, Monseigneur. On m’y cachait sous un faux nom.
MORGAZ : Qui te cachait ?
SARAH : Sa Majesté le Roi, votre frère.
MORGAZ : Pourquoi ?
SARAH : Il s’était pris d’intérêt pour moi, Monseigneur.
MORGAZ : Mon frère ! Ce calculateur ! Ce cœur sec ! Il s’était pris d’intérêt pour toi !
SARAH : Oui.
MORGAZ : Et il te cachait comme s’il en avait honte !
SARAH : Il régnait. Mon… mon passé...
MORGAZ : Alors quoi ? (Un silence qui se prolonge)
LORENZO (intervenant en toute innocence) : Madame Gertrud von
Chalk était la protégée du roi défunt, Monseigneur. Il tenait sa
relation secrète. Il lui a donné un titre. Elle lui a donné un fils.
(Silence stupéfait. Vicenne se laisse tomber dans un fauteuil)
MORGAZ (dans un rugissement) : Quoi !!!
SARAH (dignement) : Un fils, Monseigneur.
MORGAZ (hurlant) : Tu es devenue la maitresse de mon frère, toi !!! Il
n’avait pas d’héritier et tu lui a donné un fils !!!
LORENZO (ébahi) : Fallait pas le dire ?
SARAH (faisant face) : Je
n’avais pas d’autre choix, Monseigneur. Je vous croyais mort…
MORGAZ (Il se met à faire les cent pas avec rage en marmonnant) : A mon frère… elle s’est
donnée à mon frère… et moi je croupissais en prison… Je souffrais en exil… Et pendant ce
temps, hop et hop, on faisait la fête, on forniquait… On faisait un héritier…Et c’est cette… cette…
cette…
(Alors qu’il hésite, Vicenne se relève)
VICENNE : Silence, Monseigneur. Je vous interdis de prononcer des mots indignes de vous et
d’elle !
MORGAZ : Qu’est-ce que j’entends : vous prétendez interdire quelque
chose au Duc de Morgaz ! Vous, écrivaillon besogneux ! Penseur intermittent ! Sodomiseur de
mouches ! Planteur d’excréments !
(Faisant front sous l’avalanche des insultes, Vicenne lève le doigt vers le ciel, dans une attitude
très professorale)
VICENNE: « Cedant arma togae » ! « Que les armes cèdent à la toge !!! »
(Morgaz, en grande colère, sort son épée et menace Vicenne)
MORGAZ (grondant) : Jamais ! Etes-vous las de la vie ? Souhaitez-vous mourir ?
VICENNE : S’il le faut, Monseigneur… (Un long silence suit au bout duquel Vicenne ajoute à
Morgaz hésitant) … Si vous me tuez, vous n’aurez jamais l’appui de l’Université…
(Morgaz bougonnant rengaine son épée)
LORENZO (dans le silence qui suit) : D’ailleurs, c’était votre frère, Monseigneur…
MORGAZ (aboyant) : Oui. Et alors ?
LORENZO : Ben… ça ne sortait
pas de la famille…
MORGAZ (près de l’apoplexie) : C’est toi qui va sortir,
imbécile ! Et tout de suite ! Et attend-moi dehors ! …
(Lorenzo décampe légèrement, avec sa fraise autour du cou)
Scène X
VICENNE : Sarah, Monseigneur, a agi selon mon conseil.
MORGAZ (rancunier) : C’est ça. Le chat est mort, les souris dansent…
VICENNE : Elle ne voulait pas, Monseigneur. Elle voulait prendre le voile. Elle voulait se retirer dans un monastère.
MORGAZ : Naturellement. Mais elle s’est bien gardée de le faire ! SARAH : Monseigneur, mon fils…
VICENNE (l’interrompant) : Taisez-vous, Sarah ! Il y a des secrets qui se méritent.
MORGAZ : Et allez donc. Le voile, le monastère, les secrets…! Voilà vos armes, maudit chicaneur, voilà les discours
dans lesquels vous enveloppez vos mensonges et vos trahisons !
VICENNE (avec dignité) : Sortez, Monseigneur !
MORGAZ : Quoi ? Vous me chassez ! Moi ! Moi !
VICENNE : Je suis ici chez-moi. Dans cette
Université dont je suis le Recteur !
MORGAZ : Et alors ? Croyezvous que Combraille vous respecterait ? Que feriez-vous sans moi !
VICENNE : Je fuirais, Monseigneur. Je ne me bats que pour des causes que j’accepte et des hommes que je
respecte.
MORGAZ : Ma cause ne vous parait pas bonne ?
déçoit.
MORGAZ (déconcerté) : Ah !
pas, Monseigneur.
VICENNE : Si, Monseigneur. C’est l’homme qui me
VICENNE : Il ne vous ressemble
MORGAZ : Peut-être me suis-je un peu emporté… (Vicenne et Sarah ne répondent pas)… Peut-être…
(Des coups sont frappés à la porte. Vicenne va ouvrir. Entre Charlotte, la jeune femme de chambre de Sarah qui
accompagnait le fils de celle ci et la nurse dans la diligence)
Scène XI
CHARLOTTE : Madame, madame… Des hommes d’armes ont arrêté la voiture à la sortie de la ville. Ils ont pris votre
fils et la nurse. J’ai réussi à leur échapper…
SARAH : Oh mon Dieu…
(Elle s’évanouit. Vicenne, maladroitement, la prend dans ses bras et l’évente avec ce qui lui tombe sous la main)
MORGAZ : Des hommes d’armes, dis-tu ?
riaient grossièrement.
