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2° Pour assurer sa survie, pour préserver sa cohésion, toute société a besoin, à l’instar de tout système
organisé, de dispositifs de régulation. La régulation apparaît ainsi inhérente à l’existence du corps social :
il ne s’agit donc pas d’une fonction nouvelle, qui serait la marque des sociétés contemporaines, comme on
l’affirme trop souvent ; il n’y a pas de société concevable sans mécanismes de régulation. Ceux-ci seront
seulement conçus de manière différente selon les différents types d’organisation sociale.
Corrélativement, la fonction de régulation est au principe même de l’État, en tant qu’instance préposée
au maintien de la cohésion sociale. Le maintien de cette cohésion ne passe pas seulement par l’affirmation
et la défense de l’identité collective du groupe (fonction de symbolisation) ainsi que par la protection et la
sauvegarde de l’ordre social (fonction de domination) ; il suppose aussi que les comportements sociaux
soient harmonisés et les conflits sociaux résolus. Mais l’État n’est pas la seule instance de régulation
sociale (schéma totalitaire) : les sociétés sont des sociétés complexes, fondées sur l’entrelacement de
multiples dispositifs de régulation plus ou moins coordonnés et contrôlés par l’État.
Enfin, si le droit doit bien être envisagé comme un mode de régulation des comportements, à travers
l’imposition de certaines règles de conduite dotées d’une puissance normative particulière, ce n’est pas le
seul mode possible : il existe d’autres mécanismes de régulation parallèles au droit ou qui entretiennent
des rapports complexes d’imbrication avec lui (par exemple les normes techniques) ; ces rapports sont
réversibles, le droit prenant tout autant appui sur eux qu’ils ne prennent appui sur lui.
La régulation n’est donc pas une fonction nouvelle ; elle n’est pas l’apanage de l’État et elle ne passe
pas nécessairement par le canal du droit ; mais cette fonction est conçue de manière fort différente selon
les sociétés, la place de l’État dans la régulation du fonctionnement social étant plus ou moins étendue et
le degré de juridicité de la régulation plus ou moins important. Mieux encore les formes même de cette
juridicité sont variables.
La question de la contractualisation doit dès lors être inscrite dans une réflexion plus générale sur
l’évolution des normes de régulation dans les sociétés contemporaines. On montrera que les deux modèles
classiques de régulation, dont l’opposition ne saurait être surestimée, tendent à évoluer par le jeu d’une
poussée contractuelle, qui rencontre toutefois certaines limites.
I / LES DEUX MODÈLES DE RÉGULATION
Le point de vue large qui a été retenu conduit à distinguer deux modèles classiques de régulation, qui
ont toujours coexisté bien que suivant un équilibre variable selon le contexte historique : un modèle privé
de régulation, reposant sur le contrat (régulation « horizontale » résultant d’un accord de volontés) ; un
modèle public de régulation, fondé sur la loi (régulation « verticale » résultant de l’imposition de règles).
Il s’agit de modèles idéal-typiques qui, non seulement en pratique coexistent, mais encore entretiennent
des rapports d’imbrication.