CHARLOTTE : Oui, Monseigneur ! Ils étaient saouls, ils
MORGAZ : Avaient-ils une marque sur leurs cuirasses…?
CHARLOTTE : Une marque ?
MORGAZ (impatient) : Une marque, un signe, une couleur commune…
remarqué qu’ils portaient un ruban rose noué autour du bras !
CHARLOTTE : Oui Monseigneur, j’ai
MORGAZ : Rose ! Nom de Dieu ! Ce sont les hommes de Combraille. Il n’y a que lui pour trouver des trucs comme
ça !
SARAH (revenant à elle) : Les soudards de Combraille…! Ils ont pris mon fils ! Ah mon Dieu…
(Elle va pour s’évanouir de nouveau. Morgaz la secoue)
MORGAZ : Sarah, ça suffit, morbleu ! Hé ! (Il continue de la secouer) Tu étais plus forte autrefois… Hé !
SARAH : C’est mon fils, Monseigneur !
VICENNE : C’est un otage qu’ils ont capturé, Monseigneur !
MORGAZ : Qu’est-ce que tu veux qu’ils en fassent.
MORGAZ : Un otage ? En quoi ça me concerne ? Je ne savais même pas qu’il existait, ce gamin !
SARAH : Oh… Vous êtes un monstre !
VICENNE : C’est un otage pour faire plier le Grand
Conseil de demain. C’est le fils du Roi défunt. Son père, votre frère, l’a reconnu par testament.
MORGAZ : Ah ! C’est embêtant, ça. Et vous croyez que le Conseil votera pour ce salaud de Combraille ? Un voleur
d’enfants ! Un inverti qui met des rubans roses aux armes de ses soldats !
VICENNE : Le Conseil sera
obligé de céder, Monseigneur.
MORGAZ (a voix basse) : C’est vrai qu’il est capable d’égorger le gosse !
VICENNE : On peut tout craindre de lui, Monseigneur.
SARAH : Vous seul pouvez le sauver,
Monseigneur. Il faut que vous sachiez…
VICENNE (lui coupant la parole) : …que c’est votre intérêt ! Si vous libérez l’enfant, le Grand Conseil n’aura d’autre
choix que de vous reconnaître.
MORGAZ : Oui… Sans doute. C’est
ce que nous allons faire. Vous ne fuyez plus ?
VICENNE : Non.
MORGAZ : Bien. (A Sarah) : Toi non plus ?
SARAH : Sauvez mon fils, Monseigneur…!
(Lorenzo apparaît à la porte)
LORENZO : Je me gèle dehors, Monseigneur. Il y en a encore pour longtemps ?
MORGAZ : Viens-là, toi. C’est l’union sacrée. On va prêter serment… (D’une voix forte) « Un pour
tous, tous pour moi ! »
(Les autres le regardent avec surprise)
LORENZO : Ça veut dire quoi, ça, Monseigneur ?
MORGAZ : Ça veut dire que nous n’avons pas de temps à perdre.
(A Vicenne) Vous, professeur, vous connaissez votre mission. Ne me décevez pas… (A Lorenzo) Toi, tu t’introduis
dans le cap de Combraille. Tu essaies de découvrir ce qu’ils mijotent. Ah oui : essaie aussi de savoir où ils détiennent
le gosse. Reviens dès que possible.
SARAH : Et moi ? Et Charlotte ?
MORGAZ : Enfermez-vous ici. Je vous laisse sous la protection de quelques uns de mes hommes…
(Sortie de Morgaz et de Lorenzo)
Scène XII
SARAH (avec colère à Vicenne) : Pourquoi ? Pourquoi m’avez-vous empêchée de lui dire la vérité?
VICENNE (achevant de se vêtir) : Il ne fallait pas, Sarah… Pas encore…
SARAH : Pourquoi ?
VICENNE : L’heure est à l’action, Sarah. Morgaz est un homme de guerre. Il est à l’aise dans la violence. Nous
sommes tous perdus s’il ne maitrise pas la situation. Ne le troublons pas avec des problèmes qui l’égareraient…
SARAH (âprement) : Vous en parlez bien à votre aise !
VICENNE : Souvenez-vous, Sarah (l’index vers le ciel) : « Des maux, il faut choisir le moindre ! ». « Minima de
malis » ! C’est notre intérêt à tous !
SARAH (avec colère) : Maître Vicenne, vous vous réfugiez toujours derrière vos citations !
VICENNE : Elles résument la sagesse des peuples, Sarah !
SARAH : Vous avez le cœur sec !
VICENNE (avec dignité) : Le vôtre vous égare, Sarah. Vous êtes injuste. J’essaie seulement d’entendre ce que le bon
sens me souffle…
SARAH (elle baisse la tête, garde un instant le silence) : Vous avez raison. Pardonnez-moi.
(Vicenne prend ses mains qu’il serre entre les siennes. Le silence se prolonge)
CHARLOTTE (à Sarah) : Puis-je faire quelque chose, Maitre Vicenne ?
VICENNE : Oui : veille sur elle. Veille sur elle comme sur ta propre vie !
(Il sort. Sarah s’agenouille et prie. Charlotte dépose un châle sur les épaules de Sarah) (NOIR)
FIN ACTE 1
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